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Date : 20130619

Dossier : T-563-12

Référence : 2013 CF 686

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2013

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

Entre :

 

MANUEL BERLANGA VILLAMIL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 14 février 2012, rendue par un arbitre de Passeport Canada qui a imposé une période de refus de services de passeport au demandeur sur le fondement des dispositions suivantes du Décret sur les passeports canadiens, TR/81‑86 (le Décret) : les alinéas 9a) et 9b), le paragraphe 10(1) et l’article 10.3.

 

[2]               Le défendeur demande que l’intitulé soit modifié afin de désigner le Procureur général du Canada comme défendeur, compte tenu des exigences de l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. L’intitulé est modifié en conséquence.

 

FAITS

[3]               Le 23 novembre 2010, le demandeur a présenté une demande de passeport pour son fils (l’enfant) à Passeport Canada. Selon la demande, le demandeur et la mère de l’enfant résidaient à la même adresse et étaient des conjoints de fait. À la question de savoir s’il y avait des ententes de séparation, des ordonnances du tribunal ou des procédures judiciaires concernant la garde, les déplacements, ou les droits de visite de l’enfant, il a été répondu par la négative. Les deux parents semblaient avoir signé la demande.

 

[4]               Lorsqu’un agent des passeports a entré les renseignements personnels de l’enfant dans la base de données informatisée de Passeport Canada, il a relevé que le nom de l’enfant avait été inscrit sur la Liste des signalements de Passeport Canada. La mère de l’enfant avait demandé que le nom de son fils soit ajouté à la Liste des signalements en août 2010, et qu’aucun passeport ne lui soit délivré sans qu’elle en soit avisée. À l’appui de sa demande, elle avait fourni un « consentement à jugement » que le demandeur et elle avaient signé le 18 juin 2008 et dans lequel, en tant que parents, ils consentaient à ce que la mère ait la garde de l’enfant, et que le demandeur ait des droits précis de visite.

 

[5]               Le 25 novembre 2010, lorsque l’agent des passeports a communiqué avec la mère de l’enfant, celle‑ci a déclaré qu’elle était toujours séparée du demandeur, qu’ils ne vivaient pas à la même adresse, qu’elle n’avait jamais signé la demande de passeport de l’enfant, et qu’elle enverrait des documents juridiques plus récents à l’agent.

 

[6]               Le 26 novembre 2010, Passeport Canada a été informé que la mère de l’enfant avait déposé une plainte auprès de la Gendarmerie royale du Canada relativement à la demande de passeport de son fils. Le 29 novembre 2010, le Service de la Police de la Ville de Montréal (le SPVM) a communiqué avec Passeport Canada afin d’obtenir des renseignements relativement à la demande de passeport de l’enfant.

 

[7]               Aussi, le 29 novembre 2010, la Direction générale de la sécurité de Passeport Canada (la Direction générale de la sécurité) a ouvert une enquête relativement à la demande de passeport présentée par le demandeur pour le compte de l’enfant. Dans le cours de son enquête, la Direction générale de la sécurité a obtenu des documents juridiques à jour desquels il ressortait que la mère de l’enfant avait la garde de ce dernier, et que le demandeur avait des droits précis de visite.

 

[8]               Le 1er décembre 2010, la mère de l’enfant a fourni à Passeport Canada une déclaration écrite assermentée selon laquelle elle n’avait pas signé la demande de passeport de l’enfant, et qu’elle s’opposait à la délivrance d’un passeport au nom de son fils.

 

[9]               Le 14 décembre 2010, la Cour supérieure du Québec a fait droit à la requête de la mère de l’enfant, afin qu’il soit interdit au demandeur de quitter le Québec avec l’enfant et qu’il lui soit interdit de présenter une demande, soit pour un passeport canadien, soit pour un passeport mexicain pour le compte de l’enfant.

 

[10]           Le 1er février 2011, le demandeur a été arrêté pour l’infraction décrite au paragraphe 368(1) du Code criminel, LRC 1985, c C-46 (le Code) et remis en liberté sur la foi de l’engagement qu’il ne quitterait pas le Canada avec son fils mineur sans l’autorisation de la Cour supérieure.

 

[11]           Le 14 février 2011, le demandeur a été accusé de l’infraction d’avoir fait une déclaration qu’il savait fausse ou trompeuse afin d’obtenir un passeport au sens de l’alinéa 57(2)b) du Code. Le lendemain, il a plaidé non coupable à cette accusation. Le demandeur n’a jamais été accusé en vertu du paragraphe 368(1).

 

[12]           Le 20 mai 2011, la Direction générale de la sécurité a envoyé au demandeur une lettre l’avisant qu’il faisait l’objet d’une enquête, car la Division des enquêtes avait des raisons de penser que le demandeur avait fourni des renseignements faux ou trompeurs dans la demande de passeport qu’il avait remplie pour le compte de son fils.

 

[13]           Le 8 décembre 2011, le passeport délivré au nom du demandeur a expiré.

 

[14]           L’arbitre a rendu sa décision le 14 février 2012.

 

Décision contestée

[15]           Premièrement, l’arbitre a conclu que, vu les faits non contestés selon lesquels le demandeur avait été accusé en vertu du paragraphe 368(1) du Code, la révocation du passeport du demandeur en vertu de l’alinéa 9b) et du paragraphe 10(1) du Décret était justifiée.

 

[16]           Deuxièmement, l’arbitre a décidé que la révocation du passeport du demandeur en vertu de l’alinéa 9a) et du paragraphe 10(1) du Décret était aussi justifiée, car le demandeur n’avait pas fourni à Passeport Canada une demande de passeport dûment remplie. L’arbitre a donné les motifs suivants à l’appui du rejet des explications et des justifications avancées par le demandeur quant au fait qu’il avait fourni de faux renseignements dans la demande de passeport :

[traduction]

-          il était difficile de croire que le demandeur avait uniquement des connaissances limitées en français, vu qu’il alléguait être en mesure de faire la distinction sémantique entre le « consentement à jugement » que la mère de l’enfant et lui avaient signé, et la question relative aux ententes de séparation, aux ordonnances du tribunal ou aux procédures judiciaires concernant la garde, les déplacements, ou les droits de visite de l’enfant;

-          l’explication du demandeur selon laquelle il voulait que le passeport soit délivré à son adresse n’était pas suffisante, car elle n’établissait pas que la mère de l’enfant avait consenti à la délivrance d’un passeport au nom de l’enfant;

-          le courriel daté du 6 décembre 2010, que la mère a envoyé après le dépôt de la demande de passeport par le demandeur pour le compte de l’enfant, n’établissait pas que la mère avait consenti à la délivrance d’un passeport au nom de l’enfant;

-          en vertu des principes de la dissuasion et de la proportionnalité, il était justifié d’imposer une peine au demandeur.

 

[17]           L’arbitre a maintenu la recommandation de refuser en vertu de l’article 10.3 du Décret, les services de passeport au demandeur pendant cinq ans, étant donné que lorsqu’il a rendu sa décision le passeport du demandeur avait expiré.

 

Questions en litige

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La question du refus de services de passeport imposé au demandeur aux motifs qu’il était accusé en vertu du paragraphe 368(1) du Code criminel est‑elle théorique?
  2. L’arbitre a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a imposé un refus de services de passeport au demandeur pendant cinq ans aux motifs qu’il n’avait pas présenté une demande de passeport dûment remplie?

 

 

ANALYSE

1.      La question du refus de services de passeport imposé au demandeur aux motifs qu’il était accusé en vertu du paragraphe 368(1) du Code criminel est‑elle théorique?

 

 

[19]           Le demandeur soutient que Passeport Canada s’est fondé à tort sur le postulat qu’il avait été accusé de l’infraction punissable par mise en accusation décrite au paragraphe 368(1) du Code, étant donné qu’il avait en fait été accusé en vertu de l’alinéa 57(2)b) du Code d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

 

[20]           Pour le défendeur, étant donné que le demandeur n’a jamais été accusé de l’infraction décrite au paragraphe 368(1) du Code criminel, la décision selon laquelle les services de passeport lui seraient refusés jusqu’à ce qu’un tribunal se prononce sur les accusations criminelles portées en vertu de cette disposition, ou jusqu’à une date ultérieure, en fonction de l’issue des procédures criminelles, est sans conséquence.

 

[21]           Pour les motifs exposés ci‑dessous, je partage l’avis du défendeur.

 

[22]           L’arbitre a fondé sa décision de refus des services de passeport au demandeur pendant une certaine période sur deux motifs distincts : premièrement, le demandeur a été accusé en vertu du paragraphe 368(1) du Code criminel, et, deuxièmement, le demandeur n’a pas présenté à Passeport Canada une demande de passeport dûment remplie. L’arbitre a ainsi formulé les effets combinés de sa décision :

Effet combiné des conclusions sur les 2 motifs de révocation rétrospective

 

Tel qu’indiqué dans la lettre de proposition comme celle de clôture d’enquête, la période de refus (suspension) de services de passeport est donc la plus longue de

 

         5 ans à compter de la date où la demande « incomplète » aux termes du paragraphe 9(a) du Décret aurait été soumise, soit jusqu’au 23 novembre 2015 ou,

 

         la date à laquelle se prononcera un tribunal sur les accusations portées contre le sujet ou une date ultérieure, selon l’issue de la procédure criminelle (qui s’entend de la date où il sera disposé des accusations criminelles pendantes à l’endroit du sujet et pour lesquelles sentence, si imposée, serait éventuellement servie).

 

 

[23]           Selon moi, le deuxième point de cette conclusion est sans conséquence sur la période pendant laquelle les services de passeport ont été refusés, étant donné que le demandeur n’a jamais été accusé en vertu du paragraphe 368(1) du Code. Ainsi, la question qu’il reste à trancher est de savoir s’il était raisonnable que l’arbitre impose une période de refus de services de passeport de cinq ans aux motifs que le demandeur avait omis de présenter une demande de passeport dûment remplie.

 

2.      L’arbitre a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a imposé un refus de services de passeport au demandeur pendant cinq ans aux motifs qu’il n’avait pas présenté une demande de passeport dûment remplie?

 

[24]           Le demandeur allègue que la décision de lui refuser des services de passeport pendant cinq ans doit être annulée et remplacée par une période de refus de services de deux ans.

 

[25]           Le demandeur ne conteste pas l’existence d’erreurs dans la demande de passeport, mais il maintient qu’il n’avait aucune intention de tromper Passeport Canada.

 

[26]           Le demandeur soutient en outre que l’analyse subjective de l’arbitre quant à la recommandation de lui refuser des services de passeport était viciée par l’erreur commise par l’arbitre lorsqu’il s’est fondé sur le postulat que le demandeur avait été accusé en vertu du paragraphe 368(1) du Code.

 

[27]           Le défendeur soutient que l’imposition d’une peine dans un tel cas est un élément hautement discrétionnaire de la décision et que la Cour devrait donc faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision.

 

[28]           En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel il n’avait pas l’intention de tromper Passeport Canada, l’arbitre a expliqué que les motifs du refus ou de la révocation de passeports énoncés aux articles 9 et 10 du Décret sur les passeports n’exigent pas la preuve de l’existence d’une intention de frauder ou de tromper.

 

[29]           Pour le défendeur, l’arbitre a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire d’imposer une période de refus de services de passeport de cinq ans au demandeur. Je souscris à cette opinion.

 

[30]           La Cour a décidé à de nombreuses reprises que les décisions de Passeport Canada de refuser ou de révoquer les services de passeport ou de retenir un passeport sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Kamel c Canada (Procureur général), 2008 CF 338, aux paragraphes 58 à 59; Okhionkpanmwonyi c Canada (Procureur général), 2011 CF 1129, au paragraphe 8 (Okhionkpanmwonyi); Slaeman c Canada (Procureur général), 2012 CF 641, au paragraphe 44 (Slaeman); et Sathasivam c Canada (Procureur général), 2013 CF 419, au paragraphe 13).

 

[31]           Selon moi, il ressort clairement de la décision que l’analyse de l’arbitre portant sur la question de savoir si la demande de passeport présentée pour le compte d’Estevan, le fils du demandeur, avait été dûment remplie ne dépendait en aucune façon de l’analyse relative à l’accusation criminelle portée contre lui. L’arbitre a déclaré ce qui suit à la page 4 de sa décision :

Question 2 : Révocation en lien avec la demande au nom de l’enfant

 

J’ai choisi d’aborder cette recommandation en second lieu pour bien marquer que la question de déterminer si la demande est dûment complétée ne dépend pas de la conclusion sur la recommandation précédente (révocation liée à la présence de l’accusation de faux au criminel).

 

 

[32]           Le demandeur reconnaît avoir donné des renseignements erronés dans la demande de passeport qu’il a présentée pour le compte de l’enfant, et l’arbitre a raisonnablement rejeté les explications qu’il a fournies en guise de justification.

 

[33]           En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel l’arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte de la nécessité pour le demandeur d’aller au Mexique pour rendre visite à sa famille lorsqu’’il a évalué la période pendant laquelle les services de passeport lui seraient refusés, je relève qu’à la fin de la décision, l’arbitre a déclaré que, pendant la période de refus des services de passeport, le demandeur pourrait toujours présenter une demande de passeport à durée de validité limitée fondée sur des considérations d’ordre humanitaire urgentes et impérieuses.

 

[34]           Par conséquent, je suis convaincue que la décision de l’arbitre était raisonnable et rationnellement étayée par la preuve dont il disposait. L’intervention de la Cour relativement à la peine imposée n’est pas justifiée.

 

[35]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 


JUGEMENT

 

LA COUR statue que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  L’intitulé est modifié pour désigner le Procureur général du Canada à titre de défendeur.

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                              T-563-12

 

INTITULÉ :                                            Manuel Berlanga Villamil

                                                                  c

                                                                  Le Procureur général du Canada

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 18 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  La juge Tremblay‑Lamer

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 19 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Armenia Teixeira

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sara Gauthier

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ohanlon Sanders Teixeira

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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