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Date : 20130614

Dossier : IMM-7952-12

Référence : 2013 CF 653

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 14 juin 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

MAKSIMS VETCELS et

VLADIMIRS VETECLS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sont des frères d’origine ethnique russe qui résidaient en Lettonie et qui détenaient des passeports lettons « pour non-citoyens ». Maksims Vetcels (Maksims) est venu au Canada et Vladimirs Vetecls (Vladimirs) a fait de même quelque mois plus tard; ils ont tous les deux demandé l’asile à leur arrivée. Un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leurs demandes par une décision datée du 17 juillet 2012. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]               Je rejetterai la présente demande pour les motifs qui suivent.

 

[3]               L’avocat des demandeurs a soulevé les questions suivantes :

1.       Les demandeurs se sont‑ils vu priver d’une audition impartiale en ce qui a trait à une discussion ayant eu lieu au début de l’audience entre le commissaire et le conseil des demandeurs?

 

2.       Le commissaire a‑t‑il commis une erreur de droit en rejetant les demandes d’asile des demandeurs au regard de la protection de l’État — la protection de l’État était‑elle pertinente?

 

3.       L’appréciation du commissaire selon laquelle Maksims n’était pas crédible était‑elle raisonnable?

 

4.       L’analyse du commissaire eu égard à la persécution était‑elle déraisonnable?

 

Je vais tout d’abord traiter de la question no 1 et de la question no 3, et j’aborderai ensuite les questions no 2 et 4 ensemble.

 

Question no 1

[4]               J’ai examiné la partie pertinente de la transcription en question, laquelle se trouve aux pages 261 et 262 du dossier certifié du tribunal. Je conclus que le commissaire a entendu des observations préliminaires quant à la question de savoir si les demandeurs étaient des citoyens ou des ressortissants de la Lettonie, mais qu’il a laissé la question en suspens pour y revenir plus tard. Les demandeurs n’ont pas été privés d’une audition impartiale.

 

Question no 3

[5]               J’ai examiné la transcription, le dossier certifié du tribunal et la décision du commissaire. Je juge que la conclusion selon laquelle le témoignage de Maksims n’était pas crédible est déraisonnable.

 

Questions no 2 et 4

[6]               Ces deux questions nécessitent un examen à l’égard du statut des personnes qui, comme les demandeurs, détiennent des passeports lettons « pour non-citoyens ».

 

[7]               Dans le passé, au cours du 20siècle, la Lettonie avait été annexée par l’Union des républiques socialistes soviétiques (l’URSS). Au cours de cette période, un grand nombre de personnes d’origine russe avait déménagé en Lettonie. L’URSS a par la suite été dissoute et la Lettonie était devenue un pays indépendant comptant deux importants groupes ethniques, les Lettons et les Russes. La Lettonie a créé une catégorie de personnes décrites comme des « non‑citoyens ». Cette catégorie était composée en grande partie de personnes d’origine ethnique russe. Les non-citoyens avaient certains des droits dont jouissaient les citoyens. Les non-citoyens pouvaient obtenir la pleine citoyenneté s’ils réussissaient certains examens. Les non-citoyens étaient assujettis à des restrictions, entre autres en matière de voyage à l’étranger et en ce qui a trait au droit de vote. Le commissaire a décrit de cette manière le statut des non-citoyens aux paragraphes 5 et 6 des motifs visés par le présent examen :

[5]        Après l’indépendance de la Lettonie, la structure organisationnelle et politique a fait en sorte qu’un grand nombre de personnes d’origine russe en Lettonie se sont retrouvées sans citoyenneté. La Lettonie a tenté de corriger cet état de fait, mais en raison de ce que certains appellent un rappel politique, une classe de « non-citoyens » a été créée. La Lettonie reconnaît les droits sociaux et économiques des non-citoyens, malgré quelques dispositions discriminatoires. Ces droits comprennent la protection diplomatique ainsi que la délivrance d’un passeport spécial qui leur permet d’entrer dans l’espace Schengen sans visa et de revenir en Lettonie. Les non-citoyens lettons ne peuvent pas être expulsés, en dépit des craintes hypothétiques des demandeurs d’asile. De plus, l’égalité d’accès à l’aide sociale, aux prestations d’aide sociale et aux services d’aide social est accordée à tous les résidents de la Lettonie. Toutefois, les non-citoyens n’ont pas de droits politiques et n’ont pas le droit de pratiquer certaines professions; des restrictions sont prévues pour ce qui est de posséder des terres. Essentiellement, selon les critiques, puisque les non-citoyens ne peuvent voter, ils ne peuvent être considérés comme des ressortissants. Il n’est pas nécessaire d’établir le même niveau de discernement pour déterminer la nationalité dans le cadre d’une audience sur une demande d’asile. La Lettonie reconnaît ces « non-citoyens », leur délivre des passeports et leur donne même le droit de quitter le pays et d’y revenir à leur gré. En outre, les demandeurs d’asile sont même en mesure de demander et d’obtenir la citoyenneté en Lettonie. En réalité, Vladimirs l’a déjà demandée et attendait une invitation à passer l’examen écrit. Même si les demandeurs d’asile croient qu’il s’agit d’un processus très difficile et compliqué, il n’y a aucune preuve convaincante objective qui indique que la Lettonie se sert de ces examens pour empêcher les personnes d’origine russe d’obtenir la citoyenneté en Lettonie. En fait, depuis 1995, des dizaines de milliers de Russes sont déjà devenus des citoyens de la Lettonie.

 

[6]        Aux fins de l’évaluation, comme il est indiqué ci-dessus, les demandeurs d’asile sont des ressortissants de la Lettonie. Toutefois, même si cette évaluation était erronée, et je ne crois pas qu’elle le soit, la Lettonie serait alors très certainement leur pays de résidence habituelle antérieure. Les demandeurs d’asile peuvent toujours retourner en Lettonie, ont toujours résidé en Lettonie, y ont fait leurs études, y ont travaillé, y ont des résidences et ont le droit d’y obtenir la citoyenneté en la demandant et en passant certains examens sur l’histoire et la langue selon le demandeur d’asile.

 

 

[8]               Les questions soulevées par l’avocat des demandeurs nécessitent un examen de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait

de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses

opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette

crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution

for reasons of race, religion, nationality, membership

in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that

fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[9]               L’avocat des demandeurs prétend que les « non-citoyens » de la Lettonie n’ont pas de « nationalité » au sens de l’article 96; par conséquent, seule la « persécution » dans l’examen de leur demande d’asile, et la « protection de l’État » ne l’est pas.

 

[10]           Le juge Beaudry de la Cour a examiné la situation dans laquelle se trouve la personne apatride dans la décision Popov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 898. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 42 à 45 :

[42]      Bien qu’il soit vrai que dans l’affaire Thabet, la Cour d’appel fédérale crée une distinction entre les apatrides et les personnes qui possèdent une nationalité, il importe d’en lire la suite. La Cour a répondu à la question certifiée dont elle était saisie de la façon suivante :

 

Pour se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, une personne apatride doit démontrer, selon la probabilité la plus forte, qu’elle serait persécutée dans l’un ou l’autre des pays où elle a eu sa résidence habituelle et qu’elle ne peut retourner dans aucun d’eux. (Thabet, paragraphe 30) [non souligné dans l’original.]

 

[43]      L’affaire Thabet a clairement établi qu’il ne suffit pas à une personne d’être en mesure de retourner dans tous les pays où elle a eu sa résidence habituelle, elle doit également prouver qu’elle sera persécutée dans l’un de ces pays.

 

[44]      En l’espèce, compte tenu de leur statut d’apatride, M. Popov et Mme Doubrovskaia doivent prouver qu’ils seraient persécutés dans un pays, soit en Russie, soit aux États‑Unis, les pays où ils ont eu leur résidence habituelle, et qu’ils ne peuvent retourner dans l’autre. Bien qu’il soit clairement établi qu’ils ne peuvent retourner en Russie, ils ont déposé leur demande de protection contre les ÉtatsUnis et, à ce titre, ils doivent établir qu’ils seraient persécutés dans ce pays en particulier.

 

[45]      Pour y arriver, ils doivent démontrer non seulement une crainte subjective, mais également une crainte objective. Cela exige qu’ils réfutent la présomption de protection de l’État et qu’ils « prouve[nt] qu’ils ont épuisé tous les recours disponibles aux ÉtatsUnis sans avoir obtenu gain de cause avant de demander l’asile au Canada » (Hinzman, paragraphe 46).

 

[11]           Le juge Richard (tel était alors son titre) s’était penché sur une situation similaire dans la décision Falberg c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 594 (QL). Il a écrit ce qui suit, au paragraphe 8 :

8 Le requérant soutient également que, même si la Section du statut de réfugié a eu raison de conclure qu’il pourrait obtenir le statut de résident permanent en Estonie, cette conclusion ne lui est d’aucune utilité parce qu’il ne pourrait pas travailler à moins de présenter une demande de citoyenneté. Le requérant fait également valoir que la Section du statut a commis une erreur quand elle a conclu qu’il serait en mesure d’obtenir la citoyenneté à son retour en Estonie. À mon avis, les conclusions du tribunal sur ce point ne sont pas déraisonnables compte tenu de la preuve dont il disposait. La question fondamentale dont était saisie la Section du statut de réfugié n’était pas de déterminer si le requérant pouvait obtenir la citoyenneté à son retour en Estonie, mais plutôt si les politiques estoniennes, assez strictes, concernant l’octroi de la citoyenneté et les restrictions imposées aux résidents permanents n’ayant pas la citoyenneté pouvaient équivaloir à de la persécution au sens de la définition. Sur cette question, le requérant n’a pas réussi à démontrer qu’il pourrait être victime de persécution en raison de son statut de résident permanent et que l’État ne serait pas en mesure de lui accorder sa protection.

 

[12]           En l’espèce, la distinction entre nationalité et absence de nationalité n’est pas pertinente, puisque le commissaire a examiné la situation des demandeurs autant du point de vue de la protection de l’État que de celle de la persécution. Il a conclu que la protection de l’État était adéquate. Le témoignage de Maksims n’était pas considéré comme étant crédible, mais le témoignage de Vladimirs quant à la persécution a été examiné autant sous l’angle des circonstances qui lui étaient propres que dans l’ensemble. Je juge que les conclusions du commissaire en ce qui a trait à la protection de l’État et à la persécution sont raisonnables. C’est à la Commission qu’il appartient de dresser la frontière entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement. Les conclusions du commissaire à cet égard sont raisonnables.

 

[13]           J’estime que la présente affaire constitue un cas d’espèce, et aucune question ne sera certifiée. Il n’y a aucune raison spéciale justifiant une ordonnance relative aux dépens.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS :

 

LA COUR STATUE QUE :

1.                  La demande est rejetée;

 

2.                  Aucune question n’est certifiée;

 

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7952-12

 

INTITULÉ :                                      MAKSIMS VETCELS et VLADIMIRS VETECLS

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 13 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT             Le juge Hughes

ET JUGEMENT :

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 14 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven M. Beiles

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Steven M. Beiles

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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