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Date : 20130704

Dossier : IMM-9999-12

Référence : 2013 CF 748

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

Entre :

 

SON HUYNH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), visant une décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission).

 

[2]               La Commission a rejeté l'appel que le demandeur a interjeté d'une décision d'un agent des visas refusant d'accorder le statut de résident permanent à l'épouse du demandeur, parce qu'il avait conclu qu'elle n'était pas une épouse au sens de la Loi, conformément au paragraphe 4(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés [le Règlement].

 

I.          Les questions en litige

[3]               Les questions soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

A.    La Commission peut-elle tirer une conclusion selon laquelle un étranger ne sera pas considéré comme étant un époux si le mariage visait principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège sous le régime de la Loi, au sens de l'alinéa 4(1)a) du Règlement, sans tirer de conclusions sur l'authenticité du mariage?

B.     La Commission a-t-elle commis une erreur en n'appliquant pas la présomption de l'authenticité et en n'accordant pas de poids probant à l'existence d'un enfant issu du mariage?

C.     La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en examinant les faits tels qu'ils étaient au moment de l'entrevue au bureau des visas, plutôt que tels qu'ils étaient au moment de l'appel devant la Commission?

D.    La Commission devait-elle tenir compte de la Convention relative aux droits de l'enfant et devait-elle l'appliquer?

 

II.        La norme de contrôle

[4]               Au paragraphe deux de sa réponse à l'exposé des arguments du défendeur, le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[5]               Bien que le défendeur ne mentionne pas la norme de contrôle de façon distincte, il fait référence au [traduction] « caractère raisonnable » de la décision de la Commission de nombreuses fois dans son exposé des arguments.

 

[6]               Les quatre questions soulevées sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1522, au paragraphe 18; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 54). De plus, même si l'on peut prétendre que la norme de la décision correcte pouvait être appliquée à la première question, soit de savoir s'il faut tirer une conclusion quant à l'authenticité de mariage avant de tirer une conclusion selon laquelle le mariage visait principalement l'immigration, la décision qui suit ne serait pas différente.

 

III.       Le contexte

[7]               Le demandeur, Son Huynh, est un citoyen canadien de 49 ans. Il a deux enfants d'une relation précédente, qui sont âgés de 19 et de 21 ans.

 

[8]               Le 16 février 2009, le demandeur a épousé To Hung Tran, une citoyenne vietnamienne de 37 ans. Le frère de Mme Tran l’a présentée au demandeur, puis ce dernier a rendu visite à Mme Tran au Vietnam environ un mois plus tard. Pendant cette visite, le demandeur et Mme Tran se sont fiancés.

 

[9]               Mme Tran avait déjà été mariée, de 2001 à 2004, à Ngoc Chau Nguyen, un citoyen canadien. Elle a rencontré Nguyen en décembre 2000 et ils se sont épousés en octobre 2001. Nguyen a parrainé une demande de résidence permanente de Mme Tran peu après leur mariage. Cette demande a été refusée en août 2002. L'appel a été abandonné en 2003, peu de temps avant leur divorce. Mme Tran a déclaré que leur relation s'était détériorée parce qu'ils ne se comprenaient pas très bien et parce que le rejet de sa demande de résidence permanente avait causé des difficultés dans leur relation.

 

[10]           Le 20 mars 2009, Mme Tran a présenté une demande de résidence permanente au Canada, parrainée par le demandeur. Le 23 février 2011, la demande a été rejetée par un agent des visas. Le demandeur a interjeté appel de cette décision auprès de la Commission.

 

[11]           Le 7 décembre 2011, Mme Tran a donné naissance à un fils, dont le père serait le demandeur.

 

IV.       Analyse

A. La Commission peut-elle tirer une conclusion selon laquelle un étranger ne sera pas considéré comme étant un époux si le mariage visait principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège sous le régime de la Loi, au sens de l'alinéa 4(1)a) du Règlement, sans tirer de conclusions sur l'authenticité du mariage?

[12]           En termes simples, la Commission peut le faire. Le demandeur soutient que la Commission ne peut pas conclure que le mariage visait principalement l'immigration au Canada, sans d'abord tirer une conclusion au sujet de l'authenticité du mariage. Il fait valoir qu'une interprétation correcte du paragraphe 4(1) du Règlement, compte tenu de la Loi dans son ensemble, appuie ce point de vue.

 

[13]           Le libellé du paragraphe 4(1) du Règlement est sans équivoque : une conclusion de mauvaise foi peut être fondée soit sur une conclusion selon laquelle le mariage visait principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège sous le régime de la Loi, soit sur une conclusion selon laquelle le mariage n'est pas authentique. Il s’agit d’un critère disjonctif. Cette interprétation a récemment été confirmée par le juge en chef Paul Crampton dans la décision Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1522, aux paragraphes 27 à 31.

 

[14]           De plus, le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, publié avec la modification à l'article 4, est instructeur et précise aux paragraphes 1943 et 1944 :

Cette disposition rendait toutefois difficile de bien déceler ces relations [de mauvaise foi] […] Or la relation peut être de mauvaise foi quand l’un ou l’autre de ces facteurs connexes [la relation n’est pas authentique ou elle vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi] est présent.

[…]

(1) Il a établi une relation disjonctive entre l’élément de l’authenticité et celui du but. Cette modification permet de préciser qu’il est possible de conclure à la mauvaise foi si l’un ou l’autre de ces éléments est présent.

 

B. La Commission a-t-elle commis une erreur en n'appliquant pas la présomption de l'authenticité et en n'accordant pas de poids probant à l'existence d'un enfant issu du mariage?

[15]           Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle il n'y a aucune preuve de la paternité du fils du demandeur contrevient à la présomption de paternité et voile de façon inappropriée le processus de raisonnement de la Commission. Cependant, comme l'épouse du demandeur, Mme Tran, n'était pas encore enceinte lorsqu'elle a épousé le demandeur, la naissance de son fils et la question de la paternité sont postérieures à la conclusion de la Commission selon laquelle le mariage visait principalement l'immigration. De plus, la Commission n'a pas précisément traité de la question de l'authenticité du mariage, et elle a correctement conclu qu'elle n'avait pas le pouvoir discrétionnaire d'examiner les motifs d'ordre humanitaire si le mariage visait principalement l'immigration. Néanmoins, la Commission a bien tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant et de la question de la paternité lorsqu'elle a rendu sa décision. La Commission n'a pas commis d'erreur en n'abordant pas explicitement ces questions, qui étaient postérieures au mariage. De plus, bien que des éléments de preuve au sujet des situations qui ont eu lieu après un mariage puissent être pertinents quant à savoir si le mariage visait principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège sous le régime de la Loi, ils ne sont pas déterminants.

 

[16]           À mon avis, il était raisonnable pour la Commission de conclure qu'à l'époque où Mme Tran a épousé M. Huynh, elle l'a fait principalement dans le but d'acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi.

 

C. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en examinant les faits tels qu'ils étaient au moment de l'entrevue au bureau des visas, plutôt que tels qu'ils étaient au moment de l'appel devant la Commission?

[17]           La Commission n'a pas commis d'erreur. Le demandeur soutient qu'en déclarant que Mme Tran n'était pas enceinte au moment de l'entrevue, la Commission n'a pas tenu compte de sa grossesse au moment de l'appel.

 

[18]           La Commission doit tenir compte de tous les éléments de preuve dont elle est saisie, et c'est ce qu'elle a fait en l'espèce. La Commission a reconnu la naissance de l'enfant et a aussi correctement tenu compte des circonstances du mariage et des préoccupations quant à la crédibilité. Le paragraphe 4(1) de la Loi précise clairement qu'il faut mettre l'accent sur l'intention des parties lorsqu'elles se sont mariées, afin de décider si le mariage visait principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège sous le régime de la Loi. La Commission a tenu compte d'un certain nombre de facteurs pour tirer ses conclusions :

i.        les incohérences entre l'explication de Mme Tran pour l'échec de son premier mariage (un manque de compréhension entre les époux avant le mariage) et la rapidité à laquelle Mme Tran et le demandeur se sont fiancés, un ou deux mois après s'être rencontrés;

ii.      leur différence d'âge et les différences dans leur situation personnelle, compte tenu du fait que le demandeur a deux enfants adultes d'une relation précédente;

iii.    le fait qu'il n'y avait aucune preuve d'intérêts communs;

iv.    d'autres préoccupations portant sur des contradictions dans la preuve et sur le fait que le frère de Mme Tran avait présenté cette dernière à ses deux époux.

Il s'agit de facteurs pertinents dont la Commission devait tenir compte (Keo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 1456, au paragraphe 25).

 

D. La Commission devait-elle tenir compte de la Convention relative aux droits de l'enfant et devait-elle l'appliquer?

[19]           La Commission a bien tenu compte de la Convention relative aux droits de l'enfant, mais elle y a accordé peu de poids en l'espèce. La Commission a correctement tenu compte de la Convention et de son application. Il n'y a aucune ambiguïté quant à la signification du paragraphe 4(1) du Règlement et l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant n'est pas un facteur en l'espèce (Bell Express Vu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, aux paragraphes 28 et 29).

 

[20]           De plus, lorsqu'on lit conjointement l'alinéa 67(1)c) et l'article 65 de la Loi, il est clair que lorsqu’il est conclu qu’un étranger n'est pas un membre de la catégorie du regroupement familial, il n'est pas nécessaire de tenir compte des motifs d'ordre humanitaire.

 

[21]           La décision de la Commission était raisonnable, transparente et intelligible et elle n'a pas à faire l'objet d'un nouvel examen. La décision fait « partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

[22]           L’avocat du demandeur a proposé deux questions à certifier :

a)      Lorsque la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié applique l'article 4 du Règlement, la Commission doit-elle, afin de traiter correctement la question de savoir si le mariage visait principalement l'obtention de l'entrée au Canada :

                                i.            soit supposer que le mariage était authentique à l'époque du mariage, soit déterminer si le mariage était authentique à cette époque,

                              ii.            soit supposer qu'un enfant de la mère, qui pourrait être un enfant du mariage, est bien un enfant du mariage, soit déterminer si l'enfant est un enfant du mariage?

 

[23]            J'ai examiné l'objection du défendeur et la réponse du demandeur pour déterminer si l'une ou l'autre des questions devait être certifiée. Compte tenu du fait que ces questions ne portent pas sur l'interprétation du paragraphe 4(1) du Règlement et qu’elles ne nécessitent pas une clarification ou un examen de la part de la Cour d'appel fédérale à ce sujet, je suis d'accord avec le défendeur.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-9999-12

 

INTITULÉ :                                                  Son Huynh c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 2 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

Sharlene Telles-Langdon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 


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