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Date : 20130624

Dossier : T-1746-12

Référence : 2013 CF 703

Toronto (Ontario), le 24 juin 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

1148902 ONTARIO LIMITED

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

aGISSANT AU NOM DU

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La société demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 27 janvier 2012 par laquelle le gestionnaire du Programme d’allègement pour les contribuables à la Division des appels de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a rejeté sa demande d’allègement de 9 000 $ en intérêts et pénalités, en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch. 1 (5e suppl.).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, cette demande est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

 

Contexte

[3]               La société demanderesse est détenue et contrôlée exclusivement par son unique employé, James Sadler. Déjà le 19 juillet 2002, l’ARC expliquait au comptable de la demanderesse que le revenu de M. Sadler devait être déclaré sur un feuillet T4 en tant revenu d’employé et que la demanderesse devait donc effecteur des remises aux titres de l’impôt sur le revenu et du Régime de pensions du Canada (RPC). Le comptable de la demanderesse, M. Sinclair, a apparemment convenu avec l’ARC qu’il se chargerait de remplir les feuillets T4 pour l’année 2002. Or, pour les années 2002, 2003 et 2004, contrairement à ce que le comptable avait dit à l’ARC le 19 juillet 2002, la demanderesse a traité M. Sadler comme un entrepreneur indépendant et n’a ni retenu à la source ni versé en son nom ses impôts sur le revenu et sa contribution au RPC et n’a pas rempli de feuillet T4. Monsieur Sadler a plutôt réglé ses impôts et sa contribution au RPC dans sa déclaration de revenu de particulier.

 

[4]               Le 4 novembre 2005, l’ARC a effectué un examen des comptes de fiducie de la demanderesse pour les années d’imposition 2002, 2003 et 2004. L’ARC a établi une cotisation à l’égard de la demanderesse parce que les revenus de M. Sadler étaient en fait des revenus d’emploi T4, ajoutant également une pénalité pour production tardive en raison de l’erreur dans sa déclaration. Le comptable de la demanderesse a indiqué à l’ARC qu’il avait l’intention d’interjeter appel de la cotisation.

La demande d’allègement

[5]               Le 11 janvier 2011, la demanderesse a présenté à de l’ARC une demande d’allègement pour les contribuables d’un montant de 9 000 $, qui était censé représenter la somme de la pénalité et des intérêts découlant de l’examen des comptes de fiducie effectué en 2005. Les paragraphes qui suivent expliquent ce qui s’est passé entre 2005 et 2011.

 

[6]               Dans le formulaire de demande d’allègement, M. Sadler a coché la case du formulaire intitulée « Autres circonstances exceptionnelles » sous l’instruction commençant par les mots « Indiquez la ou les raisons pour lesquelles vous présentez une demande […] »; les raisons exactes pour lesquelles l’allègement était demandé figuraient dans la partie narrative du formulaire :

[traduction]
1) J’ai reçu un chèque de 8 541 $ de l’ARC daté du 2 décembre 2010 à titre de remboursement d’impôt; Réf. no […];

 

2) Ce remboursement concernait des cotisations au RPC payées personnellement pour les années 2002, 2003, et 2004;

 

3) La contribution au RPC due par l’entreprise pour les années 2002, 2003 et 2004 a été payée à l’ARC le 8 décembre 2010; 7 668,04 $ […];

 

4) L’ARC m’a imposé une pénalité de 9 000 $ CAN pour la contribution au RPC due par l’entreprise pour les années 2002, 2003 et 2004. Toutefois, ces cotisations ont été payées et je demande maintenant à l’ARC de rembourser la pénalité de 9 000 $ CAN qui a été payée à l’ARC.

 

[7]               Le 3 février 2011, l’ARC a rejeté la demande d’allègement fiscal. L’ARC a motivé sa décision comme suit :

[traduction]
Un examen de l’historique de ce compte indique que vous et votre comptable avez été avisés par l’Agence du revenu du Canada que vous êtes tenu de produire les feuillets T4 de retenues d’impôts et de contribution au RPC. Cette information vous a été communiquée à diverses occasions depuis 2001. Vous n’avez pas respecté cette directive et avez continué de verser incorrectement votre contribution au RPC.

[…]

Les circonstances présentées dans votre demande ne sont pas des circonstances exceptionnelles […].

[Non souligné dans l’original.]

 

[8]               Le 31 mars 2011, par l’entremise de son comptable, la demanderesse a présenté une demande d’allègement de deuxième niveau. Le comptable a présenté brièvement dans une lettre d’une page le « contexte » suivant :

[traduction]
Les revenus du particulier ont été arbitrairement rajustés et sont passés de revenus d’un travail indépendant à des revenus d’emploi T4 pour les années d’imposition 2002, 2003 et 2004. Les contribuables (tant l’entreprise que le particulier) ont été informés de ce fait aux environs de décembre 2009, lorsqu’un agent percepteur s’est présenté au bureau pour percevoir les fonds dus sur le compte des retenues à la source de l’entreprise. Ni moi ni mon client n’avons eu de communication documentée (qu’elle soit verbale ou écrite) avec l’Agence du revenu du Canada à ce sujet avant décembre 2009. Si nous avions été informés de ce problème, nous l’aurions avisé et des mesures correctives auraient été prises. [Non souligné dans l’original.]

 

[9]               L’ARC n’était pas convaincue. Dans sa décision par laquelle elle rejetait la demande d’allègement – la décision faisant l’objet du présent contrôle – l’Agence a constaté ce qui suit, sur la foi de ses dossiers internes :

[traduction]
[V]ous [le comptable de la demanderesse] et votre client avez été avisés, avant décembre 2009, du solde exigible. Des avis de cotisation ont été délivrés le 4 novembre 2005 et des états de compte indiquant le solde dû ont été envoyés le 24 décembre 2007, le 26 février 2008, et ensuite chaque mois entre le 29 août 2009 et le 16 décembre 2009. Nos dossiers confirment aussi que des agents percepteurs de l’ARC se sont entretenus avec vous et avec votre client avant le 3 décembre 2009 pour demander le paiement intégral.

[…]

Un examen de nos dossiers confirme que vous avez été avisé par l’ARC de l’obligation de déclarer les revenus de votre client sur des feuillets T4 au lieu de feuillets T4A. Vous avez également été avisé, avant juillet 2002, de l’obligation de produire les retenues à la source au titre du RPC sur ce compte. […]

 

[10]           Globalement, l’ARC a conclu que la demanderesse avait [traduction] « des antécédents de non-conformité en matière d’obligations fiscales; un solde qu’elle [avait], en connaissance de cause, laissé subsister avait engendré des arriérés et des intérêts; elle n’avait pas fait preuve d’efforts raisonnables; et elle n’avait pas pris rapidement des mesures pour remédier à tout retard ou à toute omission ». Par conséquent, l’Agence a refusé d’accorder quelque allègement que ce soit découlant des pénalités et intérêts pour les années d’imposition 2002, 2003 et 2004.

 

Les questions en litige et l’analyse

[11]           La demanderesse soutient que la décision d’allègement prise au deuxième niveau est déraisonnable pour quatre raisons :

a)      lors de la présentation de la demande de deuxième niveau, le ministre n’a pas analysé l’argument selon lequel l’ARC percevait des versements de la part de M. Sadler pendant que les intérêts s’accumulaient;

 

b)      le ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en limitant son examen à la question de savoir si la situation du contribuable relevait de « circonstances exceptionnelles »;

 

c)      le ministre n’a pas accordé d’importance au fait qu’un numéro d’entreprise en double était utilisé jusqu’à novembre 2008, numéro qui indiquait qu’aucun solde n’était exigible;

 

d)     le ministre ne s’est pas rendu compte qu’il a mal interprété ses propres dossiers lorsqu’il a examiné le dossier de la demanderesse.

 

[12]           On peut facilement disposer de la première raison. Le fait que l’ARC ait perçu des versements de la part de M. Sadler pendant que des intérêts s’accumulaient n’est pas une raison pour relever l’entreprise de ses obligations en matière d’intérêts et de pénalités : PPSC Enterprises Limited c Canada (Revenu National), 2007 CF 784. La demanderesse et M. Sadler sont des personnes juridiques distinctes, ayant chacune ses obligations et ses responsabilités envers l’ARC. De plus, faut-il le répéter, la demanderesse et son comptable ont été expressément informés en 2002 qu’ils devaient verser les impôts et les cotisations au RPC au nom de M. Sadler, parce que M. Sadler était un employé et non un entrepreneur indépendant. Or, ils ne se sont pas conformés à ces directives.

 

[13]           La deuxième raison, selon laquelle l’ARC a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire au sujet de la raison ou des raisons dont elle tiendrait compte dans les demandes d’allègement, n’est pas fondée non plus. Or, c’est la demanderesse qui, avant la première décision, a choisi d’indiquer que l’allègement se justifiait uniquement par des « circonstances exceptionnelles ». Si l’on en juge par le formulaire d’allègement standard versé au dossier, quiconque demande un allègement doit indiquer les « raisons » pour lesquelles il est demandé. Pourtant, la demanderesse prétend que le ministre se devait d’analyser la demande en se fondant sur toutes les raisons potentielles d’allègement. Ceci est tout à fait absurde – ce choix appartient au contribuable, le ministre n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Affirmer le contraire reviendrait à prétendre qu’un décideur administratif se doit de tenir compte de tous les arguments possibles qui pourraient être avancés dans une circonstance donnée, peu importe si ces arguments ne sont pas explicitement avancés. Cette proposition ne peut se justifier en aucune façon.

 

[14]           Fait important, et en particulier en ce qui concerne la deuxième décision, celle qui fait l’objet du présent contrôle, le ministre ne l’a pas prise uniquement sur la base de « circonstances exceptionnelles ».

 

[15]           Enfin, en ce qui concerne les troisième et quatrième raisons, il est utile d’examiner les éléments factuels qu’elles ont en commun puisque globalement, l’observation selon laquelle le pouvoir discrétionnaire du ministre a été exercé de manière déraisonnable au vu des faits de l’espèce et les indications données par la demanderesse dans sa deuxième demande d’allègement ne sont tout simplement pas fondées.

 

[16]           Les faits versés au dossier devant l’ARC et maintenant devant notre Cour démontrent assez clairement que la demanderesse et M. Sadler étaient parfaitement au courant du solde dû sur le compte de retenues sur la paye de la demanderesse au moment de l’examen des comptes de fiducie en 2005. À preuve, le comptable de la demanderesse a indiqué à ce moment-là qu’il avait l’intention d’[traduction]« interjeter appel de la cotisation ». Sinon, la myriade de communications subséquentes en 2006 et 2007 confirme que la demanderesse connaissait le solde de son compte de retenues sur la paie. Si ces éléments ne suffisent pas, l’écriture de journal de l’ARC en date du 24 avril 2008 indique en termes clairs que M. Sadler et la demanderesse ont été informés de la dette due par la demanderesse sur son compte de retenues sur la paye et les raisons de cette dette. On y lit ce qui suit :

[traduction]
Parlé à Jim Sadler. Il a répété qu’il ne comprend pas pourquoi il a une dette. Lui ai parlé de l’examen des comptes de fiducie du 5 novembre et de l’examen de ses feuillets T4
pour 2002, 2003 et 2004. Lui ai aussi fait remarquer qu’il a deux numéros d’entreprise ouverts pour cette entreprise. Il a dit que l’un de ces numéros était fermé. Lui ai expliqué qu’il a effectué ses versements en se servant du numéro d’entreprise fermé 890478530RP0001, même jusqu’aux versements effectués le 8 mars. Il a aussi posé des questions sur ses remboursements de la TPS pour 2005 et 2006; l’ai avisé que ces remboursements ont été imputés à ces arriérés de compte. Il a dit que je devrais communiquer avec son comptable pour discuter de son compte. Lui ai expliqué que je m’attends à ce qu’il s’acquitte de sa dette au complet. Lui ai donné un dernier avertissement et lui ai suggéré de parler à son comptable. Si son comptable a besoin d’information, il peut communiquer avec moi. [Non souligné dans l’original.]

 

[17]           Comme il est mentionné ci-dessus, la demanderesse a soutenu dans sa demande de second niveau qu’elle [traduction] « n’avait rien su à ce sujet » avant décembre 2009, et a déclaré dans ses arguments que ce fait était attribuable aux deux numéros d’entreprise qui étaient utilisés. À l’évidence, cette affirmation n’est pas exacte.

 

[18]           L’ARC a comparé les dires de la demanderesse à ses dossiers et en est arrivée à la conclusion que celle-ci avait déformé les faits et qu’elle avait [traduction] « des antécédents de non-conformité en matière d’obligations fiscales; un solde qu’elle [avait], en connaissance de cause, laissé subsister qui avait engendré des arriérés et des intérêts; qu’elle n’avait pas fait preuve d’efforts raisonnables; et qu’elle n’avait pas rapidement pris des mesures pour remédier à tout retard ou à toute omission ». Là encore, tous ces faits sont étayés par le dossier. Compte tenu de ces faits, la décision de l’ARC était éminemment raisonnable.

 

[19]           Comme on l’a fait observer à l’avocat à l’audience, si, en 2002, la demanderesse et M. Sadler s’étaient conformés, comme ils s’y étaient engagés, à la décision de l’ARC voulant que M. Sadler soit déclaré comme un employé et non comme un entrepreneur indépendant, rien de tout cela ne se serait produit. Lui et son entreprise sont les artisans de leur propre malheur – et non des victimes de circonstances exceptionnelles.

 

[20]           Le ministre a demandé des dépens de l’ordre de 3 642,47 $ et la demanderesse, si elle a gain de cause, des dépens de 5 801,83 $. Le montant demandé par le ministre semble raisonnable et approprié dans les circonstances.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ce qui suit : la demande est rejetée avec dépens, fixés au montant de 3 642,47 $ en faveur du défendeur, incluant les débours et les taxes.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1746-12

 

 

INTITULÉ :                                      1148902 ONTARIO LIMITED c L’AGENCE DU REVENU DU CANADA AGISSANT AU NOM DU MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 juin 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

 

DATE DU JUGEMENT :               Le 24 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roderic McLauchlan

 

 

                 POUR LA DEMANDERESSE

Amit Ummat   

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CLYDE & CO CANADA LLP

Toronto (Ontario)

 

                  POUR LA DEMANDERESSE

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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