Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130703

Dossier : IMM-11315-12

Référence : 2013 CF 740

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B459

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par le ministre en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés a conclu que le défendeur B459 avait qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[2]               Le défendeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine ethnique tamoule qui est arrivé au Canada à bord du MS Sun Sea le 13 août 2010. Le commissaire qui a instruit la demande a relevé des problèmes de crédibilité dans le récit que le demandeur a fait des événements qui s’étaient produits avant le voyage à bord du Sun Sea. Toutefois, le processus de reconnaissance du statut de réfugié reposait surtout sur le fait que le demandeur avait été passager sur le navire, et ce fait n’a pas été contesté. Le commissaire a conclu qu’il était justifié de protéger B459 en raison de son appartenance au groupe social des passagers du MS Sun Sea. Le commissaire a précisé qu’il n’avait analysé aucun autre motif de protection.

 

QUESTION EN LITIGE

 

 

 

[3]               La question en litige dans la présente demande est celle de savoir si le commissaire a commis une erreur en déterminant que les « passagers tamouls du MS Sun Sea » constituaient un « groupe social » aux fins de la définition de réfugié au sens de la Convention, ce qui était suffisant pour que soit reconnue la qualité de réfugié.

 

NORME DE CONTRÔLE

           

 

[4]               Étant donné que la question en litige ne concerne pas la définition de « groupe social », mais qu’il s’agit plutôt de savoir si le défendeur fait partie d’un tel groupe, une question mixte de fait et de droit, et étant donné que la Commission interprétait sa loi constitutive et la jurisprudence connexe, j’estime que la norme de contrôle plus déférente de la raisonnabilité est celle qui s’applique (Canada (MCI) c B380, 2012 CF 1334, aux paragraphes 13 à 15). Toutefois, je constate que ce point ne fait pas l’unanimité et que le choix correct de la norme de contrôle applicable a été certifié à titre de question grave de portée générale dans Canada (MCI) c A011, 2013 CF 580, au paragraphe 57 :

 

[57]  Malheureusement, l’avocat de A011 n’a pas proposé de question grave de portée générale à des fins de certification. Néanmoins, je certifierai la question suivante :

 

Lors du contrôle d’une décision par laquelle un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié définit la notion d’« appartenance à un groupe social » employée dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et visée à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour doitelle appliquer la norme de la décision correcte ou la norme de la raisonnabilité?

 

 

ANALYSE

 

[5]               Le ministre demandeur, s’appuyant sur l’article 96 de la LIPR et sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], soutient que le commissaire n’a pas conclu que B459 craignait avec raison d’être persécuté pour un motif autre que celui de l’appartenance à un groupe social. Le ministre soutient que le commissaire a commis une erreur en concluant que B459 appartenait à un groupe social. Le fait de s’embarquer volontairement pour le Canada à bord d’un navire transportant des passagers clandestins ne crée pas un groupe qui définit ses membres d’une façon qui fait intervenir la défense des droits de la personne. Le groupe social en question a été désigné sans équivoque par le commissaire comme celui des « passagers du MS Sun Sea » et non comme celui des [traduction] « personnes qui, selon le gouvernement du Sri Lanka, auraient des liens avec les TLET »; une perception d’opinions politiques communes n’était donc pas soulevée.

 

[6]               Le défendeur B459 affirme que la Commission a examiné des éléments de preuve selon lesquels le gouvernement du Sri Lanka croyait que le MS Sun Sea transportait un nombre substantiel de dirigeants, de cadres et de membres des TLET, et a raisonnablement conclu qu’un passager du navire serait considéré comme une personne ayant des liens avec les TLET en raison de ce voyage. Il soutient que, bien que les « passagers du MS Sun Sea » ne constituaient pas par essence un groupe social, la Commission a tiré sa conclusion en estimant qu’il serait considéré comme une personne ayant des liens avec les TLET parce qu’il faisait partie du voyage, et que ceux qui ont des liens perçus avec les TLET forment un groupe social et peuvent invoquer le motif des « opinions politiques » prévu dans la Convention. Selon le défendeur, le commissaire a nettement déterminé que la crainte de persécution était fondée sur les liens avec les TLET, et le ministre demandeur ne fait que contester l’issue possible acceptable des conclusions du commissaire.

 

[7]               Le commissaire a très clairement déclaré que sa décision était fondée sur l’appartenance à un groupe social et non sur un lien avec tout autre motif prévu dans la Convention. Pour conclure autrement, la Cour devrait faire abstraction de cette déclaration et voir dans les motifs du commissaire une analyse qu’il a refusé de faire.

 

[8]               Il est indéniable que l’objet du concept de « groupe social », tel qu’il a été établi dans l’arrêt Ward, est fondé sur la défense des droits de la personne :

 

70     Le sens donné à l’expression « groupe social » dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous‑jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers, Cheung et Matter of Acosta, précités, permettent d’établir une bonne règle pratique en vue d’atteindre ce résultat. Trois catégories possibles sont identifiées :

(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

(2) les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d’être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l’orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d’intentions historiques, quoiqu’elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d’une personne constitue une partie immuable de sa vie.

 

 

[9]               La jurisprudence de la Cour à l’égard du « groupe social » en ce qui concerne le MS Sun Sea est quelque peu flottante, mais ce flottement s’explique en grande partie par des variations dans les circonstances factuelles de chaque affaire et dans les motifs fournis par les différents commissaires à l’appui de leur décision.

 

[10]           Tout « groupe social » identifiable formé par des faits historiques irrévocables ne risque pas nécessairement d’être persécuté pour un motif discriminatoire. Comme le juge Harrington l’a mentionné, au paragraphe 40 de la décision A011, une affaire semblable :

[40] Dans l’affaire concernant A011, compte tenu de la structure de la décision, les renvois à la race et aux opinions politiques imputées sont des parties intégrantes de la conclusion selon laquelle il appartenait un groupe social, c’està‑dire, les Tamouls qui étaient arrivés au Canada à bord du Ocean Lady. Ces passagers ne s’étaient pas volontairement associés pour des motifs essentiels à leur dignité humaine. Leur désir commun de venir au Canada n’a pas pour effet de faire d’eux des membres d’un groupe social au sens de la Convention et de l’article 96 de la Loi. Comme je l’ai mentionné au paragraphe 27 de B72 :

Les passagers du « Sun Sea » avaient une myriade de raisons de venir au Canada. Certains étaient des passeurs. Certains peuvent très bien avoir été des terroristes. Certains étaient des criminels ordinaires qui cherchaient à se soustraire à la justice. Certains avaient de sérieuses raisons de craindre la persécution au Sri Lanka, et certains, comme M. 472, étaient des immigrants économiques. Il n’y a aucune cohérence ni aucun lien aux autres motifs de reconnaissance du statut de réfugié énoncés à l’article 96 de la LIPR.

 

 

[11]           Le commissaire a choisi de ne pas analyser s’il y avait un lien avec le motif des opinions politiques prévu dans la Convention par le truchement de l’appartenance perçue du défendeur B459 aux TLET. Par conséquent, même selon la norme de contrôle déférente de la raisonnabilité, compte tenu de la jurisprudence à l’égard du « groupe social » découlant du voyage à bord du Sun Sea, je conclus que la décision du commissaire n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.)

 

DÉPENS

           

 

[12]           Le défendeur demande l’adjudication de dépens en vertu de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, au motif que le ministre demandeur a obtenu gain de cause en partie seulement dans des affaires semblables concernant le Sun Sea et qu’il n’a pas versé au dossier de la présente demande de nouveaux éléments de preuve montrant que le gouvernement sri‑lankais considérait les passagers du Sun Sea comme des partisans des TLET, et a pourtant soutenu que le gouvernement n’avait pas une telle opinion.

 

 Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

 No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

 

[13]           Étant donné que le ministre demandeur a eu gain de cause, je n’adjugerai pas de dépens. L’ordonnance de confidentialité imposée au début de l’instance devant la Cour sera maintenue.

 

QUESTION CERTIFIÉE

           

 

[14]           Étant donné l’incertitude qui entoure encore la question de la norme de contrôle applicable, je certifie la même question que celle qui a été proposée dans A011 :

Lors du contrôle d’une décision par laquelle un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié définit la notion d’« appartenance à un groupe social » employée dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et visée à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour doitelle appliquer la norme de la décision correcte ou la norme de la raisonnabilité?

 

 

 

CONCLUSION

 

 

[15]           La demande est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      la demande est accueillie;

2.      aucuns dépens ne sont adjugés;

3.      l’ordonnance de confidentialité est maintenue jusqu’à l’issue finale de la demande d’asile du défendeur ou jusqu’à ce qu’une ordonnance contraire ne soit rendue;

4.      la question suivante est certifiée :

Lors du contrôle d’une décision par laquelle un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié définit la notion d’« appartenance à un groupe social » employée dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et visée à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour doitelle appliquer la norme de la décision correcte ou la norme de la raisonnabilité?

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-11315-12

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                            ET

 

                                                            B459

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 3 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Keith Reimer

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gabriel Chand

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Gabriel Chand

Chand & Company Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.