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Date : 20130612

Dossier : IMM-10650-12

Référence : 2013 CF 641

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 12 juin 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

PRIFTI IRMA

PRIFTI ANXHELA

PRIFTI ARLENE

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle on a conclu qu’elles n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger, au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Plus particulièrement, la demanderesse principale conteste la conclusion de la SPR selon laquelle elle manque de crédibilité.

 

II. La procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) of la Loi en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la SPR, datée du 20 septembre 2012.

 

III. Le contexte

[3]               La demanderesse principale, Mme Irma Prifti, une citoyenne de l’Albanie, est née en 1966. Quant à ses filles, Anxhela et Arlene, l’une est née en 1994 et est citoyenne de l’Albanie, alors que l’autre est née en 1997 et a la citoyenneté américaine.

 

[4]               Selon ce qui est allégué, en 1995, la demanderesse principale se serait jointe au Parti démocratique de l’Albanie (le PDA) et, le 29 juin 1997, elle aurait été enlevée, torturée et menacée de mort pour s’être plainte d’une fraude électorale lors des élections parlementaires en Albanie.

 

[5]               En juillet 1997, la demanderesse principale, sa fille aînée et son époux sont allés aux États‑Unis, où sa plus jeune fille est née en novembre 1997.

 

[6]               Le 8 mars 1998, la demanderesse principale et sa fille aînée seraient retournées en Albanie. Pendant qu’elle se trouvait en Albanie, de 1998 à décembre 1999 (la période de retour alléguée), la demanderesse aurait renouvelé son passeport, et remis celui qu’elle avait utilisé pour le retour.

 

[7]               Le 10 octobre 1998, la police aurait détenu et battu la demanderesse principale, et un tribunal l’aurait condamnée à un mois d’emprisonnement pour avoir aidé à organiser un boycottage du référendum constitutionnel.

 

[8]               Le 22 novembre 1998, le jour du référendum constitutionnel, la demanderesse principale aurait été affectée à un bureau de vote par le PDA et se serait plainte d’une fraude électorale.

 

[9]               Le PDA aurait introduit une action judiciaire contre le Parti socialiste de l’Albanie (le PSA), et la demanderesse principale aurait livré son témoignage le 6 avril 1999, au cours d’une instruction préliminaire. Elle allègue que, par conséquent, (i) suivant les instructions du PSA, la police secrète l’a fait sortir du bureau de vote et l’a détenue; (ii) le Bureau du procureur l’a convoquée quatre fois, où on l’a interrogée, torturée, violée et menacée de mort; (iii) sa fille aînée a été enlevée; (iv) le Bureau du procureur a porté des accusations à son encontre, mais a offert de les retirer si elle rétractait son témoignage.

 

[10]           Le 5 février 2000, la demanderesse principale et sa fille aînée auraient fui vers les États‑Unis, et seraient arrivées à Chicago le 6 février avec un faux passeport.

 

[11]           Les demanderesses sont arrivées au Canada le 25 août 2009.

 

IV. La décision faisant l’objet du contrôle

[12]           La SPR a conclu que les demanderesses n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[13]           Tout d’abord, la SPR n’a pas cru que la demanderesse principale et sa fille aînée étaient retournées en Albanie en 1998, parce que : (i) le formulaire de demande d’asile (le formulaire de demande) ne mentionnait pas la période de retour alléguée; (ii) le formulaire de demande indiquait que la demanderesse principale avait quitté l’Albanie le 14 janvier 1997, qu’elle avait vécu à Addison, en Illinois, de juillet 1998 à août 2000, et à Lombard, en Illinois, d’août 2000 à février 2009, et qu’elle avait travaillé comme coiffeuse à Oakbrook, en Illinois, de juillet 1998 à 1999; (iii) elle a prétendu qu’elle avait fui le système politique de l’Albanie 12 ans auparavant dans le formulaire de demande; (iv) son permis de l’Illinois avait été délivré le 8 avril 1999; (v) le 11 décembre 1997, elle avait demandé une prorogation de statut de non‑immigrant jusqu’au 13 juillet 1998; (vi) une lettre datée du 23 mars 1998 portant sa signature et demandant une prorogation du statut de non‑immigrant mentionnait qu’elle demeurait à Addisson, en Illinois; (vii) une copie de son passeport jointe à la lettre du 23 mars 1998 ne fait pas mention de la période de retour; (viii) elle a dit à un juge de l’immigration des États‑Unis qu’elle avait fui l’Albanie, avait atterri à Toronto, et était entrée illégalement aux États‑Unis en passant par Detroit; (ix) elle n’a pas produit de documents de voyage corroborant la période de retour alléguée; (x) il était peu probable qu’elle ait été en Albanie en février 1999, puisque son mari avait publié des articles qui pouvaient exposer la demanderesse principale à des représailles dans ce pays; (xi) il était peu probable qu’elle y soit retournée comme le parti dont les membres l’avaient torturée 8 mois plus tôt était au pouvoir et le degré de violence était élevé.

 

[14]           La SPR a rejeté les explications de la demanderesse principale selon lesquelles (i) sa fille aînée avait rempli le formulaire de demande alors qu’elle était stressée et épuisée et qu’elle avait faim; (ii) elle a fait état de la période alléguée de son retour dans sa déclaration, dans le formulaire de demande, selon laquelle elle avait fui l’Albanie 12 ans auparavant; (iii) les renseignements concernant son permis de l’Illinois provenaient de son mari; (iv) son mari et son beau‑frère avaient fabriqué, à son insu, sa demande du 11 décembre 1997 ainsi que la lettre du 23 mars 1998 en utilisant une copie de son passeport faite avant son retour; (v) le récit du juge de l’immigration des États‑Unis était basé sur des formulaires mal préparés en raison de difficultés liées à la traduction; (vi) son passeport qui corroborait la période de retour alléguée n’était pas disponible, puisqu’elle l’avait remis aux autorités en Albanie, dans le cadre du processus de renouvellement.

 

[15]           Premièrement, en rejetant les explications, la SPR a conclu que : (i) la demanderesse principale et la plus jeune de ses filles avaient aidé l’aînée à remplir le formulaire de demande; (ii) l’omission dans le formulaire de demande concernait des faits essentiels à sa demande; (iii) il était peu probable que son mari et son beau‑frère aient fabriqué la demande du 11 décembre 1997 si elle avait l’intention de retourner en Albanie; (iv) les déclarations au juge de l’immigration des États‑Unis au sujet de l’arrivée à Toronto avaient été faites sous forme de témoignage; (v) il était peu probable que le témoignage concernant l’itinéraire ait été l’objet d’une mauvaise traduction; (vi) il était peu probable qu’elle ait renouvelé son passeport en Albanie, puisqu’il y avait des éléments de preuve selon lesquels il avait expiré en janvier 2001.

 

[16]           Deuxièmement, la SPR a conclu que le témoignage contradictoire de la demanderesse principale au sujet de sa demande du 11 décembre 1997 ainsi que des dates de délivrance et d’expiration du passeport albanais avec lequel elle était retournée portait gravement atteinte à sa crédibilité. Elle a d’abord déclaré dans son témoignage qu’elle avait signé la demande du 11 décembre 1997 sans comprendre son contenu en anglais. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle l’avait signé sans la comprendre, elle a alors prétendu que son beau‑frère l’avait fabriquée.

 

[17]           Troisièmement, la SPR ne croyait pas que la demanderesse principale avait été persécutée en 1997 pour ses opinions politiques, parce qu’elle avait omis de demander l’asile aux États‑Unis en juillet 1997.

 

[18]           Quatrièmement, la SPR a conclu qu’une lettre datée du 16 novembre 1998 (la lettre du PDA), concernant la participation de la demanderesse principale au référendum constitutionnel, était frauduleuse. Un secrétaire du PDA à Tirana a examiné la lettre du PDA, et a remarqué des anomalies quant à l’en‑tête, au texte, au cachet et à la position de la signature, et il était peu probable que le signataire ait l’habitude de signer de telles lettres (dossier certifié du tribunal (le DCT`), à la page 193). La SPR n’a pas admis l’allégation selon laquelle la lettre du PDA avait été rédigée par des bénévoles. La SPR a également tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité de l’omission, par la demanderesse principale, de présenter sa carte de membre du PDA lors de la première audience de la SPR, le 9 décembre 2010.

 

[19]           Selon la conclusion générale quant à la crédibilité, la SPR n’a pas considéré que les documents suivants étaient crédibles : (i) une lettre provenant du PDA et des attestations de 3 membres du PDA corroborant le fait que la demanderesse principale avait participé au référendum constitutionnel de 1998; (ii) un rapport du Bureau du procureur qui énonçait qu’elle avait été arrêtée le 10 octobre 1998; (iii) des assignations, datées du 12 octobre 1998, du 21 janvier 1999, du 14 avril 1999 et du 6 juillet 1999, ordonnant à la demanderesse principale de se présenter au Bureau du procureur; (iv) un rapport d’un médecin et d’une clinique médicale de Tirana, daté du 27 avril 1999, concernant les blessures qu’elle aurait subies à la suite d’un viol; (v) une lettre médicale, datée du 15 avril 2004, corroborant le viol dont elle aurait été victime le 27 avril 1999; (vi) une lettre de l’école de sa fille aînée en Albanie, dans laquelle on déclarait que celle‑ci avait fréquenté cette école entre avril 1998 et le 30 septembre 1999; (vii) une lettre de Luljeta Zhebo, qui affirmait qu’elle avait travaillé avec la demanderesse principale en Albanie en 1998 et 1999; (viii) une lettre d’une clinique dentaire en Albanie, qui affirmait qu’elle y était une patiente en janvier 1999. Ces documents ne sont pas contradictoires par rapport aux autres problèmes de crédibilité découlant de l’exposé circonstancié. Citant la décision Abid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 483, la SPR a conclu que la conclusion générale quant à la crédibilité suffisait pour vicier la preuve de la demanderesse principale.

 

[20]           Bien que la SPR ait admis le fait que la demanderesse principale souffrait de problèmes psychologiques, elle n’a pas cru que ces problèmes découlaient du fait qu’elle aurait été persécutée dans le passé.

 

[21]           La SPR a rejeté la demande d’asile de la plus jeune des filles, du fait que celle‑ci n’avait pas établi qu’elle était exposée à un risque aux États‑Unis, son pays de citoyenneté.

 

 

V. La question en litige

[22]           La conclusion quant à la crédibilité était‑elle raisonnable?

 

VI. Les dispositions législatives applicables

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII. La position des parties

[24]           La demanderesse principale fait valoir que la conclusion de la SPR quant à la crédibilité était déraisonnable, parce que : (i) le formulaire de demande a été rempli par sa fille aînée, qui était mineure; (ii) les déclarations contradictoires dans le formulaire de demande étaient attribuables à son état psychologique; (iii) le commissaire a assumé que la lâcheté était la seule norme plausible de comportement pour un demandeur d’asile; (iv) le commissaire n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle sa situation familiale l’avait amenée à retourner en Albanie; (v) l’appréciation, par le commissaire, des dates de délivrance et d’expiration du passeport reflète un examen à la loupe de son récit de faits lointains; (vi) le commissaire n’a pas tenu compte de la preuve découlant de la décision du juge de l’immigration des États‑Unis, selon laquelle des erreurs avaient déjà été commises dans le cadre de sa demande d’asile; (vii) le représentant du PDA n’a fait que des commentaires au sujet de la nature anormale de la lettre du 16 novembre 1998 et il n’a pas expressément déclaré qu’elle était frauduleuse; (viii) elle a présenté une preuve documentaire établissant la période de retour alléguée ainsi que sa participation aux activités du PDA; (ix) le commissaire a fait abstraction du témoignage selon lequel son mari avait fabriqué la demande du 11 décembre 1997 et la lettre du 23 mars 1998 pour la convaincre de retourner aux États‑Unis; (x) la décision du juge de l’immigration des États‑Unis a été infirmée.

 

[25]           Le défendeur réplique que la conclusion quant à la crédibilité est raisonnable, parce que : (i) le commissaire pouvait se fonder sur les déclarations dans le formulaire de demande ainsi que sur la demande du 11 décembre 1997 et la lettre du 23 mars 1998; (ii) les problèmes psychologiques ne remédient pas aux défauts d’un témoignage plein de contradictions et d’erreurs; (iii) les explications de la demanderesse principale, selon lesquelles sa fille aînée a rempli le formulaire de demande et que son mari et son beau‑frère ont fabriqué la demande du 11 décembre 1997 ainsi que la lettre du 23 mars 1998, n’étaient pas satisfaisantes; (iv) son retour en Albanie était un élément fondamental au regard de sa demande; (v) les anomalies dégagées par le PDA dans la lettre du 16 novembre 1998 étaient suffisantes pour en établir le caractère frauduleux; (vi) la conclusion générale défavorable que le commissaire a tirée quant à la crédibilité suffisait à vicier la crédibilité des autres documents de la demanderesse principale.

 

VII. La norme de contrôle

[26]           Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Wiesehahan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 656).

 

[27]           Si la norme de la raisonnabilité s’applique, la cour de révision ne peut intervenir que si les motifs ne sont pas justifiés, transparents ou intelligibles. Pour satisfaire à cette norme, une décision doit appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

VIII. Analyse

[28]           La SPR pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse principale manquait de crédibilité en général.

 

[29]           Premièrement, la SPR pouvait se fonder sur les déclarations faites au point d’entrée par la demanderesse principale pour tirer une conclusion quant à la crédibilité (Divas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 182, au paragraphe 5). Son omission de mentionner la période de retour alléguée on le formulaire de demande a occasionné une contradiction entre ses déclarations dans son Formulaire de renseignements personnels et son témoignage, contradiction qui pouvait raisonnablement mener à une inférence défavorable quant à la crédibilité. En effet, non seulement la demanderesse principale a‑t‑elle omis de déclarer qu’elle était retournée, mais elle a également déclaré formellement qu’elle vivait et travaillait en Illinois durant la période de retour alléguée. En outre, elle a aussi déclaré qu’elle avait fui l’Albanie 12 ans avant la date du formulaire de demande, qui est le 12 août 2009, ce qui ferait en sorte que la date de son arrivée aux États‑Unis serait quelque part en 1997.

 

[30]           Les problèmes de santé mentale de la demanderesse principale ne diminuent aucunement la raisonnabilité des inférences quant à la crédibilité tirées à partir du formulaire de demande. La plupart des faits sur lesquels sa demande était fondée se sont passés au cours de la période de retour alléguée. Omettre la période de retour alléguée dans le formulaire de demande crée une incohérence importante relativement à un élément essentiel de sa demande. La demanderesse n’a pas démontré que le commissaire s’était montré insensible à ses problèmes psychologiques, contrairement à ce que requièrent les Directives no 8 : Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR (les Directives). Dans ces circonstances, la décision rendue par le juge Martineau dans l’affaire Mubiala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1105, est instructive :

[12]      [...] Rappelons encore une fois que l’objet des Directives est d’assurer que les personnes reconnues vulnérables soient entendues avec sensibilité par le tribunal et non pas de palier aux déficiences d’un témoignage touffu de contradictions majeures et d’implausibilités. Ici, ces nombreuses contradictions ou implausibilités portent sur des aspects essentiels de la demande d’asile et vont manifestement au-delà de simples trous de mémoire, incohérences ou incapacité de relater les événements pertinents à cause que le demandeur souffre d’un stress post-traumatique. D’autres contradictions ou implausibilités relevées par le tribunal concernent simplement la preuve documentaire. Contrairement à la situation dont fait état la Cour dans les arrêts invoqués par le demandeur, le rejet de la présente demande d’asile ne résulte pas d’une quelconque insensibilité du tribunal par rapport à l’état de vulnérabilité psychologique du demandeur.

 

[31]           Et le fait que la fille aînée de la demanderesse principale a rempli le formulaire de demande alors qu’elle était stressée et épuisée et qu’elle avait faim ne rend pas non plus déraisonnables les inférences quant à la crédibilité. En signant le formulaire de demande, la demanderesse principale a déclaré qu’elle en comprenait le contenu, « ayant, au besoin, demandé et obtenu une explication sur chacun des points [qu’elle] ne comprenai[t] pas bien » (DCT, à la page 584). Il serait raisonnable de conclure que la période de retour alléguée était si essentielle à la demande que, si elle était véridique, elle serait incluse dans le formulaire de demande, même si la fille aînée était stressée et épuisée et qu’elle avait faim.

 

[32]           Deuxièmement, la SPR pouvait se fonder sur la demande du 11 décembre 1997 et la lettre du 23 mars 1998, sur l’incohérence du témoignage et sur le récit du juge de l’immigration des États‑Unis relativement à l’atterrissage à Toronto pour remettre en question sa crédibilité. Sa demande de prorogation de son statut de non-immigrante aux États‑Unis jusqu’au 13 juillet 1998 n’est pas compatible avec sa prétention selon laquelle elle avait l’intention de retourner en Albanie et y était effectivement retournée en mars 1998. Compte tenu du caractère essentiel de la période de retour alléguée, la conclusion quant à la crédibilité sur ce point n’équivaut pas à un examen à la loupe de questions accessoires. Le changement, dans son témoignage, quant à la question de savoir si elle avait signé la demande du 11 décembre 1997 ou si son mari et son beau‑frère l’avaient fabriquée ne découle pas d’un examen à la loupe et n’implique pas des questions accessoires. Enfin, la déclaration du juge de l’immigration des États‑Unis selon laquelle la demanderesse principale avait prétendu avoir atterri à Toronto après la période de retour alléguée ne concorde pas avec son affirmation ultérieure selon laquelle elle était retournée aux États‑Unis en passant par Chicago. Bien que la décision du juge de l’immigration des États‑Unis ait été infirmée, cette conclusion de fait n’était pas en cause (DCT, aux pages 325 à 327).

 

[33]           Dans la décision Kambanda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1267, on a jugé que la SPR peut « prendre en considération les incohérences au moment d’apprécier la crédibilité d’un demandeur d’asile [si elles ont] un lien rationnel avec la crédibilité du demandeur[, si elles sont] en soi suffisamment importantes pour que l’on mette en doute cette crédibilité [et si elles ne découlent pas d’un examen] à la loupe des questions accessoires » (au paragraphe 42).

 

[34]           Troisièmement, la SPR pouvait raisonnablement conclure que la lettre du 16 novembre 1997, concernant la participation de la demanderesse principale au référendum constitutionnel, était frauduleuse. Un secrétaire du PDA a déclaré que le nom du bureau dans l’en‑tête était incorrect, que le langage employé dans la lettre était inapproprié, que le signataire n’occupait pas les fonctions de quelqu’un qui signerait normalement de telles lettres, que la signature ne se trouvait pas à l’endroit habituel et que le libellé du cachet était incorrect (DCT, à la page 193). Compte tenu des ces anomalies, la SPR pouvait raisonnablement conclure que la lettre était frauduleuse.

 

[35]           Quatrièmement, la SPR pouvait refuser de donner du poids aux autres éléments de preuve documentaire, parce qu’ils étaient entachés par la conclusion générale quant à la crédibilité. Dans la décision Abid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 483, le juge Martineau a déclaré qu’une « conclusion générale de manque de crédibilité peut avoir un effet sur tous les éléments de preuve pertinents présentés par [un] demandeur » (au paragraphe 21). Compte tenu de la conclusion selon laquelle la lettre du 16 novembre 1997 était frauduleuse, il serait également raisonnable (en l’absence d’une preuve contraire) de conclure que ces documents n’étaient pas authentiques. Selon l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la Cour peut compléter les motifs de la SPR à cet égard (au paragraphe 12).

 

IX. Conclusion

[36]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire des demanderesses sera rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire des demanderesses soit rejetée, aucune question de portée générale n’était certifiée.

 

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10650-12

 

INTITULÉ :                                      PRIFTI IRMA

PRIFTI ANXHELA

PRIFTI ARLENE

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 12 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Styliani Markaki

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Anne-Renée Touchette

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Styliani Markaki

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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