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Date : 20130531

Dossier : T-2105-12

Référence : 2013 CF 583

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2013

En présence du juge en chef

 

 

ENTRE :

 

CAMI INTERNATIONAL POULTRY INC

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les Producteurs de poulet du Canada (les PPC) ont présenté la présente requête sollicitant une ordonnance les désignant à titre de défendeurs ou, à défaut, leur accordant l’autorisation d’intervenir dans le cadre de la présente demande, avec pleins droits de participation.

[2]               Dans la présente demande, Cami International Poultry Inc. (Cami) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du ministre du Commerce international, laquelle a rejeté la demande de Cami de lui accorder une licence d’importations supplémentaires pour importer au Canada des poulets vivants qui seraient transformés et vendus avec la tête et les pattes attachées. Le poulet vendu de cette manière et préparé selon la tradition chinoise est appelé poulet Hong Kong (le poulet HK).

[3]               Pour les motifs qui suivent, la réparation subsidiaire sollicitée dans la présente requête sera accordée, quoiqu’avec des droits de participation plus limités que ce que demandaient les PPC.

 

1.         Les parties

[4]               Cami est une société de l’Ontario qui est une transformatrice de poulet spécialisée. Ses produits incluent le poulet HK, qui est vendu à la collectivité chinoise de l’Ontario.

[5]               Entre autres responsabilités, le ministre est chargé de décider s’il exerce ou non son pouvoir discrétionnaire d’accueillir des demandes de licences d’importations supplémentaires en vertu de l’article 8 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, LRC 1985, c E‑19.

[6]               Les PPC sont une personne morale constituée par proclamation du gouverneur en conseil en 1978, conformément à ce qui est maintenant la Loi sur les offices de produits agricoles, LRC 1985, c F‑4, tel que le prévoit l’Accord fédéral‑provincial de 2001 sur le poulet. Les membres des PPC sont nommés par l’office provincial de commercialisation du poulet de chacune des dix provinces, de même que par les organismes intervenants en aval des secteurs de la transformation, de la surtransformation, de la restauration et des services alimentaires.

[7]               Les PPC exercent plusieurs fonctions liées à la commercialisation du poulet sur le marché interprovincial et de l’exportation, y compris sans s’y restreindre, l’établissement de l’allocation des contingents provinciaux pour que l’offre intérieure corresponde à la demande. Dans le cadre de leur mandat, les PPC surveillent en permanence les données sur l’utilisation des contingents de poulet et les stocks, analysent les tendances du marché, l’offre et la consommation de poulet, les importations et les exportations, ainsi que l’établissement des prix.

 

2.         Le contexte

[8]               Le 20 septembre 2012, Cami a présenté au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI) une demande d’autorisation d’importations supplémentaires de poulets vivants destinés à être transformés et vendus comme poulet HK. Dans cette demande, Cami a indiqué qu’elle n’était pas en mesure de s’approvisionner en poulets vivants auprès de sept fournisseurs identifiés au Canada.

[9]               Le lendemain, un représentant du MAECI a écrit à M. Jimmy Lee, président des approvisionnements en poulets vivants chez Cami, pour l’informer que sa demande devait être transmise aux PPC, afin que ceux-ci sondent le marché national pour voir si on pouvait y trouver le produit requis. La lettre ajoutait que Cami serait informée des résultats de cette recherche dans les trois jours ouvrables suivant la réception de la demande par les PPC. De plus, la lettre ajoutait que [traduction] « conformément à la disposition de la politique sur l’approvisionnement en cas de pénuries sur le marché intérieur, la recherche de sources d’approvisionnement peut révéler des produits de remplacement acceptables du point de vue commercial (p. ex., volaille éviscérée au lieu de volaille vivante), que peut utiliser le demandeur pour la fabrication du produit final spécifié (c.‑à‑d. du point de vue de la qualité ainsi que sur le plan technique et économique) ».

[10]           Le 5 octobre 2012, Cami a de nouveau présenté sa demande accompagnée d’une lettre qui expliquait que la volaille vivante en question était recherchée pour offrir du poulet HK à la collectivité chinoise de l’Ontario. Cette lettre expliquait en outre que la demande représentait [traduction] « uniquement une mesure temporaire en raison de l’entente sur l’allocation récemment mise en œuvre dans la région du centre du Canada et qui empêche Cami International de s’approvisionner au Québec pour obtenir les 600 000 kg de poulets vivants comme elle faisait auparavant ». La lettre ajoutait ce qui suit : [traduction] « Cette solution provisoire est une mesure de dernier recours jusqu’à ce qu’une solution satisfaisante puisse être négociée entre Cami, les [Chicken Farmers of Ontario] et l’[Association of Ontario Chicken Processors]. » Suivant les indications contenues dans la lettre susmentionnée du MAECI, Cami a également envoyé une copie de sa demande aux PPC.

[11]           Le 11 octobre 2012, les PPC ont répondu avec une liste de sources d’approvisionnement qui comptait trois fournisseurs potentiels de poulets éviscérés.

[12]           Selon un affidavit souscrit par M. Lee, Cami a alors communiqué avec les trois fournisseurs en question pour vérifier si les poulets éviscérés pouvaient être utilisés pour le poulet HK. Il semble que l’un des fournisseurs potentiels ait confirmé qu’il ne pouvait pas fournir de tels poulets et que les deux autres fournisseurs n’aient fourni aucune réponse.

[13]           Par conséquent, le représentant de Cami a communiqué avec le bureau du ministre pour l’informer qu’elle n’était pas satisfaite des sources d’approvisionnement, parce que les fournisseurs qu’avaient identifiés les PPC ne pouvaient pas fournir de la volaille qui pouvait être transformée et vendue comme poulet HK.

[14]           En réponse, un représentant du MAECI a transmis à M. Lee un courriel daté du 22 octobre 2012. Entre autres choses, ce courriel mentionnait que les PPC avaient amorcé le processus de recherche de sources d’approvisionnement pour les poulets vivants demandés le 5 octobre 2012 et que les résultats, qui mentionnaient que trois sources différentes étaient disposées à fournir un total de 725 000 kg de poulets éviscérés entiers, avaient été envoyés à Cami le 11 octobre 2012. Le courriel poursuivait ensuite ainsi :

[traduction]

Conformément à la politique d’approvisionnement supplémentaire, Cami dispose d’un jour ouvrable pour communiquer avec chacun des fournisseurs identifiés afin de négocier des prix et des modalités de livraison. Le demandeur est censé acheter intégralement la quantité requise de ces fournisseurs. Le demandeur doit aviser les PPC dès qu’il aura fini de s’approvisionner sur le marché intérieur.

[15]           Compte tenu de ce qui précède, le courriel indiquait que le MAECI [traduction] « estime que votre demande a été remplie et que le dossier à cet égard est fermé ». Voilà la décision (la décision) qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire que présente Cami.

[16]           Plus tard ce jour-là, M. Lee a répondu à ce courriel en déclarant, entre autres choses, qu’il n’était pas possible d’utiliser des volailles éviscérées entières pour le poulet HK et que les sources d’approvisionnement des PPC confirmaient qu’il n’y avait pas de poulets disponibles qui pouvaient être transformés et vendus comme poulet HK.

[17]           Le lendemain, le même représentant du MAECI a répliqué. Il a entre autres fait mention de plusieurs lettres antérieures que le MAECI avait envoyées à Cami, dans lesquelles le ministère se disait d’avis que [traduction] « des volailles éviscérées étaient considérées comme un produit de remplacement acceptable du point de vue commercial pour les poulets vivants ». Il a en outre déclaré que [traduction] « le MAECI estime qu’il n’y a pas de pénurie de poulets sur le marché national du Canada ».

[18]           Le 8 novembre 2012, M. Robert de Valk, directeur général de la Further Poultry Processors Association, a présenté au MAECI des observations supplémentaires pour le compte de Cami. En réponse, le représentant du ministre a entre autres déclaré que la réponse du MAECI à la demande de Cami [traduction] « est compatible avec la politique établie concernant les autorisations d’importations supplémentaires et conforme aux précédents en ce qui a trait à l’application de la politique. »

 

3.         La politique concernant les importations supplémentaires

[19]           En ce qui a trait aux importations supplémentaires de poulet et de produits du poulet, la politique du MAECI est énoncée dans l’Avis aux importateurs – Articles 96 à 104 : Poulet et produits du poulet – importations supplémentaires (avis no 793) (les Lignes directrices).

[20]           L’article 5.1 des Lignes directrices prévoit que le ministre « peut, à sa discrétion, autoriser l’importation de poulet et de produits du poulet en sus de la quantité bénéficiant du régime d’accès particulièrement s’il juge l’importation de ces produits nécessaire pour répondre aux besoins du marché canadien dans son ensemble ». La quantité du régime d’accès en cause est égale à environ 7,5 p. 100 de la production nationale de poulet pour l’année précédente, aussi appelée limite du contingent tarifaire. La limite du contingent tarifaire est répartie entre les titulaires de contingents d’importations à qui des licences d’importation sont délivrées pour permettre l’importation de poulets et de produits du poulet selon de faibles taux de droit « dans les limites de l’engagement d’accès ».

[21]           L’article 5.2 des Lignes directrices prévoit que les demandes d’autorisation d’importations supplémentaires doivent suivre les procédures applicables énoncées dans les Lignes directrices.

[22]           L’article 6 des Lignes directrices énonce les procédures à suivre pour le traitement des demandes d’autorisation d’importations supplémentaires en cas de pénuries sur le marché.

[23]           L’article 6.3.2 prévoit que les demandes doivent être envoyées aux PPC, avec une copie envoyée au MAECI.

[24]           L’article 6.3.3 prévoit entre autres choses que le demandeur « doit prouver que les sources d’approvisionnement habituelles sont épuisées avant de demander une autorisation d’importations supplémentaires ».

[25]           L’article 6.5.3 ajoute que la recherche de sources d’approvisionnement entreprise par les PPC « peut révéler des produits de remplacement acceptables du point de vue commercial (p. ex., volaille éviscérée au lieu de volaille vivante), que peut utiliser le demandeur pour la fabrication du produit final spécifié (c.-à.-d. du point de vue de la qualité ainsi que sur le plan technique et économique) ».

[26]           L’article 6.6.1 prévoit de plus que, si un demandeur n’est pas satisfait des résultats de la recherche de sources d’approvisionnement, il peut maintenir sa demande en utilisant le formulaire Demande d’autorisation d’importations supplémentaires — Confirmation de la demande. Il semble que les parties reconnaissent que Cami n’a pas confirmé sa demande de cette manière avant de déposer la demande de contrôle judiciaire de la décision. Il s’agit d’une question qui peut être soulevée dans le cadre de la présente demande.

 

4.         La mesure de réparation sollicitée par Cami dans sa demande de contrôle judiciaire

[27]           Dans sa demande de contrôle judiciaire, Cami sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire au ministre pour nouvelle décision en conformité avec les directives que la Cour peut juger appropriées. De plus, Cami sollicite une ordonnance quant aux dépens de la présente demande et toute autre mesure que la Cour estime juste.

 

5.         Les dispositions législatives applicables

[28]           Le paragraphe 303(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), vise les situations dans lesquelles un demandeur doit désigner une autre partie à titre de défendeur. Cette disposition est rédigée ainsi :

303. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :

a) toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande;

b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande.

 (1) Subject to subsection (2), an applicant shall name as a respondent every person

(a) directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or

(b) required to be named as a party under an Act of Parliament pursuant to which the application is brought.

 

[29]           L’alinéa 104(1)b) des Règles confère à la Cour le pouvoir d’ordonner qu’une personne ou une entité soit constituée comme partie à l’instance. Cette disposition est rédigée ainsi :

104. (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner :

[…]

b) que soit constituée comme partie à l’instance toute personne qui aurait dû l’être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne.

104. (1) At any time, the Court may

. . .

(b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all matters in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.

 

 

[30]           En ce qui concerne les requêtes demandant l’autorisation d’intervenir, le paragraphe 109(2) prévoit ce qui suit :

109. (1) La Cour peut, sur requête, autoriser toute personne à intervenir dans une instance.

Note marginale : Avis de requête

(2) L’avis d’une requête présentée pour obtenir l’autorisation d’intervenir :

a) précise les nom et adresse de la personne qui désire intervenir et ceux de son avocat, le cas échéant;

b) explique de quelle manière la personne désire participer à l’instance et en quoi sa participation aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance.

 

109. (1) The Court may, on motion, grant leave to any person to intervene in a proceeding.

Marginal note: Contents of notice of motion

(2) Notice of a motion under subsection (1) shall

(a) set out the full name and address of the proposed intervener and of any solicitor acting for the proposed intervener; and

(b) describe how the proposed intervener wishes to participate in the proceeding and how that participation will assist the determination of a factual or legal issue related to the proceeding.

 

 

 

6.         Analyse

A.      La demande des PPC d’être constitués comme partie

 

[31]           Conformément à l’alinéa 104(1)b) des Règles, la Cour peut constituer les PPC comme partie à la présente instance si au moins une des conditions suivantes est remplie :

1.             les PPC auraient dû être constitués comme partie;

2.             la présence des PPC devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige.

(i) Le premier volet de l’alinéa 104(1)b) des Règles

[32]           Au cours de l’audience, les PPC ont déclaré qu’ils s’appuyaient principalement sur ce volet de l’alinéa 104(1)b). Ils soutiennent qu’ils seront directement touchés, au sens du paragraphe 303(1) des Règles, par l’ordonnance que sollicite Cami dans le cadre de la présente demande. À cet égard, les PPC font valoir les prétentions suivantes :

1.             la présente demande vise la recherche qu’ont effectuée les PPC sur le marché national conformément à la politique de remplacement des poulets entiers;

2.             les importations non prévues aux termes de licences d’importations supplémentaires ont une incidence directe sur la capacité des PPC de planifier le niveau de production nécessaire pour répondre à la demande;

3.             les contrôles à l’importation, notamment le régime concernant les importations supplémentaires, ont été mis sur pied pour appuyer les activités de gestion de l’offre des PPC;

4.             en matière d’importation, la certitude est essentielle à la stabilité de l’industrie nationale et à la capacité des producteurs de poulet représentés par les PPC d’obtenir des rendements satisfaisants.

[33]           Je ne suis pas d’accord que les PPC seraient directement touchés si la Cour accordait la mesure de réparation que Cami sollicite dans le cas de la présente demande.

[34]           Si la Cour accorde une telle mesure de réparation, la seule conséquence directe de son ordonnance sera : (i) l’annulation d’une décision qui refusait essentiellement de délivrer la licence d’importations supplémentaires demandée; (ii) le renvoi de l’affaire au ministre pour nouvelle décision conformément aux directives de la Cour. Les PPC ou leurs membres ne subiront aucune répercussion directe, ni financièrement ni autrement. De plus, ils ne seront pas liés par quelque mesure de réparation sollicitée par Cami et que la Cour peut accorder (Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd c Madame Unetelle, [1998] ACF no411 (QL), au paragraphe 4; Early Recovered Resources c Gulf Log Salvage Co‑Operative Assn, [2003] ACF no 716 (QL), aux paragraphes 6 et 7).

[35]           À moins que le ministre ne décide de délivrer la licence demandée, l’actuel régime de gestion de l’offre de poulet qu’administrent les PPC au Canada ne peut subir aucune conséquence défavorable, parce que Cami ne sera pas autorisée à importer des poulets supplémentaires au Canada. Par conséquent, les répercussions que pourrait entraîner une décision du ministre sur les PPC et leurs membres, si l’affaire lui est renvoyée pour nouvelle décision, sont de nature conjecturale à ce moment‑ci.

[36]           Il en va de même en ce qui a trait à la possibilité de création d’un précédent et de son incidence sur la politique de remplacement de volaille entière, si le ministre décidait au bout du compte d’accorder une licence d’importations supplémentaires à Cami. Selon M. Michael Dungate, directeur général des PPC, voilà sa principale préoccupation dans la présente affaire (contre-interrogatoire de Michael Dungate, le 30 janvier 2013, à la page 55).

[37]           Évidemment, si la licence d’importations supplémentaires demandée est accordée, elle le sera vraisemblablement pour des dates différentes de celles qui étaient énoncées dans la demande initiale de Cami. (Cette question ne semble pas être l’objet du différend entre les parties dans la présente demande.)

[38]           Si jamais le ministre délivre la licence d’importations supplémentaires que Cami a demandée, il sera loisible aux PPC ou à leurs membres de solliciter le contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour, pourvu qu’ils soient en mesure de démontrer qu’ils sont « directement touché[s] » par cette décision, comme le prévoit le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[39]           Dans l’intervalle, comme l’a reconnu M. Dungate lors de son contre‑interrogatoire, les PPC peuvent transmettre au ministre leur opinion concernant les répercussions possibles d’une telle décision sur le régime de gestion de l’offre du poulet au Canada et sur les producteurs, les transformateurs ou d’autres personnes, par l’entremise du Comité consultatif sur les contingents tarifaires (le CCCT) dont les PPC sont membres (contre-interrogatoire de Michael Dungate, le 30 janvier 2013, à la page 43). Concernant ce dernier point, le représentant du ministre a déclaré ce qui suit dans la communication du bureau du ministre datée du 8 novembre 2012 et mentionnée plus haut :

[traduction]

 

[…] [J]e suis heureux de souligner que, lorsque le ministère prend des décisions concernant l’application de la politique en vigueur, il tient compte des conseils du [CCCT]. Les parties peuvent faire valoir leurs préoccupations auprès du [CCCT], en demandant que des sujets de discussion soient inscrits à l’ordre du jour du Comité. Les sujets de discussion peuvent être ajoutés à l’ordre du jour soit par les associations pour le compte de leurs sociétés membres, soit par le ministère en réponse à des questions soulevées par des sociétés.

 

 

[40]           Compte tenu du fait que les PPC ne seront pas directement touchés par la décision, il n’est pas possible de dire qu’ils « aurai[en]t dû l’être » [constitués comme partie] au sens de l’alinéa 104(1)b) des Règles et comme le prévoit l’alinéa 301(1)a) des Règles.

(ii) Le deuxième volet de l’alinéa 104(1)b) des Règles

[41]           La Cour peut ordonner que soit constituée comme partie à l’instance toute personne dont la présence est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance.

[42]           Les PPC font valoir que leur participation comme partie à la présente instance répond à ce critère pour plusieurs raisons. Premièrement, ils soutiennent que Cami cherche à contester les résultats de la recherche sur le marché national que les PPC ont effectuée conformément aux Lignes directrices. Deuxièmement, ils prétendent que leur preuve démontrera que celle de Cami comporte des lacunes et des incohérences importantes. Troisièmement, ils soutiennent que leur preuve démontrera que le niveau d’approvisionnement de produits comme le poulet HK est grandement influencé par les décisions commerciales privées des transformateurs de poulet canadiens, dont Cami. Quatrièmement, les PPC font valoir que leur participation permettra à la Cour d’avoir l’avantage d’un dossier complet, exact et équilibré concernant les questions pertinentes, y compris des précisions concernant le marché canadien du poulet et les règlements connexes qui ne relèvent pas de la compétence et de l’expertise du ministre.

[43]           À mon avis, la participation des PPC à la présente instance n’est pas nécessaire pour assurer un examen complet de toutes les questions soulevées dans la présente instance ou pour assurer une instruction complète et le règlement par la Cour des questions en litige dans l’instance. À cet égard, l’avocat du procureur général a admis au cours de l’instruction de la présente requête que [traduction] « d’un point de vue technique, la participation des [PPC] pourrait être possible par l’entremise du procureur général. » Pressé de questions sur ce point au cours de son contre‑interrogatoire, M. Dungate a reconnu qu’il ignorait ce qui pourrait empêcher les PPC de présenter une preuve par affidavit par l’entremise du procureur général (contre‑interrogatoire de Michael Dungate, le 30 janvier 2013, aux pages 48 et 49).

[44]           En bref, je ne suis pas convaincu que les questions qui ont été soulevées dans la présente demande ne peuvent pas faire l’objet d’une instruction complète et d’un règlement à moins que les PPC ne soient constitués comme partie (Air Canada c Thibodeau, 2012 CAF 14, au paragraphe 24 (Thibodeau); Canada (Pêches et Océans) c Bande indienne de Shubenacadie, 2002 CAF 509, au paragraphe 8 (Shubenacadie)). Le fait que les PPC peuvent avoir des éléments de preuve pertinents à présenter à l’égard de certaines questions qui ont été soulevées ne constitue pas un fondement suffisant pour conclure que leur participation à la présente instance est nécessaire au sens de l’alinéa 104(1)b). Il en va de même en ce qui a trait à l’intérêt des PPC relativement à une issue particulière de la présente demande et concernant sa préoccupation selon laquelle le procureur général pourrait ne pas présenter les arguments pertinents de façon adéquate (Thibodeau, précité, au paragraphe 11; Shubenacadie, précité).

[45]           Je suis d’accord avec la position de Cami selon laquelle le rôle des PPC en ce qui a trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre de délivrer des licences d’importations supplémentaires particulières en vue de l’importation de poulet au Canada est de nature purement administrative et se limite à sonder les marchés comme le décrivent les Lignes directrices. Cette fonction ne semble comporter aucun examen ni aucune analyse. Les PPC transmettent simplement les résultats de leur recherche au ministre, sans fournir de conseils. Une fois que cela est fait, leur rôle prend fin à ce qui a trait au processus.

[46]           Je reconnais que l’avis de demande de Cami et l’affidavit de M. Lee mentionnent les PPC. Cependant, ces mentions décrivent simplement le rôle que les PPC ont joué dans le processus qui a mené à la décision, et ils ne sont pas directement liés aux questions soulevées dans la présente demande. Les faits en cause dans la présente demande se distinguent de ceux dans Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] ACF no 879 (QL), au paragraphe 17. Dans cette affaire, Merck & Co et sa filiale canadienne (collectivement appelés Merck) ont été constituées comme parties, parce que leurs droits dans d’autres instances auraient été directement touchés si la Cour avait accordé certaines mesures de réparation sollicitées par Apotex. De plus, certains passages dans un affidavit déposé pour le compte d’Apotex alléguaient de la mauvaise foi de la part de Merck. En toute équité, la Cour a conclu que Merck devrait avoir une possibilité de répondre à ces allégations. Aucune allégation semblable ni aucune autre allégation n’ont été formulées à l’encontre des PPC dans la présente demande.

[47]           La présente situation se distingue également des faits dans Nu‑Pharm Inc c Procureur général, 2001 CFPI 973, aux paragraphes 20 et 24. Dans cette affaire, Merck a été constituée comme partie, parce qu’à titre de titulaire du brevet et des licences exclusives pour le médicament enalapril, la Cour a reconnu qu’elle avait un intérêt direct, urgent et légitime dans l’instance, qui était directement lié à ce brevet. De plus, la Cour a conclu que la présence de Merck était nécessaire afin que toutes les questions en litige dans la requête soient tranchées de façon totale et effective.

[48]           Les PPC soutiennent également qu’ils devraient être constitués comme partie, parce que le règlement de la présente demande touchera directement leurs droits ainsi que ceux de leurs membres. Pour les motifs qui précèdent, l’effet de l’issue de la présente demande sur les droits des PPC et sur leurs membres est de nature conjecturale à ce moment‑ci.

B.      La demande des PPC en vue d’obtenir le statut d’intervenants

 

[49]           À défaut d’obtenir le statut de partie à part entière dans la présente instance, les PPC demandent que le statut d’intervenants leur soit accordé.

[50]           Pour trancher la question de savoir si une requête en intervention doit être accueillie, il est nécessaire d’examiner les facteurs suivants :

1.             La personne qui se propose d’intervenir est-elle directement touchée par l’issue du litige?

2.             Y a-t-il une question qui est de la compétence des tribunaux ainsi qu’un véritable intérêt public?

3.             S’agit-il d’un cas où il semble n’y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?

4.             La position de la personne qui se propose d’intervenir est-elle défendue adéquatement par l’une des parties au litige?

5.             L’intérêt de la justice sera-t-il mieux servi si l’intervention demandée est autorisée?

6.             La Cour peut-elle entendre l’affaire et statuer sur le fond sans autoriser l’intervention?

Boutique Jacob Inc c Paintainer Ltd, 2006 CAF 426, au paragraphe 19 (Boutique Jacob); Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) c Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2010] 1 RCF 226, ACF no 220 (QL), au paragraphe 8.

[51]           Pour qu’une demande d’intervention soit accueillie, il n’est pas nécessaire de respecter tous les facteurs qui précèdent (Boutique Jacob, précité, au paragraphe 21).

[52]           Comme je l’ai mentionné précédemment, les PPC ne seront pas directement touchés par l’issue de la présente demande. En outre, il n’y a pas absence d’autre moyen raisonnable ou efficace pour présenter la preuve qu’ils proposent de produire. Comme je l’ai indiqué précédemment, le procureur général a admis que [traduction] « d’un point de vue technique, la participation des [PPC] pourrait être possible par l’entremise du procureur général » et M. Dungate a reconnu qu’il ignorait ce qui pourrait empêcher les PPC de présenter une preuve par affidavit par l’entremise du procureur général. Cela étant, je suis convaincu que la Cour pourrait instruire et trancher la présente demande au fond sans la participation des PPC à titre d’intervenants.

[53]           Je suis cependant convaincu qu’il existe une question relevant de la compétence des tribunaux et un véritable intérêt public et la participation des PPC à la présente instance serait avantageuse à cet égard. Compte tenu de la nature de cet intérêt public, à savoir la disponibilité de produits du poulet que désirent les Canadiens, je suis également convaincu que l’intérêt de la justice serait mieux servi en accordant aux PPC le statut d’intervenants dans la présente instance. En outre, tout en étant convaincu que le procureur général présenterait de façon adéquate la position des PPC, j’accepte la position du procureur général selon laquelle la participation des PPC à la présente instance serait utile, du moins à l’égard de certaines questions que Cami a soulevées et qui sont identifiées ci-après.

[54]           Après avoir soupesé les trois facteurs qui ne militent pas en faveur de l’octroi du statut d’intervenants aux PPC et les trois facteurs qui favorisent l’octroi de ce statut aux PPC, j’estime qu’il est approprié d’exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur des PPC, plus particulièrement en raison de l’aspect d’intérêt public de la présente demande. Je suis convaincu que les avantages liés à l’octroi de ce statut aux PPC l’emportent sur les désavantages, y compris le retard possible et les frais accrus que cela pourrait entraîner pour les parties. À cet égard, je constate que les PPC ont déclaré qu’ils ne retarderaient pas l’instance ni ne la perturberaient autrement et qu’ils étaient disposés à déposer et à signifier leur preuve par affidavit et leur dossier conformément aux délais fixés par la Cour.

[55]           J’accepte la position de Cami voulant que les PPC ne possèdent aucune connaissance spécialisée en ce qui a trait aux diverses questions soulevées par Cami et fondées sur la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi sur le Canada de 1982 (R-U), 1982 c 11 (la Charte), ou en ce qui a trait à la question de savoir si les membres de la collectivité chinoise estiment que les poulets éviscérés constituent un produit de remplacement acceptable pour le poulet HK.

[56]           Toutefois, contrairement aux observations que Cami a présentées avec vigueur au cours de l’instruction de la présente requête, les questions qu’elle a soulevées dans la présente instance ne semblent pas être limitées à ces deux questions.

[57]           Dans son avis de demande, à la toute fin du document, Cami consacre moins de deux pages aux questions liées à la Charte. Dès le début de cette section du document, elle déclare qu’en exerçant son pouvoir discrétionnaire, le ministre est aussi tenu de le faire d’une façon compatible avec la Charte.

[58]           Plus tôt dans l’avis de demande, Cami soulève d’autres questions, y compris celle de savoir si les volailles éviscérées sont un produit de remplacement acceptable du point de vue commercial pour les volailles vivantes et celle de savoir si [traduction] « il existe en Ontario, pour un produit distinct sur un marché distinct, un marché non satisfait qui ne fera pas concurrence au poulet transformé à l’intention du marché principal pour ce produit ». De plus, Cami présente des observations à l’égard des diverses procédures énoncées dans les Lignes directrices, de l’objet du régime d’importations supplémentaires et des occasions antérieures où le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de délivrer une licence d’importations supplémentaires. Toutes ces questions sont également abordées dans l’affidavit de Robert de Valk, que Cami a déposé dans la présente instance. De même, M. Lee déclare dans son affidavit que [traduction] « [à] l’heure actuelle, il existe une importante pénurie de poulets Hong Kong sur le marché, plus particulièrement à l’occasion des fêtes chinoises comme le Nouvel An chinois, la fête de l’Hiver et la fête de la Lune ». Il ajoute ce qui suit : [traduction] « Si cette pénurie persiste, il existe un risque réel que les gens aillent clandestinement au marché des produits de la ferme et achèteront des poulets vivants qu’ils tueront eux-mêmes à la maison. »

[59]           Je suis convaincu qu’il serait dans l’intérêt de la justice que les PPC soient en mesure de présenter des observations directement à la Cour concernant ces questions et de contre‑interroger MM. de Valk et Lee sur les déclarations mentionnées ou citées dans le paragraphe qui précède. Sur ce point, je constate que l’intérêt des PPC à l’égard de ces questions peut ne pas entièrement correspondre à celui du procureur général et je reconnais que les PPC peuvent être exceptionnellement bien placés pour aborder au moins quelques-unes de ces questions. Cependant, compte tenu de leur absence de connaissances spécialisées en ce qui a trait aux deux questions identifiées au paragraphe 55 (contre-interrogatoire de Michael Dungate, précité, aux pages 60 à 62) qui, comme l’a déclaré Cami, sont au cœur de la présente instance, les PPC n’auront pas le droit de présenter d’observations, de contre‑interroger les auteurs des affidavits ni de participer autrement à l’égard de ces questions.

 

7.         Conclusion

[60]           Les PPC ne répondent à aucun des deux volets énoncés à l’alinéa 104(1)b) des Règles pour être constitués comme partie à la présente demande. Leur demande sollicitant une ordonnance leur octroyant un tel statut sera par conséquent rejetée.

[61]           Je suis cependant convaincu qu’il est approprié d’exercer mon pouvoir discrétionnaire en accueillant, de façon subsidiaire, la demande des PPC d’obtenir le statut d’intervenants dans la présente instance. Cela dit, les droits de participation des PPC seront plus limités que ceux demandés dans l’avis de requête.

[62]           Compte tenu du fait que les PPC et Cami ont eu partiellement gain de cause dans la présente requête, la Cour ne rendra aucune ordonnance quant aux dépens.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

1.                Les producteurs de poulet du Canada (les PPC) sont constitués comme intervenants dans la présente instance.

 

2.                Les PPC ont le droit de présenter une preuve par affidavit, de contre‑interroger les auteurs des affidavits souscrits pour le compte de Cami, de participer aux requêtes préalables à l’audience ou aux conférences préparatoires, et de présenter des observations orales et écrites uniquement en ce qui a trait aux déclarations mentionnées ou citées au paragraphe 58 des Motifs de l’ordonnance joints. Il est entendu que les PPC n’ont aucun droit de participation à l’égard des questions fondées sur la Charte que Cami a soulevées ni à l’égard de la question de savoir si les membres de la collectivité chinoise estiment que des poulets éviscérés constituent un produit de remplacement acceptable pour le poulet HK.

 

3.                Le calendrier établi dans les Règles est modifié ainsi :

a)                les PPC sont assujettis aux mêmes délais que ceux qui s’appliquent au défendeur dans la présente instance;

b)                la demanderesse doit se conformer à l’article 306 des Règles dans les sept jours de la date de la présente ordonnance;


 

c)                les délais prescrits par les articles 307 à 314 des Règles courront alors à compter de la date à laquelle la preuve de signification mentionnée à l’article 306 des Règles sera déposée à la Cour.

 

 

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche, traducteur



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2105-12

 

INTITULÉ :                                      CAMI INTERNATIONAL POULTRY INC c

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)       

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 mars 2013          

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 31 mai 2013          

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Ronald Caza

Alyssa Tomkins

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

David Cowie

 

POUR LE DÉFENDEUR

David K. Wilson

Adam Huff

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Ronald Caza

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

David K. Wilson

Adam Huff

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

 

 

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