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Date : 20130614

Dossier : IMM-8790-12

Référence : 2013 CF 656

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

DARLEY ALBERTO SANTANILLA BONILLA, CLAUDIA PATRICIA ARANGO PANTOJA, NICOLAS SANTANILLA ARANGO et CAMILA SANTANILLA ARANGO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de contrôle judiciaire de la décision du 9 août 2012 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur principal, Darley Alberto Santanilla Bonilla, sa femme et ses enfants, les demandeurs secondaires, sont des citoyens de la Colombie. Les demandeurs secondaires font dépendre leur demande de celle de M. Bonilla, de sorte que la Cour désignera ce dernier partout dans la présente décision comme étant « le demandeur ». Le demandeur a présenté sa demande d’asile le 10 juin 2011. Voici son exposé circonstancié.

[3]               Le demandeur possédait et exploitait une entreprise de chaussures, Fabriano Gabinelli, à Cali, en Colombie. Son entreprise était prospère; elle fabriquait des chaussures et exploitait un point de vente au détail.

[4]               Le 28 janvier 2011, le demandeur a reçu sur son téléphone cellulaire un appel d’une personne qui s’est identifiée comme étant un membre des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Cette personne lui a demandé de se procurer et de payer certains médicaments sur ordonnance. Le demandeur a répondu qu’il exploitait une entreprise de chaussures et que cela n’avait rien à voir avec son genre de travail. Son interlocuteur lui a dit qu’il savait qu’il avait une entreprise prospère et qu’il devait obtempérer, puis a raccroché.

[5]               Le 10 février 2011, le demandeur a reçu sur son téléphone cellulaire un autre appel de la même personne lui demandant s’il s’était procuré les médicaments sur ordonnance. Le demandeur a répondu qu’il n’avait pas obtenu les médicaments, étant donné qu’il n’avait pas d’ordonnance pour se les procurer. Son interlocuteur lui a dit que, s’il ne pouvait les obtenir, il aurait à verser 20 millions de pesos aux FARC. Le demandeur a répondu qu’il n’avait pas cette somme d’argent, mais son interlocuteur lui a dit qu’il savait qu’il avait une entreprise prospère et qu’il pouvait obtenir cet argent. L’interlocuteur a dit au demandeur que s’il ne donnait pas aux FARC ce que ces dernières exigeaient, sa vie et celle des membres de sa famille seraient en danger.

[6]               Le 17 février 2011, le demandeur s’est rendu au cabinet du procureur régional pour informer les autorités colombiennes au sujet des menaces en question. On lui a répondu que le budget était limité pour ce genre de dossier et que tout ce qu’on pouvait faire était d’envoyer à l’occasion un véhicule de patrouille policière près du domicile du demandeur. On ne l’a jamais fait.

[7]               Le demandeur s’est rendu au bureau du journal El Pais pour parler des menaces proférées par les FARC. Un article a été publié à ce sujet le 23 février 2011 et son nom a été changé pour celui de Jose Santana pour protéger sa sécurité.

[8]               Le 14 mars 2011, le demandeur a reçu à son commerce un avis de décès portant son nom. L’enveloppe avait été envoyée par les FARC par service de messagerie. Ce jour‑là, le demandeur et sa famille ont décidé d’aller vivre à l’appartement de sa mère à Cali.

[9]               Le 25 mars 2011, le demandeur a entendu des coups de fusil alors qu’il se trouvait dans son bureau. Quelques minutes plus tard, il a reçu un appel sur son téléphone cellulaire. Le même interlocuteur lui a dit qu’ils ne plaisantaient pas et qu’ils savaient où se trouvait sa famille. Plusieurs coups de feu ont été tirés sur la voiture du demandeur, qui se trouvait dans le stationnement situé à l’extérieur.

[10]           Le demandeur et sa famille se sont enfuis de la Colombie le 27 mars 2011. Ils se sont tout d’abord rendus aux États‑Unis, pour arriver ensuite au Canada le 10 juin 2011, où ils ont présenté une demande d’asile le même jour. Leur demande d’asile a été refusée le 9 août 2012.

LA DÉCISION À L’EXAMEN

[11]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention parce qu’il n’avait pas établi un lien avec un motif prévu par la Convention et qu’il n’avait pas la qualité de personne à protéger parce que le risque auquel il était exposé était un risque généralisé et non un risque personnalisé.

Le lien

[12]           La SPR a fait observer que, pour que le demandeur puisse être considéré comme un réfugié au sens de la Convention, il devait établir l’existence d’un lien entre lui-même et l’un des cinq motifs prévus par la Convention. La SPR a conclu que le demandeur était victime d’un crime et que la seule raison pour laquelle il était recherché par les personnes qui tentaient de lui extorquer de l’argent est qu’il était un propriétaire d’entreprise prospère. La SPR a estimé que ni « l’apparence de richesse » ni l’appartenance à un groupe de « victimes d’extorsion » ne permettaient de conclure à l’existence d’un groupe social et de reconnaître la qualité de réfugié.

[13]           L’avocat du demandeur a fait valoir qu’il existait un lien entre son client et l’un des motifs prévus par la Convention en raison des opinions politiques qui lui étaient attribuées. Compte tenu du profil des FARC, et en raison de la demande initiale de médicaments, l’avocat a fait valoir qu’il y avait de toute évidence une motivation politique en cause. La SPR a accepté que les FARC étaient un groupe qui avaient des visées politiques, mais a fait observer que, bien que les FARC aient d’abord exigé des médicaments, cette demande de médicaments avait été immédiatement remplacée par une demande d’argent dès que le demandeur avait expliqué qu’il ne pouvait se procurer de médicaments. De plus, les menaces de mort faisaient suite à son refus de remettre aux FARC l’argent qu’elles exigeaient. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les FARC souhaitaient simplement servir leurs intérêts financiers et criminels et que l’objectif visé par l’extorsion était purement de nature criminelle. La SPR a conclu que le demandeur était victime d’un crime pour lequel il n’avait pas établi l’existence d’un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention.

Le risque généralisé

[14]           La SPR a fait observer que l’article 97 de la Loi exige un examen personnalisé en fonction des risques réels et éventuels du demandeur d’asile. La SPR a expliqué que, dans un cas comme celui‑ci, dans lequel la population générale est exposée à un risque de criminalité, le fait que certains individus soient davantage exposés à un risque parce qu’ils vivent dans des régions plus dangereuses ou qu’ils soient considérés comme plus fortunés, n’en faisaient pas nécessairement des personnes à protéger.

[15]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve fiables et probants pour appuyer son affirmation selon laquelle le risque auquel il était exposé était un risque particularisé. Le demandeur a expliqué qu’il était conscient que d’autres hommes d’affaires avaient eux aussi fait l’objet d’extorsions de la part des FARC et il a soumis un article de journal dans lequel il est entre autres écrit ceci : [traduction] « Les criminels qui se livrent à de l’extorsion causent des maux de tête aux propriétaires d’entreprise… ».

[16]           La SPR a conclu que les FARC n’étaient même pas au courant des capacités particulières du demandeur, comme le démontrait le fait qu’ils avaient exigé des médicaments, alors que le demandeur n’était pas en mesure de s’en procurer. Après cela, aucune autre demande n’avait été faite, à part une demande d’argent. Les éléments de preuve fiables et probants qui avaient été soumis laissaient penser que les FARC cherchaient à extorquer de l’argent au demandeur parce qu’ils étaient au courant qu’il était propriétaire d’une entreprise et qu’ils croyaient qu’il était en mesure de satisfaire à leurs demandes. Les menaces proférées à la suite des demandes d’extorsion n’avaient eu lieu qu’à la suite de la demande d’argent initiale.

[17]           La SPR a conclu que le risque auquel le demandeur était exposé était le même auquel les autres propriétaires d’entreprise étaient exposés de façon générale en Colombie et qu’il ne lui était pas particulier. Bien que ses extorqueurs aient pu connaître son identité, les menaces qu’ils lui ont proférées découlaient de leurs demandes visant à servir leurs intérêts criminels et à obtenir de l’argent. Le demandeur n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve fiables et probants pour démontrer comment les membres des FARC en étaient arrivés à connaître son identité et celle des membres de sa famille. La SPR a fait observer qu’indépendamment de cette question, il était de jurisprudence constante que la connaissance de l’identité d’un demandeur d’asile par les auteurs d’un crime ne fait pas de ce dernier la victime d’une violence généralisée.

[18]           La SPR a déclaré que, même si le demandeur était peut-être spécifiquement ciblé, bon nombre de personnes étaient exposées à un risque semblable en Colombie. Pour obtenir gain de cause en vertu de l’article 97, l’intéressé doit démontrer que le risque auquel il est exposé est personnel ou individualisé et qu’il est susceptible de se produire selon la prépondérance des probabilités et non qu’il s’agit d’un risque auquel d’autres personnes du même pays que lui sont exposées de façon générale. Bien que le demandeur ait été exposé personnellement à une menace à sa vie, son témoignage et la preuve documentaire indiquaient que les personnes qui, en Colombie, sont perçues comme ayant les moyens de payer les sommes d’argent exigées sont exposées de façon générale à ce même type de risques. La menace d’extorsion et de représailles pour refus d’obtempérer est le même partout dans le pays et est le même par tous en Colombie. Il n’est pas nécessaire qu’un risque généralisé affecte chacun de la même façon. La preuve présentée en l’espèce démontrait que le risque en question était un risque généralisé.

[19]           La SPR a souligné que les FARC faisaient régner la terreur au sein de toute la population colombienne et que l’extorsion faisait partie de leur modus operandi. Le demandeur n’était qu’une de leurs nombreuses victimes. La SPR a examiné l’affaire Vickram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 457 [Vickram], et a fait observer que la Cour fédérale avait jugé que la perception de richesse ne constituait pas un risque particularisé au sens de l’article 97 de la Loi. La SPR s’est dit d’avis que le risque de violence de la part d’organisations criminelles était un risque généralisé auquel l’ensemble des Colombiens étaient exposés et le fait qu’un nombre précis d’individus pouvaient être visés plus fréquemment que d’autres ne signifiait pas qu’ils n’étaient pas assujettis à un risque généralisé de violence.

[20]           La SPR a également cité de la jurisprudence suivant laquelle il faut tenir compte de la situation particulière du demandeur. Elle a examiné les faits de diverses affaires et signalé que chaque personne a son identité propre et que ce n’est pas parce que l’auteur d’un crime connaît l’identité de sa victime que le risque auquel cette dernière est exposée n’en est pas pour autant un risque généralisé. La SPR a également cité le jugement Guifarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182 [Guifarro], dans lequel la Cour fédérale a conclu que même si la sous‑catégorie des personnes exposées à un certain risque pouvait se compter par milliers et que cette sous‑catégorie représentait un pourcentage très faible de la population générale, ce risque pouvait quand même être considéré comme « général ».

[21]           La SPR a également conclu que le préjudice subi par les personnes ciblées par les organisations criminelles ne signifiait pas que le risque auquel elles étaient exposées n’était pas généralisé. Le fait qu’un groupe de personnes peuvent être ciblées plus fréquemment ou que le demandeur continuait à être pourchassé après avoir signalé l’extorsion ou qu’il avait fait l’objet de mesures de représailles pour ne pas avoir obtempéré aux exigences de criminels ne signifiait pas que le risque n’était pas généralisé.

[22]           La SPR a déclaré que, dans un pays comme la Colombie qui est aux prises avec la violence, la criminalité déstabilise le pays et que tous les citoyens sont exposés au même risque. La preuve documentaire permettait de penser que les groupes armés faisaient régner la même violence et la même criminalité partout au pays et que les groupes en question recouraient à l’extorsion pour se procurer de l’argent. La SPR a conclu que le demandeur avait été victime d’un crime et que ce risque était celui auquel bon nombre des personnes propriétaires de leur propre entreprise en Colombie étaient exposées au même titre que lui. Le demandeur ne tombait donc pas sous le coup de l’article 97 de la Loi.

[23]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. Comme la demande de sa femme et de ses enfants dépendait entièrement de la sienne, leur demande a également été refusée.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[24]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente instance :

a.                   La SPR a-t-elle commis une erreur dans son interprétation et son application de la définition de réfugié au sens de la Convention prévue à l’article 96 de la Loi?

b.                  La SPR a-t-elle commis une erreur dans son interprétation et son application de la définition de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi?

c.                   La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’existait pas de lien avec la définition de réfugié au sens de la Convention prévue à l’article 96 de la Loi?

d.                  La SPR a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a traité la question du risque généralisé?

e.                   La SPR a-t-elle commis une erreur en ignorant certains des éléments de preuve documentaires qui lui avaient été soumis?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[25]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouvau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a jugé qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à l’analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont le tribunal est saisi est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche s’avère vaine que la cour de révision doit entreprendre d’examiner les quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

[26]           L’application par la SPR de la définition de réfugié au sens de la Convention prévue à l’article 96 de la Loi est une question pour laquelle les questions de droit et de fait sont inextricablement liées. Cette question nous amène à nous interroger sur l’interprétation que la SPR a faite de la définition qui figure à l’article 96 de la Loi et appelait la SPR à interpréter sa propre loi habilitante, de sorte que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 54, Smith c Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, au paragraphe 28, et Celgene Corp. c Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, au paragraphe 33). La norme de contrôle applicable à la première question est celle de la décision raisonnable.

[27]           L’application, par la SPR, des faits de l’affaire du demandeur à la définition de la personne à protéger au sens de l’article 97 est une question mixte de fait et de droit (Begum c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 10, au paragraphe 19). Par conséquent, la norme de contrôle applicable dans le cas de la seconde question est celle de la décision raisonnable.

[28]           Dans le jugement Salvagno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 595, le juge Yvon Pinard a déclaré, au paragraphe 11 que « la norme de contrôle applicable à l’interprétation par la Commission de la question du lien [est celle de] la raisonnabilité ». La troisième question est donc assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[29]           La norme de la décision raisonnable s’applique également à la conclusion de la SPR suivant laquelle le demandeur était exposé à un risque généralisé en Colombie. Le juge David Near a conclu que la norme de la décision raisonnable était la norme de contrôle qui devait être appliquée à cette question dans le jugement V.L.N. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 768, aux paragraphes 15 et 16. Comme le juge André Scott l’a conclu dans le jugement Vasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 477, une conclusion de risque généralisé comporte des questions mixtes de fait et de droit qui doivent être évaluées selon la norme de la décision raisonnable (paragraphes 13 et 14). La norme de contrôle qui s’applique dans le cas de la quatrième question est celle de la décision raisonnable (voir également le jugement Innocent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 1019).

[30]           L’appréciation de la preuve est une question de fait qui fait partie de l’examen d’autres questions par la SPR. Cette question doit également être évaluée selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précitée).

[31]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[32]           Voici les dispositions de la Loi qui s’appliquent en l’espèce :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

           

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.


[…]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

LES ARGUMENTS

Le demandeur

            Le lien

[33]           Selon le demandeur, il n’existe pas de ligne de démarcation nette entre, d’une part, le « crime » et, d’autre part, la « persécution ». Ces deux concepts ne s’excluent pas l’un l’autre; la plupart des actes de persécution sont également des actes criminels. Par exemple, si une personne se fait brutaliser en raison de ses opinions politiques, on a affaire à de la persécution, mais aussi à un crime. Le simple fait d’affirmer qu’un acte est un crime ne signifie pas automatiquement qu’il ne s’agit pas d’un acte de persécution. La question clé est celle de savoir s’il existe un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention. Le demandeur affirme que la SPR a commis une erreur en concluant que crime et persécution s’excluaient mutuellement. La SPR s’est demandé si le préjudice que le demandeur craignait était un crime ou de la persécution au lieu de se demander si le préjudice en question était rattaché à l’un des motifs prévus par la Convention.

[34]           Le lien invoqué par le demandeur était celui de ses opinions politiques, un concept bien reconnu par notre Cour. Dans le jugement Ismaylov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 30, la Cour déclare ce qui suit, au paragraphe 9 :

La SSR a complètement négligé d’aborder la question des opinions politiques imputées aux demandeurs en tant que motif justifiant leur revendication. Je suis convaincu que cette omission de la part de la SSR constitue une autre erreur qui justifie le contrôle judiciaire de sa décision.

 

 

[35]           Les opinions politiques peuvent créer un lien, que ces opinions politiques soient apparentes ou réelles (Canada (Procureur général) c Ward, [1993], 2 RCS 689). La SPR s’est toutefois concentrée sur les opinions politiques réelles du demandeur. Elle a déclaré, au paragraphe 23 de sa décision, qu’elle ne disposait « d’aucune preuve indiquant que le demandeur d’asile a été questionné relativement à ses opinions politiques ou qu’il a mené des activités politiques en Colombie ».

[36]           Le demandeur souligne que la SPR disposait d’éléments de preuve documentaire qui indiquaient nettement que les FARC considéraient tout refus d’obtempérer à une demande d’extorsion comme indiquant une opinion contraire à leurs visées politiques. Selon un rapport de l’UNHCR, [traduction] « [l]’importance des sommes d’argent soutirées grâce aux rançons ou à l’extorsion et visant à financer les activités politiques et militaires, fait en sorte que le refus ou l’incapacité de payer est considéré comme un acte ou un indice d’opposition politique qui donne lieu à des actes de persécution et de violence » (voir page 98 du Dossier des demandeurs).

[37]           La SPR ne mentionne pas le document précité et elle contredit directement la conclusion tirée sur cette question, commettant ainsi une erreur (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17). Dans le jugement Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 346, la Cour fédérale déclare ce qui suit, au paragraphe 31 :

En examinant si les mauvais traitements réservés aux Tziganes, et aux demanderesses, pouvaient être considérés comme étant de la persécution, la Commission a conclu que la plupart des éléments de preuve des demanderesses étaient peu crédibles compte tenu de certains éléments de preuve documentaire. Mais elle n’a fait aucunement référence à l’importante preuve documentaire qui étayait les revendications des demanderesses. Ce faisant, elle paraît ne pas avoir tenu compte d’éléments de preuve pertinents. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de faire référence à toute la preuve documentaire dont elle disposait, lorsqu’elle ne fait pas mention de certains éléments de preuve corroborant la thèse des demanderesses, et lorsqu’elle se fie de façon sélective à d’autres éléments de la preuve documentaire, la Commission commet, à mon avis, une erreur de droit en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents.

 

 

 

[38]           Dans le jugement Gilvaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 598, au paragraphe 38, la Cour écrit ce qui suit :

De plus, le dossier renferme des éléments de preuve qui contredisent la décision de la Commission selon laquelle la demanderesse pourrait se prévaloir de la protection de l’État. Le rôle de la Commission consistait à tirer des conclusions de fait et à arriver à une décision raisonnable fondée sur les éléments de preuve, même s’ils étaient contradictoires. Certains passages de la preuve documentaire semblent démontrer que l’actuel gouvernement du Mexique manifeste un certain désir d’améliorer la situation, alors que d’autres passages donnent à penser que les mesures de protection sont inefficaces. En l’espèce, la Commission avait l’obligation d’expliquer la raison pour laquelle elle s’était appuyée sur les éléments de preuve concernant les efforts faits par l’État plutôt que sur les éléments de preuve selon lesquels la corruption et l’impunité continuent d’être une réalité répandue et généralisée au Mexique. À la lecture de la preuve documentaire et de la décision de la Commission, il est évident que la Commission a fait une analyse sélective de la preuve documentaire.

 

 

 

[39]           Dans le jugement Goman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 643, au paragraphe 13, voici ce que la Cour avait à dire à ce sujet :

 

Il est bien connu et établi que le décideur n’a pas à faire référence à tous les éléments de preuve sur lesquels il s’appuie, mais, en même temps, s’il ne signale une preuve contradictoire pertinente qui lui est présentée, la cour de révision peut conclure que la Commission n’a pas pris en compte ou qu’elle a apprécié de manière erronée des faits fondamentaux et est parvenue à une décision erronée […]

 

 

 

[40]           Dans le jugement M.P.C.Q. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 297, au paragraphe 8, la Cour a formulé la mise en garde suivante :

 

Des déclarations générales selon lesquelles [traduction] « tous les éléments de la preuve » ont été considérés ne sont pas suffisantes en l’espèce. Avant de déclarer qu’il n’y avait pas de « preuve convaincante », la CISR avait l’obligation d’étudier de manière sérieuse la preuve et les déclarations de la demanderesse principale, en particulier si on pouvait raisonnablement envisager qu’elles répondaient aux préoccupations de la CISR quant à la suffisance de la protection de l’État. Le fait que la CISR doit examiner la preuve qui lui est présentée, notamment lorsqu’elle apparait être une « preuve convaincante », est un principe de droit de l’immigration bien établi […]

 

 

[41]           En outre, plus les éléments de preuve sont importants, plus il est probable que la SPR ait commis une erreur en ne les mentionnant pas (Packinathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 834, au paragraphe 9). Le demandeur a, dans ses observations écrites, relevé expressément des éléments de preuve documentaire suivant lesquels les FARC considèrent tout refus comme une opposition politique, ajoutant que la SPR a commis une erreur en ignorant ces éléments de preuve. La SPR se contente de dire ce qui suit au sujet des opinions politiques attribuées au demandeur : « J’estime que la preuve soumise ne suffit pas à établir la présence d’un lien du fait des opinions politiques imputées du demandeur d’asile. » (Paragraphe 19 de la décision) La SPR n’explique pas la raison pour laquelle elle dit que la preuve documentaire présentée par le demandeur « ne suffit pas ».

[42]           La SPR a également conclu que le fait pour les FARC d’avoir immédiatement remplacé leur demande de médicaments par une demande d’argent signifiait que « les FARC souhaitaient simplement servir leurs intérêts financiers et criminels ». Les FARC sont un groupe politique qui a des visées politiques et qui amasse des fonds au moyen d’extorsions. Le simple fait que les FARC ont changé leurs demandes, exigeant de l’argent au lieu de médicaments, ne signifie pas qu’on devrait les considérer simplement comme une organisation criminelle se livrant à des activités criminelles à des fins financières; elle n’en demeure pas moins un groupe politique. Le caractère politique des FARC est examiné dans une foule de documents soumis par le demandeur. Vu ce qui précède, le demandeur affirme que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’existait pas de lien avec l’un des motifs prévus par la Convention.

[43]           Le critère applicable suivant l’article 96 est celui de savoir s’il existe une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il devait retourner en Colombie. Ce critère est moins exigeant que celui de la prépondérance des probabilités, mais plus strict qu’une simple possibilité (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 RCS 593, au paragraphe 120). Le critère prévu à l’article 97 est plus exigeant; il s’agit du critère de la prépondérance des probabilités (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1). Le demandeur affirme par conséquent que la SPR a commis une erreur en appliquant uniquement le critère plus exigeant de l’article 97 à sa demande d’asile au lieu du critère moins strict prévu par l’article 96.

L’article 97

[44]           Le demandeur affirme que la SPR a également commis une erreur dans son analyse de l’article 97 en concluant que le demandeur était exposé à un risque généralisé, au lieu d’être personnellement exposé à un risque en Colombie. Dans le jugement Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365 [Pineda], la Cour fédérale déclare ce qui suit, aux paragraphes 13 et 15 :

 

Bref, le risque auquel un demandeur se dit exposé ne doit pas être un risque aléatoire et généralisé encouru indistinctement par toute personne vivant dans le pays où il risque d’être renvoyé. En l’occurrence, le demandeur a soutenu dans son Formulaire de renseignement personnel (FRP) qu’il avait été personnellement exposé au danger; pourtant, la SPR n’en a pas tenu compte et a plutôt mis l’accent sur le fait que M. Pineda a déclaré dans son témoignage que les Maras Salvatruchas recrutent à la grandeur du pays et visent toutes les couches de la société, peu importe l’âge des personnes visées.

 

[…]

 

Dans ces circonstances, la conclusion de la SPR est manifestement déraisonnable. On ne peut accepter, du moins tacitement, le fait que le demandeur ait été menacé par un gang bien organisé et qui sème la terreur sur tout le territoire, d’après la preuve documentaire, et opiner du même souffle que ce même demandeur ne serait pas exposé à un risque personnel s’il retournait au El Salvador. Il se peut bien que les Maras Salvatruchas recrutent parmi la population en général; il n’en demeure pas moins que M. Pineda, s’il faut en croire son témoignage, a été spécifiquement visé et a fait l’objet de menaces insistantes et d’agressions. De ce fait, il est exposé à un risque supérieur à celui auquel est exposée la population en général.

 

 

 

[45]           Le demandeur souligne qu’il était personnellement et spécifiquement visé par les FARC et que lui et les membres de sa famille étaient personnellement menacés. Se fondant sur le jugement Pineda, le demandeur affirme qu’il était « spécifiquement visé », de sorte qu’il était personnellement, et non généralement, exposé à un risque. Comme la Cour l’a déclaré, aux paragraphes 36 et 50 du jugement Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 678 :

Comme je l’ai déjà fait observer, j’estime que l’interprétation que la SPR a faite de l’article 97 de la LIPR dans sa décision est à la fois incorrecte et déraisonnable. Les deux affirmations que la Commission fait sont tout simplement incompatibles : si une personne est exposée à une menace personnelle à sa vie ou au risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités, ce risque n’est plus un risque général. Si le raisonnement de la Commission est juste, il est peu probable qu’il existe des situations dans lesquelles cet article permettrait à quiconque d’être protégé des risques liés à la criminalité. D’ailleurs, l’avocat du défendeur n’a pas été en mesure de donner d’exemples de situations de cette nature, qui seraient sensiblement différentes des circonstances de la présente espèce. L’interprétation de la SPR dépouillerait donc l’article 97 de la Loi de tout contenu ou signification.

 

[…]

 

Tout comme les demandeurs d’asile visés par les nombreuses décisions susmentionnées, le demandeur était, dans le cas qui nous occupe, exposé à un risque accru et différent par rapport à celui auquel d’autres jeunes hommes sont exposés au Salvador parce que, après qu’il ait parlé à la police et communiqué aux policiers l’adresse de la mère de Carlos, la MS lui avait par représailles proféré des menaces. Il a été démontré que Carlos avait adhéré à la MS et qu’il avait personnellement proféré des menaces à l’endroit du demandeur. La situation du demandeur était donc radicalement différente de celle d’autres personnes pouvant être exposées au risque général d’être recrutées ou de faire l’objet de menaces ou même d’agressions de la part de la MS. Il a été démontré que le demandeur était personnellement et directement exposé à une menace de mort. On est très loin du risque d’extorsion, de recrutement ou d’agression, et le risque auquel le demandeur est exposé est beaucoup plus sérieux et plus direct que celui auquel d’autres hommes du Salvador sont exposés. Par conséquent, la décision de la SPR est à la fois déraisonnable et incorrecte.

 

 

 

[46]           La décision rendue dans l’affaire Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 238, au paragraphe 32, établit une distinction entre les actes de violence aléatoires et les actes ciblés. Les premiers représentant un risque généralisé tandis que les seconds constituent un risque personnalisé. Dans le même ordre d’idées, dans le jugement Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 705, la Cour a déclaré, au paragraphe 19 : « La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas exposé à un risque plus grand que d’autres Salvadoriens ne peut se justifier, car la Commission avait déjà reconnu qu’il était exposé à un risque et qu’il était personnellement pris pour cible. »

[47]           De plus, dans le jugement Kaaker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1401, au paragraphe 51, la Cour a conclu ce qui suit :

 

La SPR a eu tort d’appliquer au demandeur l’exception du risque généralisé alors qu’elle avait admis qu’il avait été personnellement ciblé pour des actes d’extorsion et d’enlèvement. La SPR ne saurait conclure qu’un demandeur d’asile est exposé à une menace pour sa vie et simultanément dire que ce risque était généralisé au motif que les actes d’extorsion et d’enlèvement sont monnaie courante en Afghanistan.

 

 

Voir également les jugements Olvera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1048, au paragraphe 1, et Malvaez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1476, au paragraphe 16.

[48]           Comme la SPR avait accepté que la demande d’asile du demandeur était crédible, il était déraisonnable de sa part de conclure que le demandeur n’était pas exposé à un risque plus élevé que les autres Colombiens dès lors qu’elle acceptait qu’il était exposé à un risque et qu’il était spécifiquement visé. Le demandeur renvoie au paragraphe 17 du jugement Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 62 :

 

Comme c’était le cas dans Martinez Pineda, la Commission a commis une erreur dans sa décision : elle s’était concentrée sur la menace généralisée à laquelle était exposée la population du Guatemala, en omettant toutefois de prendre en compte la situation particulière du demandeur. Parce que la crédibilité du demandeur n’était pas en cause, il incombait à la Commission d’apprécier rigoureusement le risque personnel auquel le demandeur était exposé afin de procéder à une analyse complète de sa demande d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR. Il semble que le demandeur n’avait pas été pris pour cible de la même manière que n’importe quel autre marchand : il était menacé de représailles parce qu’il avait collaboré avec les autorités, qu’il avait refusé de se plier à la volonté du gang et qu’il connaissait les circonstances du décès de M. Vicente.

 

 

 

[49]           Le demandeur affirme que la SPR a conclu que, comme la criminalité est répandue en Colombie, il n’était pas exposé à un risque personnalisé, ce qui est erroné, comme la Cour l’a souligné aux paragraphes 27 et 34 du jugement Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1210 :

La majorité des affaires dépendent de la question de savoir si la dernière condition est remplie, c’est‑à‑dire si d’autres personnes qui se trouvent dans le pays sont généralement exposées au même risque que le demandeur d’asile. J’ouvre ici une parenthèse pour souligner que la SPR et la Cour restent malheureusement trop souvent vagues à cet égard. Je l’ai moi‑même fait. En particulier, un grand nombre de décisions indiquent ou laissent entendre qu’un risque généralisé n’est pas un risque personnel. Cela signifie habituellement que d’autres personnes sont généralement exposées au même risque que le demandeur d’asile et que ce dernier ne satisfait donc pas aux exigences de la Loi. Cela ne signifie pas que le demandeur d’asile ne court personnellement aucun risque. Il est important qu’un décideur conclue qu’un demandeur d’asile est personnellement exposé à un risque parce que, si aucun risque personnel n’existe, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse de la demande; il n’existe tout simplement aucun risque. Ce n’est qu’après avoir conclu que le demandeur d’asile est personnellement exposé à un risque que le décideur doit déterminer si la population est généralement exposée au même risque.

 

[…]

 

À mon avis, la protection offerte par la Loi n’est pas limitée de la manière décrite par le défendeur, ce qui ne veut pas dire que les personnes qui sont exposées au même risque ou à un risque plus grand de violence aveugle commise par des gangs que d’autres personnes ont droit à la protection. Cependant, lorsqu’une personne risque expressément et personnellement d’être tuée par un gang dans des circonstances où d’autres personnes ne sont généralement pas exposées à ce risque, elle a droit à la protection de l’article 97 de la Loi si les autres exigences légales sont remplies.

 

 

 

[50]           Voici ce que le juge Donald Rennie avait à dire à ce sujet dans le jugement Vivero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 138, aux paragraphes 28 et 29 :

Nous devons nous rappeler que le législateur est présumé ne pas avoir adopté de législation dénuée de substance; ainsi, l’interprétation de l’article 97 fréquemment préconisée par la Section de la protection des réfugiés ne peut être confirmée : par exemple, les personnes victimes de désastres naturels seraient privées de protection, car ceux-ci frappent tout le monde, et il en irait de même des victimes d’actes criminels, puisque la menace d’extorsion est collective. L’article 97 ne servirait donc qu’à protéger les personnes victimes d’actes criminels dans des pays où le risque de criminalité n’est ni courant ni répandu. Dans ce cas, en toute logique, la protection de l’État est probablement disponible. Par conséquent, l’article 97 serait vidé de sa teneur et dénué de sens, et ne serait plus qu’une disposition législative en mal de signification.

 

 

Comme nous l’avons déjà indiqué, la position du défendeur découle d’une insistance déplacée sur le fondement du risque – la question n’est pas de savoir si le risque auquel le demandeur d’asile fait face découle d’activités criminelles, mais plutôt si ce dernier est exposé personnellement à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, et si d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas. Si la Commission ne se livre pas à une enquête individualisée pour trancher ces questions, la Cour pourra intervenir.

 

 

 

[51]           Le demandeur cite également les paragraphes 7, 9, 13 et 14 du jugement Lovato c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 143:

 

La Commission a souligné à bon droit que « pour examiner la possibilité d’appliquer le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, il faut procéder à un examen personnalisé dans le contexte des risques réels et potentiels auxquels est exposé le demandeur d’asile ». Toutefois, la Commission a ensuite conclu que  « même si le demandeur d’asile est personnellement exposé à un risque de préjudice, dans les cas comme celui-ci – où la population générale est exposée au risque d’être victime d’actes criminels –, une personne qui est une victime directe d’actes criminels n’est pas automatiquement une personne à protéger au titre de l’article 97 de la LIPR ». Selon moi, la Commission a mal compris le critère juridique prévu au sous-alinéa 97(1)b)(ii), ce qui a rendu sa décision déraisonnable.

 

[…]

 

La commission a commis une erreur en concluant que le demandeur était exposé à un risque de préjudice particulier, mais ne pouvait pas se voir accorder la protection prévue à l’article 97 pour la simple raison qu’il existe un risque généralisé d’activités criminelles ou d’activités de la part des gangs au Salvador. Dans la décision Vivero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 138, la Cour a examiné les principes fondamentaux régissant l’interprétation du sous-alinéa 97(1)b)(ii) – notamment qu’un examen personnalisé doit être effectué dans chaque cas et le fait que le risque auquel un demandeur est exposé découle d’activités criminelles n’écarte pas en soi la possibilité que la protection prévue à l’article 97 soit accordée. La décision attaquée n’est pas conforme à la jurisprudence, car elle fait complètement fi d’une situation où il est admis que l’intéressé est spécifiquement exposé à un risque, et cela simplement parce que les agissements qui sont la source du risque sont aussi de nature criminelle.

 

[…]

 

En l’espèce, la Commission s’est fondée sur une interprétation erronée de la signification du sous-alinéa 97(1)b)(ii). Bien qu’elle eût conclu que le demandeur était exposé à un risque particulier de préjudice, elle a conclu que la population en général était exposée à ce risque parce que tous les Salvadoriens sont exposés à un risque de violence de la part de la MS. Le commissaire a souligné ce qui suit : « Je ne dispose d’aucun élément de preuve convaincant selon lequel le demandeur d’asile a été pris pour cible si ce n’est que pour les raisons que j’ai déjà mentionnées », c’est-à-dire ceux pour lesquels la MS cible n’importe quel membre de la population. De cette façon, la Commission a à tort mis l’accent sur les motifs pour lesquels le demandeur était ciblé, plutôt que sur la preuve que la MS visait le demandeur dans une mesure plus importante que la population en général. Par conséquent, la décision de la Commission était déraisonnable.

 

 

Comme il a été souligné dans Vivero, l’article 97 ne doit pas être interprété d’une manière qui le vide de son sens. Si un risque créé par une « activité criminelle » est toujours considéré comme un risque général, il est difficile de voir comment les exigences prévues à l’article 97 pourraient être satisfaites. Au lieu de mettre l’accent sur la question de savoir si le risque est créé par une activité criminelle, la Commission doit concentrer son attention sur la question dont elle est saisie : le demandeur serait-il exposé à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements et peines cruels et inusités à laquelle ou auquel les autres personnes qui vivent dans le pays ou qui sont originaires du pays ne sont pas exposées? Comme en l’espèce, la Commission ne s’est pas bien penchée sur cette question, la décision doit être annulée.

 

[52]           Le demandeur affirme que la SPR n’a pas cherché à faire de distinctions entre les décisions susmentionnées et qu’elle les a tout simplement ignorées tout en se fondant sur d’autres décisions plus anciennes.

[53]           Le demandeur affirme en outre que la SPR n’a pas tenu compte de deux rapports sur la situation en Colombie, à savoir un rapport intitulé « Country Conditions in Colombia Relating to Asylum Claims in Canada » de Mark Chernick, et un rapport intitulé « Continued Insecurity » de James J. Brittain. Dans le jugement Yepes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1357, le juge Robert Barnes déclare ce qui suit, au paragraphe 10 : « Même si l’omission de la Commission de tirer des conclusions de fait et des conclusions relatives à la crédibilité ne constituait pas en l’espèce une erreur susceptible de contrôle, le fait que la Commission n’a aucunement mentionné la preuve de M. Brittain et de M. Chernick justifierait le renvoi de l’affaire pour que l’on statue à nouveau sur elle… » Comme la SPR n’a aucunement mentionné ces rapports, le demandeur affirme qu’elle a commis, là encore, une autre erreur.

Le défendeur

            Le lien

[54]           Le défendeur souligne que notre Cour a déclaré que, bien que la plupart des actes de persécution soient de nature criminelle, ce ne sont pas tous les actes criminels qui peuvent être considérés comme des actes de persécution (Alifanova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1825 (C.F. 1re inst.); Sokolov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1321; Karaseva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1725 (C.F. 1re inst.)). Le demandeur était exposé à de l’extorsion et à des menaces de lésions corporelles, qui sont essentiellement des actes criminels.

[55]           Il existe une abondante jurisprudence suivant laquelle les victimes d’acte criminel ne forment pas un groupe social particulier (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689; Mason c Canada (Secrétariat d’État), [1995] ACF no 815 (C.F. 1re inst.)). La crainte d’une personne d’être la victime de criminels ne saurait constituer le fondement d’une demande d’asile (Suarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1036 (C.F. 1re inst.); Valderrama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1125 (C.F. 1re inst.)).

[56]           Le demandeur a été pris pour cible à des fins d’extorsion en raison de sa richesse réelle ou apparente. Les FARC ne le persécutaient pas en raison de ses opinions politiques réelles ou attribuées et le demandeur n’a présenté aucun argument convaincant à cet égard. Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention.

[57]           Le fait que les FARC soient un organisme qui défend une idéologie et qu’il se livre à des attaques politiques ne change rien au fait que le demandeur ait été ciblé en raison de son refus de payer l’argent qu’on tentait de lui extorquer. Même si l’on extorque de l’argent à quelqu’un pour lui faire payer un impôt de guerre, il n’existe pas pour autant en pareil cas un lien avec un motif prévu par la Convention. Dans le jugement Caicedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 749, aux paragraphes 36 et 37, la Cour déclare ce qui suit :

 

La Commission a déterminé que le père avait été enlevé, s’il l’a réellement été, pour des motifs économiques, ce qui ne permet pas d’établir un lien avec un motif de la Convention. La question du lien est principalement une question de fait qui relève de l’expertise de la Commission : Prato c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1088, au paragraphe 9. Il est bien établi dans la jurisprudence que l’extorsion pour des motifs économiques ne permet pas de créer un lien avec un motif prévu par la Convention : Saint Hilaire c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 178. Dans d’autres cas encore, il a été déterminé que la perception d’un impôt de guerre ou l’extorsion par des groupes paramilitaires ne figuraient pas parmi les motifs reconnus par la Convention. Par exemple : Ospina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1035; Montoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 63.

 

Compte tenu de la jurisprudence qui existe sur ce point, et à la lumière des faits qui ont été présentés à la Commission quant à la nature de la crainte de la demanderesse principale, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que l’enlèvement du père n’était lié à aucun des motifs visés par la Convention.

 

[58]           De même, le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part de la SPR en l’espèce de conclure que le refus du demandeur de payer les FARC ne permettait pas de lui attribuer des opinions politiques.

L’article 97

[59]           Le défendeur affirme que la question de savoir si le demandeur a été victime d’une violence généralisée appelle une appréciation de sa situation particulière. Le demandeur cite des affaires dans lesquelles la cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire alors que la demande d’asile avait été tout d’abord refusée au motif que le risque auquel le demandeur d’asile était exposé était un risque généralisé. Il convient toutefois d’examiner ces affaires en fonction de leurs faits propres. Il est de jurisprudence constante que les demandeurs d’asile doivent pouvoir invoquer des raisons personnelles pour qu’on puisse conclure que le risque auquel ils sont exposés ne constitue pas un risque généralisé. Dans le jugement Palomo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1163, la Cour affirme ce qui suit aux paragraphes 19 à 22 :

Des précédents tels que Martinez Pineda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365, [2000] A.C.F. n° 501 (QL) et Aguilar Zacarias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 62, [2011] A.C.F. n° 144 (QL) semblent militer en faveur de Mme Jimenez Palomo, mais, dans les deux cas, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire parce que la situation personnelle du demandeur n’avait pas été prise en compte. Ainsi que l’écrivait monsieur le juge Simon Noël au paragraphe 17 de la décision Aguilar Zacarias, précitée :

 

Comme c’était le cas dans Martinez Pineda, la Commission a commis une erreur dans sa décision : elle s’était concentrée sur la menace généralisée à laquelle était exposée la population du Guatemala, en omettant toutefois de prendre en compte la situation particulière du demandeur. Parce que la crédibilité du demandeur n’était pas en cause, il incombait à la Commission d’apprécier rigoureusement le risque personnel auquel le demandeur était exposé afin de procéder à une analyse complète de sa demande d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR. [...]

Il ne suffit pas d’être à l’aise financièrement (Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, [2008] A.C.F. n° 415 (QL), appel rejeté : 2009 CAF 31, [2009] A.C.F. n° 143 (QL)), ni d’être commerçant, ni de travailler comme percepteur des droits de transport dans un autobus (Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, [2009] A.C.F. n° 270 (QL)).

 

Comme le disait madame la juge Tremblay-Lamer dans la décision Prophète, précitée, la Cour a ici affaire à une personne qui est sans doute exposée à un risque personnalisé, mais à un risque partagé par bien d’autres qu’elle. Le fait qu’un nombre déterminé de personnes puissent être ciblées plus souvent que d’autres ne signifie pas que le risque n’est pas un risque généralisé au sens de l’article 97.

 

Je fais miens les propos suivants tenus par monsieur le juge Crampton dans la décision Paz Guifarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, [2011] A.C.F. n° 222 (QL), où il écrivait, au paragraphe 33 :

 

Compte tenu de la fréquence avec laquelle les arguments avancés en l’espèce continuent d’être présentés quant à l’application de l’article 97,  j’estime qu’il est nécessaire de souligner qu’il est désormais bien établi en droit que les demandes d’asile fondées sur le fait que le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible de l’être à l’avenir ne répondront pas aux exigences du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR lorsque (i) le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible d’être ciblé dans son pays d’origine en raison de son appartenance à un sous-groupe de personnes rentrées de l’étranger ou considérées comme nanties pour d’autres raisons et que (ii) ce sous-groupe est suffisamment important pour que ce risque puisse raisonnablement être qualifié de répandu ou de courant dans ce pays. À mon sens, un sous-groupe formé de milliers de personnes serait suffisamment important pour que le risque auquel ces personnes sont exposées soit considéré comme répandu ou courant dans leur pays d’origine, et donc, comme « général » au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(ii), et ce, même si ce sous-groupe ne représente qu’un faible pourcentage de la population de ce pays.

 

[60]           Le défendeur affirme que la SPR a tenu compte de la situation personnelle du demandeur et a conclu qu’il se trouvait dans la même situation que bon nombre d’autres personnes. Cette conclusion était raisonnable compte tenu des faits et de la preuve documentaire. L’interprétation que la SPR a faite de la loi était conforme à la jurisprudence. Notre Cour a jugé à plusieurs reprises que l’aisance matérielle est insuffisante pour étayer une demande en vertu de l’article 97 (Guifarro, précité; Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331; Kanga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 482; Ayala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 183). Le défendeur qu’il s’agit en l’espèce d’un risque qui, bien que peut‑être accru, n’en demeure pas moins généralisé.

[61]           De plus, l’existence d’une opinion contraire dans la preuve documentaire ne suffit pas pour conclure que la décision de la SPR est déraisonnable (Conkova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 300 (C.F. 1re inst.)). Le demandeur affirme simplement que d’autres conclusions auraient pu être tirées, ce qui ne suffit pas pour justifier de faire droit à la demande de contrôle judiciaire lorsque la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au paragraphe 11).

[62]           Le demandeur remet en question le défaut de la SPR de mentionner les rapports publiés par M. Chernik et le professeur Brittain au sujet de la Colombie, mais on doit présumer que la SPR a tenu compte de tous les éléments de preuve, et ce, peu importe qu’elle les ait mentionnés ou non dans sa décision (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF)). Le fait que la SPR ne résume pas tous les éléments de preuve dans ses motifs ne constitue pas une erreur justifiant l’infirmation de sa décision (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 946 (CAF)). Ce principe a été récemment réaffirmé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Newfoundland and Labrador (Treasury Board), 2011 CSC 62.

La réponse du demandeur

[63]           Le demandeur répète son argument que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu à l’inexistence d’un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention du fait des opinions politiques attribuées, ajoutant que la SPR a ignoré des éléments de preuve documentaire suivant lesquels les FARC attribuaient des opinions politiques contraires à ceux qui n’obtempéraient pas à leurs demandes d’extorsion.

[64]           Le demandeur affirme en outre que dans aucune des décisions invoquées par le défendeur, la Commission ne disposait-elle d’éléments de preuve au sujet des opinions politiques attribuées, comme ceux du demandeur en l’espèce. On peut établir une distinction entre la présente espèce et les affaires en question, parce ce que le demandeur a expressément attiré l’attention de la SPR sur les éléments de preuve documentaire en question dans ses observations écrites. La SPR a ignoré ces éléments de preuve, ce qui rend sa décision déraisonnable.

ANALYSE

[65]           À mon avis, la SPR a commis en l’espèce une erreur fondamentale qui exige que l’affaire lui soit renvoyée pour réexamen.

[66]           Dans son examen de la question du lien, la SPR s’est contentée d’examiner les éléments de preuve expliquant les raisons pour lesquelles le demandeur avait été abordé par les FARC et si ces dernières lui avaient extorqué de l’argent. Les FARC ont effectivement abordé le demandeur et l’ont menacé parce qu’elles voulaient d’abord des médicaments, puis de l’argent. Aucun élément de preuve ne permettait de penser que le demandeur s’était livré à des activités politiques pour s’opposer aux FARC, de sorte qu’il était entièrement raisonnable de la part de la SPR de conclure comme suit : « Les éléments de preuve fiables et probants permettent de croire que les membres des FARC prenaient le demandeur d’asile pour cible aux fins d’extorsion simplement parce qu’ils savaient qu’il possédait une entreprise et supposaient qu’il était en mesure de répondre à leurs exigences. »

[67]           Or, le demandeur ne craignait pas qu’à son retour en Colombie, les FARC lui extorquent de l’argent. Ce qu’il craignait c’était, à son retour en Colombie, d’être tué ou de subir d’autres sévices de la part des FARC parce qu’il avait résisté aux tentatives précédentes d’extorsion de la part des FARC.

[68]           À cet égard, la SPR disposait d’éléments de preuve clairs, en l’occurrence, l’extrait suivant d’un rapport publié en 2005 par l’UNHCR :

[traduction]

Il arrive souvent que les membres de groupes armés irréguliers kidnappent des personnes réputées avoir des opinions politiques contraires et/ou leur extorquent de l’argent. Ils recourent également aux enlèvements et à l’extorsion pour financer leurs visées politiques et militaires, ciblant toute personne considérée comme une source de financement possible, indépendamment de son statut social ou de ses activités politiques. L’importance des sommes d’argent soutirées grâce aux rançons ou à l’extorsion et visant à financer les activités politiques et militaires, fait en sorte que le refus ou l’incapacité de payer est considéré comme un acte ou un indice d’opposition politique qui donne lieu à des actes de persécution et de violence. C’est ce qu’on constate à la lecture de lettres écrites par des groupes armés irréguliers exigeant le paiement d’un « impôt de guerre » (ce qu’on est convenu d’appeler la « vacuna ») et la menace d’étiqueter les victimes comme des cibles militaires en cas de refus ou de défaut de payer. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[69]           Le demandeur a appelé expressément l’attention de la SPR sur ce rapport et le conseil du demandeur a formulé des observations à ce sujet et demandé à la SPR de considérer les opinions politiques attribuées comme établissant un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention. Il est acquis aux débats que le demandeur n’avait en fait aucune opinion politique.

[70]           Cette question et ces éléments de preuve ne sont pas abordés dans la décision. Ils auraient dû l’être. Le rapport de l’UNHCR contredit directement la conclusion de la SPR au sujet de l’absence de lien politique. (Voir Cepeda, précité.) Il s’ensuit que la SPR n’a pas examiné à fond la question du lien politique et de la persécution visée à l’article 96 de la Loi et qu’elle est passée directement aux facteurs prévus à l’article 97. La SPR avait l’obligation d’examiner cette question et les éléments de preuve à l’appui, et son défaut de le faire a fait en sorte qu’elle a rendu une décision déraisonnable.

[71]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  ACCUEILLE la demande; ANNULE la décision et RENVOIE l’affaire à la SPR pour qu’elle soit réexaminée par un tribunal différemment constitué.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8790-12

 

INTITULÉ :                                      DARLEY ALBERTO SANTANILLA BONILLA, CLAUDIA PATRICIA ARANGO PANTOJA, NICOLAS SANTANILLA ARANGO et CAMILA SANTANILLA ARANGO

 

                                                            -   et   -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 avril 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Jack Davis                                                                               POUR LES DEMANDEURS

 

Suran Bhattacharyya                                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                               

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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