Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130625

Dossier : IMM-9675-12

Référence : 2013 CF 701

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 25 juin 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

PRESCOTT KAMBURONA

 

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                  

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Prescott Kamburona, est un citoyen de la Namibie. Il allègue s’être enfui au Canada parce que les autorités de son pays ont appris qu’il entretenait une relation homosexuelle.. Il prétend qu’en raison de son homosexualité, il craint d’être persécuté s’il retourne en Namibie. La demande d’asile de l’homme dont il prétend être le partenaire homosexuel au Canada a été accueillie par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés [la Commission] au terme d’une audience durant laquelle M. Kamburona a témoigné.  Un tribunal différemment constitué n’a toutefois pas accueilli la demande d’asile de M. Kamburona qui a été entendue ultérieurement. Le commissaire a déclaré ceci : «  je ne suis pas convaincu que le demandeur d’asile a établi, selon la prépondérance des probabilités, sa prétendue orientation sexuelle qui est au cœur de la demande d’asile. »  

 

[2]               Le partenaire de M. Kamburona n’a ni témoigné à l’audience ni fourni de déclaration écrite confirmant que tous deux entretenaient une relation homosexuelle. M. Kamburona a déclaré que son partenaire était à l’origine censé témoigner à son audience, mais qu’il est tombé malade peu avant et qu’il a dû prendre quelques jours de congé de maladie et ne pouvait plus se permettre de s’absenter encore de son travail pour assister à l’audience. Ce n’est qu’à la fin de la semaine précédant l’audience du lundi que M. Kamburona en a été mis au courant.    

 

[3]               Ne disposant pas du témoignage du partenaire, la Commission avait pour seule preuve de l’orientation sexuelle de M. Kamburona la déclaration sous serment de l’intéressé et quelques autres éléments de preuve à l’appui. 

 

[4]               La Commission a tiré trois conclusions défavorables quant à la crédibilité, indiquant que de « nombreuses divergences importantes relatives à la preuve » l’ont forcée à rejeter la preuve produite par M. Kamburona.  À mon avis, et malgré la déférence à laquelle a droit le premier juge des faits, les éléments de preuve ne présentaient pas de « contradictions majeures » ni ne présentaient une raison valable de douter de la crédibilité du demandeur.

 

[5]               Tout d’abord, je conviens que la Commission est généralement en droit de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité si le demandeur ne produit pas un témoignage de son partenaire, preuve qu’il aurait probablement pu obtenir (voir, par exemple, He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 362, au paragraphe 26 :

Non seulement le demandeur n’a-t-il présenté aucun élément de preuve corroborante, mais il n'a même pas tenté d'en obtenir. Le demandeur n'a pas répondu à l'affirmation contenue dans la réponse à la demande d'information de 2010 selon laquelle "il est possible d'obtenir une copie [d'un mandat d'arrestation ou d'une sommation] ultérieurement en s'adressant au bureau local du Bureau de la sécurité publique". Dans Wei c Canada (MCI), 2012 CF 911, le juge Russell a tiré une inférence défavorable de l'omission du demandeur de fournir une copie du prétendu mandat délivré par le BSP, en faisant référence à la réponse à la demande d'information de 2004 mentionnée ci-dessus pour affirmer qu'il était possible d'obtenir une telle copie auprès du BSP. Vu qu'il n'y a pas eu d'allégation selon laquelle il aurait été déraisonnable que les membres de la famille du demandeur s'adressent au BSP, il est possible de tirer, en l'espèce, la même inférence défavorable.

 

[6]               En l’espèce, le partenaire du demandeur n’a pas déposé verbalement ou par écrit quant à leur relation, et aucun élément de preuve n’est venu corroborer la raison pour laquelle il n’a pu témoigner à l’audition de la demande d’asile du demandeur, comme une note d’un médecin ou encore une note signée par lui-même expliquant son incapacité de se présenter à l’audience, documents que le demandeur aurait probablement pu se procurer. S’il ne lui était pas possible d’obtenir aisément ces éléments de preuve corroborants, le demandeur devait le dire. Mais il ne l’a pas fait, et il était représenté par un conseil. À première vue, cette omission a nui au demandeur. Toutefois, cette conclusion de la Commission doit être soupesée au vu des observations qui suivent sur le défaut de la Commission de consulter le dossier de réfugié du partenaire qu’elle avait en sa possession.

 

[7]               Il faut ensuite tenir compte du fait que l’ancien partenaire du demandeur a été arrêté en Namibie. Le demandeur a déclaré avoir quitté la Namibie en avril 2010 peu après que son partenaire de l’époque eut été arrêté pour homosexualité et qu’il eut été torturé jusqu’à ce qu’il révèle le nom de son partenaire – le demandeur – à la police.  Toutefois, les notes de l’agent qui a résumé sur le formulaire IMM 611 les raisons qu’avait le demandeur de demander la protection du Canada à son arrivée à l’aéroport international Pearson de Toronto, son port d’entrée, ne mentionnent pas l’incident de l’arrestation, mais seulement que le demandeur a déclaré qu’il ne savait pas où se trouvait son partenaire. Le demandeur a signalé à la Commission qu’il avait tout dit à l’agent et que c’était l’agent qui avait n’avait pas noté que le partenaire avait été arrêté. Mais la Commission a jugé que le demandeur n’avait pas tout raconté à l’agent. On pourrait reconnaître que la Commission était en droit de préférer une explication plutôt qu’une autre, mais il ne faut pas oublier que la déclaration du demandeur doit être considérée eu égard au ce bref exposé écrit suivant, ce qui donne sérieusement à penser que l’agent a négligé d’inscrire des faits dans ses notes :

[Traduction]

Peu après, ils ont découvert que j’étais gai. Je ne pouvais plus aller travailler. Je ne pouvais plus rentrer chez moi. Ils me pourchassaient et cherchaient à me faire du mal. Ils prétendaient qu’il n’était pas censé y avoir d’homosexuels dans le pays. La situation était très difficile pour moi. En venant ici, j’essayais de m’enfuir. Depuis quelque temps, j’ignore où se trouve mon partenaire.

 

.

[8]               Par ailleurs, les instructions données sur le formulaire IMM 5611 sont claires : « Veuillez répondre en quelques mots. Vous pourrez expliquer tous les faits relatifs à votre demande d'asile dans un formulaire à l'intention de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada. » [Non souligné dans l’original.] En revanche, dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP), le formulaire IRB/CISR 189 auquel se reporte souvent la Commission et qui est en cause lors de contrôles judiciaires, on indique ceci : « […] exposez dans l’ordre chronologique tous les événements importants et les raisons qui vous ont amené à demander l’asile au Canada.  » [Caractères gras dans l’original.]. Dans son FRP, le demandeur a relaté l’arrestation de son partenaire en Namibie.

 

[9]               Par ailleurs, le demandeur a présenté à la Commission un affidavit souscrit par la sœur de son partenaire namibien dans lequel elle confirmait et appuyait entièrement le récit qu’avait fait le demandeur de l’arrestation de son partenaire ainsi que le fait que son frère avait révélé le nom du demandeur à la police et qu’elle‑même en avait informé le demandeur en l’encourageant à s’enfuir. 

 

[10]           Pour ces raisons, je trouve déraisonnable la conclusion défavorable qu’a tirée la Commission en se fondant sur les renseignements figurant dans le formulaire 5611 rempli au port d’entrée.

 

[11]           Enfin, pour ce qui est de la troisième et dernière conclusion quant à la crédibilité, la Commission a tiré une conclusion défavorable de l’omission du demandeur de donner des précisions sur son domicile dans son FRP. Le demandeur a déclaré qu’il s’était caché chez un cousin pendant une dizaine de jours après l’arrestation de son partenaire, mais son FRP indiquait qu’il avait résidé de façon continue à « Windhoek, Katatura ».  À l’audience, la Commission a demandé au demandeur d’expliquer cette apparente contradiction, ce à quoi il a répondu que la maison de son cousin et celle de ses parents (où il avait toujours vécu) se trouvaient dans cette même grande banlieue. La Commission a demandé au demandeur  pourquoi il ne s’était pas efforcé d’indiquer l’adresse précise de son cousin, ce à quoi le demandeur a répondu qu’il ne la connaissait pas.

 

[12]           On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles la Commission a tiré de l’absence de ces précisions dans la section du FRP sur la résidence une conclusion négative quant à la crédibilité. Tout d’abord, le demandeur a clairement mentionné dans son exposé narratif qu’il s’était réfugié chez son cousin. Cet élément d’information n’est pas un exemple d’une précision mise au jour lors de la déposition orale puisqu’elle figurait dans le FRP. Ensuite, à mon avis, la Commission n’a pas prêté suffisamment attention au libellé de la question du formulaire. Dans la section sur la résidence, le demandeur d’asile doit inscrire son adresse, à savoir le village, la cité, la ville, le comté, le district, la province. On ne demande pas au demandeur, et on l’exige encore moins, d’indiquer un numéro et un nom de rue. Le demandeur a donné tous les renseignements requis.  Pour ces raisons, cette conclusion relative à sa crédibilité était aussi déraisonnable.

 

[13]           Même si on considérait comme raisonnable la première conclusion relative à la crédibilité, qui était basée sur l’absence de preuve émanant du partenaire homosexuel au Canada, il serait impossible de déterminer le poids qui a été attribué à chacune des conclusions et, comme la majorité des conclusions de la Commission sont déraisonnables, la décision doit être annulée. Toutefois, je suis également d’avis, vu les observations qui suivent, que la Commission n’aurait pas dû si aisément mettre la crédibilité du demandeur en question en raison de l’absence du témoignage de son partenaire sexuel au Canada.

 

[14]           Il ressort clairement des motifs que l’absence de preuve a pesé lourdement dans la décision de rejeter la demande d’asile :

En l’absence de tout affidavit ou témoignage de vive voix d’un prétendu partenaire de même sexe ou de tout élément de preuve fiable quant aux raisons de son absence et des divergences importantes relatives à la preuve qui n’ont pas été adéquatement expliquées, je ne suis pas convaincu que le demandeur d’asile a établi, selon la prépondérance des probabilités, sa prétendue orientation sexuelle qui est au cœur de la demande d’asile.

 

[15]           La Commission a reconnu qu’elle avait accordé l’asile au partenaire homosexuel du demandeur au Canada à l’audience duquel le demandeur avait témoigné. Il ressort clairement du dossier que la demande du partenaire était fondée sur son orientation sexuelle. Bien que le commissaire se soit dit quelque peu préoccupé de ce que sa décision en l’espèce était en contradiction avec la décision rendue à l’égard du partenaire, il a signalé que chaque demande doit être évaluée sur le fond.

[L]e prétendu partenaire de même sexe serait une partie concernée. Il est originaire de la Namibie. Tous deux sont des demandeurs d’asile qui habitent ensemble avec une autre personne à Edmonton. Le demandeur d’asile et son prétendu partenaire travaillent à Edmonton. Le demandeur d’asile a témoigné à l’audience de son prétendu partenaire de même sexe; le partenaire a été reconnu comme réfugié au sens de la Convention par un autre tribunal de la Section.

 

La cohérence de la prise de décisions au sujet de demandes d’asile similaires est une caractéristique importante de la justice administrative à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Toutefois, parallèlement, les demandes d’asile sont évaluées et jugées en fonction de leur bien‑fondé. Selon moi, si les explications du demandeur d’asile quant aux raisons pour lesquelles son partenaire de même sexe n’était pas à Toronto ou n’était pas en mesure d’y aller afin de témoigner à l’audience du demandeur d’asile ni même de télécopier un affidavit avant l’audience étaient crédibles, alors il est plus probable que le contraire qu’il y aurait une corroboration indépendante contribuant à étayer l’allégation importante figurant dans sa demande d’asile. [Non souligné dans l’original.]

 

[16]           En fait, selon moi, il y avait bien « corroboration indépendante » étayant l’allégation que le demandeur est homosexuel, à savoir les témoignages du demandeur et de son partenaire de même sexe, livrés sous serment à l’audition de sa propre demande d’asile, et la décision de la Commission qui a fait droit à la demande d’asile du demandeur en lui accordant le statut de réfugié.

 

[17]           Le dossier d’audience du partenaire étant confidentiel, il ne peut pas être consulté par le demandeur ou son conseil. La Cour reconnaît et accepte que le demandeur ou son conseil auraient pu obtenir le dossier en s’adressant au partenaire homosexuel ou à la Commission, ce qu’ils n’ont pas fait. Cependant, la Commission pouvait le mettre à leur disposition de sa propre initiative.

 

[18]           Les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 [les Règles], qui étaient alors en vigueur, s’appliquaient à l’audience du demandeur; de fait, ensemble, les dispositions 17(1) et 69a) accordent ce pouvoir à la Commission :

 

17.(1) Sous réserve du paragraphe (4), la Section peut communiquer au demandeur d’asile des renseignements – personnels ou autres – qu’elle veut utiliser et qui proviennent de toute autre demande d’asile si la demande d’asile soulève des questions de fait semblables à celles de l’autre demande ou si ces renseignements sont par ailleurs utiles à la solution de la demande.

 

69. La Section peut :

a) agir de sa propre initiative sans qu’une partie n’ait à lui présenter une demande;

 

b) modifier une exigence d’une règle;

c) permettre à une partie de ne pas suivre une règle;

d) proroger ou abréger un délai avant ou après son expiration.

17. (1) Subject to subsection (4), the Division may disclose to a claimant personal and other information that it wants to use from any other claim if the claims involve similar questions of fact or if the information is otherwise relevant to the determination of the claimant’s claim.

 

 

 

69. The Division may

(a) act on its own initiative, without a party having to make an application or request to the Division;

(b) change a requirement of a rule;

(c) excuse a person from a requirement of a rule; and

(d) extend or shorten a time limit, before or after the time limit has passed.

 

 

[19]           Selon moi, les circonstances portées à la connaissance du tribunal exigeaient qu’il consulte l’information fournie par le partenaire de même sexe en vertu des Règles parce que les demandes d’asile soulevaient « des questions de fait semblables », que l’explication qu’a donnée le demandeur quant à la raison pour laquelle son partenaire ne pouvait se libérer pour témoigner était plausible et que la demande d’asile émanait d’un homosexuel auto‑déclaré venant d’un pays où son orientation sexuelle constitue un crime. Bref, le risque de faire erreur en en tirant une conclusion de fait sur l’orientation sexuelle du demandeur aurait d’importantes conséquences sur celui‑ci s’il était forcé de retourner en Namibie. La Commission est assujettie à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, dont l’objet principal à l’égard des réfugiés est énoncé à l’alinéa 3(2)a) et consiste à « reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution ». Dans les circonstances qui nous intéressent, le commissaire devait faire preuve de vigilance et aurait dû consulter l’information fournie par le partenaire que la Commission avait en sa possession avant de conclure à l’inexistence d’une preuve indépendante corroborant l’orientation homosexuelle du demandeur.

 

[20]           La présente demande est accueillie. Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la décision de la Commission est annulée, que la demande d’asile du demandeur est renvoyée à la Commission pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué qui prendra une décision en conformité avec les présents motifs, et qu’aucune question n’est certifiée. 

 

 

 « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9675-12

 

 

INTITULÉ :                                      PRESCOTT KAMBURONA  c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 juin 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                           LE JUGE ZINN

 

 

DATE :                                              Le 25 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adetayo G. Akinyemi

 

                    POUR LE DEMANDEUR

Aleksandra Lipska

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ADETAYO G. AKINYEMI

Avocat

North York (Ontario)

 

                   POUR LE DEMANDEUR

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.