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Date : 20130620

Dossier : IMM-9106-12

Référence : 2013 CF 690

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 juin 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

AJAY KUMAR BABU

 

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Babu est citoyen du Pakistan. Trois fois au cours des cinq dernières années, il a tenté sans succès d’obtenir un permis d’études au Canada. La demande la plus récente, datée du 7 mai 2012, a été rejetée parce que l’agent n’était pas convaincu que M. Babu [traduction] « quitter[ait] le Canada à la fin de [son] séjour ».

 

[2]               La lettre‑type de refus envoyée à M. Babu énonce les motifs de refus de l’agent, qui vont comme suit :

[traduction][x]        Vous ne m’avez pas convaincu que vous quitteriez le Canada à la fin de votre séjour. Avant de rendre cette décision, j’ai pris en considération plusieurs facteurs, dont :

            …
[x] les perspectives d’emploi limitées dans votre pays de résidence
[x] votre situation d’emploi actuelle
[x] les biens que vous possédez et votre situation financière.

 

[3]               Les notes inscrites par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas nous éclairent davantage sur ses motifs :

Recherche : faite.  Homme célibataire de 22 ans souhaitant suivre une formation technique de 2 ans en informatique au collège Fanshawe. Le DP [M. Babu] s’est vu refuser un PE [permis d’études] en 2008 et en 2009, lorsqu’il voulait suivre une formation similaire au collège Humber. PA est soutenu par son oncle du côté maternel, qui est un CC [citoyen canadien]. Une preuve de fonds suffisants et une preuve de filiation ont été présentées pour le parrain. Dans une lettre datée du 9 avril 2012, PA affirme être diplômé de l’université de Karachi et avoir plusieurs diplômes en informatique, mais les attestations d’études au dossier indiquent que PA a terminé des études secondaires supérieures en 2008 et qu’il a obtenu divers certificats auparavant. Il y a un certificat décerné par le Zealian Coaching & Computer Centre, mais l’année de fin des études n’est pas mentionnée. La représentante de PA écrit que celui‑ci pourrait obtenir au Canada une éducation supérieure à ce qui est offert au Pakistan. C’est peut‑être exact, mais cela n’explique pas pourquoi PA n’a pas fait d’études dans le domaine qui l’intéresse depuis la fin de ses études secondaires, en 2008. PA affirme dans sa demande qu’il a travaillé à titre de chargé de comptes-clés entre janvier 2009 et février 2010, et à titre de responsable d’exploitation depuis mars 2010, sauf qu’il n’a fourni aucune lettre d’emploi ni aucune autre preuve d’emploi. Ses relevés bancaires personnels font état de maigres économies, et aucun dépôt de paye n’y figure. À la lumière des renseignements au dossier, il semble que PA n’ait pas fait d’études depuis la fin du secondaire, en 2008, il n’a pas fourni de preuve d’emploi, et a de maigres économies. Si le parrain de PA au Canada a suffisamment d’argent pour soutenir PA, je ne suis pas convaincu que ce dernier a établi un niveau suffisant d’établissement ou d’attaches au Pakistan qui l’inciterait à quitter le Canada avant la fin de la période de séjour autorisée. Demande rejetée.

 

[4]               C’est l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], qui prévoit que le demandeur d’un permis d’études établisse qu’il « quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable », et en vertu de quoi l’agent a refusé la demande de permis d’études de M. Babu.

 

Questions en litige

[5]               Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.            Est-ce que l’agent des visas a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant de prendre en considération la totalité des éléments de preuve?

2.            Est-ce que l’agent des visas a commis une erreur susceptible de contrôle en appréciant de manière déraisonnable les attaches du demandeur au Pakistan?

[6]               Les parties s’entendent sur le fait que la raisonnabilité est la norme de contrôle.

 

Analyse

Omission de tenir compte d’éléments de preuve

[7]               Le demandeur soutient que l’agent a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, à savoir que M. Babu n’avait pas d’attaches solides au Pakistan – ce qu’il a déterminé sans avoir tenu compte des documents présentés à l’appui de la demande de permis d’études. En particulier, M. Babu affirme avoir mentionné, dans sa demande de permis d’études, qu’il vit dans une maison avec tous les membres de sa famille immédiate, au Pakistan; que son père est propriétaire de biens immobiliers au Pakistan et qu’il attend de lui, son seul fils, qu’il rentre au Pakistan pour veiller sur lui et sur ses biens quand il sera vieux; que son soutien financier au Canada, son oncle du côté maternel, a affirmé vouloir financer ses études et s’attendre à ce qu’il rentre au Pakistan pour prendre soin de sa mère malade; qu’il était le principal responsable du soutien de ses parents, dont il est leur seul fils, soulignant que sa mère avait subi un pontage coronarien en mars 2012. 

 

[8]               L’agent n’ayant mentionné aucun de ces éléments dans ses motifs ou dans les notes, il est affirmé que [traduction] « l’agent a tiré sa conclusion sans tenir compte de la preuve ».

 

[9]               Il serait préférable qu’un agent souligne les aspects les plus importants qui favorisent ou défavorisent la délivrance du permis demandé. Néanmoins, je ne qualifierais pas la décision de la même façon que le demandeur. 

 

[10]           Si l’agent n’a pas mentionné expressément ces attaches au Pakistan dans ses notes, il n’a pas conclu que le demandeur n’avait pas d’attaches au Pakistan. Il a plutôt conclu : [traduction] « [J]e ne suis pas convaincu que ce dernier a établi un niveau suffisant d’établissement ou d’attaches au Pakistan qui l’inciterait à quitter le Canada pendant la période de séjour autorisée. » [Non souligné dans l’original]. Je ne suis donc pas convaincu que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve, comme l’affirme le demandeur. Cela dit, il reste à savoir si, selon la prépondérance des probabilités, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, ce qui nous amène à la deuxième question en litige dans la présente demande.

 

Raisonnabilité de la conclusion

[11]           Le demandeur affirme que différentes conclusions tirées par l’agent pour justifier sa décision finale en vertu de l’alinéa 216(1)b) du Règlement sont déraisonnables.

 

[12]           Premièrement, il affirme que l’agent a fait la même erreur que celle décrite dans Obot c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 208, au paragraphe 20, où la Cour, fait‑il valoir, [traduction] « a affirmé qu’il était déraisonnable de la part de l’agent des visas de s’attendre à ce qu’un étudiant de 25 ans ait une conjointe, des enfants ou des biens » ou des économies importantes [traduction] « que ce soit dans son pays de citoyenneté ou ailleurs ».

 

[13]           Selon moi, le cas qui nous intéresse est différent de l’affaire Obot. M. Obot a été étudiant jusqu’au moment de présenter sa demande de permis d’études, c’est pourquoi le juge Mosley a dit « il est donc normal qu’il n’ait pas [traduction] “de conjointe, d’enfants ou de biens” » : voir paragraphe 20. Bien qu’il soit plus jeune, M. Babu n’a quant à lui été inscrit à aucun programme d’études depuis 2008, c’est donc dire qu’il s’est écoulé environ quatre ans avant qu’il présente sa troisième demande de permis d’études, et il a affirmé dans sa demande qu’il avait travaillé sans interruption entre janvier 2009 et le moment où il a présenté sa troisième demande. 

 

[14]           Dans le cas qui nous intéresse, l’agent a examiné l’établissement financier de M. Babu en tenant compte des circonstances et, selon moi, le raisonnement de l’agent n’est en rien déraisonnable quand il mentionne que l’absence apparente d’économies ou de biens immobiliers de M. Babu au Pakistan, en dépit du fait qu’il y aurait travaillé environ trois ans et demi, a joué contre lui parce que cela témoignait d’un faible niveau d’établissement ou d’intention d’établissement au Pakistan.

 

[15]           Deuxièmement, le demandeur affirme que [traduction] « la conclusion implicite de l’agent selon laquelle [il] aurait fait des études postsecondaires en TI au Pakistan s’il avait été un étudiant de bonne foi est déraisonnable et illogique ». En effet, le demandeur souhaite depuis longtemps faire des études postsecondaires au Canada (comme en témoignent les deux autres demandes de permis présentées auparavant), parce que [traduction] « il est impossible pour lui, qui est de confession hindoue, qui n’est pas très riche et qui n’a pas de contacts politiques, d’obtenir une attestation d’études qui lui permettrait d’améliorer nettement ses perspectives d’emploi [et] [d]onc, il misait sur la possibilité de faire des études postsecondaires au Canada plutôt qu’au Pakistan ».

 

[16]           Selon moi, ni l’un ni l’autre des arguments n’est convaincant ou ne démontre que la décision de l’agent est déraisonnable. Selon le demandeur, [traduction] « étant donné qu’il a toujours poursuivi le rêve d’étudier au Canada, il n’est pas étonnant qu’il n’ait pas fait d’études postsecondaires au Pakistan », mais l’agent avait le droit de privilégier une autre explication, à savoir que M. Babu ne souhaite pas vraiment faire d’études en TI. Le second argument du demandeur, soit que M. Babu ne pourrait obtenir d’attestations d’études valables au Pakistan parce qu’il est de confession hindoue et qu’il [traduction] « n’est pas très riche et n’a pas de contacts politiques » n’est qu’une affirmation non étayée par quelque élément de preuve au dossier. Par exemple, ni M. Babu ni aucun élément de preuve dont disposait l’agent n’a fait mention de tentatives infructueuses d’admission dans un collège ou une université de prestige du Pakistan, et encore moins du fait que la confession hindoue de M. Babu ou toute autre raison puissent raisonnablement être mises en cause dans ces échecs. 

 

[17]           Cela dit, selon un élément de preuve dont disposait l’agent, les hindous sont généralement victimes de discrimination au Pakistan. Il convient toutefois de se demander si, en soi, cela ne constitue pas un facteur jouant contre la probabilité que le demandeur rentre et appuyant la décision de l’agent selon laquelle, comme il est mentionné dans la lettre de refus, les perspectives d’emploi de M. Babu n’étaient pas bonnes. Quoi qu’il en soit, si M. Babu avait vraiment voulu étudier dans une université prestigieuse du Pakistan mais qu’il en avait été empêché, il ne serait pas déraisonnable de s’attendre à avoir une quelconque preuve de tentative d’admission infructueuse, ou à tout le moins un élément de preuve portant directement sur les admissions et démontrant qu’il est vain pour un hindou de présenter une demande d’admission dans un établissement d’enseignement de la sorte. 

 

[18]           Plus encore, M. Babu a 45 000 $ à sa disposition pour étudier dans un programme de deux ans au Canada; on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que cette somme plutôt importante puisse se traduire par une bonne occasion d’études au Pakistan, jusqu’à preuve du contraire. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un motif expressément mentionné par l’agent, la Cour suprême du Canada, dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, a demandé aux instances révisionnelles de chercher à compléter les motifs avant de tenter de les contrecarrer et de se pencher à cette fin non seulement sur les motifs présentés à l’appui d’une conclusion, mais également ceux [traduction] « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » [non souligné dans l’original] : aux paragraphes 11 et 12.

 

[19]           Enfin, le demandeur affirme que, pour deux motifs, l’agent a indûment omis de tenir compte de ses attaches familiales au Pakistan avant de conclure qu’il n’avait pas [traduction] « établi un niveau suffisant d’établissement ou d’attaches au Pakistan qui l’inciterait à quitter le Canada avant la fin de la période de séjour autorisée ». Premièrement, comme dans Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1493, M. Babu a présenté des éléments de preuve selon lesquels lui et sa famille prévoyaient qu’il rentre au Pakistan après ses études.  Deuxièmement, comme dans Hara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 263, tous les membres de la famille immédiate de M. Babu vivent au Pakistan et, comme il est le seul fils, on attend de lui qu’il soit le principal responsable des affaires de son père.

 

[20]           Il n’est pas contesté que certains facteurs donnaient à penser qu’il rentrerait au Pakistan et que, selon ces facteurs, il aurait pu obtenir le permis. Toutefois, il est impossible de faire ressortir des faits ou des facteurs particuliers qui permettent au demandeur d’affirmer que l’évaluation faite par l’agent est déraisonnable; au contraire, la décision de l’agent en vertu de l’alinéa 216(1)b) doit être examinée à la lumière de l’ensemble du dossier. Dans le cas qui nous intéresse, les facteurs n’allaient pas tous dans le même sens. Eu égard aux facteurs négatifs, M. Babu n’avait pas démontré qu’il avait fait des études supérieures dans le domaine qui l’intéressait au Pakistan et il n’avait pas donné d’explications particulièrement convaincantes pour justifier cette situation; M. Babu avait travaillé pendant plus de trois ans, mais il avait peu d’économies et ne possédait pas de bien immobilier; M. Babu n’était pas marié et il n’avait pas d’enfants, si bien qu’il était probablement plutôt mobile; de plus, il est vrai que la situation est plutôt sombre au Pakistan pour les hindous comme lui. Eu égard aux facteurs positifs, la famille de M. Babu attendait de lui qu’il rentre au Pakistan; la famille immédiate de M. Babu était au Pakistan; enfin, M. Babu a affirmé dans une lettre adressée à sa représentante en immigration et conseil actuel qu’il avait l’intention de rentrer au Pakistan.

 

[21]           La tâche de l’agent des visas en vertu de l’alinéa 216(1)b) du Règlement est énoncée de telle sorte que la Cour doit permettre une grande marge de manœuvre pour la détermination de conclusions aux termes de cette disposition. En outre, eu égard aux contrôles judiciaires reposant sur la norme de la raisonnabilité, la Cour n’a pas la compétence ou le rôle de prendre la place de l’agent et d’apprécier à nouveau la preuve, mais bien de se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. L’agent n’était pas obligé de préférer l’affirmation de M. Babu et les attentes de sa famille, selon lesquelles il rentrerait au Pakistan et ne resterait pas plus longtemps que le permis d’études le lui permettrait, et il avait le droit d’accorder plus de poids aux facteurs qui donnaient à penser qu’il avait peu d’intérêt à rentrer.

 

[22]           Pour ces motifs, la présente demande est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : La demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9106-12

 

 

INTITULÉ :                                      AJAY KUMAR BABU  c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 juin 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Zinn

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantal Desloges

 

 

POUR LE DEMANDEUR

David Joseph  

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CHANTAL DESLOGES   

PROFESSIONAL CORPORATION

Toronto (Ontario)

 

                   POUR LE DEMANDEUR

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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