Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130621

 

Dossier : T-1693-12

Référence : 2013 CF 699

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MAVY MILIANA PAIS

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               L’agente de la citoyenneté qui a examiné les demandes de Mme Pais et de son époux les a transmises à un juge de la citoyenneté. L’agente avait des doutes relativement aux déclarations des époux quant à leur résidence au Canada, ainsi que des doutes quant à leur crédibilité et quant à la véracité des documents qu’ils avaient présentés.

 

[2]               Malgré ces doutes, dans son avis recommandant au ministre l’octroi de la citoyenneté à Mme Pais, le juge de la citoyenneté a simplement déclaré dans la section « motifs » du formulaire : [traduction] « Résidence confirmée ».

 

[3]               En ce qui concerne l’époux de Mme Pais, M. Lile Peter Pais, le juge de la citoyenneté a aussi recommandé que le ministre lui octroie la citoyenneté. Dans la section « motifs », le juge de la citoyenneté a noté que l’époux avait subi un accident vasculaire cérébral en 1995 et que [traduction] « selon le témoignage crédible de son épouse, depuis l’accident vasculaire cérébral, le demandeur ne [pouvait] pas vivre loin de sa famille pendant une longue durée ». Les deux demandes ont été traitées sous le même numéro de dossier.

 

[4]               Le ministre a interjeté appel des deux décisions et la Cour a traité séparément les appels. La décision relative à la demande de M. Pais a été annulée, et n’a pas été renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen. Le ministre soutient que je devrais faire la même chose en ce qui concerne la demande de Mme Pais.

 

[5]               L’appel interjeté par le ministre comporte de nombreux volets :

a.                   Le juge de la citoyenneté n’a donné aucun motif. Il a tiré une conclusion, rien de plus. Le paragraphe 14(2) de la Loi sur la citoyenneté exige que le juge de la citoyenneté transmette au ministre les motifs de sa décision.

b.                  Mme Pais a allégué qu’elle a été physiquement présente au Canada pendant 1 123 jours au cours des quatre années précédant immédiatement sa demande. Selon la Loi, le demandeur doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois des quatre années précédant immédiatement sa demande de citoyenneté, soit 1 095 jours. Selon une preuve concluante, Mme Pais n’était pas au Canada pendant 21 des jours allégués, ce qui la ramène très près des 1 095 jours.

c.                   Mme Pais a fait de fausses déclarations relativement à de nombreux aspects, et elle peut très bien ne pas avoir été physiquement présente au Canada pendant 1 095 jours. Dans un tel cas, le juge de la citoyenneté aurait dû mener une des trois approches qui ont reçu l’aval de la Cour, telle que celle qui est fondée sur [traduction] « la présence en pensée plutôt que sur la présence physique » (Koo (Re), [1993] 1 CF 286, 59 FTR 27, [1992] ACF no 1107 (QL)).

d.                  Mme Pais a fait de fausses déclarations concernant la demande de son époux. Elle a déclaré qu’il avait subi un accident vasculaire cérébral en 1995 et qu’il ne pouvait pas vivre loin de sa famille pendant une longue durée. Le ministre a été informé que, pendant tout ce temps, il travaillait aux Émirats arabes unis, alors que son épouse a déclaré qu’il était au Canada. Bien que la défenderesse n’ait pas été accusée, l’article 29 de la Loi sur la citoyenneté dispose que, quiconque fait une fausse déclaration, commet une fraude ou dissimule intentionnellement des faits essentiels commet une infraction pour l’application de la Loi.

 

[6]               L’avocat de M. Pais répond qu’on devrait uniquement se concentrer sur la demande de son épouse, et non pas sur celle de l’époux. En outre, il n’y a pas de preuve qu’elle a fait une fausse déclaration. Après que l’agente de citoyenneté eut exprimé certains doutes, elle a fait un calcul de la durée de la résidence et a déduit les 21 jours en question.

 

[7]               En outre, les notes du juge de la citoyenneté font partie de ses motifs, et ils établissent qu’il a traité des questions en jeu.

 

[8]               Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le présent appel devrait être accueilli.

 

[9]               La première est qu’il n’y a pas du tout de motifs. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle le juge chargé de la révision peut estimer que bien que les motifs ne soient pas aussi complets qu’on aurait souhaité, le résultat est justifié par le dossier (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, [2011] ACS no 62 (QL)). Le dossier contient deux pages de gribouillage, lesquelles traitent à la fois de l’époux et de l’épouse, ils avaient pourtant été interviewés séparément. On ne sait pas s’il s’agit de notes concomitantes, ou s’il s’agit de notes préparées préalablement à l’audience. La décision n’est certainement pas transparente selon les termes de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, et elle est donc déraisonnable.

 

[10]           De plus, il y avait certainement de fausses déclarations dans la demande de Mme Pais. La demande aurait été signée à Calgary le 30 septembre 2009. Mme Pais a donné l’adresse de sa résidence à Calgary. Dans les faits, elle était partie aux Émirats arabes unis le 9 septembre 2009, et elle n’en est pas revenue pendant quelques années. Il se pourrait bien qu’elle ait subséquemment rempli un questionnaire au moyen duquel, si on additionne tous les jours, on pourrait être amené à conclure qu’elle a quitté le Canada le 9 septembre 2009, mais dans les faits, elle n’a jamais fait de déclaration ce sens, et nous ne savons pas ce qui a été dit au juge de la citoyenneté.

 

[11]           En outre, il y a toutes les raisons de croire qu’elle a trompé le juge de la citoyenneté en ce qui concerne l’accident vasculaire cérébral de son époux. Ainsi, si nous étions prêts à lui accorder le bénéfice du doute en ce sens que son erreur relative à la période du 9 au 30 septembre 2009 avait été faite de bonne foi, l’ensemble de sa conduite donne à penser le contraire. Elle a dit au juge de la citoyenneté que son époux était présent au Canada, alors que dans les faits, il travaillait aux Émirats arabes unis. Ce faisant, elle a empêché le juge de la citoyenneté de pousser ses recherches plus loin. L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration) c Brooks, [1974] RCS 850, 30 DLR (3d) 522, est très instructif, bien que cette affaire traitait de l’admissibilité plutôt que de la citoyenneté.

 

[12]           Comme le juge Laskin l’a déclaré à la page 873 :

Afin d’éliminer tout doute à ce sujet résultant des motifs de la Commission, je rejetterais toute prétention ou conclusion selon laquelle, pour qu’il y ait caractère important sous le régime du sous-al. (viii) de l’al. e) du par. (1) de l’art. 19, la déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur donnés dans une réponse ou des réponses doivent être de nature à avoir caché un motif indépendant d’expulsion. La déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur peuvent ne pas avoir semblable effet et, cependant, avoir été des facteurs qui ont déterminé l’admission. La preuve faite en l’espèce suivant laquelle certaines réponses inexactes n’auraient eu aucun effet sur l’admission d’une personne est évidemment pertinente quant à la question du caractère important. Mais est aussi pertinente la question de savoir si les déclarations contraires à la vérité ou les réponses trompeuses ont eu pour effet d’exclure ou d’écarter d’autres enquêtes, même si aucun motif indépendant d’expulsion n’eût été découvert par suite de ces enquêtes.

 

[13]           L’avocat de Mme Pais s’oppose à l’affidavit d’un fonctionnaire de l’ambassade du Canada aux Émirats arabes unis qui a fait des enquêtes et a été informé par le Higher College of Technology à Abu Dhabi que M. Pais y travaillait de façon continue depuis les années 1990. Son opposition était fondée sur le fait que cette preuve n’avait pas été présentée au juge de la citoyenneté.

 

[14]           Il y a des exceptions à la règle voulant que le contrôle judiciaire ou l’appel soit fondé sur les documents dont le premier tribunal avait été saisi. Une des exceptions porte sur le cas où la décision a été obtenue au moyen d’une fraude. Bien qu’il ne soit pas d’application automatique, l’article 399 des Règles des Cours fédérales illustre le principe. Selon cet article, une ordonnance peut être annulée ou modifiée si elle a été obtenue par fraude.

 

[15]           Le dossier est simplement trop succinct pour permettre de décider si la demande de Mme Pais, contrairement à celle de son époux, était teintée de fraude, même si une cause prima facie a certainement été établie. Pour ce motif, même si j’accueille l’appel du ministre, je ne suis pas prêt à simplement annuler la décision. Je renverrai l’affaire à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen. Il se pourrait que Mme Pais ait omis de maintenir son statut de résidente permanente. S’il en résulte donc qu’elle fait l’objet d’une mesure de renvoi, elle peut, quoi qu’il en soit, se voir refuser la citoyenneté (Richi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 212, [2013] ACF no 217 (QL); Hadaydoun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 995, [2012] ACF no 1091 (QL)). La citoyenneté n’est pas un morceau de papier qu’on peut sortir de ses tiroirs à l’autre bout du monde, lorsque le besoin s’en fait sentir.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS,

LA COUR STATUE que :

1.                  L’appel est accueilli.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour examen de novo.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                              T-1693-12

 

INTITULÉ :                                            MCI

c

PAIS

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Calgary (Alberta)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 19 juin 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 21 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rick Garvin

 

POUR LE DEMANDEUR

Dalwinder Hayer

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Dalwinder Hayer

Avocat

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.