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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130619

Dossier : T-1421-12

Référence : 2013 CF 689

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

 

ENTRE :

 

BASIL MCALLISTER

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le TAC) rendue le 9 juillet 2012. Le TAC a refusé de réexaminer, en application du paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 (la Loi sur le TAC), la décision antérieure par laquelle un comité d’appel n’avait reconnu aucun droit à pension au demandeur au motif que les nouveaux éléments de preuve présentés par ce dernier n’étaient ni nouveaux ni crédibles.

 

Contexte

[2]               Le demandeur, M. Basil McAllister, a servi au sein des Forces armées canadiennes du 30 décembre 1954 au 1er janvier 1975. Pendant une bonne partie de cette période, il a travaillé et suivi des entraînements à la Base des Forces canadiennes (BFC) Gagetown, au Nouveau‑Brunswick.

 

[3]               En 1966 et en 1967, on a pulvérisé de l’agent Orange à la BFC Gagetown. D’après ses dossiers militaires, le demandeur y a suivi un entraînement sur le terrain pendant l’été 1967.

 

[4]               En 1994, un diagnostic d’adénocarcinome (cancer) de la prostate a été établi à l’égard du demandeur, alors âgé de 62 ans. Le 19 mai 2005, le demandeur a demandé à Anciens Combattants Canada (ACC) de lui verser des prestations d’invalidité au motif que son cancer de la prostate était lié à son service militaire, et plus particulièrement à l’exposition à l’agent Orange.

 

[5]               Le 21 mars 2006, la demande de pension d’invalidité présentée par le demandeur, en application du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P-6 (la Loi sur les pensions), a été rejetée. Le ministère des Anciens combattants (le MAC) a reconnu que le demandeur avait servi à la BFC Gagetown pendant l’une des périodes connues de pulvérisation d’agent Orange, et que la recherche médicale actuelle étayait l’hypothèse d’un lien entre l’exposition à l’agent Orange et l’adénocarcinome de la prostate. Le ministère a toutefois conclu qu’il n’y avait aucune preuve d’exposition du demandeur lui‑même à cette substance. On a informé le demandeur que la décision pouvait faire l’objet d’une révision, sur le fondement des nouveaux renseignements ou éléments de preuve qu’il pourrait fournir, et qu’il lui était ensuite possible d’interjeter appel de la décision alors rendue auprès du TAC. Le demandeur s’est prévalu de ces voies de recours.

 

[6]               Le 25 septembre 2008, un comité de révision du TAC a confirmé la décision du MAC (la décision du comité de révision). Le comité de révision a fait état des éléments de preuve qu’il avait pris en compte pour rendre sa décision. Il estimait que les études s’appuyant sur une analyse approfondie des tests de pulvérisation de l’agent Orange réfutaient la présomption d’exposition, la preuve ne démontrant rien de plus que la présence du demandeur à la BFC Gagetown pour y effectuer son service pendant la période pertinente. Le demandeur n’avait donc pas établi que son cancer de la prostate était consécutif ou rattaché directement à son service militaire.

 

[7]               Le comité de révision a déclaré qu’on avait effectué les tests de pulvérisation dans une zone éloignée et inutilisée de la base, que des signaleurs avaient été postés pour faire connaître aux hélicoptères la zone désignée de pulvérisation, que des officiers devaient s’assurer de la présence aux bons endroits des signaleurs et que, d’après les études effectuées, on ne s’était jamais servi après la pulvérisation des deux terrains touchés. Selon le rapport Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 1, rien ne laissait croire que même les personnes ayant participé directement aux tests (les chargeurs, pilotes, applicateurs et signaleurs) couraient un risque accru de problèmes de santé chroniques et irrémédiables. Quant aux personnes ayant suivi un entraînement près des deux sites, le taux d’exposition était suffisamment faible pour qu’on puisse conclure à l’absence d’un risque accru de maladies liées aux dioxines.

 

[8]               Le comité a par conséquent conclu qu’il n’y avait pas plus qu’une simple possibilité d’exposition véritable du demandeur à l’agent Orange pendant son service, et que cette possibilité ne suffisait pas pour établir son droit à pension sous le régime de la Loi sur les pensions. En outre, même s’il y avait eu une certaine exposition, le niveau de risque pouvant lui être attribué ne justifiait pas le versement d’une pension.

 

[9]               On a fait savoir au demandeur qu’en vertu de l’article 25 de la Loi sur le TAC, il pouvait en appeler de la décision auprès d’un comité du TAC s’il n’en était pas satisfait. Le demandeur a interjeté appel.

 

[10]           Le 11 août 2009, un comité d’appel du TAC a confirmé la décision d’ACC précédemment décrite ainsi que la décision du comité de révision (la décision du comité d’appel). Dans cet appel, le demandeur a présenté une déposition additionnelle du capitaine (à la retraite) James W. Bloomfield ainsi qu’un rapport du Dr Liam Hickey. Le comité d’appel a relevé que le droit à pension n’avait pas été reconnu parce que rien ne prouvait l’exposition du demandeur à l’agent Orange, et a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne réfutaient pas les objections soulevées dans la décision antérieure. Autrement dit, le demandeur n’avait présenté aucune preuve d’exposition directe à l’agent Orange.

 

[11]           Le comité d’appel a particulièrement relevé que le comité de révision a renvoyé au rapport Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 3 (en fait, c’est la partie 1 que le comité de révision a mentionnée). Le comité d’appel a en outre souligné que le demandeur avait 73 ans lorsque le diagnostic de cancer de la prostate a été posé, et que l’âge médian pour un tel diagnostic était de 72 ans chez la population générale. De plus, la seule étude scientifique permettant au comité d’appel d’évaluer le risque de contamination avait été parrainée par le gouvernement canadien, et aucune preuve documentée ne permettait au comité de croire que cette étude n’était pas crédible. Le comité d’appel a par ailleurs conclu qu’il ne pouvait s’appuyer sur l’avis du Dr Hickey pour faire un lien entre la maladie et le service militaire du demandeur parce que cet avis n’avait aucune valeur probante. Les statistiques figurant dans la lettre du capitaine James W. Bloomfield ne cadraient pas non plus avec la conclusion de l’étude parrainée par le gouvernement canadien. Le comité d’appel a confirmé les décisions antérieures et déclaré qu’aucune preuve n’établissait un lien entre le cancer de la prostate du demandeur et son service militaire.

 

[12]           Le demandeur a demandé un nouvel examen de la décision du comité d’appel, en application du paragraphe 32(1) de la Loi sur le TAC, en faisant valoir l’existence d’erreurs de fait et de droit. Le 29 mars 2010, un comité de nouvel examen du TAC a confirmé la décision du comité d’appel (la décision du premier comité de nouvel examen).

 

[13]           Le comité de nouvel examen a reconnu que le comité d’appel avait commis une erreur de fait dans sa décision en déclarant que le diagnostic de cancer de la prostate avait été établi lorsque le demandeur avait 73 ans, tandis qu’en fait, il était alors âgé de 62 ans. Le comité de nouvel examen a de plus reconnu qu’il ne pouvait trouver d’où le comité d’appel tenait que l’âge médian du diagnostic de cancer de la prostate était de 72 ans chez la population générale.

 

[14]           Le comité de nouvel examen n’a toutefois pas admis, comme le prétendait le demandeur, qu’une deuxième erreur de fait avait été commise. En effet, bien que le demandeur ait corroboré sa preuve antérieure par les déclarations de deux témoins confirmant qu’il avait passé beaucoup de temps dans les zones d’entraînement en 1967, immédiatement après la pulvérisation et peut‑être même pendant celle‑ci, le comité était d’avis, sur la foi du « rapport Furlong », que l’on n’avait pas eu accès aux zones de pulvérisation pour effectuer l’entraînement courant, et que seules les personnes directement exposées avaient pu courir un risque plus élevé.

 

[15]           Quant à la prétention du demandeur selon laquelle les deux erreurs de fait alléguées constituaient une erreur de droit, car elles réfutaient erronément la présomption, découlant de l’alinéa 21(3)g) de la Loi sur les pensions, d’existence d’un lien entre le cancer de la prostate du demandeur et son service militaire, le comité de nouvel examen a déclaré que rien selon lui ne venait l’étayer.

 

[16]           Le comité de nouvel examen était aussi en désaccord avec l’avis du Dr Liam Hickey et l’a rejeté. Le Dr Hickey a dit estimer qu’il y avait entre la maladie du demandeur et l’exposition à l’agent Orange un lien médical concordant avec les études du ministère de la Défense nationale (MDN). Le comité a déclaré que des circonstances très précises étaient requises pour qu’un lien puisse être établi et qu’au vu de la preuve disponible, ces circonstances n’étaient pas présentes en l’espèce.

 

[17]           Le demandeur a également produit le rapport rédigé par un oncologiste, le Dr Michael Sia, à l’égard d’un autre demandeur, un exemplaire de l’étude Chamie ainsi que trois décisions portant sur des faits similaires et où le TAC avait accordé une pension à des personnes qui avaient servi aux côtés du demandeur à Gagetown et qui souffraient d’une invalidité attribuable à l’exposition à l’agent Orange. Le comité de nouvel examen a dit ne pas pouvoir s’appuyer sur ces éléments de preuve parce que les circonstances variaient d’une affaire à l’autre, et que chaque cas doit être tranché selon les faits qui lui sont propres. Le comité a conclu qu’aucune preuve ne démontrait l’exposition directe du demandeur à l’agent Orange. Il a confirmé la décision du comité d’appel portant que le demandeur n’avait pas droit au versement de prestations de pension.

 

[18]           Sur le fondement du paragraphe 32(1) de la Loi sur le TAC, le demandeur a ensuite sollicité un deuxième nouvel examen en faisant valoir comme nouveaux éléments de preuve les déclarations de deux nouveaux témoins. Le 9 juillet 2012, un deuxième comité de nouvel examen a rejeté la demande du demandeur (la décision du deuxième comité de nouvel examen).

 

[19]           Le 23 juillet 2012, le demandeur a déposé un avis de demande par lequel il sollicitait le contrôle judiciaire de la décision du deuxième comité de nouvel examen. Cette dernière décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[20]           Le TAC a déclaré, dans la décision du deuxième comité de nouvel examen, que lorsqu’il s’agissait de se prononcer sur une demande de nouvel examen sur le fondement de nouveaux éléments de preuve, il fallait appliquer le critère en quatre volets prescrit par la Cour suprême du Canada dans R c Palmer, 106 DLR (3d) 212 (CSC) et adopté dans Mackay c Canada (1997), 129 FTR 286, [1997] ACF n° 495 [Mackay] et Canada (Avocat-conseil en chef des pensions) c Canada (Procureur général), 2006 CF 1317, [2006] ACF n° 1646 [Avocat-conseil en chef des pensions], conf. par 2007 CAF 298, en vue d’établir s’il convenait ou non d’admettre cette preuve :

i)          on ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite à une audience précédente;

 

ii)         la déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au sort de la cause;

 

iii)        la déposition doit être plausible, en ce sens qu’on peut raisonnablement y ajouter foi;

 

iv)        la déposition doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

 

[21]           Le demandeur a tenté de présenter les nouveaux éléments de preuve suivants en soumettant sa demande de deuxième nouvel examen :

a)         La déclaration qui suit du sergent à la retraite Gordon A. Gravelle (la déclaration de M. Gravelle) :

[traduction]

J’étais sergent de peloton du 7e peloton de la Compagnie C et le sergent Basil J. McAllister faisait partie du 12e peloton de la Compagnie D, qui se trouvait sur notre flanc droit lorsqu’on a pulvérisé l’agent Orange sur nous.

 

On nous avait ordonné auparavant d’utiliser des appareils de protection respiratoire et de porter des ponchos en vue de l’attaque. Cela est survenu lorsque le 2e Bataillon du Black Watch (RHR) du Canada était la force ennemie du 1er Bataillon du Black Watch (RHR) du Canada à l’été 1967.

 

b)         La déclaration du lieutenant-colonel à la retraite H. J. Harkes, MC, CD (la déclaration de M. Harkes) selon laquelle le demandeur était membre, à la BFC Gagetown, du bataillon de M. Harkes, le Black Watch (Royal Highland Regiment), que l’on avait chargé de concevoir et de mettre en oeuvre un programme d’entraînement devant préparer le 1er Bataillon du Black Watch à un déploiement de six mois à Chypre, et renfermant les précisions suivantes :

[traduction]

La partie pratique de l’entraînement comportait une série d’exercices sur le terrain menés dans le secteur d’entraînement de Gagetown […] L’entraînement a été couronné par un important exercice sur le terrain auquel ont participé presque tous les soldats des deux bataillons à la mi-juin 1967 – seulement quelques jours après la pulvérisation d’« agent Orange » sur des parties de la zone d’entraînement. M. McAllister, sergent de peloton de carabiniers à l’époque, a pris part à l’exercice. En outre, en tant que membre de l’état-major de contrôle pour l’exercice, il a dû se trouver dans la zone d’entraînement pendant les semaines précédant l’exercice final à des fins de reconnaissance et en vue des préparatifs requis pour assurer le caractère réaliste de l’entraînement.

 

Bien que je ne puisse pas déclarer en tant que témoin direct que M. McAllister a été en contact avec l’« agent Orange », ou qu’on a pulvérisé sur lui cette substance, je suis certain qu’il a dû se trouver dans la zone touchée, ou dans ses environs, les jours où on a procédé à la pulvérisation ou les jours qui immédiatement suivi.

 

[22]           Le TAC a dit estimer que le demandeur avait produit des éléments de preuve semblables dans le passé, notamment une lettre d’appui présentée au comité d’appel et des lettres de corroboration émanant de deux témoins et soumises au comité de premier nouvel examen. On attestait dans ces deux dernières lettres que le demandeur avait passé beaucoup de temps dans la zone d’entraînement immédiatement après, et peut-être même pendant, la pulvérisation d’agent Orange. Le TAC a cité le comité de premier nouvel examen, qui a dit dans sa décision comprendre que le rapport Furlong contredisait cette preuve, comme on y concluait qu’on n’avait pas eu accès aux zones de pulvérisation pour effectuer l’entraînement courant, et que seules les personnes directement exposées à l’agent Orange avaient pu courir un risque plus élevé. Le TAC a souscrit à cette conclusion.

 

[23]           Le TAC a conclu que les nouveaux éléments de preuve que le demandeur voulait présenter aux fins du deuxième nouvel examen n’étaient pas « nouveaux » parce qu’on y réitérait tout simplement les mêmes prétentions. Le TAC a déclaré qu’en ce qui concernait le second volet du critère applicable aux nouveaux éléments de preuve, soit la pertinence, les déclarations faites n’étaient pas plausibles quant à la question décisive de savoir si le demandeur avait été exposé directement ou non à l’agent Orange. Il n’était donc pas satisfait à ce critère.

 

[24]           Le TAC a également conclu que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas crédibles, et ne répondaient donc pas au troisième critère. Bien que M. Gravelle ait dit dans sa déclaration que le peloton du demandeur se trouvait [traduction] « sur notre flanc droit lorsqu’on a pulvérisé l’agent Orange sur nous », le TAC a dit estimer, sur la foi du rapport Furlong, que l’agent Orange n’avait jamais pulvérisé dans les zones d’entraînement, mais l’avait plutôt été à des endroits éloignés où l’on ne procédait à aucun entraînement. M. Harkes n’avait non plus fourni aucune preuve d’exposition directe à l’agent Orange dans sa déclaration, et ses souvenirs ne cadraient pas avec les conclusions du rapport Furlong.

 

[25]           Le TAC a conclu que les éléments de preuve présentés n’étaient ni nouveaux ni crédibles, et qu’ils n’étaient pas tels qu’on puisse penser qu’avec les autres éléments produits précédemment, ils auraient influé sur le résultat. Comme le demandeur n’avait pas satisfait aux critères énoncés dans la décision Mackay, précitée, le TAC a refusé de réexaminer la décision – par ailleurs définitive et exécutoire – du comité d’appel.

 

Questions en litige

[26]           Le demandeur se représente lui-même. Bien qu’il ne dise pas expressément quelles sont selon lui les questions en litige, son avis d’appel, son mémoire des faits et du droit et ses observations orales donnent à entendre que ces questions sont celles de savoir si le Tribunal a refusé erronément de reconnaître son droit à pension – compte tenu particulièrement du fait que d’autres ayant servi en même temps que lui à la BFC Gagetown ont reçu une pension –, a fait abstraction, à tort, de tous les éléments de preuve autres que le rapport Furlong, et a évalué erronément la crédibilité des nouveaux éléments de preuve qu’il avait proposés.

 

[27]           Selon les observations écrites du défendeur, la question en litige serait de savoir si le TAC a décidé de manière raisonnable que le demandeur n’avait pas droit à une pension aux termes de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions. Lorsqu’il a comparu devant moi, le défendeur a toutefois fait valoir que seul le caractère raisonnable de la décision du deuxième comité de nouvel examen était en litige dans la présente affaire.

 

[28]           À mon avis, les questions à trancher sont les suivantes :

a)         Quelle norme de contrôle s’applique-t-elle à la décision relative à un nouvel examen d’un comité d’appel du TAC?

 

b)         Le TAC a-t-il commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve et, en conséquence, de réexaminer la décision du comité d’appel?

 

Observations et analyse

Norme de contrôle

 

[29]           La Cour suprême du Canada a déclaré, dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 57, que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être effectuée dans tous les cas. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour chargée du contrôle peut adopter cette norme (arrêt Dunsmuir, précité; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 [Kisana], au paragraphe 18).

 

[30]           Selon la jurisprudence, la raisonnabilité est la norme de contrôle applicable à la décision d’un comité du TAC relative à un nouvel examen (Bullock c Canada (Procureur général), 2008 CF 1117 [Bullock], aux paragraphes 11 à 13; Rioux c Canada (Procureur général), 2008 CF 991 [Rioux], aux paragraphes 15 et 17; Dugré c Canada (Procureur général), 2008 CF 682 [Dugré]; Lenzen c Canada (Procureur général), 2008 CF 520). La question de l’application appropriée de l’article 39 de la Loi sur le TAC par un comité d’appel commande  également la norme de la raisonnabilité (Wannamaker c Canada (Procureur général), 2007 CAF 126 [Wannamaker], au paragraphe 13).  Ainsi, la norme de contrôle qui s’applique à l’espèce est celle de la décision raisonnable.

 

[31]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour n’interviendra que si la décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[32]           Lors d’un contrôle judiciaire, la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de toute décision d’un comité d’appel du TAC de ne pas réexaminer l’une de ses décisions (Furlong c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 731 [Furlong], au paragraphe 14).

 

Le TAC a-t-il commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve et, en conséquence, de réexaminer la décision du comité d’appel?

 

 

 

Position du demandeur

[33]           Le demandeur fait observer que le TAC a accordé des pensions d’invalidité, à des camarades ayant servi à ses côtés à la BFC Gagetown à l’époque pertinente, pour des cancers de la prostate ou d’autres problèmes de santé attribuables à l’exposition à l’agent Orange.

 

[34]           Selon le demandeur, le thème commun des refus opposés par le TAC est le prétendu manque de preuve quant à son exposition directe à l’agent Orange pendant son service militaire. Pourtant, dans neuf autres décisions où le TAC a conclu que les demandeurs avaient droit à une  pension, l’agent Orange n’avait été pulvérisé directement que sur un seul d’entre eux, un signaleur.

 

[35]           Le demandeur soutient que le TAC a refusé de façon inappropriée d’admettre ses nouveaux éléments de preuve en accordant un poids indu à certains éléments aux dépens d’autres qui étayaient sa demande. Le demandeur déclare que le TAC continue de rejeter sa demande uniquement sur le fondement du « rapport Furlong », qui renfermerait des erreurs et que le TAC aurait incorrectement interprété. Le TAC a plus précisément conclu, sur la foi de ce rapport, qu’on n’avait jamais pulvérisé d’agent Orange dans les zones d’entraînement, cette substance n’ayant été utilisée que dans des endroits éloignés où aucun entraînement n’avait lieu. Or, cela serait inexact et ne cadrerait pas avec ce qui est véritablement déclaré dans le rapport Furlong.

 

[36]           Non seulement les dépositions des personnes qui ont véritablement fait leur service à la BFC Gagetown sont crédibles, mais encore elles constituent une meilleure preuve, qu’il faudrait préférer. Selon le demandeur, le TAC rejette tous les éléments de preuve qu’il produit quant à son exposition à l’agent Orange parce que, selon son interprétation, le rapport Furlong contredit ses prétentions. Aux termes des articles 3 à 39 de la Loi, le TAC doit tirer de l’ensemble des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible au demandeur et trancher toute incertitude en sa faveur.

 

[37]           Le demandeur déclare que les nouveaux éléments de preuve devraient influer sur le résultat, puisqu’ils corroborent son exposition à l’agent Orange à Gagetown pendant l’été 1967. Dans sa déclaration, M. Gravelle confirme que de l’agent Orange a été pulvérisé sur son bataillon, alors qu’il flanquait celui de M. McAllister. Dans sa déclaration, M. Harkes confirme pour sa part le fait que leur entraînement a été couronné par un important exercice sur le terrain seulement quelques jours après la pulvérisation d’agent Orange dans une partie de la zone d’entraînement. La preuve soulève ainsi une incertitude quant à l’existence d’un lien entre l’invalidité du demandeur et son service militaire, qu’il faudrait trancher en faveur du demandeur conformément aux articles 3 et 39 de la Loi. Le demandeur affirme qu’il a donc droit à une pension en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions.

 

Position du défendeur

[38]           Le défendeur reconnaît que le demandeur a servi au sein du 1er Bataillon du Black Watch (RHR) et qu’il a pris part, dans le secteur d’entraînement de la BFC Gagetown, aux activités d’un programme de formation sur le terrain en vue du déploiement de soldats de maintien de la paix à Chypre. Le défendeur reconnaît également qu’au cours de l’été, en 1966 et en 1967, le demandeur a effectué sur le terrain de l’entraînement qui l’a obligé, pendant de longues périodes, à marcher, rouler, ramper sur le sol ainsi qu’à creuser le sol, et il reconnaît que le demandeur travaillait sur le terrain à la BFC Gagetown, du 14 au 16 juin 1966 et du 21 au 24 juin 1967, au moment où on y a pulvérisé de l’agent Orange.

 

[39]           Le défendeur soutient toutefois qu’il était raisonnable de la part du TAC de conclure que les nouveaux éléments de preuve n’étaient en fait ni nouveaux, ni crédibles. Ils n’étaient pas nouveaux puisque le demandeur avait présenté au premier comité de nouvel examen une preuve semblable où étaient formulées les mêmes prétentions. Ils n’étaient pas crédibles puisque le TAC avait conclu, sur la foi du rapport Furlong, qu’il n’y avait pas eu d’entraînement après la pulvérisation dans les zones d’entraînement pulvérisées d’agent Orange. Le TAC ne pouvait donc pas admettre les nouveaux éléments de preuve par lesquels on prétendait que la pulvérisation avait eu lieu au moment même (et très près du lieu) où le demandeur s’adonnait à des exercices sur le terrain.

 

[40]           La preuve médicale ne démontrait pas que le problème de santé du demandeur découlait de la pulvérisation d’agent Orange à la BFC Gagetown. La simple présence d’une personne à Gagetown pendant la mise à l’essai de l’agent Orange ne constitue pas une exposition lui faisant courir un risque accru de problèmes de santé chroniques et irrémédiables.

 

[41]           L’article 39 de la Loi « ne dispense pas le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension » (arrêt Wannamaker, précité, au paragraphe 5). Il n’en découle pas non plus l’obligation d’admettre automatiquement la preuve présentée, la demande d’un demandeur devant être étayée par une preuve crédible et raisonnable (Tonner c Canada (Ministre des Anciens combattants), [1995] ACF n° 550 [Tonner]).

 

[42]           Le défendeur fait valoir que, bien que le TAC soit tenu de tirer les conclusions les plus favorables possible au demandeur, les conclusions de fait tirées doivent se fonder sur « davantage qu’une simple possibilité » (Elliot c Canada (Procureur général), 2003 CAF 298, au paragraphe 46). Or, le demandeur n’a pas établi par prépondérance de la preuve qu’il souffre d’une invalidité découlant de son service militaire.

 

Analyse

[43]           Le présent contrôle judiciaire vise la décision du deuxième comité de nouvel examen du TAC de refuser de réexaminer, sur le fondement des nouveaux éléments de preuve soumis, la décision du 11 août 2009 du comité d’appel. La décision du deuxième comité de nouvel examen est la dernière d’une série de cinq décisions concernant le droit à la pension revendiqué par le demandeur. À titre de question préliminaire, il est donc nécessaire que la Cour établisse dans quelle mesure il lui est possible de prendre en compte les décisions antérieures pour évaluer la décision qui fait l’objet du contrôle.

 

[44]           Dans la décision Furlong, précitée, le juge Blanchard a déclaré (au paragraphe 17) que la ligne de démarcation entre la décision de refuser de réexaminer et une décision antérieure ne se tirait pas clairement puisqu’il « est de la nature même d’un réexamen de réexaminer rétrospectivement le fondement d’une décision antérieure ». Il a cité le juge Teitelbaum qui a donné à ce sujet, dans la décision Mackay, précitée, les explications suivantes :

[17]      […]

 

[…] En fait, dans un réexamen, le Tribunal est tenu d’examiner rétrospectivement le fondement de la décision antérieure. Dans la même ligne de pensée, dans une demande de contrôle judiciaire alléguant l’omission du TAC (R&A) de réexaminer une décision antérieure, la Cour doit également se pencher de façon rétrospective sur cette décision. Ainsi, en l’espèce, la Cour ne peut décider dans l’abstrait si, le 21 juin 1996, le TAC (R&A) a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. La Cour doit également accorder une certaine attention à la décision antérieure du TAAC en date du 19 janvier 1994, parce que celle-ci est contestée dans la procédure de réexamen du TAC (R&A).

 

Toutefois, je tiens à souligner qu’il n’appartient pas à la Cour, dans la présente instance, d’effectuer un contrôle judiciaire en règle de la décision du 19 janvier 1994 du TAAC. La validité de cette décision du 19 janvier 1994 ne peut à bon droit être contestée dans une procédure de contrôle judiciaire portant sur la décision du TAC (R&A) en date du 21 juin 1996, concernant le réexamen. La Cour n’a pas compétence pour annuler la décision antérieure. De par sa nature, le réexamen effectué en vertu de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est de nature rétrospective, mais on ne peut remonter indéfiniment le temps. […]

 

[Souligné dans l’original.]

 

[45]           Dans la décision Furlong, précitée, le juge Blanchard a souscrit à cette analyse et conclu que la Cour ne pouvait faire abstraction des décisions précédant la dernière décision rendue par le comité d’appel. Même si la Cour n’avait pas compétence pour annuler ces décisions antérieures parce qu’elles ne constituaient pas l’objet du contrôle judiciaire, elle était tout de même tenue de se pencher sur elles de manière rétrospective pour mieux apprécier le fondement de la décision faisant l’objet du contrôle.

 

[46]           On a également suivi la décision Mackay, précitée, dans Caswell c Canada (Procureur général), [2004] ACF n° 1655 [Caswell], où la Cour a tiré la conclusion suivante, au paragraphe 20 :

[20]      Par conséquent, pour que je puisse déterminer si le Tribunal a bien exercé sa compétence en vertu de l’article 111 de la Loi, je dois également examiner la décision antérieure rendue par le comité pour vérifier si des erreurs de droit ou de fait ont été commises lorsque la question de savoir si la preuve présentée par M. Caswell, à l’appui de sa demande de réexamen, constituait réellement une nouvelle preuve, a été analysée. Pour décider si le Tribunal a évalué convenablement les motifs du comité, il faut examiner ces motifs. Il me semble que la Cour, à titre d’instance révisionnelle de la décision du Tribunal, doit être dans la même position qu’était le Tribunal lorsqu’il s’est penché sur la décision du comité et elle ne peut l’être sans examiner aussi les motifs du comité. Si elle ne procédait pas ainsi, la Cour n’aurait pas une vision complète de la situation et ne serait pas en mesure de rendre une décision sur le fond.

 

[47]           En l’espèce, la Cour doit par conséquent examiner la décision du premier comité de nouvel examen et la décision du comité d’appel pour bien comprendre le fondement de la décision du deuxième comité de nouvel examen et établir si le TAC a commis des erreurs de droit ou de fait lorsqu’il a évalué si la preuve soumise par le demandeur au soutien de sa demande d’un deuxième nouvel examen consistait, véritablement, en de nouveaux éléments de preuve.

 

[48]           Comme deuxième point préliminaire, il est bien établi en droit que, dans une demande de contrôle judiciaire, les seules pièces que la Cour doit considérer sont celles dont le comité disposait pour rendre la décision qui fait l’objet du contrôle (Première nation d’Ochapowace c Canada (Procureur général), 2007 CF 920, au paragraphe 9; Ray c Canada, 2003 CAF 317, aux paragraphes 5 à 7). Par conséquent et conformément à ce que j’ai dit au demandeur à l’audience, la Cour ne peut prendre en compte les documents additionnels qu’il a déposés mais dont le TAC ne disposait pas, soit son propre affidavit daté du 8 août 2012 et l’affidavit du  12 octobre 2012 du sergent David Tucker, CD, à la retraite.

 

[49]           Quant à l’examen sur le fond de la présente demande, disons d’abord que la décision du comité d’appel est, aux termes de l’article 31 de la Loi sur le TAC, définitive et exécutoire. Le TAC peut toutefois réexaminer sa décision de son propre chef s’il constate qu’a été commise une erreur de droit, de fait ou de fait et de droit, ou sur demande, si l’auteur de la demande  allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

 

[50]           Dans sa demande de réexamen au deuxième comité de nouvel examen, le demandeur a invoqué comme fondement de sa demande l’existence de nouveaux éléments de preuve. Il n’a allégué aucune erreur de fait ou de droit. Le demandeur a fait valoir que le TAC avait continué à refuser son droit à pension au motif qu’on ne lui avait présenté aucune preuve de son exposition directe à l’agent Orange, et que les nouveaux éléments de preuve, soit les déclarations de MM. Gravelle et Harkes, étayeraient ses prétentions.

 

[51]           Étant donné le fondement de la demande de nouvel examen, le TAC a eu raison d’appliquer le critère en quatre volets relatif aux nouveaux éléments de preuve décrit dans la décision Mackay, précitée. La Cour doit examiner l’application de ce critère par le TAC.

 

[52]           Comme je l’ai déjà mentionné, pour satisfaire au troisième volet du critère relatif à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve, il faut que les nouveaux éléments proposés soient plausibles, autrement dit qu’ils soient raisonnablement dignes de foi. Le TAC a conclu que les nouveaux éléments de preuve proposés, les déclarations de MM. Gravelle et Harkes précédemment décrites, n’étaient pas crédibles. Me fondant sur le dossier qui m’a été présenté et en gardant présent à l’esprit les principes se dégageant des articles 3 et 39 de la Loi sur le TAC, j’estime que le TAC a conclu erronément que les nouveaux éléments de preuve proposés n’étaient pas crédibles en raison de leur apparente incompatibilité avec le « rapport Furlong ».

 

[53]           La position adoptée par le TAC tout au long du processus d’examen et d’appel relatif au droit à pension du demandeur a essentiellement été que le « rapport Furlong » contredisait toute preuve d’exposition du demandeur à l’agent Orange. Selon le TAC, il était déclaré dans le rapport Furlong qu’on n’avait pas eu accès aux zones de pulvérisation pour effectuer l’entraînement courant et que seules les personnes directement exposées avaient pu courir un risque plus élevé. Sur ce fondement, le TAC a continuellement rejeté tous les éléments de preuve présentés par le demandeur pour démontrer son exposition à l’agent Orange.

 

[54]           Je suis toutefois incapable de trouver un document intitulé le « rapport Furlong » dans le dossier qu’on m’a présenté, le même peut-on présumer que celui dont le TAC disposait. Il y avait dans  le dossier la version papier d’une page Web de la Défense nationale et des Forces canadiennes intitulée « Sommaire du projet, Tâche 2A : Historique de l’utilisation d’herbicides à la BFC de Gagetown de 1952 à aujourd’hui », le « Sommaire du projet, Tâche 2B : Évaluation environnementale des sites à la BFC de Gagetown, N.‑B. »; le « Sommaire du rapport, Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 1 : Évaluation des risques pour la santé humaine découlant d’expositions passées à des contaminants associés aux essais américains de défoliants en 1966-1967 à la BFC Gagetown »; le « Sommaire du rapport, Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 2 : Évaluation des risques toxicologiques afférents à l’exposition aux opérations de pulvérisation d’herbicides à des fins professionnelles ou connexes, à la BFC Gagetown – Volet 2 – impuretés de la fabrication (contaminants) » (collectivement, ER – M2 de la décision du comité de révision); le « Sommaire du rapport, Tâche d’établissement des faits 3A-2 : Évaluation des risques pour la santé humaine liés aux expositions courantes à des dioxines à la BFC Gagetown »; le « Sommaire du rapport, Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 3 » (collectivement, ER-M3 de la décision du comité de révision).

 

[55]           Je ne puis trouver aucune citation précise, ni dans ces documents ni ailleurs au dossier, étayant la position adoptée par le TAC, selon laquelle le « rapport Furlong » avait conclu que les militaires n’avaient pas eu accès aux zones de pulvérisation d’agent Orange pour effectuer l’entraînement courant.

 

[56]           Le rapport Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 1, cité dans la décision du comité de révision, indique qu’il met l’accent sur les contaminants se trouvant dans les produits testés par l’armée américaine en 1966 et en 1967. On y déclare aussi que le département américain de la Défense a testé à des fins militaires des produits chimiques défoliants dans deux terrains très boisés à la BFC Gagetown, une description très détaillée en étant donnée dans le rapport Tâche d’établissement des faits 2A. Dans ce dernier document, qui figure dans le dossier qui m’a été présenté, il est uniquement indiqué qu’en plus du programme annuel de désherbage mis en œuvre à la BFC Gagetown, « on a procédé à des essais visant à vérifier l’efficacité de différents herbicides sur des petites bandes de terre des champs de tir du secteur d’entraînement en 1966, 1967 et en 1990 » (non souligné dans l’original). La Direction des forêts du Service canadien des forêts a mis à l’essai certains produits en 1966 et en 1967, et les mêmes années mais en des lieux différents, le ministère américain de la Défense a lui aussi procédé à des essais distincts, visant notamment l’agent « Orange », ainsi que les agents « Purple » et « White ».

 

[57]           Dans le document Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 1, tel qu’il y était déclaré, on a mis l’accent sur certains contaminants – dioxines et hexachlorobenzène – se trouvant dans les produits testés par l’armée américaine en 1966 et en 1967. On a évalué les risques courus par les préposés au mélange et au chargement, les applicateurs, les signaleurs, les observateurs pour l’après-application et les militaires en entraînement sur le terrain. On a défini ces derniers comme des « militaires qui peuvent avoir suivi un entraînement à proximité des zones de pulvérisation, durant et après la pulvérisation » (non souligné dans l’original). Malgré cette définition, on a déclaré à la section 5.0, intitulée « Évaluation de l’exposition » : « Nous avons par ailleurs supposé que les militaires en entraînement qui ont participé à des exercices dans cette zone après la pulvérisation ont subi une exposition de plus longue durée » (non souligné dans l’original). Cela donnerait aussi à croire que, en contradiction avec la conclusion tirée par le TAC, le personnel militaire avait bien accès pour l’entraînement aux zones de pulvérisation.

 

[58]           Quant aux risques d’exposition aux dioxines dans le cadre des « activités normales », on déclare ce qui suit dans le rapport Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 1 : 

     Les expositions de courte durée qui ont été estimées pour les personnes ayant participé directement aux essais de produits chimiques (préposés au mélange et au chargement, pilotes, applicateurs, observateurs) ne semblent pas indiquer qu’ils aient couru un risque accru d’effets irréversibles à long terme sur la santé. […]

 

     Les expositions de plus longue durée estimées après les pulvérisations chez les militaires qui se sont entraînés à l’intérieur ou à proximité des zones de pulvérisation en 1966 ou 1967 étaient assez faibles de sorte qu’aucun risque accru de maladies liées aux dioxines n’est prévu.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[59]           On déclare ce qui suit quant aux risques d’exposition par suite d’« expositions accidentelles » :

     Des accidents, comme des déversements ou d’autres incidents, peuvent avoir exposé certaines personnes à des concentrations plus élevées. Ces personnes pourraient avoir une charge corporelle en dioxines élevée après l’accident.

 

     Bien qu’on ne soit pas sûr encore s’il y a eu des accidents durant les périodes de pulvérisation en 1966 et 1967 et bien que des charges corporelles élevées ne signifient pas nécessairement qu’il en résulterait des effets indésirables sur la santé, des enquêtes plus poussées, notamment une évaluation de la charge corporelle ou une étude épidémiologique, devraient être effectuées.

 

[60]           Encore une fois, cela laisserait tout au moins croire que des militaires ont pu faire de l’entraînement dans les zones de pulvérisation de l’agent Orange en 1966 et en 1967, et ainsi être exposés à des contaminants.

 

[61]           Puisque dans le rapport Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 2, on se penche principalement sur les contaminants dans tous les herbicides pulvérisés à la BFC Gagetown entre 1952 et  2004 (impuretés de fabrication), et dans le rapport Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 3, sur les principes actifs dans tous les herbicides pulvérisés à la BFC Gagetown de 1952 à nos jours, on peut présumer que le document pertinent, aux fins des décisions du TAC relatives au demandeur, a été le rapport Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 1, cité précédemment.

 

[62]           L’avocate du défendeur n’a pu me renvoyer à aucun document dans le dossier où l’on disait que l’accès aux zones de pulvérisation n’était pas possible pour effectuer l’entraînement courant. L’avocate m’a renvoyée à la définition de « militaires en entraînement » dans le rapport Tâche d’établissement des faits 3a 1, partie 1, précédemment cité, et a laissé entendre qu’on pouvait en déduire que les militaires en entraînement n’avaient pas accès aux zones de pulvérisation. Je ne partage pas son avis.

 

[63]           Au vu du dossier qui m’a été présenté, la preuve n’étaye pas l’affirmation du TAC selon laquelle on avait conclu dans le « rapport Furlong » que jamais de l’agent Orange n’avait été pulvérisé dans les zones d’entraînement, mais bien seulement dans des endroits éloignés où l’on ne procédait à aucun entraînement. Il était par conséquent déraisonnable de la part du TAC de conclure que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas crédibles, et donc pas admissibles, parce qu’ils étaient contredits par le rapport Furlong. En outre, les éléments de preuve exclus sont pertinents, de sorte que, si l’on y ajoute foi, on peut raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits par le demandeur, ils auraient influé sur le résultat.

 

[64]           Par conséquent, le TAC a commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve, et de réexaminer la décision du comité d’appel.

 

[65]           La demande est accueillie, la décision du deuxième comité de nouvel examen est annulée et l’affaire est renvoyée à un comité différemment constitué du TAC pour qu’il rende une nouvelle décision. Le demandeur a droit aux dépens (Yu c Canada (Procureur général), 2011 CAF 42), fixés à 500 $.

 


JUGEMENT

 

LA COUR accueille la présente demande.  La décision du 9 juillet 2012 du TAC est annulée, et l’affaire est renvoyée à un comité différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision. Le demandeur a droit à ses dépens, fixés à 500 $.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE A

 

 

(A) Dispositions législatives pertinentes

[1]               L’article 2 et les alinéas 21(2)a) et 21(3)g) de la Loi sur les pensions, LRC, 1985, c P16, ainsi que les articles 3, 31et 39 et le paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 [la Loi sur le TAC] s’appliquent à la présente demande et sont reproduits dans la présente annexe.

 

(i) Loi sur les pensions

Règle d’interprétation

 

2. Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

 

[…]

 

Construction

 

2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

 

 

[…]

 

 

21. […]

 

Milice active non permanente ou armée de réserve en temps de paix

 

(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

 

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

[…]

21. […]

 

Service in militia or reserve army and in peace time

 

 

(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

 

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I.

 

[…]

 

Présomption

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), une blessure ou maladie — ou son aggravation — est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

 

 

 

 

 

[…]

 

g) de l’exercice, par le membre des forces, de fonctions qui ont exposé celui-ci à des risques découlant de l’environnement qui auraient raisonnablement pu causer la maladie ou la blessure ou son aggravation.

 

Presumption

 

(3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

 

[…]

 

(g) the performance by the member of any duties that exposed the member to an environmental hazard that might reasonably have caused the disease or injury or the aggravation thereof.

 

 

(ii) Loi sur le TAC

Principe général

 

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

 

 

[…]

Construction

 

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

[…]

 

Règles régissant la preuve

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui‑ci;

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

Rules of evidence

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1421-12

 

INTITULÉ :                                      BASIL MCALLISTER c PGC

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Fredericton

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Basil McAllister

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Nicole Arsenault

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Basil McAllister

 

POUR SON PROPRE COMPTE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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