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Date : 20130625

Dossiers : T-946-12

T-947-12

Référence : 2013 CF 705

[traduction française certifiée, non révisée]

Dossier : T-946-12

Entre :

 

DRAGOS OVIDIU GAVRILUTA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

Dossier : T-947-12

et entre :

 

CLAUDIA GAVRILUTA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

     Motifs du jugement

LA JUGE HENEGHAN

 

I. Introduction

 

[1]               M. Dragos Ovidiu Gavriluta et son épouse Mme Claudia Gavriluta (collectivement appelés les demandeurs) interjettent appel d’une décision du juge de la citoyenneté Aris Babikian (le juge de la citoyenneté), par laquelle il rejetait leur demande de citoyenneté. L’appel est interjeté en application du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi). Les demandes de citoyenneté ont été rejetées au motif que le juge de la citoyenneté n’était pas convaincu que les demandeurs avaient présenté une preuve crédible pour montrer qu’ils avaient satisfait aux conditions de résidence prévues par la Loi.

 

[2]               En vertu de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, les appels interjetés en vertu de la Loi sont instruits à titre de demandes régies par la partie 5 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Les demandeurs ont présenté des demandes individuelles, mais compte tenu du chevauchement des faits et des arguments dans ces deux appels, j’examinerai le contexte factuel des deux demandes en même temps.

 

II. Le contexte

[3]               Les demandeurs sont des citoyens de la Roumanie.

 

[4]               Le demandeur soutient qu’il a commencé à travailler à la Clariant Corporation à Minneapolis, au Minnesota, en 2001. Selon ses dires, il est entré au Canada pour la première fois en novembre 2004, muni d’un permis de travail, à l’occasion d’un voyage d’affaires. Il soutient également qu’il a été promu directeur général de Clariant (Canada) Inc en janvier 2005. Le 14 août 2005, il est devenu un « résident permanent » du Canada au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Son épouse est entrée au Canada en février 2005 et est devenue une résidante permanente le 17 août 2005.

 

[5]               Le 29 décembre 2008, une [traduction] « inscription non informatisée » a été consignée dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux (le SSOBL) et elle était ainsi rédigée :

[traduction]

Ai reçu un appel de l’agente Smith, Customs & Border Control [États-Unis] au pont Windsor Ambassador, déclarant qu’elle interroge actuellement un sujet qui retourne aux É‑U après avoir passé les deux dernières semaines au Canada pour le travail. Le sujet est un employé de Clariant USA. Le sujet a déclaré à l’agente Smith qu’il avait uniquement vécu aux É‑U (Minnesota) depuis 2004 et qu’il n’a jamais vécu au Canada. Le sujet est un résident des É‑U A#097-963-928.

 

[6]               Le 8 mars 2009, les demandeurs ont présenté des demandes en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne. Ils étaient tenus de satisfaire aux conditions de résidence énoncées au paragraphe 5(1) de la Loi :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

a) en fait la demande;

 

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

 

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

[7]               Dans sa demande de citoyenneté, le demandeur a déclaré qu’il avait été présent au Canada pendant 1 214 jours au cours de la période pertinente, soit les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté. Il a déclaré avoir été absent pendant 166,5 jours.

 

[8]               La demanderesse a déclaré avoir été physiquement présente au Canada pendant 1 298 jours et avoir été absente pendant 73 jours.

 

[9]               Chaque demandeur a déclaré dans sa demande de citoyenneté qu’il n’avait pas le statut de résident permanent dans un autre pays.

 

[10]           Le 10 août 2010, les demandeurs ont passé l’examen pour la citoyenneté. À cette occasion, ils ont été interrogés par un agent de la citoyenneté. On leur a remis des questionnaires de résidence qu’ils ont retournés environ deux semaines plus tard, accompagnés de copies d’autres documents.

 

[11]           En novembre 2011 ou aux environs de cette période, une autre agente de citoyenneté a examiné le dossier des demandeurs. En examinant la copie des passeports des demandeurs, cette agente a remarqué que les passeports comportaient de nombreuses estampes comportant la mention « ARC », parfois accompagnée d’un numéro. Cette agente a conclu que les lettres « ARC » signifiaient « Alien Registration Card » [certificat d’inscription au registre des étrangers]. L’agente était également au courant des notes de décembre 2008 consignées dans le SSOBL et mentionnées ci‑dessus.

 

[12]           Ainsi, le 5 novembre 2011, l’agente a téléphoné au demandeur pour discuter de son statut de résidence aux États‑Unis. Selon les notes du Système mondial de gestion des cas, l’agente a uniquement informé le demandeur des notes du SSOBL de 2008. Selon l’agente, le demandeur a répondu qu’il n’était pas un résident des États-Unis et qu’il y avait eu un malentendu, mais que celui‑ci avait été clarifié.

 

[13]           Lorsque l’agente a demandé au demandeur s’il connaissait la signification des estampes « ARC » dans son passeport, il a répondu par la négative. Lorsque l’agente a indiqué qu’elle croyait que les lettres « ARC » signifiaient « Alien Registration Card » [certificat d’inscription au registre des étrangers], le demandeur a avoué qu’il détenait une carte verte des É‑U. L’agente a alors avisé le demandeur qu’il devait obtenir une lettre des autorités américaines déclarant qu’il n’était pas un résident des É‑U. L’agente lui a fourni ses coordonnées. Le demandeur n’a toutefois pas communiqué avec l’agente par la suite ni fourni les renseignements demandés.

 

[14]           L’agente a décidé qu’une audience serait nécessaire afin de vérifier la période de résidence des demandeurs au Canada. Le 28 décembre 2011, les demandeurs ont comparu devant le juge de la citoyenneté pour leur audience concernant la résidence.

 

[15]           Après l’audience, les demandeurs ont obtenu un délai pour fournir des renseignements supplémentaires. Ils ont présenté d’autres documents tout au long de février 2012. Le juge de la citoyenneté a rendu sa décision le 10 avril 2012.

 

[16]           Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a examiné les éléments de preuve contradictoires concernant le statut de résident du demandeur aux États‑Unis, écrivant à la page 2 :

[traduction]

À la page 2 de la demande de citoyenneté canadienne (CIT 0002), et en réponse à la question 7d) de ce formulaire qui pose la question « Avez-vous obtenu la résidence permanente d’un autre pays », le demandeur a coché la case « Non ».

 

Cependant, dans les notes du point d’entrée (SSOBL), BCN # Z011511300, créées le 29 décembre 2008, un agent d’immigration canadien a reçu les renseignements suivants d’un homologue américain et a écrit ce qui suit :

 

[traduction] Ai reçu un appel de l’agente Smith, Customs & Border Control [États-Unis] au pont Windsor Ambassador, déclarant qu’elle interroge actuellement un sujet qui retourne aux É‑U après avoir passé les deux dernières semaines au Canada pour le travail. Le sujet est un employé de Clariant USA. Le sujet a déclaré à l’agente Smith qu’il avait uniquement vécu aux É‑U (Minnesota) depuis 2004 et qu’il n’a jamais vécu au Canada. Le sujet est un résident des É‑U A #097-963-928.

 

Le passeport roumain du demandeur comporte de nombreuses estampes d’entrée aux États-Unis accompagnées de la mention « ARC » écrite à la main. La mention manuscrite « ARC » signifie « Alien Registration Card » [certificat d’inscription au registre des étrangers]. Sous ces timbres, le numéro de série A #097-963-928 est également inscrit. Le numéro de série est identique au numéro mentionné dans les notes du SSOBL mentionnées ci-dessus. [Souligné dans l’original.]

 

[17]           Le juge de la citoyenneté a ensuite formulé les commentaires suivants concernant l’interrogatoire du demandeur lors de l’audience du 28 décembre 2011 :

[traduction]

Lors de l’audience du 28 décembre 2011, j’ai soulevé la question de la carte verte avec le demandeur ainsi que celle de sa réponse à la question 7d) qui se trouve à la page 2 de la demande de citoyenneté canadienne (CIT 0002). Il a déclaré :

 

[traduction] Selon mon interprétation, lorsqu’elle [la question] mentionne « résidence », cela signifie l’endroit où je réside. Je possède également un passeport roumain, mais je ne réside pas dans ce pays. Il s’agissait d’un malentendu.

 

Lorsque je lui ai lu la question 7d) qui se trouve à la page 2 de la demande de citoyenneté et lui ai déclaré que la question est très claire à propos de la question d’avoir obtenu la résidence permanente d’un autre pays, il a répondu ce qui suit :

 

[traduction] Voilà comment je l’ai comprise; il s’agit d’un malentendu.

Je l’ai interrogé concernant les commentaires de l’agente de Customs & Border Control des États‑Unis dans les notes du SSOBL. À cette question, il a déclaré : [traduction] « Il s’agit d’un malentendu. » Je lui ai demandé s’il avait toujours sa carte verte et si les autorités américaines savaient qu’il avait la résidence permanente au Canada. Il a répondu oui aux deux questions. Je lui ai demandé de me fournir une lettre des autorités américaines déclarant qu’elles savaient qu’il avait à la fois la résidence permanente aux États-Unis et la résidence permanente au Canada et j’ai ensuite demandé une description de la politique concernant la conservation de la carte verte. Il a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’irai leur demander. »

 

Après avoir interrogé M. et Mme Gavriluta séparément, je les ai rappelés ensemble dans mon bureau pour leur donner la liste de contrôle des documents pour la résidence afin de présenter les documents d’appui manquants qu’ils n’avaient pas présentés avec la demande du 10 août 2010 [questionnaire de résidence]. Je leur ai également demandé de me fournir leur demande de carte verte américaine et une lettre des autorités américaines déclarant qu’elles savaient que les demandeurs étaient des résidents permanents du Canada et énonçant la politique des États-Unis à l’égard des détenteurs de carte verte qui résident au Canada.

 

Une fois cette demande exprimée, Mme Gavriluta s’est tournée vers son mari et lui a dit : [traduction] « Tu vas perdre ta carte verte. » M. Gavriluta m’a alors déclaré ce qui suit : [traduction] « Nous consulterons notre avocat. » Cette réponse indique que Mme Gavriluta était au fait que la possession de la résidence permanente dans deux pays pouvait soulever des questions de la part des autorités d’immigration et de citoyenneté des deux pays.

 

À l’audience, le demandeur a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je produis des déclarations de revenus aux États‑Unis, mais je ne paie pas d’impôt. » Cette situation soulève la question concernant les raisons pour lesquelles une personne qui vit au Canada, y travaille et y produit des déclarations de revenus est tenue de produire des déclarations de revenus aux États-Unis à moins de posséder la résidence permanente dans ce pays.

 

Cette remarque m’amène à conclure que M. Gavriluta possède la résidence permanente aux États-Unis et cela met en doute sa présence physique au Canada et le nombre de jours qu’il prétend avoir résidé au Canada pendant la période pertinente.

 

[18]           Le juge de la citoyenneté a également souligné qu’il était possible de voir deux retours au Canada dans les antécédents de voyage du Système intégré d’exécution des douanes (le SIED) et trois retours dans les antécédents de voyage de la demanderesse, qu’aucun des demandeurs n’a déclarés dans sa demande de citoyenneté ou son questionnaire de résidence. Dans le cas du demandeur, les dates de retour non déclarées étaient le 21 mars 2006 et le 25 novembre 2007. Dans le cas de son épouse, les dates de retour non déclarées étaient le 4 mars, le 17 juin et le 25 novembre 2007.

 

[19]           Dans une lettre datée du 10 février 2012, l’avocate des demandeurs a reconnu ces dates après avoir reçu une copie des antécédents de voyages du SIED, indiquant que [traduction] « M. et Mme Gavriluta m’ont informée qu’il s’agissait de voyages aller-retour d’une journée aux États-Unis puisqu’ils ne sont pas tamponnés dans leur passeport. » Toutefois, sans preuve documentaire pour confirmer cette déclaration, le juge de la citoyenneté a conclu que les dates de départ ainsi que la durée véritable des voyages ne pouvaient pas être établies.

 

[20]           Après avoir souligné d’autres incohérences mineures dans les dates de voyage fournies par les demandeurs, le juge de la citoyenneté a ensuite examiné les antécédents des demandeurs en ce qui a trait au Régime d’assurance‑maladie de l’Ontario (la RAMO) en prenant connaissance de leurs réclamations auprès de la RAMO. Il a constaté une interruption d’environ deux ans, soit de février 2006 à janvier 2008, en ce qui concerne les antécédents d’utilisation du demandeur. En ce qui a trait aux antécédents d’utilisation de la demanderesse, il y avait eu une interruption de 13 mois, soit de septembre 2006 à octobre 2007. Le juge de la citoyenneté s’est dit d’avis que ces interruptions étaient par ailleurs incompatibles avec [traduction] « l’utilisation très fréquente du système de santé de l’Ontario » des demandeurs.

 

[21]           Le juge de la citoyenneté a alors estimé que les demandeurs n’avaient pas obtenu les renseignements et les documents qu’on leur avait demandé d’obtenir auprès des autorités américaines. Le juge de la citoyenneté n’a pas accepté la déclaration de leur avocate selon laquelle les renseignements et les documents demandés [traduction] « n’étaient pas disponibles ».

 

[22]           Le juge de la citoyenneté a par la suite examiné d’autres documents que les demandeurs avaient fournis, dont des cotisations de l’Agence du revenu du Canada, des relevés d’hypothèque, des factures de taxes municipales et des relevés de compte bancaire conjoint. Le juge de la citoyenneté a décrit ces documents comme étant des [traduction] « indices passifs » de résidence. De façon générale, le juge de la citoyenneté n’était pas convaincu que les demandeurs avaient présenté des éléments de preuve crédibles ou qu’ils s’étaient acquittés de leur fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils avaient satisfait aux conditions de résidence prévues par la Loi, telles qu’elles sont énoncées au paragraphe 5(1) de la Loi.

 

III. Les questions en litige

[23]           Les questions suivantes sont soulevées en l'espèce :

i)          Quelle est la norme de contrôle applicable?

ii)         Le juge de la citoyenneté a‑t‑il commis une erreur en choisissant le mauvais critère applicable à la résidence suivant l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

iii)        Le juge de la citoyenneté a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité?

iv)                Le juge de la citoyenneté a‑t‑il commis une erreur en calculant le temps aux fins d'établissement de la résidence?

 

IV. Analyse et décision

[24]           La première question à trancher est celle de la norme de contrôle applicable. Selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, le domaine du droit administratif comporte uniquement deux normes de contrôle, soit la norme de la décision correcte pour les questions de droit et d’équité procédurale et la norme de la raisonnabilité pour les questions de faits et les questions mixtes de faits et de droit.

 

[25]           Les demandeurs soutiennent que le choix du juge de la citoyenneté en ce qui a trait au critère applicable quant à la résidence est assujetti à la norme de la décision correcte, renvoyant à plusieurs décisions, notamment El Ocla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2011), 389 FTR 241, au paragraphe 14, et Dedaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2010), 372 FTR 61.

 

[26]           Selon le défendeur, il relève du pouvoir discrétionnaire du juge de la citoyenneté de choisir le critère à appliquer et, dans la mesure où l’un de ces critères est appliqué correctement, aucune erreur ne sera commise pour ce seul motif (voir El-Khader c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2011), 386 FTR 142, au paragraphe 10 et Balta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2011), 403 FTR 134, au paragraphe 10).

 

[27]           À mon avis, puisque la jurisprudence permet de choisir parmi les critères d’établissement de la résidence, le choix du critère est une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge de la citoyenneté (voir Lam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 FTR 177). Les décisions discrétionnaires bénéficient de la déférence (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 53). Il s’ensuit que le choix du critère quant à la résidence et son application sont tous deux susceptibles de révision selon la norme de la raisonnabilité.

 

[28]           Le juge de la citoyenneté a choisi d’appliquer le critère de résidence énoncé dans la décision Pourghasemi (Re) (1993), 62 FTR 122. Ce critère s’appuie sur un compte strict des jours par opposition au critère du mode de vie centralisé suivant la décision Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 CF 208, à la page 214, ou au critère du lien substantiel énoncé dans la décision Koo (Re) (1992), 59 FTR 27, au paragraphe 10.

 

[29]           Il était loisible au juge de la citoyenneté de choisir l’un des trois critères. La question suivante est celle de savoir s’il a appliqué le critère choisi de façon raisonnable, soit : était‑il raisonnable pour le juge de la citoyenneté de conclure que les demandeurs n’avaient pas établi leur présence physique au Canada pendant 1 095 jours, afin de respecter les conditions prévues par la Loi?

 

[30]           Pour examiner cette question, je dois nécessairement étudier la façon dont le juge de la citoyenneté a apprécié la crédibilité des demandeurs, de même que son appréciation de la fiabilité des divers documents qui ont été présentés.

 

[31]           À mon avis, les préoccupations du juge de la citoyenneté concernant la crédibilité des demandeurs étaient bien fondées. La question la plus évidente est la note consignée dans le SSOBL, reproduite ci‑dessus, qui montre que le demandeur a manqué de franchise à propos des antécédents de sa résidence tant au Canada qu’aux États‑Unis. Le demandeur n’a pas répondu clairement pour expliquer la raison pour laquelle il avait dit à l’agente d’immigration canadienne qui n’avait jamais vécu au Canada et qu’il vivait aux États-Unis depuis 2004. Selon les motifs du juge de la citoyenneté, le demandeur a rejeté cette déclaration, la qualifiant de [traduction] « malentendu ». Il était raisonnable que le juge de la citoyenneté conclue qu’il existait des motifs sérieux de ne pas croire le demandeur.

 

[32]           Il existe une préoccupation sérieuse connexe quant à la franchise et à la crédibilité des demandeurs, découlant de la réponse des demandeurs à la question 7d) de la demande de citoyenneté, soit la question « Avez-vous obtenu la résidence permanente d’un autre pays? » Les demandeurs ont répondu par la négative. Selon les motifs du juge de la citoyenneté, les deux demandeurs ont été interrogés sur cette question, séparément. Il a conclu que les demandeurs avaient fait une présentation erronée des faits en donnant une réponse négative à cette question. Il a rejeté leur explication selon laquelle la réponse négative découlait d’un malentendu.

 

[33]           Le juge de la citoyenneté a tiré une conclusion raisonnable portant que les demandeurs avaient fait une présentation erronée de leur statut aux États‑Unis.

 

[34]           Les arguments des demandeurs à propos de [traduction] « l’importance » de leur présentation erronée ne peuvent être retenus. Ils soutiennent que le [traduction] « préjudice » découlant des données de retour manquantes se limite à une certaine fourchette de date, compte tenu des dates de retour [traduction] « non contestées » versées au dossier. Toutefois, même si ces dates de retour particulières peuvent être limitées par les dates de retour inscrites dans les antécédents de voyage du SIED, il n’existe aucun moyen de vérifier l’exactitude des dates de départ.

 

[35]           Dans ces circonstances, la totalité des antécédents de voyage des demandeurs est mise en doute. Aucune confirmation indépendante de leur prétention n’a été fournie. Je suis convaincue que le juge de la citoyenneté a tenu compte de l’importance de la présentation erronée des demandeurs et qu’il a conclu de façon raisonnable que la présentation erronée avait une incidence sur toutes leurs prétentions. Le juge de la citoyenneté a agi de façon raisonnable en rejetant la demande de citoyenneté canadienne des demandeurs en fonction de la preuve dont il disposait.

 

[36]           Bien que le juge de la citoyenneté ait commis une erreur en fixant la période pertinente pour établir la résidence, un élément que les avocates ont abordé dans les observations postérieures à l’audience, cette erreur ne porte pas atteinte à la décision finale de ces appels.

 

[37]           Le juge de la citoyenneté a conclu que la période pertinente requise pour évaluer la résidence dans le cas du demandeur était du 14 août 2005 au 8 mars 2009. Cela était une erreur. La période pertinente était du 8 mars 2005 au 8 mars 2009. À mon avis, l’erreur importe peu puisqu’il ressort clairement de la décision que le juge de la citoyenneté appliquait le critère de la présence physique et, compte tenu des problèmes que soulevaient les éléments de preuve présentés par les demandeurs, il ne pouvait pas conclure que les demandeurs avaient satisfait à l’exigence de 1 095 jours de résidence.

 

[38]           En conclusion, les demandeurs n’ont pas réussi à montrer que le juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de révision ou que la décision ne répond pas à la norme de la raisonnabilité. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[39]           Les présents motifs seront déposés dans le dossier numéro T‑946‑12 et seront versés dans le dossier numéro T‑947‑12.

 

[40]           Les appels seront rejetés. Puisque le défendeur n’a pas sollicité les dépens, aucuns ne seront adjugés.

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

Toronto (Ontario)

Le 25 juin 2013


 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


 cour fédérale

 

Avocats inscrits aux dossiers

 

 

Dossier :                                        T -946-12

                                                           

Intitulé :                                      DRAGOS OVIDIU GAVRILUTA

                                                            c

                                                            ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

Dossier :                                        T -947-12

 

Intitulé :                                      CLAUDIA GAVRILUTA

                                                            c

                                                            ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

 

Lieu de l’audience :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 novembre 2012

 

Observations

supplémentaires

reçues après l’audience :            Les 13, 18 et 21 décembre 2012

 

Motifs du jugement :           la juge HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 juin 2013

 

 

 

Comparutions :

 

Hilete Stein

 

Pour les demandeurs

 

Nicole Rahaman

Pour le défendeur

 

 


avocats inscrits aux dossiers :

 

Green and Spiegel

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 

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