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Date : 20130621

Dossiers : T-821-12
T-894-12

 

Référence : 2013 CF 700

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2013

En présence de monsieur le juge Annis

 

Dossier : T-821-12

ENTRE :

 

THE NORTHERN ONTARIO

COMPASSION CLUB, RYAN MCILVENNA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

Dossier : T-894-12

ET ENTRE :

 

DEREK FRANCISCO et CENTRAL ONTARIO MOBILE MARIJUANA PATIENT ALLIANCE CO-OPERATOR (COMMPAC)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Il s’agit de demandes de contrôle, présentées en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, à l’encontre du rejet d’une demande d’exemption soumise à Santé Canada aux termes de l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19 (la LRDS).

 

[2]               Les demandeurs font valoir qu’ils avaient demandé par écrit à être soustraits, en vertu de l’article 56, à l’application de toute sanction pénale prévue et des dispositions du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, DORS/2001-227 (le RAMFM), pour pouvoir mettre en œuvre leur projet consistant, quant à la marihuana à des fins médicales, à en cultiver, à délivrer des autorisations pour sa possession et à en distribuer aux titulaires d’autorisations par l’entremise de centres.

 

[3]               Le défendeur soutient pour sa part qu’aucune demande d’exemption n’a été présentée en vertu de l’article 56, et que les demandeurs ont simplement demandé à ce qu’on leur permette de réaliser un plan non prévu par le RAMFM. Il fait valoir subsidiairement que la ministre de la Santé a agi de manière raisonnable en décidant de ne pas accorder d’exemption.

 

[4]               Je conclus, pour les motifs que je vais exposer, qu’en leur donnant une interprétation libérale, on peut considérer que les documents en cause constituent une demande d’exemption fondée sur l’article 56 des demandeurs. Même en admettant qu’il s’agît d’une telle demande, toutefois, il était raisonnable pour la ministre de la rejeter dans les circonstances. En accédant à la demande, on aurait autorisé une modification en profondeur d’éléments très importants du RAMFM, et les demandeurs n’ont pas suffisamment démontré le bien-fondé d’une exemption pour l’un quelconque des trois motifs prévus à l’article 56. Par conséquent, je rejette les demandes.

 

Le contexte

[5]               Le dossier consiste, quant aux présentes demandes, en une série de courriels et un court affidavit du demandeur Ryan McIlvenna ainsi qu’en un courriel du demandeur Derek Francisco.

 

[6]               M. McIlvenna est propriétaire du Northern Ontario Compassion Club (le NOCC). L’objet du NOCC, mis sur pied en 2009, est de fournir à la population de l’information sur la marihuana à des fins médicales et d’encourager la constitution de réseaux ainsi que le lobbying pour en favoriser l’accès. M. McIlvenna déclare qu’après des années de recherches génétiques, le NOCC a mis au point et acquis une sélection de souches de marihuana à des fins médicales parmi les meilleures au monde, selon plusieurs. Le NOCC dispose des terrains et du financement requis pour construire un centre d’autorisation, des installations de culture et des centres de distribution pour la marijuana à des fins médicales. M. Francisco dirige un organisme semblable, le Central Ontario Mobile Marijuana Patient Alliance Co-operator (le COMMPAC).

 

[7]               M. McIlvenna a écrit en premier lieu à la ministre de la Santé le 8 mars 2012, en remplissant un formulaire de rétroaction en ligne où il demandait qu’on modifie les règlements pour permettre la production et la fourniture à des tiers de marihuana. Il a déclaré ce qui suit :

[traduction]

 

Il s’agit d’une demande officielle adressée à la ministre de la Santé, Leona Aglukkaq, par Ryan McIlvenna et le Northern Ontario Compassion Club afin que des modifications soient apportées au RAMFM et que la population puisse avoir accès à de la marihuana de qualité médicale.

1. On a mis sur pied le Northern Ontario Compassion Club, ou NOCC, pour aider les personnes atteintes de maladie à obtenir tous les renseignements utiles pour se prévaloir du RAMFM, et ainsi soulager leurs douleurs et leurs souffrances.

2. Le NOCC compte plus de 150 membres et, actuellement, il ne fait rien d’autre que fournir de l’information.

3. Le NOCC demande officiellement de pouvoir produire et fournir de la marihuana, sous l’une ou l’autre de ses formes, aux personnes malades ou handicapées qui, sous forme de contrat, ont signé tous les formulaires ou les affidavits requis quant à leur maladie particulière et au choix du médicament, dans un ou divers sites ou là où le NOCC le jugera approprié, dans le respect de toutes les lignes directrices locales établies par Santé Canada.

4. L’on demande également que tous les membres qui ont fourni des renseignements, sous forme d’ordonnances de médicaments, ou de rapports de médecins ou de spécialistes, et qui ont déclaré par écrit avoir consommé de la marihuana pour traiter des maladies soient protégés immédiatement de toute sanction juridique prévue à l’égard de cette substance dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Daté du 8 mars 2012, en la ville de Sudbury (Ontario), Canada.

[Non souligné dans l’original.]

 

[8]               Dans sa réponse datée du 20 mars, le directeur du Bureau du cannabis médical a souligné les restrictions d’ordre réglementaire visant l’approvisionnement en marihuana à des fins médicales, tout en faisant ressortir les risques associés à la consommation incontrôlée de marihuana.

[traduction]

 

Monsieur McIlvenna,

Je vous remercie pour votre courriel du 8 mars 2012, adressé à la ministre de la Santé, l’honorable Leona Aglukkaq, qui concernait le Northern Ontario Compassion Club. Votre courriel m’a été transmis afin que je puisse vous répondre directement.

 

Le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales (le RAMFM) permet aux Canadiens gravement malades d’avoir accès à de la marihuana à des fins médicales. Une personne peut être autorisée à posséder de la marihuana ou à en cultiver à des fins médicales personnelles seulement si elle répond à tous les critères prévus dans le Règlement, ce qui comprend l’obtention de la signature d’un médecin.

 

Une fois l’autorisation obtenue en vertu du Règlement, le demandeur peut se procurer légalement de la marihuana séchée de trois façons : 1) présenter une demande en vertu du Règlement pour avoir accès à l’approvisionnement de Santé Canada en marihuana séchée, 2) demander une licence de production à des fins personnelles ou 3) désigner quelqu’un pour cultiver de la marihuana pour son compte grâce à une licence de production à titre de personne désignée.

 

La marihuana est censée être utilisée à des fins médicales par les patients chez qui tous les autres traitements classiques ont été essayés ou considérés, ou se sont révélés inefficaces ou non appropriés du point de vue médical pour leur maladie.

 

De plus, il faut souligner qu’aucun pays dans le monde n’a autorisé la marihuana en tant que médicament. Les données scientifiques actuelles évoquent de possibles avantages du cannabis, mais ne permettent pas d’établir que cette substance présente le profil d’innocuité et d’efficacité que le Règlement sur les aliments et drogues exige à l’égard des médicaments commercialisés au Canada. Le cannabis demeure donc une substance contrôlée. À ce titre, il ne peut être légalement obtenu qu’en présentant une demande au Programme d’accès à la marihuana à des fins médicales (PAMM) de Santé Canada.

 

De plus, les personnes qui sont autorisées à posséder et/ou à produire de la marihuana à des fins thérapeutiques en vertu du RAMFM sont exhortées à respecter l’ensemble des autres lois et règlements fédéraux, provinciaux, territoriaux ou municipaux en vigueur. Toutes les activités exercées par des personnes autorisées à posséder ou à produire de la marihuana qui enfreignent les exigences de l’autorisation ou de la licence, ou toute autre législation connexe, sont assujetties à des mesures coercitives en application de la législation en vigueur.

 

Santé Canada n’autorise pas les organismes tels que les centres de compassion et les dispensaires à posséder, à cultiver ou à distribuer de la marihuana à des fins médicales. Santé Canada est le seul organisme qui peut légalement fournir des graines de marihuana et de la marihuana séchée aux personnes autorisées à en posséder ou à en produire à des fins médicales.

 

Le 17 juin 2011, Santé Canada a annoncé des améliorations possibles au RAMFM qui, entre autres, visent à réduire le risque d’abus et à garder les enfants et les communautés en sécurité, tout en continuant à assurer que les participants au Programme ont un accès raisonnable à la marihuana à des fins médicales. Un élément de la réforme planifiée du Programme est l’élimination de la production de marihuana dans les lieux de résidence et l’introduction de nouveaux producteurs commerciaux autorisés.

 

Les consultations sur les changements proposés ont pris fin en novembre 2011. Un résumé des commentaires reçus durant le processus de consultation sera diffusé sur le site Web de Santé Canada cette année. Les améliorations proposées au Programme ne seront pas apportées avant l’établissement d’un nouveau règlement. L’élaboration du cadre de réglementation est en cours.

 

Le processus de demande d’autorisation de posséder et/ou de produire de la marihuana à des fins médicales aux termes du Règlement demeurera le même jusqu’à ce que des changements soient apportés au Programme.

 

[En caractère gras dans l’original.]

 

 

[9]               M. McIlvenna a ensuite transmis un courriel à la ministre de la Santé, le ou vers le vendredi 13 avril, dans lequel il donnait des précisions sur ses projets et élargissait la portée de sa demande pour y inclure l’octroi d’autorisations aux utilisateurs et aux producteurs. Il a déclaré ce qui suit :

[traduction]

 

Au vu de votre refus ministériel du 20 mars 2012 de permettre au Northern Ontario Compassion Club de servir la collectivité, Ryan McIlvenna a la prérogative de vous accorder une deuxième chance d’approuver sa DEMANDE.

 

Il s’agit d’une demande officielle adressée à l’honorable ministre de la Santé, Leona Aglukkaq, par Ryan McIlvenna et le Northern Ontario Compassion Club, en vue d’offrir à la collectivité ce qui suit :

 

a) Centre d’autorisation pour la marihuana à des fins médicales – Un bureau d’autorisation pour la marihuana à des fins médicales obtiendrait de citoyens de l’information, y compris deux pièces d’identité valides, prendrait des photographies de type passeport, recueillerait des renseignements sur les antécédents médicaux et le diagnostic du médecin, puis le centre d’autorisation délivrerait sur place une carte d’adhésion valide soustrayant immédiatement l’intéressé aux exigences de la Loi. Le rôle du médecin devrait être terminé une fois qu’il a diagnostiqué la maladie de l’intéressé. Le Club pourrait donner des autorisations temporaires, en offrant un léger soulagement allant jusqu’à 70 g/semaine par personne. Une fois qu’un intéressé aura demandé et obtenu une autorisation temporaire, tous les renseignements à son sujet seront transmis à Santé Canada, pour examen et prorogation éventuelle de l’autorisation, s’accompagnant de l’octroi de licences de production et/ou de l’imposition de plus importantes restrictions. Jusqu’à ce que Santé Canada accorde une prorogation, la production requise pour tout membre autorisé par le NOCC sera faite aux [traduction] « installations de culture » des « centres de compassion », tels qu’ils sont définis dans le présent bref.

 

b) Centre de distribution – Un « centre de compassion » s’entend d’un lieu où peuvent se réunir, à des fins thérapeutiques, tous les citoyens canadiens qui souffrent d’une maladie ou leurs proches; un lieu où ces citoyens peuvent obtenir une autorisation, acheter de la marihuana ou des produits dérivés, se détendre sans être intimidés, et voir et sentir diverses souches, puis choisir et payer celle d’entre elles qui réponde le mieux à leurs besoins personnels. Le Centre de distribution dispose d’un système de surveillance vidéo qui assure la sécurité de tous les membres, et on a muni les portes de fermetures de sécurité afin d’offrir une protection maximale; en outre, il serait nécessaire d’obtenir un rendez-vous.

Bien qu’il ne soit pas nécessaire pour les commerces privés, comme ceux de distribution de cigarettes ou les pharmacies, d’installer des systèmes d’alarme ou des systèmes de sécurité de pointe, le NOCC a estimé de sa responsabilité d’assurer en tout temps la sécurité de ses membres, et il n’a ménagé aucun effort en ce sens.

 

c) Installations de culture – Une ferme ou un groupe de fermes, sans se restreindre à un lieu unique où que ce soit au Canada, qui respectent ou dépassent les normes établies par le gouvernement canadien pour la production d’une chose (la marihuana) utilisée par les gens. Installer et entretenir un système d’alarme adéquat (notamment disposer d’agents de sécurité) pour assurer la protection des installations en cause ainsi que de la collectivité. Faire en sorte que tous les membres autorisés puissent se réunir, travailler et aider à produire tout ce qui est cultivé, y compris la marihuana, au lieu de production, aux installations de culture ou à une ferme désignés, la marihuana s’entendant notamment de toute souche requise par un membre pour des raisons de santé personnelles. Aux fins de toute culture sur le site, aucune restriction n’est prévue en termes de lumière scolaire naturelle ou de terre naturelle, non plus que de méthodes ou de normes pour la culture à l’intérieur.

 

Daté du 13 avril 2012, en la ville de Sudbury, dans la province de l’Ontario.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[10]           M. Francisco, le codemandeur, a envoyé un courriel de teneur identique au précédent, sauf que ne s’y trouvait pas la première phrase faisant allusion à une [traduction] « deuxième chance », que l’acronyme « COMMPAC » remplaçait l’acronyme « NOCC » et qu’à la fin, on mentionnait non pas Sudbury, mais plutôt Kawartha Lakes, le 14 avril, pour la ministre de la Santé.

 

[11]           Le directeur du Bureau du cannabis médical a répondu à nouveau, le 20 avril 2012, à M. McIlvenna, de la façon suivante :

[traduction]

 

Monsieur McIlvenna,

 

Je vous remercie pour votre courriel du 16 avril 2012 par lequel vous demandiez qu’il soit permis au Northern Ontario Compassion Club d’autoriser l’usage de la marihuana à des fins médicales, ainsi que de produire et de distribuer cette substance.

 

Je tiens à vous remercier pour l’information. Tel qu’il est mentionné dans mon courriel du 16 avril 2012, je n’ai connaissance d’aucune poursuite judiciaire active en lien avec ce document.

 

Comme vous en avez été informé, il convient de noter que Santé Canada n’autorise pas les organismes tels que les centres de compassion et les dispensaires à posséder, à cultiver ou à distribuer de la marihuana à des fins médicales. Santé Canada est le seul organisme qui peut légalement fournir des graines de marihuana et de la marihuana séchée aux personnes autorisées à en posséder ou à en produire à des fins médicales.

 

[12]           M. Francisco déclare que sa demande a également été rejetée le 25 avril 2012.

 

Le cadre législatif et réglementaire

[13]           Les dispositions législatives et réglementaires applicables à l’usage de la marihuana à des fins médicales et prévoyant une exemption sont les suivantes :

Loi réglementant certaines drogues et autres substances

L.C. 1996, ch. 19

Controlled Drugs and Substances Act

S.C. 1996, c. 19

 S’il estime que des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public le justifient, le ministre peut, aux conditions qu’il fixe, soustraire à l’application de tout ou partie de la présente loi ou de ses règlements toute personne ou catégorie de personnes, ou toute substance désignée ou tout précurseur ou toute catégorie de ceux-ci.

 The Minister may, on such terms and conditions as the Minister deems necessary, exempt any person or class of persons or any controlled substance or precursor or any class thereof from the application of all or any of the provisions of this Act or the regulations if, in the opinion of the Minister, the exemption is necessary for a medical or scientific purpose or is otherwise in the public interest.

 

Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales

DORS/2001-227

Marihuana Medical Access Regulations

SOR/2001-227

 Le titulaire d’une autorisation de possession peut avoir en sa possession, conformément à l’autorisation, de la marihuana séchée à ses propres fins médicales.

 The holder of an authorization to possess is authorized to possess dried marihuana, in accordance with the authorization, for the medical purpose of the holder.

 Est admissible à l’autorisation de possession la personne physique qui réside habituellement au Canada.

 A person is eligible to be issued an authorization to possess only if the person is an individual who ordinarily resides in Canada.

 Le titulaire d’une licence de production à des fins personnelles est autorisé à produire et garder, conformément à la licence, de la marihuana à ses propres fins médicales.

 The holder of a personal-use production licence is authorized to produce and keep marihuana, in accordance with the licence, for the medical purpose of the holder.

32. Le ministre refuse de délivrer la licence de production à des fins personnelles dans les cas suivants :

*       a) le demandeur n’est pas titulaire d’une autorisation de possession;

*       b) le demandeur n’est pas admissible selon l’article 25;

*       c) la demande comporte des déclarations ou renseignements faux ou trompeurs;

*       d) le lieu proposé pour la production de marihuana serait visé par plus de quatre licences de production si la licence était délivrée;

*       e) le demandeur deviendrait titulaire de plus de deux licences de production si la licence était délivrée.

*        

32. The Minister shall refuse to issue a personal-use production licence if

 

 

*       (a) the applicant is not a holder of an authorization to possess;

*       (b) the applicant is not eligible under section 25;

*       (c) any information or statement included in the application is false or misleading;

*        

*       (d) the proposed production site would be a site for the production of marihuana under more than four licences to produce; or

*       (e) the applicant would be the holder of more than two licences to produce.

34. (1) Le titulaire d’une licence de production à titre de personne désignée est autorisé à mener, conformément à la licence, les opérations suivantes :

*       a) produire de la marihuana aux fins médicales du demandeur de la licence;

[. . .]

34. (1) The holder of a designated-person production licence is authorized, in accordance with the licence,

 

 

*       (a) to produce marihuana for the medical purpose of the person who applied for the licence;

[. . .]

 Le ministre refuse de délivrer la licence de production à titre de personne désignée :

a) dans le cas où la personne désignée n’est pas admissible selon l’article 35;

b) dans le cas où la personne désignée deviendrait titulaire de plus de deux licences de production;

b.1[Abrogé, DORS/2009-142, art. 1]

c) dans les cas visés aux alinéas 32a) à d).

41. The Minister shall refuse to issue a designated-person production licence

 

*                  (a) if the designated person is not eligible under section 35;

*                   

*                  (b) if the designated person would become the holder of more than two licences to produce; or

*                  (b.1) [Repealed, SOR/2009-142, s. 1]

*                   

*                  (c) for any reason referred to in paragraphs 32(a) to (d).

 

La norme de contrôle

 

[14]           Dans Sfetkopoulos c Canada (Procureur général), 2008 CF 33, conf. par 2008 CAF 328, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2008] CSCR n° 531 (QL), la Cour a conclu, au paragraphe 8, que la décision correcte était la norme de contrôle applicable aux décisions ministérielles concernant, comme en l’espèce, l’approvisionnement en marihuana à des fins médicales :

8     Bien que ni l’une ni l’autre partie n’ait soulevé la question, je suppose qu’il m’incombe de traiter l’affaire en l’espèce comme un contrôle judiciaire d’une décision du ministre ou de son représentant en ce qui concerne les demandes de désignation d’un fournisseur. Bien entendu, le contrôle judiciaire de telles décisions est prévu par la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. 1985, ch. F-7], art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], sans clause privative. La question relève essentiellement du droit constitutionnel. Par conséquent, elle se prête mieux à une décision contraignante rendue par les tribunaux que par le ministre. Bien que les parties aient présenté des faits en cause, il ne s’agissait pas de faits qui avaient été présentés au ministre : ce sont des faits « législatifs » présentés dans le but d’aider la Cour à effectuer son analyse constitutionnelle et sur lesquels la Cour doit se prononcer. Pour ces motifs, je suis convaincu que la décision correcte est la norme de contrôle applicable à la décision du ministre.

[15]           En 2013, en outre, la Cour d’appel fédérale a traité, dans Takeda Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2013 CAF 13, de la norme de contrôle applicable lorsqu’une décision mettait en cause l’interprétation de dispositions législatives par le ministre de la Santé (aux paragraphes 28, 29, 32 et 33) :

28   Selon la Cour suprême, il faut présumer que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux interprétations législatives données par les décideurs administratifs : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 34. Il s’agit toutefois d’une présomption réfutable qui peut être écartée au moyen d’une analyse fondée sur les quatre facteurs pertinents abordés dans l’arrêt Dunsmuir, [2008] 1 S.C.R. 190.

 

29    Cette présomption est écartée à mon avis. Tous les facteurs qui permettent de choisir la norme de contrôle vont dans le sens de la décision correcte. En l’espèce, la question posée est purement juridique. Il n’y a aucune disposition d’inattaquabilité. La ministre ne possède aucune expertise en matière d’interprétation des lois. Rien dans la structure de la Loi, le présent cadre réglementaire ou la disposition réglementaire en cause ne donne à penser que la décision de la ministre commande la retenue. Cette analyse des facteurs correspond à celle qui a été effectuée dans l’arrêt Canada (Pêches et Océans) c. Fondation David Suzuki, 2012 CAF 40, aux paragraphes 101 à 105 (parfois appelé « Georgia Strait »); The Sheldon Inwentash and Lynn Factor Charitable Foundation c. Canada, 2012 CAF 136, aux paragraphes 18 à 23.

 

[. . .]

 

32    En l’espèce, le Parlement a donné au gouverneur en conseil le pouvoir d’établir par règlement un régime administratif qui prévoit la protection de données. Le Parlement aurait pu confier cette question aux tribunaux, mais il ne l’a pas fait. Vu que le législateur a choisi ce moyen le plus évident d’exprimer son intention, la présomption en faveur du contrôle des décisions de décideurs administratifs suivant la norme de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Alberta Teachers’ Association doit s’appliquer. Cependant, cette présomption peut être réfutée, dans certains cas, par l’examen des facteurs habituels relatifs à la norme de contrôle qui éclairent davantage la question. Cette démarche, que j’appellerai la démarche fondée sur l’arrêt Alberta Teachers’ Association, est celle que j’ai suivie.

 

33     J’hésite à soustraire les décisions administratives de la démarche fondée sur l’arrêt Alberta Teachers’ Association simplement parce que, dans cette affaire, le décideur administratif est le ministre, comme c’est le cas en l’espèce. D’abord, la démarche fondée sur l’arrêt Alberta Teachers’ Association tient habilement compte de toute la teneur des décisions ministérielles, lesquelles se présentent sous différentes formes et sont prises dans des contextes différents à des fins différentes. De plus, le pouvoir décisionnel des ministres est généralement délégué, comme c’est le cas en l’espèce. Il serait arbitraire d’appliquer la démarche fondée sur l’arrêt Alberta Teachers’ Association aux décisions de membres d’un conseil d’administration nommés par un ministre (ou, à proprement parler, un groupe de ministres sous la forme du gouverneur en conseil), mais d’appliquer la démarche fondée sur l’arrêt Georgia Strait aux décisions prises par les délégués choisis par un ministre. Enfin, même si l’arrêt Georgia Strait de notre Cour est plus récent que l’arrêt Alberta Teachers’ Association de la Cour suprême, je me sens lié par ce dernier vu l’absence d’autres directives de la part de la Cour suprême : voir Canada c. Craig, 2012 CSC 43, aux paragraphes 18 à 23; voir également l’incertitude exprimée à l’égard de la norme de contrôle de décisions ministérielles dans les arrêts Global Wireless Management c. Public Mobile Inc., 2011 CAF 194, [2011] 3 R.C.F. 344, au paragraphe 35 (autorisation d’appel refusée, [2011] C.S.C.R. n° 349, le 26 avril 2012), et Toussaint c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 364, 420 N.R. 213, au paragraphe 19 (autorisation d’appel refusée, le 5 avril 2012 [2011] C.S.C.R. n° 412).

 

[16]           De même manière, selon moi, la présente affaire concerne une question purement juridique, et non une question de santé à l’égard de laquelle la ministre pourrait disposer d’une expertise particulière.

 

[17]           Je conclus que la décision de la ministre appelle la norme de contrôle de la décision correcte.

 

Analyse

[18]           Aucune des parties à la présente demande n’a produit de preuve quant à la procédure précise à suivre pour demander une exemption en vertu de l’article 56. L’équité procédurale commande que, si une telle exemption est demandée, la ministre réponde véritablement plutôt que de simplement renvoyer le demandeur aux dispositions du RAMFM. En leur donnant une interprétation libérale, on peut considérer qu’ensemble, la demande initiale par formulaire de rétroaction et les courriels ultérieurs constituent la demande de pareille exemption par les demandeurs.

 

[19]           L’interprétation erronée de la demande par la ministre peut toutefois se comprendre, compte tenu de son mode de présentation et du défaut d’y aborder quelque question que ce soit se rapportant à une exemption. Les demandeurs n’ont fourni aucune preuve quant au fait que « des raisons médicales, scientifiques ou d’intérêt public » justifieraient l’octroi des exemptions recherchées. La ministre a fait ressortir dans sa réponse les graves questions de politique en jeu, notamment les suivantes :

a)      aucun pays au monde n’a autorisé la marihuana en tant que médicament, et les données scientifiques actuelles ne permettent pas d’établir que cette substance présente le profil d’innocuité et d’efficacité que le Règlement sur les aliments et drogues exige à l’égard des médicaments commercialisés au Canada;

b)      les programmes d’approvisionnement en marihuana à des fins médicales comportent des risques d’utilisation abusive;

c)      la ministre de la Santé doit maintenir un équilibre et garder les enfants et les communautés en sécurité, tout en continuant à assurer que les participants au Programme d’accès à la marihuana à des fins médicales ont un accès raisonnable à cette substance.

 

[20]           L’octroi de réparations en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales a un caractère discrétionnaire. Ce que les demandeurs ont demandé s’écarte tellement des dispositions actuelles du RAMFM, qu’accéder à leur requête équivaudrait à réécrire entièrement ces dispositions et donnerait ouverture aux graves risques d’abus évoqués par la ministre. J’estime que si l’on renvoyait la décision à la ministre de la Santé afin que soit corrigée toute erreur perçue de procédure, il ne serait pas possible qu’on en arrive à une conclusion différente en fonction de la preuve actuellement au dossier. Rien n’empêche les demandeurs de soumettre à nouveau leur demande à la ministre, accompagnée d’éléments de preuve plus étoffés à l’appui.

 

[21]           Les demandeurs ont semblé avancer comme argument à l’audience que le régime législatif actuel était inconstitutionnel, du fait qu’il était [traduction] « déshonorant ». Aux termes de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, je n’avais pas compétence à l’égard de cette question, puisque l’avis requis n’avait pas été signifié au moins dix jours avant l’audience au procureur général du Canada et à ceux des provinces. Quoi qu’il en soit, dans le récent arrêt R c Mernagh, 2013 ONCA 67, autorisation de pourvoi à la CSC demandée, [2013] CSCR n° 136, on a confirmé la constitutionnalité du régime législatif et réglementaire ici en cause.

 

[22]           Les demandes sont rejetées, sans octroi de dépens, puisqu’aucuns n’ont été demandés.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que les demandes sont donc rejetées sans frais.

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche, traducteur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      T-821-12

                                                            T-894-12

 

INTITULÉ :                                      THE NORTHERN ONTARIO COMPASSION CLUB, RYAN MCILVENNA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                            DEREK FRANCISCO et CENTRAL ONTARIO MOBILE MARIJUANA PATIENT ALLIANCE CO-OPERATOR (COMMPAC) c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 21 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 21 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ryan McIlvenna

Derek Francisco

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David Cowie

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ryan McIlvenna, se représentant lui-même

Derek Francisco, se représentant lui-même

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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