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Date : 20130702

Dossier : IMM-10891-12

Référence : 2013 CF 736

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

THACH SEREIBOTH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Idéalement, les époux et les épouses devraient vivre ensemble. Toutefois, le gouvernement a son mot à dire sur cette question lorsqu’un Canadien ou une Canadienne épouse un étranger ou une étrangère et veut le ou la faire venir chez lui ou chez elle. Il y a plus de cinq ans, monsieur Sereiboth a épousé Mme Tran Thi Nguyet, une résidente et une citoyenne du Vietnam. Il n’a pas réussi dans sa tentative de la parrainer.

 

[2]               Premièrement, un agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente de Mme Nguyet en se fondant sur l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui prévoit qu'un étranger ne peut pas être considéré comme étant l'époux si le mariage vise principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

 

[3]               Monsieur Sereiboth, à titre d’époux et de parrain, avait le droit de faire appel de cette décision, et ce, en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR. Après avoir examiné le dossier, deux entrevues en personne avec M. Sereiboth et une entrevue téléphonique avec Mme Nguyet, un commissaire de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, a rejeté l’appel. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]               Selon un des principes fondamentaux de la primauté du droit, les décisions administratives qui ont une incidence sur les vies et les destins de personnes sont susceptibles d’examen judiciaire. Les personnes doivent avoir la possibilité raisonnable de faire valoir leurs arguments ou de présenter leur défense devant un décideur impartial. La question en litige dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si le mari et son épouse ont eu la possibilité raisonnable de faire valoir leurs arguments et si l’attitude du décideur a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité.

 

[5]               Je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie relativement aux deux points.

 

[6]               Monsieur Sereiboth vit au Canada depuis environ 30 ans. Il est né au Cambodge, mais il a vécu pendant quelques années au Vietnam parce qu’il voulait échapper aux Khmers rouges. Il parle vietnamien.

 

[7]               Après que son premier mariage se fut soldé par un divorce, il a rencontré par hasard une ancienne collègue de travail dans une beignerie à Montréal. Celle-ci lui a dit que sa sœur au Vietnam était également divorcée et elle a décidé de jouer à l’entremetteuse.

 

[8]               Une relation par téléphone a alors commencé entre M. Sereiboth et Mme Nguyet et il s’en est suivi deux visites rapprochées au Vietnam. Ils se sont mariés au cours de la deuxième visite.

 

[9]               L’agent des visas qui a reçu Mme Nguyet en entrevue au Vietnam n’a pas été convaincu (le fardeau de la preuve incombait à Mme Nguyet) que le mariage était authentique et il se demandait s’il n’avait pas été contracté afin d’obtenir un avantage en matière d’immigration au Canada. Il a relevé un certain nombre de contradictions entre ce qui avait été dit à l’entrevue et ce qui avait été écrit dans les formulaires de demande. Il a également tenu compte du fait que deux des sœurs de Mme Nguyet vivaient au Canada, ce qui constituait un « facteur d’attraction ».

 

[10]           L’appel de M. Sereiboth est un appel de novo.

 

[11]           La commissaire de la SAI avait parfaitement le droit de mettre en doute la crédibilité compte tenu des contradictions apparentes entre les demandes écrites et les témoignages du mari et de l’épouse. Il y a incontestablement eu une certaine confusion et certains malentendus. Il est toutefois évident que le mari et l’épouse ne s’étaient pas entendus pour inventer une histoire. Mme Nguyet a été interrogée environ trois mois après que M. Sereiboth fut interrogé pour la première fois et il y avait encore de la confusion.

 

[12]           La préoccupation légitime du commissaire s’est rapidement transformée en frustration, ce qui a donné lieu à des remarques sarcastiques et malicieuses de sa part et à l’omission d’essayer, tout au moins, de comprendre, grâce à un interprète, le témoignage décousu. Il s’agissait d’un moment crucial pour le mari et l’épouse. Ils avaient droit au respect. La crédibilité a été mise en doute parce qu’il a été écrit qu’ils se parlaient au téléphone « au moins » deux fois par semaine. Dans sa décision, la commissaire a oublié de faire mention des mots « au moins » et de faire une distinction entre les appels téléphoniques qui ont eu lieu avant le mariage et ceux qui ont lieu après le mariage.

 

[13]           Il y a également eu une certaine confusion quant à savoir à quel endroit Mme Nguyet vivait au Vietnam. L’un a fait mention d’une ville importante et l’autre a fait mention d’une banlieue ou d’un quartier de celle-ci. Cela ne permet pas de conclure à un manque de crédibilité, encore moins de conclure qu’il s’agissait d’un mariage de convenance.

 

[14]           Il y a eu beaucoup de confusion en ce qui concerne les fréquentations au Vietnam. Il semble qu’il y ait une différence entre parler de mariage et des fiançailles officielles. Les fiançailles officielles sont également appelées là-bas « mariage traditionnel », alors qu’ici on pourrait les qualifier d’unions de fait. Il existe également un mariage reconnu par l’État qui est composé de deux volets : la date à laquelle on va chercher les documents au bureau d’enregistrement et la date à laquelle la cérémonie a lieu. Le mari et l’épouse ont tenté d’expliquer tout ceci, mais la commissaire ne voulait pas écouter. Elle a dit ce qui suit à l’épouse (page 366 du dossier certifier du tribunal) :

LA COMMISSAIRE (à la demanderesse)

[traduction]

Q.        C’est encore mieux. Alors, quand vous êtes-vous vraiment mariés? Quelle est la date de votre mariage? Donnez-moi une date. Juste une.

 

[15]           La commissaire ne croyait pas que le couple n’avait pas discuté avant le mariage de la question de savoir où ils allaient vivre. M. Sereiboth a simplement présumé que son épouse irait le rejoindre au Canada. Il a également affirmé dans son témoignage que s’il était incapable de la parrainer lorsqu’il commencera à gagner un peu d’argent, il irait la rejoindre au Vietnam. Le récit n’a pas été pris en compte au complet, c’est-à-dire que la décision a été prise sans que l’ensemble de la preuve soit prise en compte.

 

[16]           Il y a un certain manque de sensibilité culturelle en ce qui concerne la présomption de M. Sereiboth selon laquelle son épouse irait le rejoindre au Canada. Bien qu’aujourd’hui, un Canadien et une Canadienne auraient sans doute une telle discussion, il ne faut pas oublier qu’il y a à peine 50 ans, Peggy Marsh chantait « I will follow him wherever he may go » (Je le suivrai où qu’il aille).

 

[17]           On peut comprendre qu’il y ait eu frustration, mais pas que des remarques sarcastiques furent faites. De nombreuses remarques ont été faites au représentant du ministre, ce qui a eu pour conséquence que l’impartialité du décideur a été sérieusement mis en doute. Par exemple, en tentant d’éclaircir la question de l’utilisation par M. Sereiboth d’un téléphone cellulaire plutôt que d’une carte d’appel, il est mentionné ce qui suit dans le dossier certifié du tribunal à la page 303 :

LA COMMISSAIRE (au conseil du ministre)

 

[traduction]

-           Non, toute cette histoire est insensée, mais j’ai abandonné.

 

[18]           Certaines critiques ont été formulées concernant le fait que M. Sereiboth était encore exposé à des risques sur le plan financier parce qu’il parrainait son ancienne belle-famille. Il n’a pas discuté de cette question avec Mme Nguyet . Il estimait qu’il n’était exposé à aucun risque parce que les membres de son ancienne belle-famille n’étaient pas prestataires de l’aide sociale. On peut comprendre la différence entre obligation actuelle et obligation éventuelle.

 

[19]           Ont été contestées les déclarations du couple concernant le nombre de jours pendant lesquels ils ont vécu ensemble au Vietnam après le mariage. On a demandé à Mme Nguyet pourquoi, dans la déclaration qu’elle a faite dans sa demande, elle n’avait pas mentionné que pendant cette période M. Sereiboth était allé rendre visite à son oncle au Cambodge. L'extrait suivant figure à la page 326 du dossier certifié du tribunal

LA COMMISSAIRE (au conseil du ministre)

 

-           Elle a oublié qu’il était parti.

 

Elle a précisé qu’elle avait fait mention de la date de début et de la date de la fin de leur cohabitation. Elle savait certainement que son mari avait fait un voyage au Cambodge afin de rendre visite à son oncle. Cet oncle avait représenté la famille au mariage.

 

[20]           À la page 329 du dossier certifié du tribunal, on peut lire qu’on a fait remarquer à M. Sereiboth que le fils de Mme Nguyet était inclus dans le parrainage. On a demandé à M. Sereiboth quel âge avait le fils de Mme Nguyet. M. Sereiboth a répondu qu’il était né en 1991:

LE CONSEIL DU MINISTRE (à l’appelant)

 

[traduction]

 

[...]

 

Q.                Aucune pension alimentaire. Maintenant, vous avez également parrainé son fils. Son fils est inclus dans le parrainage. Quel âge a-t-il? Quel âge a-t-il?

 

R.                Quel âge a-t-il? Il est né en 91.

 

Q.                Oui. Quel âge a-t-il?

 

R         (...)

 

Q.                Ça lui fait [...]

 

R.                 (inaudible) et aujourd’hui.

 

LA COMMISSAIRE (à l'appelant)

 

Q.                Comment se fait-il que vous ne puissiez dire son âge sans avoir à faire des calculs?

 

LE CONSEIL DU MINISTRE (à l’appelant)

 

Q.                Oui, comme vous ne [...]

 

LA COMMISSAIRE (à l'appelant)

 

-                      Il s’agit du fils de votre épouse monsieur. Pourquoi devez‑vous faire des calculs? Vous devriez savoir quel âge il a, c’est votre beau-fils.

 

R.        Dans la vingtaine.

 

[21]           L’âge change tous les ans. Il était parfaitement acceptable de donner l’année de la naissance. Bien qu’il traitât davantage de l’indépendance judiciaire plutôt que de l’impartialité, le juge Le Dain a déclaré ce qui suit dans Valente c La Reine, [1985] 2 RCS 673, à la page 685, [1985] ACF no 77 (QL) :

L'impartialité désigne un état d'esprit ou une attitude du tribunal vis‑à‑vis des points en litige et des parties dans une instance donnée. Le terme « impartial », comme l'a souligné le juge en chef Howland, connote une absence de préjugé, réel ou apparent.

 

[22]           Le juge Martineau, dans Guermache c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 870, 257 FTR 272, [2004] ACF no 1058 (QL), a fait un examen approfondi du droit. Le critère pour vérifier l'existence de la partialité a été énoncé par le juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c L'Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 RCS 369. On peut lire ce qui suit à la page 394 :

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

Il a ajouté que les motifs de crainte doivent être sérieux et non fondés sur le critère d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

 

[23]           Pour les présents motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.


ORDONNANCE

            POUR LES MOTIFS EXPOSÉS,

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L'affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section d’appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada pour nouvel examen.

3.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10891-12

 

INTITULÉ :                                      THACH SEREIBOTH c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             LE 27 JUIN 2013

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HARRINGTON.

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 2 JUILLET 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tuan Van Luong

 

POUR LE DEMANDEUR

Suzanne Trudel

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Tuan Van Luong

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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