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Date : 20130626

Dossier : T-81-13

Référence : 2013 CF 712

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 26 juin 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

Entre :

 

ADEKUNLE OLUFEMI DINA

 

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel d’une décision d’un juge de la citoyenneté, qui a refusé d’accueillir la demande de citoyenneté canadienne du demandeur. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai l’appel et je renverrai l’affaire au même juge pour nouvel examen.

 

[2]               Le demandeur est originaire du Nigéria. Sa femme, sa famille et lui sont venus au Canada en mars 2005 et ont obtenu le statut d’immigrants reçus. Sa femme travaille pour une université dans la région de Toronto et lui et sa femme ont acheté une maison dans la même région. Le demandeur à sa propre entreprise, pour laquelle il se rend fréquemment au Nigéria. Le juge de la citoyenneté avait des préoccupations quant à la crédibilité du demandeur au sujet du nombre de jours au cours desquels il s’était trouvé à l’extérieur du Canada. Cependant, même en acceptant le témoignage du demandeur sans le mettre en doute, comme le juge de la citoyenneté l’a fait, le demandeur avait un déficit de 255 jours quant au nombre de jours prévus à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la Citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi).

 

[3]               Le juge de la citoyenneté a choisi d’appliquer le critère au sujet de la citoyenneté établi dans l’arrêt Re Pourghasemi, (1993) A.C.F. no 232, et a conclu, en fonction de ce critère, que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Je reproduis ici une partie de sa décision :

[traduction]

Le demandeur soutient qu’il s’est absenté du Canada sept fois, pour un total de 620 jours seulement. En soi, cela donne au demandeur un déficit de 255 jours. Cependant, je ne suis pas convaincu qu’il n’a été à l’extérieur du Canada que pendant de 620 jours. Je crois qu’il existe un problème de crédibilité quant au nombre de jours au cours desquels le demandeur se trouvait à l’étranger.

 

Selon la prépondérance des probabilités et d’après mon évaluation du témoignage du demandeur, et à la suite d’un examen minutieux de l’information et des preuves dont je dispose, bien que le demandeur ait déclaré qu’il avait une adresse au Canada durant toute la période pertinente, je ne suis pas convaincu qu’il demeurait en réalité - qu’il était effectivement présent - au Canada pendant le nombre de jours qu’il prétendait y demeurer.

 

J’ai décidé d’utiliser le critère strict énoncé par le juge Muldoon dans l’affaire (Re) Pourghasemi (1993), A.C.F. no 232 (1re inst.) (QL).

 

 

[4]               L’avocat du demandeur a soutenu devant moi que, si le juge de la citoyenneté avait choisi d’appliquer le critère dans l’arrêt Re Koo, [1993] 1 CF 286, le demandeur aurait satisfait à ce critère et aurait pu obtenir la citoyenneté canadienne.

 

[5]               La jurisprudence à ce sujet a récemment été examinée par le juge en chef Crampton de la Cour dans la décision Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 576. Au paragraphe 2 de ses motifs, il a reconnu que la jurisprudence devait être clarifiée, possiblement par modification à la loi ou par renvoi devant la Cour, au sens du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Il a écrit :

2 La solution idéale consisterait pour le législateur fédéral à intervenir en définissant un critère de citoyenneté plus clair dans la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29. C’est la solution que notre Cour a préconisée à plusieurs reprises (voir, par exemple, l’affaire Harry (Re) [1998] ACF no 189, aux paragraphes 15 à 26; Imran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 756, au paragraphe 32 [Imran]; Hao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 46, au paragraphe 50 [Hao]; et Ghaedi v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 85, au paragraphe 16). Une autre approche pourrait consister pour un juge de la citoyenneté à renvoyer la question à la Cour conformément au paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi sur les CF]. Cette façon de procéder permettrait notamment de renvoyer ensuite la question à la Cour d’appel fédérale en vertu de l’alinéa 27(1)d) de la Loi sur les CF pour régler une fois pour toutes la divergence qui existe dans la jurisprudence de notre Cour depuis plusieurs décennies à ce sujet.

 

 

[6]               Le juge en chef a examiné l’état de la jurisprudence de la Cour et, aux paragraphes 36 à 44, a conclu qu’il existait trois critères différents pour la citoyenneté, et qu’un juge de la citoyenneté pouvait choisir d’appliquer n’importe lequel de ces trois critères. Je reproduis ce qu’il a écrit, aux paragraphes 37 et 38 :

37 Comme nous l’avons déjà signalé, la jurisprudence de notre Cour a énoncé trois critères en matière de citoyenneté. C’est ce qu’on appelle, en règle générale, le critère du « mode d’existence centralisé », le critère du jugement Koo (qui est axé sur la question de savoir où l’intéressé « vit régulièrement, normalement ou habituellement ») et le critère de la « présence effective ».

38 Il est de jurisprudence constante qu’avant que l’un ou l’autre de ces critères puisse être appliqué, la personne qui demande la citoyenneté doit démontrer qu’elle est effectivement présente au Canada (Takla, précité, au paragraphe 50; Martinez, précité, au paragraphe 9; Hao, précité, au paragraphe 24; Elzubair, précité, au paragraphe 13).

 

[7]                Revenant à l’affaire en l’espèce, le juge de la citoyenneté n’avait pas tort lorsqu’il a déclaré que, même selon les propres observations du demandeur, ce dernier avait un déficit de 255 jours, et il n’avait pas tort d’appliquer le critère de la « présence physique » de l’arrêt Re Pourghasemi, précité. Néanmoins, je renverrai l’affaire pour nouvel examen.

 

[8]               Mon raisonnement pour le renvoi de l’affaire est le suivant : les personnes comme le demandeur en l’espèce ne devraient pas être mises en position de doute quant à savoir quel critère le juge de la citoyenneté compte appliquer. Les mêmes faits peuvent donner un résultat différent pour chacun des trois critères. Le fait de ne pas révéler au demandeur, avant l’examen de la question, lequel des trois critères sera appliqué par le juge constitue un manquement à la justice naturelle. Ce n’est que si le juge révèle le critère qu’il compte appliquer que le demandeur et son avocat connaîtront les éléments auxquels ils devront répondre.

 

[9]               L’incohérence de la jurisprudence est largement causée par des décisions incohérentes et contradictoires de la Cour fédérale, pour lesquelles la Cour doit porter le blâme. Il est impossible de porter une décision comme celle en l’espèce en appel, cependant si la Commission de la citoyenneté renvoyait une question à la Cour en application du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, toute décision de la Cour à ce sujet pourrait faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale.

 

[10]           Par conséquent, je renverrai l’affaire pour nouvel examen au même juge. Le juge doit donner un avis adéquat au demandeur au sujet du critère qu’il compte appliquer. J’encourage fortement ce juge à examiner la possibilité de présenter un renvoi au sens du paragraphe 18.3(1). Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         L’appel est accueilli;

 

2.         L’affaire est renvoyée pour nouvel examen au même juge de la citoyenneté, qui donnera au demandeur un avis adéquat au sujet du critère qu’il compte appliquer;

 

3.         La Commission de la citoyenneté est fortement encouragée à déposer à la Cour un renvoi, en application du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, au sujet du critère approprié;

 

4.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

                                                                                                             « Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-81-13

 

INTITULÉ :                                      ADEKUNLE OLUFEMI DINA C MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Hughes

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pius L. Okoronkwo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Tessa Kroeker

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pius L. Okoronkwo

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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