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Date : 20130620

Dossier : IMM-6803-12

Référence : 2013 CF 693

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

ROLAND KOTAI

ROLAND KOTAI

LAURA KOTAI

KATALIN BALOGH

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], le contrôle judiciaire de la décision du 12 juin 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés [la Commission] a conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi. Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est rejetée.

 

Contexte

[2]               Les demandeurs, la famille Kotai, comprennent le demandeur principal, son épouse et leurs deux enfants. Les demandeurs sont des citoyens hongrois d’origine rom. Ils sont arrivés au Canada en 2010 et ont présenté une demande d’asile parce qu’ils faisaient l’objet de racisme et de discrimination en Hongrie. Les demandeurs ont décrit un incident de vandalisme survenu en 2010, lors duquel une brique avait été lancée sur une fenêtre de leur domicile. La police est intervenue, mais les demandeurs n’ont pas pu identifier les auteurs du méfait et aucune arrestation n’a été portée. Les demandeurs ont aussi fait état d’un autre incident survenu en 2010 au cours duquel quatre skinheads les ont abordés, les ont traités de [traduction] « sales bohémiens » et ont craché en leur direction. L’incident n’a pas été signalé à la police. Les demandeurs ont également affirmé que l’un de leurs enfants avait été placé dans une classe réservée aux Roms à l’école maternelle, et que la mère avait été traitée sans aucun égard par les médecins lors de l’accouchement de son fils.

 

La décision contrôlée

[3]               La Commission a conclu que la question déterminante était la protection offerte par l’État. La Commission a constaté que les demandeurs craignaient la Garde hongroise et les groupes de skinheads en Hongrie, et a reconnu que les incidents particuliers décrits par les demandeurs avaient eu lieu. La Commission a cependant conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi, au moyen d’une preuve claire et convaincante, à réfuter la présomption selon laquelle la protection de l’État est adéquate. La Commission a constaté que les demandeurs avaient fait appel à la police à une occasion et que celle‑ci était intervenue. En ce qui concerne les allégations de discrimination à l’école et de mauvais traitements lors de la naissance du plus jeune enfant, la Commission a constaté que les demandeurs n’avaient exercé aucun recours, par exemple auprès de l’Autorité pour l’égalité de traitement, ni déposé de plainte auprès d’autres autorités. 

 

[4]               Bien que la décision de la Commission soit essentiellement constituée d’une description des programmes et des initiatives de lutte à la discrimination et à la violence contre le peuple rom existants en Hongrie, dont bon nombre ne s’appliquent pas à la situation des demandeurs, la Commission a néanmoins mis l’accent sur les expériences propres des demandeurs pour déterminer s’ils seraient exposés au risque de persécution à leur retour.

 

[5]               La Commission a reconnu que la preuve documentaire traitant des efforts déployés par le gouvernement pour assurer la protection des Roms varie, que l’extrémisme de droite incite à la violence contre les Roms et que les Roms subissent de la discrimination et de la persécution sur plusieurs plans. Cela dit, la Commission a constaté que, compte tenu de leur situation particulière, les demandeurs n’avaient pas démontré que la protection de l’État était à ce point inadéquate qu’il n’était pas la peine qu’ils s’adressent aux autorités ou demandent de l’aide auprès d’autres autorités, dont le Bureau du protecteur des minorités ou l’Autorité indépendante chargée d’examiner les plaintes déposées contre la police (l’IOPCB).

 

[6]               La Commission a également reconnu que les documents relatifs à la situation dans le pays en cause appuient la thèse selon laquelle la protection de l’État n’est pas parfaite et qu’il y aurait place à l’amélioration à plus d’un chapitre. La Commission a ajouté que rien ne démontrait que l’appareil étatique s’était complètement effondré, et que des éléments de preuve témoignaient des efforts importants entrepris pour améliorer la situation des Roms. La Commission a examiné si l’État avait été capable d’assurer un degré de protection raisonnable aux demandeurs dans les circonstances, soulignant que la police était intervenue lorsqu’elle avait été appelée. Rien ne permettait de penser que, à la lumière de leurs expériences personnelles passées, les demandeurs pourraient être amenés à croire que la protection de l’État serait inadéquate ou qu’ils ne pourraient raisonnablement en bénéficier s’ils retournaient en Hongrie.

 

[7]               La Commission a souligné que de nombreux facteurs pouvaient expliquer pourquoi la police n’avait arrêté personne après l’incident de vandalisme au domicile des demandeurs, entre autres le fait que les demandeurs n’avaient pas réussi à identifier le ou les auteurs de l’acte.

 

Les questions en litige

[8]               Les demandeurs affirment que la décision est déraisonnable pour cinq raisons : premièrement, la police aurait dû faire enquête sur l’incident de vandalisme même si aucun suspect n’avait été identifié; le fait qu’ils n’ont pas enquêté et n’ont pas pu prévenir de telles agressions, de plus en plus fréquentes, témoigne de l’absence de protection de l’État; deuxièmement, le fardeau de réfuter la présomption de protection de l’État qui incombe au demandeur doit être considéré à l’aune de l’éventail démocratique; troisièmement, la Commission n’a pas tenu compte de l’augmentation de la violence à caractère raciste et du besoin accru de protection; quatrièmement, les autres organismes de lutte contre la discrimination et contre la persécution auxquels la Commission a fait référence ne s’appliquent pas en l’espèce ou ne sont pas efficaces; cinquièmement, la Commission a mal énoncé et mal appliqué le critère relatif à la protection de l’État.

 

[9]               Le défendeur affirme que la Commission a examiné tous les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays en cause, qu’elle a reconnu qu’ils étaient variés et qu’elle a axé son analyse sur la question de savoir si les demandeurs avaient réfuté la présomption de la protection de l’État dans ce contexte (soit l’éventail démocratique). Le défendeur soutient que la décision de la Commission est raisonnable.

 

Norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable, de sorte qu’il faut faire preuve de déférence. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, le rôle de la Cour n’est pas de substituer la décision qu’elle aurait prise à celle faisant l’objet du contrôle judiciaire, mais plutôt de « déterminer si celle‑ci fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” (Dunsmuir, par. 47).  Il peut exister plus d’une issue raisonnable.  Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59.

 

La décision de la Commission est‑elle raisonnable?

[11]           Les demandeurs ont exposé cinq motifs pour appuyer leur affirmation selon laquelle la décision n’est pas raisonnable; or, tous les motifs sont reliés entre eux et à la question de savoir comment la Commission a évalué le caractère adéquat de la protection de l’État et des efforts déployés par les demandeurs pour réfuter la présomption de la protection de l’État.

 

[12]           En ce qui concerne l’intervention de la police lors de l’incident de vandalisme, qui n’a débouché sur aucune arrestation, le demandeur invoque la décision Pinter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1119, où le juge Zinn déclare ce qui suit au paragraphe 14 :

En outre, je souligne que le fait qu’une plainte relative à une conduite criminelle a été acceptée ne signifie pas que la police offre une protection adéquate si rien n’est fait pour enquêter sur la plainte. Le travail de la police serait infiniment plus facile si elle n’était pas tenue de mener une enquête lorsque l’identité de l’agresseur est inconnue.

 

 

[13]           Je remarque que, dans Pinter, le juge Zinn a exposé plusieurs raisons justifiant l’accueil de la demande de contrôle judiciaire, outre l’évaluation de la protection de l’État. Dans cette affaire, les demandeurs ont affirmé qu’ils avaient eu à surmonter les réticences à prendre leurs plaintes et que la police n’avait rien fait pour enquêter. En l’espèce, les demandeurs ont déclaré que la police était intervenue et avait recueilli les déclarations de la demanderesse et de ses parents. Rien ne laisse penser que la police aurait été réticente à prendre leur déposition ou qu’elle n’aurait pas assuré de suivi, la seule chose est qu’aucun suspect n’a été identifié.

 

[14]           Les demandeurs affirment que la police est tenue de prévenir les attaques contre les Roms, en plus d’intervenir après coup dans les cas d’incidents, et que le fait qu’ils ont failli à cette obligation témoigne du défaut de protection de l’État; or, une telle affirmation revient à soumettre la police à une norme déraisonnablement élevée et, éventuellement, à vider de son sens l’obligation imposée aux demandeurs d’asile de se réclamer de la protection de l’État, dans la mesure où elle est existante. Il est tout simplement impossible de prévenir toutes les infractions criminelles. La Commission a tenu compte d’éléments de preuve relatifs à des actes de violence récents, qui montrent, selon le demandeur principal, que la police a été incapable de prévenir et d’assurer une protection. La Commission a constaté que rien n’indiquait que l’appareil étatique s’était complètement effondré ni que les actes de violence récents signifiaient que la protection de l’État était inexistante au point de dispenser les demandeurs du fardeau qui leur incombe de solliciter la protection de l’État. La Commission a pris note des initiatives en cours visant à empêcher et à prévenir les attaques racistes et a également reconnu qu’il y avait place à l’amélioration.  

 

[15]           Je conviens que tous les pays démocratiques ne présentent pas le même degré de démocratie et que, comme les demandeurs l’ont fait remarquer, il existe un « éventail démocratique ». Le fardeau qui incombe à un demandeur de réfuter la présomption de la protection de l’État est proportionnel au degré de démocratie dans le pays.

 

[16]           Le juge Rennie a affirmé ce qui suit dans Sow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 646, aux paragraphes 9 à 11 :

[9]   On peut présumer que, dans un pays démocratique, l’État peut protéger ses propres citoyens. C’est au demandeur qu’il incombe de réfuter cette présomption et de démontrer, par une preuve « claire et convaincante », l’incapacité de l’État d’assurer la protection (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 50; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 43 et 44; Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, au paragraphe 13).

 

[10]   Ce principe s’inscrit dans un contexte, toutefois, et il n’est pas absolu, la présomption variant selon la nature de la démocratie dans le pays en cause. Le fardeau de preuve incombant au demandeur d’asile est proportionnel au degré de démocratie dans ce pays et à la place qu’y occupe l’État dans l’ « éventail démocratique » (Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376, au paragraphe 5; Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, au paragraphe 30; Capitaine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 98, aux paragraphes 20 à 22).

 

[11]   La démocratie à elle seule n’est pas gage d’une protection efficace de l’État. La Commission doit prendre en compte la qualité des institutions qui assurent la protection. La Commission doit en outre examiner si la protection de l’État est suffisante au niveau opérationnel et prendre en considération les personnes qui se sont trouvées dans une situation semblable à celle du demandeur ainsi que leur traitement par l’État (Zaatreh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 211, au paragraphe 55).

 

 

[17]           En l’espèce, il y a lieu de constater, d’après l’ensemble des motifs de la Commission, que celle‑ci a examiné les éléments de preuve « variés » au sujet des initiatives entreprises en Hongrie et de leur efficacité, et qu’elle a évalué le caractère adéquat de la protection de l’État et les efforts déployés par les demandeurs pour l’obtenir à l’aune de ces éléments de preuve variés.

 

[18]           La Commission a analysé les programmes, politiques et institutions en Hongrie qui luttent contre la discrimination, dont plusieurs ne s’appliquaient pas du tout à la situation des demandeurs, mais qui illustraient la variété des initiatives en cours. La Commission a reconnu que malgré ces initiatives, les Roms font toujours l’objet de discrimination, notamment de la part de la police qui n’intervient pas toujours et qui pratique parfois la discrimination. Le gouvernement a toutefois pris des mesures à l’égard des agents de police corrompus et incompétents.

 

[19]           La Commission a également examiné le système d’éducation et constaté que si les enfants faisaient l’objet de discrimination, les demandeurs auraient pu chercher réparation auprès de l’Autorité pour l’égalité de traitement, une instance qui offre un recours aux membres des minorités nationales et ethniques et qui interagit avec les autorités.

 

[20]           En ce qui concerne l’observation du demandeur selon laquelle la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve documentaire relatifs à la hausse récente d’actes de violence commis à l’encontre des Roms, qui montre que la protection de l’État est inadéquate et que les demandeurs seraient exposés à cette violence à leur retour, je note que la Commission a expressément fait référence à un rapport du Département d’État des États‑Unis de 2010, entre autres documents sur la situation dans le pays, qui révèle que les agressions violentes et à caractère raciste continuaient d’être commises. La Commission a fait état des préoccupations au sein de la population suscitées par la violence à caractère raciste et a encore une fois constaté que le gouvernement avait mis en œuvre un processus visant à tenir responsables les policiers qui abusent de leur pouvoir ou qui n’interviennent pas pour contrer la violence à caractère raciste.

 

[21]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a fait état d’un grand nombre d’organismes qui ne leur auraient été d’aucun secours. Je conviens que la Commission a cité de nombreuses mesures mises en œuvre par la Hongrie pour contrer le racisme, dont le Bureau du protecteur des minorités et l’Autorité pour l’égalité de traitement, qui ne participent pas directement à la protection des Roms contre la violence. Ces organismes auraient cependant pu offrir du soutien aux demandeurs préoccupés par la ségrégation en classe de maternelle ou par les mauvais traitements à l’hôpital.

 

[22]           Le demandeur et le défendeur s’entendent sur le fait que la police a la responsabilité première d’assurer la protection de l’État contre les agressions violentes.

 

[23]           Comme l’affirme le juge de Montigny dans Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, [2012] ACF 1444, au paragraphe 15, c’est la police qui a la responsabilité d’assurer la protection des citoyens :

[15]      La jurisprudence de la Cour établit très clairement que la police est présumée être la principale institution chargée d’assurer la protection des citoyens et que les autres institutions publiques ou privées sont présumées n’avoir ni les moyens ni le rôle d’assumer une telle responsabilité. Comme la juge Tremblay‑Lamer l’a si justement affirmé dans Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 RCF 237, aux paragraphes 24 et 25 :

 

24        En l’espèce, la Commission a fait état de divers autres organismes auprès desquels les demandeurs, se disant insatisfaits des efforts de la police et croyant celle-ci corrompue, auraient pu s’adresser, comme la Commission nationale des droits de la personne, la Commission des droits de la personne d’un État, le Secrétariat de l’administration publique, le Programme de lutte contre l’impunité, la Direction d’aide du contrôleur général, ou encore le Bureau du procureur général de la République au moyen de sa procédure de plainte.

 

25        Or, j’estime que ces autres institutions ne constituent pas, en soi, des voies de recours. Sauf preuve du contraire, la police est la seule institution chargée d’assurer la protection des citoyens d’un pays et disposant, pour ce faire, des pouvoirs de contrainte appropriés. Ainsi, par exemple, il est expressément mentionné dans la preuve documentaire que la loi ne confère à la Commission nationale des droits de la personne aucun pouvoir de contrainte (« Mexique : Situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle » [Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Recherche sur les pays d’origine : Exposé]).

 

Voir également : Risak c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1581, 25 Imm LR (2d) 267, au paragraphe 11.

 

 

[24]           La police a joué le principal rôle dans les expériences passées et les préoccupations des demandeurs au sujet des crimes à caractère raciste et des crimes en général. La Commission a évalué le caractère adéquat de la protection de l’État pour les demandeurs dans les situations qu’ils ont vécues, à savoir qu’ils ont subi deux incidents, qu’ils ont sollicité l’aide de la police à la suite de l’un deux et que la police est intervenue.

 

[25]           En ce qui concerne le critère de la protection de l’État, les demandeurs font valoir que la Commission n’a correctement énoncé le critère qu’une seule fois au paragraphe 11, et qu’elle a par la suite utilisé et appliqué le mauvais critère.

 

[26]           La Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 11 de la décision :

Le demandeur d’asile doit démontrer qu’il a pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour obtenir une protection, et ce, compte tenu de la situation générale qui a cours dans le pays d’origine, des mesures prises par le demandeur d’asile et de la relation de ce dernier avec les autorités. Pour établir si la protection de l’État est adéquate, il importe d’examiner non seulement la question de savoir s’il existe des mécanismes de protection législatifs ou procéduraux, mais aussi de déterminer si l’État, par l’intermédiaire de la police ou d’autres autorités, peut et veut mettre ces mécanismes en œuvre.

 

 

[27]           Plus loin dans la décision, la Commission a formulé l’observation suivante :

Il serait négligent de ma part de déclarer que les efforts du gouvernement ont permis d’éradiquer la corruption. Cependant, j’estime que, selon la prépondérance de la preuve documentaire dont je dispose et compte tenu des circonstances propres à la présente affaire, la Hongrie déploie de sérieux efforts pour régler le problème de la corruption et de la criminalité. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[28]           La Commission a également reconnu que les éléments de preuve documentaire présentaient des incohérences; toutefois, la preuve objective sur la situation dans le pays donnait à entendre que la situation n’est certes pas parfaite, mais que la Hongrie fait « des efforts sérieux pour régler ces problèmes; et que les représentants de la police et du gouvernement veulent protéger les victimes et sont capables de le faire » [non souligné dans l’original].

 

[29]           La Commission a ensuite déclaré que la protection de l’État doit être adéquate et qu’aucun gouvernement ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps, concluant ainsi : « Ainsi, tant que le gouvernement prend des mesures sérieuses pour fournir une protection ou accroître la protection offerte, il incombe aux citoyens de chercher à obtenir cette protection. » [Non souligné dans l’original.]

 

[30]           Le demandeur affirme que la Commission a mis l’accent sur les efforts sérieux et les mesures sérieuses, qui ne constituent pas le critère, plutôt que sur la volonté et la capacité du gouvernement d’assurer la protection de l’État adéquate.

 

[31]           La Cour suprême du Canada a exposé la raison d’être du régime international de protection des réfugiés dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 18. Ce régime a été établi dans le but d’être appliqué lorsque la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants ne peut être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. Il est considéré comme une protection auxiliaire ou supplétive fournie en l’absence de protection nationale. Les personnes persécutées sont tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée.

 

[32]           Il existe une présomption selon laquelle un État est en mesure de protéger ses citoyens. Cette présomption peut être réfutée par une preuve claire et convaincante établissant le caractère inadéquat ou l’inexistence de la protection de l’État : Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 FCR 636 [Carrillo]. Une telle preuve doit être digne de foi et avoir une valeur probante; les demandeurs doivent « produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » : arrêt Carrillo, précité, au paragraphe 30.

 

[33]           La jurisprudence a établi que de sérieux efforts pour assurer la protection de l’État ne sont pas suffisants en l’absence d’une volonté ou de la capacité d’assurer une protection adéquate. La norme vise une protection adéquate et non parfaite. Or, la volonté seule ne suffit pas.

 

[34]           Comme l’a fait remarquer le juge Kelen dans Jaroslav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 634, au paragraphe 75 : « Les efforts sérieux faits par l’État en vue d’assurer une protection est un facteur pertinent, mais non déterminant, pour la question de savoir si la protection est adéquate. Cette protection n’a pas à satisfaire à une norme de perfection. »

 

[35]           Dans Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, au paragraphe 52, le juge Crampton a résumé l’approche comme suit :

[52]    En fonction de l’analyse qui précède des causes citées par les parties, je suis d’accord avec le défendeur que le droit établit maintenant clairement que le critère approprié pour évaluer la protection de l’État est de savoir si le pays est capable et désireux de fournir une protection adéquate. En bref, une personne qui demande à être protégée en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR doit établir, par une preuve claire et convaincante, selon la prépondérance des probabilités, l’incapacité ou l’absence de volonté de l’État de fournir une protection adéquate. Ce fardeau de la preuve demeure le même, peu importe le pays qui fait l’objet de l’évaluation, même si le fardeau de présentation requis pour réfuter la présomption de la protection de l’État adéquate augmentera avec le niveau de démocratie de l’État en question. (Carrillo, précité, aux par. 25 et 26.)

 

 

[36]           Dans Bledy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, [2011] ACF 358, au paragraphe 47, le juge Scott a déclaré :

[47]     Cependant, comme notre Cour l’a fait observer à maintes occasions, la simple volonté d’un État d’assurer la protection de ses citoyens ne suffit pas en soi à établir sa capacité de les protéger. La protection doit présenter un certain niveau d’efficacité : voir Burgos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1537, 160 ACWS (3d) 696; Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1183, paragraphe 32. Un demandeur peut donc réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État en démontrant soit qu’un État n’est pas disposé à lui offrir une protection suffisante, soit qu’il en est incapable : voir Cosgun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, paragraphe 52.

 

 

[37]           Bien que la Commission ait fait référence à la protection de l’État à maintes reprises et utilisé différentes formulations, lorsque les expressions « mesures sérieuses » et « efforts sérieux » sont lues dans leur contexte, il est clair que la Commission avait à l’esprit le critère approprié pour la protection de l’État, et savait que la capacité et la volonté de fournir une protection de l’État adéquate sont nécessaires. La Commission a appliqué le bon critère à la situation des demandeurs et évalué les efforts des demandeurs pour réfuter la présomption de l’État à la lumière de « l’éventail démocratique ».

 

[38]           Les demandeurs font valoir que les circonstances de la présente affaire sont très semblables à celles de Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 296 [Molnar], dans laquelle la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire. Dans Molnar, les demandeurs ont relaté plusieurs incidents de violence survenus au fil des ans. Les demandeurs avaient tenté de signaler un incident à la police, mais celle‑ci n’a pas voulu prendre leurs plaintes.

 

[39]           Dans Molnar, la juge Gagné a conclu que la Commission n’avait pas procédé à une analyse propre au cas et approfondie des éléments de preuve militant en faveur de la position du demandeur, et n’avait pas examiné la preuve variée, semblable à celle en l’espèce, en fonction de la situation du demandeur. Par conséquent, la juge Gagné a constaté qu’elle n’était pas en mesure d’établir si le tribunal avait omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents.

 

[40]           La présente affaire se distingue de Molnar. Les demandeurs ont signalé un incident à la police, et la police est venue sur les lieux et a pris les plaintes. En outre, la Commission a toujours tenu compte de la situation de ces demandeurs pour examiner s’ils avaient pris des mesures raisonnables pour réfuter la présomption de la protection de l’État compte tenu des éléments de preuve variés dont elle disposait. La Commission s’est largement appuyée sur les éléments de preuve étayant la position du demandeur ainsi que sur les éléments de preuve portant sur les initiatives entreprises pour contrer le racisme et la discrimination. Je ne peux conclure que la Commission a ignoré des éléments de preuve pertinents.  

 

[41]           La situation dépeinte dans les documents sur les conditions dans le pays en cause n’est pas à ce point sombre qu’elle donnerait à croire qu’aucun Rom, indépendamment de sa situation propre, ne devrait pas déployer des efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État avant de demander l’asile dans un autre pays.

 

Conclusion

[42]           La Commission a examiné la preuve documentaire abondante et contradictoire et tenu compte de la situation des demandeurs dans ce contexte. Bien que la jurisprudence de la Cour ait établi que la protection de l’État est inadéquate pour les Roms en Hongrie et que, par conséquent, le fardeau qui incombe aux demandeurs en question de réfuter la présomption de la protection de l’État est peu exigeant ou inexistant, chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres. De plus, le rôle de la Cour ne consiste pas à évaluer de nouveau la preuve ou à rendre la même décision que la Commission en l’absence d’une erreur de sa part. En l’espèce, la décision de la Commission, à savoir qu’une protection de l’État adéquate était offerte à ces demandeurs et que ces demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante, était raisonnable. La Commission n’a pas ignoré ou mal interprété la preuve dont elle disposait. Elle a examiné une multitude de documents, s’est appuyée sur des documents clés et a exposé ses conclusions de façon transparente pour appuyer la décision à laquelle elle était venue. 

 

[43]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est rejetée.

 

            2.         Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6803-12

 

INTITULÉ :                                      ROLAND KOTAI ET AL c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            La juge Kane

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maureen Silcoff

 

POUR LES DEMANDEURS

Ndija Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SILCOFF, SHACTER

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 


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