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Date : 20130620

Dossier : IMM-7302-12

Référence : 2013 CF 692

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

TSERING LHAMO

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Tsering Lhamo, la demanderesse en l’espèce, est l’épouse d’un réfugié au sens de la Convention au Canada, Tsering Norbu. M. Norbu, son épouse et sa famille vivaient en Inde en tant que réfugiés tibétains apatrides. M. Norbu a obtenu le statut de réfugié au Canada en 2009. Au moment où il a présenté sa demande, M. Norbu, à titre de demandeur principal, avait inclus son épouse et ses deux fils comme membres de sa famille. Son épouse a par la suite présenté une demande de visa pour elle-même et pour un de ses fils, à titre de personne à charge d’une personne protégée. La demande de visa a été rejetée.

 

[2]               Mme Lhamo demande maintenant, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision du 20 avril 2012 par laquelle l’agent des visas (l’agent) du haut‑commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, a déterminé qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences d’admissibilité au statut de résidente permanente comme personne à charge d’une personne protégée au Canada.

 

[3]               En évaluant la demande, l’agent a voulu vérifier si le demandeur principal, M. Norbu, et la demanderesse, Mme Lhamo, étaient les parents biologiques des garçons. Les résultats des tests d’ADN ont révélé que le benjamin était le fils biologique de la demanderesse, mais pas celui de M. Norbu. Avant que les tests d’ADN ne soient effectués, l’aîné a choisi de demeurer en Inde avec sa petite amie, de sorte que son nom a été retiré de la demande.

 

[4]               Après la réception des résultats des tests d’ADN, M. Norbu a répondu à la lettre d’équité de l’agent en se disant attristé par cette révélation. Son épouse lui avait avoué qu’elle avait eu une relation extraconjugale, mais il s’était fait à l’idée et souhaitait poursuivre la demande. Dans son dernier affidavit, souscrit après le rejet de la demande de visa, M. Norbu déclare avoir toujours su que les deux garçons n’étaient pas ses fils biologiques. L’aîné avait été abandonné à la naissance, puis adopté et élevé par lui et son épouse. Le benjamin était le fils de son épouse et de son ex‑mari, décédé peu de temps après la naissance de l’enfant. M. Norbu explique qu’il cherchait désespérément à faire venir sa famille au Canada, qu’il avait reçu de mauvais conseils et qu’il croyait que la seule chose à faire était de déclarer que les garçons étaient ses propres fils. Il ignorait que le benjamin, à titre de fils de son épouse, pouvait être inclus comme membre de la famille.

 

[5]               Il convient de souligner que l’agent n’était pas au courant des derniers renseignements contenus dans l’affidavit de M. Norbu. M. Norbu avait seulement expliqué à l’agent que son épouse avait eu une aventure.

 

Décision

[6]               Les motifs de la décision comprennent la lettre de refus d’avril 2012 et les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), qui relatent le traitement de la demande. La lettre de l’agent indique qu’il n’était pas satisfait de l’explication fournie. Il n’était pas convaincu que la demanderesse n’était pas interdite de territoire et qu’elle se conformait à la Loi.

 

[7]               En rejetant la demande, l’agent s’est appuyé sur le paragraphe 16(1) de la Loi, selon lequel le demandeur doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées et présenter tous les éléments de preuve pertinents et les documents requis, de même que sur l’article 11, selon lequel l’agent peut délivrer le visa s’il est convaincu que le demandeur n’est pas interdit de territoire et se conforme à la Loi. L’agent s’est également appuyé sur les paragraphes 176(1) et (3) du Règlement, selon lesquels la demande d’un demandeur peut viser tout membre de sa famille, mais que le membre de la famille interdit de territoire en application du paragraphe 21(2) de la Loi ne peut devenir résident permanent.

 

Dispositions législatives applicables

[8]               Les dispositions législatives applicables sont reproduites ci‑dessous :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

 

21. (1) Devient résident permanent l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)a) et au paragraphe 20(2) et n’est pas interdit de territoire.

 

 

(2) Sous réserve d’un accord fédéro-provincial visé au paragraphe 9(1), devient résident permanent la personne à laquelle la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger a été reconnue en dernier ressort par la Commission ou celle dont la demande de protection a été acceptée par le ministre — sauf dans le cas d’une personne visée au paragraphe 112(3) ou qui fait partie d’une catégorie réglementaire — dont l’agent constate qu’elle a présenté sa demande en conformité avec les règlements et qu’elle n’est pas interdite de territoire pour l’un des motifs visés aux articles 34 ou 35, au paragraphe 36(1) ou aux articles 37 ou 38.

 

 

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

 

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile ou de protection;

 

d) la perte de la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

 

a) l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

 

 

 

 

b) l’alinéa (1)b) ne s’applique que si le ministre est convaincu que les faits en cause justifient l’interdiction.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

 

21. (1) A foreign national becomes a permanent resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(a) and subsection 20(2) and is not inadmissible.

 

 (2) Except in the case of a person described in subsection 112(3) or a person who is a member of a prescribed class of persons, a person whose application for protection has been finally determined by the Board to be a Convention refugee or to be a person in need of protection, or a person whose application for protection has been allowed by the Minister, becomes, subject to any federal-provincial agreement referred to in subsection 9(1), a permanent resident if the officer is satisfied that they have made their application in accordance with the regulations and that they are not inadmissible on any ground referred to in section 34 or 35, subsection 36(1) or section 37 or 38.

 

 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

 

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

 

 

(c) on a final determination to vacate a decision to allow their claim for refugee protection or application for protection; or

 

(d) on ceasing to be a citizen under paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of that Act.

 

(2) The following provisions govern subsection (1) :

 

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of two years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

 

(b) paragraph (1)(b) does not apply unless the Minister is satisfied that the facts of the case justify the inadmissibility.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Définition de « membre de la famille » :

1. (3) Pour l’application de la Loi — exception faite de l’article 12 et de l’alinéa 38(2)d) — et du présent règlement — exception faite des articles 159.1 et 159.5 —, « membre de la famille », à l’égard d’une personne, s’entend de :

 

a) son époux ou conjoint de fait;

 

b) tout enfant qui est à sa charge ou à la charge de son époux ou conjoint de fait;

 

 

c) l’enfant à charge d’un enfant à charge visé à l’alinéa b).

 

[…]

 

176. (1) La demande de séjour au Canada à titre de résident permanent peut viser, outre le demandeur, tout membre de sa famille.

 

(2) Le membre de la famille d’un demandeur visé par la demande de séjour au Canada à titre de résident permanent de ce dernier et qui se trouve hors du Canada au moment où la demande est présentée obtient un visa de résident permanent si :

 

a) d’une part, il présente une demande à un agent qui se trouve hors du Canada dans un délai d’un an suivant le jour où le demandeur est devenu résident permanent;

 

b) d’autre part, il n’est pas interdit de territoire pour l’un des motifs visés au paragraphe (3).

 

(3) Le membre de la famille qui est interdit de territoire pour l’un des motifs visés au paragraphe 21(2) de la Loi ne peut obtenir de visa de résident permanent ou devenir résident permanent.

1. (3) For the purposes de la Loi, other than section 12 and paragraph 38(2)(d), and for the purposes of these Regulations, other than sections 159.1 and 159.5, “family member” in respect of a person means

 

 

 

(a) the spouse or common-law partner of the person;

 

(b) a dependent child of the person or of the person’s spouse or common-law partner; and

 

(c) a dependent child of a dependent child referred to in paragraph (b).

 

[…]

 

176. (1) An applicant may include in their application to remain in Canada as a permanent resident any of their family members.

 

(2) A family member who is included in an application to remain in Canada as a permanent resident and who is outside Canada at the time the application is made shall be issued a permanent resident visa if

 

 

(a) the family member makes an application outside Canada to an officer within one year after the day on which la demanderesse becomes a permanent resident; and

 

(b) the family member is not inadmissible on the grounds referred to in subsection (3).

 

(3) A family member who is inadmissible on any of the grounds referred to in subsection 21(2) de la Loi shall not be issued a permanent resident visa and shall not become a permanent resident.

 

Questions en litige

[9]               La demanderesse fonde sa demande de contrôle judiciaire sur trois moyens : premièrement, l’agent a commis une erreur en s’appuyant sur l’article 16; deuxièmement, l’agent a fusionné les exigences prévues à l’article 16 et les règles concernant les fausses déclarations énoncées au paragraphe 40, qui ne constituent pas un motif d’interdiction de territoire dans le cas de la personne à charge d’une personne protégée, et, subsidiairement, il n’y a pas eu de fausses déclarations; troisièmement, l’agent a remis en question l’authenticité du mariage de la demanderesse et du demandeur principal, sans leur donner l’occasion de réagir, ce qui constituait un manquement à l’équité procédurale.

 

[10]           En ce qui concerne tous les moyens, la demanderesse soutient que les dispositions de la Loi doivent être examinées dans le contexte de l’objet et des objectifs généraux de la Loi, qui consistent à offrir protection aux réfugiés. La demanderesse souligne plusieurs dispositions de la Loi qui s’appliquent aux membres de la famille des personnes protégées, qui reconnaissent leurs circonstances spéciales et qui permettent une certaine clémence dans le traitement de leurs demandes de résidence permanente.

 

[11]           Dans le cas du paragraphe 16(1), la demanderesse convient que la véracité est un élément auquel les agents des visas doivent accorder de l’importance. Néanmoins, la demanderesse se fonde encore sur des dispositions particulières de la Loi qui reconnaissent les circonstances propres aux réfugiés et, plus particulièrement, aux membres de la famille de personnes protégées.

 

[12]           La demanderesse affirme que la nécessité de répondre véridiquement énoncée au paragraphe 16(1) n’est pas un motif d’interdiction de territoire qui permet de rejeter la demande de résidence permanente de l’époux ou épouse d’une personne protégée en vertu du paragraphe 176(3) du Règlement.

 

[13]           Quant à l’interaction entre le paragraphe 176(3) du Règlement et l’article 21 de la Loi, la demanderesse soutient que les seuls motifs d’interdiction de territoire dans le cas de membres de la famille de personnes protégées au Canada sont ceux qui sont énoncés au paragraphe 21(2), qui renvoie à son tour aux articles 34 et 35, au paragraphe 36(1), et aux articles 37 et 38 : la sécurité (article 34), l’atteinte aux droits humains ou internationaux (article 35), la grande criminalité (paragraphe 36(1)), les activités de criminalité organisée (article 37) et les motifs sanitaires (article 38).

 

[14]           En somme, la demanderesse soutient que l’obligation de répondre véridiquement et l’obligation de ne pas faire de fausses déclarations ne sont pas des motifs d’interdiction de territoire aux termes de l’article 21. La demanderesse affirme que la demande ne peut être refusée pour ni l’un ni l’autre de ces motifs.

 

[15]           Subsidiairement, si les fausses déclarations constituent un motif permettant le rejet de la demande, la demanderesse affirme alors qu’il n’y a pas eu de fausses déclarations. En particulier, la demanderesse soutient que le renseignement retenu n’était pas un fait important quant à un objet pertinent et qu’il ne pouvait pas avoir entraîné d’erreur dans l’application de la Loi.

 

[16]           La demanderesse souligne qu’elle-même ou le demandeur principal auraient pu divulguer le fait que le demandeur principal, M. Norbu, n’était pas le père biologique du garçon en question et que M. Norbu aurait quand même pu déclarer que ce garçon était un enfant à charge de fait. Par conséquent, la demanderesse soutient que la fausse déclaration n’aurait pas pu entraîner d’erreur dans l’application de la Loi.

 

[17]           Dans des observations subséquentes, la demanderesse souligne que le fils aurait pu être déclaré comme un « membre de la famille » à titre de fils de l’épouse du demandeur principal.

 

[18]           La demanderesse ajoute que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne leur accordant pas, à elle et à son époux, la possibilité de réagir aux doutes qu’il avait sur l’authenticité de leur mariage.

 

[19]           Le défendeur soutient que le paragraphe 16(1) est clairement rédigé et précise que les demandes doivent être véridiques. Le fait qu’un demandeur n’a pas dit la vérité est un motif raisonnable permettant le rejet de sa demande. Le défendeur affirme que rien n’empêche le rejet de la demande en vertu de l’article 16. S’il est vrai que les objectifs de la Loi sont bien compris, aucune disposition de la Loi ne l’emporte sur les autres. De plus, la Loi ne peut être appliquée de manière à encourager les demandeurs à faire de fausses déclarations.

 

[20]           Le défendeur ajoute que l’agent n’a ni confondu ni fusionné les dispositions de l’article 40 avec celles de l’article 16. Selon les notes qu’il a consignées dans le STIDI, l’agent reconnaissait avoir mentionné par erreur les fausses déclarations dans sa lettre d’équité procédurale, mais savait que la demande concernait une personne à charge d’une personne protégée et que l’article 16, et non l’article 40, s’appliquait.

 

[21]           En ce qui concerne plus généralement la question des fausses déclarations, que l’article 40 soit applicable ou non, le défendeur soutient que le renseignement retenu aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Si l’agent n’avait pas demandé que des tests d’ADN soient faits et que les résultats lui soient transmis, la famille du demandeur principal se serait établie au Canada sans avoir divulgué les faits réels.

 

[22]           Le défendeur ajoute que le demandeur principal n’a pas dit la vérité tant dans sa demande que dans l’explication donnée à l’agent selon laquelle il venait juste d’apprendre que son épouse avait eu une aventure. Dans l’affidavit qu’il a souscrit par la suite, le demandeur principal a révélé que cette explication n’était pas vraie et que l’âge du fils n’était pas exact non plus.

 

[23]           Je signalerais que les renseignements contenus dans le dernier affidavit n’avaient pas été portés à la connaissance de l’agent, qui a donc rendu sa décision en fonction des renseignements dont il disposait.

 

[24]           Quant aux allégations concernant l’équité procédurale, le défendeur soutient que l’agent n’a pas remis en question l’authenticité du mariage. L’agent a fondé sa décision sur le manque de franchise de la demanderesse.

 

Norme de contrôle

[25]           Les conclusions de fait tirées par l’agent d’immigration quant à l’admissibilité d’un candidat à la résidence permanente au Canada sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], 2009 CarswellNat 434, aux paragraphes 59, 61 et 63; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, [Dunsmuir].

 

[26]           Quand la norme de la raisonnabilité s’applique, le rôle de la Cour n’est pas de substituer la décision qu’elle aurait prise à celle qui a été retenue, mais de « déterminer si celle‑ci fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » : Khosa, au paragraphe 59.

 

[27]           Le manquement à l’équité procédurale et les autres questions de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Abou-Zahra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1073, [2010] ACF no 1326, au paragraphe 16; Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 709, [2009] ACF no 875, au paragraphe 29; Khosa, au paragraphe 43; Dunsmuir, précité, au paragraphe 79.

 

[28]           La demanderesse soutient que l’agent a commis, en se fondant sur l’article 16, une erreur de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

 

[29]           L’idée maîtresse de l’argument de la demanderesse concerne l’interprétation des dispositions de la Loi et du Règlement, et la façon dont certaines dispositions particulières sont interreliées. Étant donné que la Loi relève de l’expertise de l’agent, je ne caractériserais pas l’interprétation des dispositions en cause comme une question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte.

 

[30]           Je soulignerais que la Loi constitue un régime exhaustif qui doit être interprété de manière téléologique dans l’esprit de ses objectifs. Aucune disposition prise isolément ne peut être examinée sans que les dispositions connexes et les objectifs généraux de la Loi ne soient également pris en considération. L’article 3 décrit l’objet en matière d’immigration, l’objet relatif aux réfugiés ainsi que l’interprétation et la mise en œuvre de la Loi, qui doivent tous être examinés et soupesés au moment d’interpréter une disposition particulière.

 

[31]           En l’espèce, les questions en litige concernent les conclusions de fait de l’agent, et la façon dont l’agent a appliqué le droit aux faits et exercé le pouvoir discrétionnaire de délivrer ou non le visa. La décision est donc susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

L’agent a‑t‑il commis une erreur en appliquant incorrectement le paragraphe 16(1) de la Loi?

[32]           La principale question en litige est celle de savoir si l’agent a commis une erreur en se fondant sur le paragraphe 16(1) de la Loi pour conclure que la demanderesse était interdite de territoire.

 

[33]           L’agent indique ce qui suit dans les notes du STIDI :

[traduction] Rejeté en vertu de 16.1 (sic) parce que le chef de famille au Canada et demandeur principal a fourni de faux certificats de naissance pour les personnes à charge visées et n’a pas déclaré que le seul enfant à charge accompagnateur n’est pas le fils biologique du chef de famille.

Lettre de refus. Je note également qu’ils n’ont jamais répondu à notre lettre d’équité procédurale de mai 2011.

 

 

[34]           Dans les notes consignées le 13 avril 2012, l’agent reconnaît qu’une réponse à la lettre d’équité procédurale avait en fait été fournie :

[traduction] Le chef de famille explique que son épouse a eu un écart de conduite (c.‑à‑d. une aventure) avec un autre homme sans qu’il le sache. Toutefois, l’autre fils, Richen Tenzin, a refusé de passer le test d’ADN deux mois après la présentation de notre demande à cet effet en juillet 2010. Ça ne ressemble pas à une simple coïncidence, et il n’est probablement pas le fils du chef de famille.

 

L’explication donnée par le chef de famille, à savoir que son épouse a eu une aventure, est possible, mais je ne suis pas entièrement convaincu. L’épouse n’a pas déclaré non plus que les garçons n’étaient pas les fils du chef de famille. Elle a donc menti par omission sur son formulaire de demande. Ma décision demeure inchangée. Le refus tient toujours.

 

 

[35]           Dans la lettre de refus, l’agent indique clairement ne pas avoir été convaincu par la réponse fournie. L’agent renvoie au paragraphe 11(1) de la Loi, qui dispose que l’agent peut délivrer le visa s’il est convaincu que l’étranger n’est pas interdit de territoire et qu’il se conforme à la Loi. L’agent conclut qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse n’était pas interdite de territoire et qu’il n’était pas convaincu non plus que la demanderesse se conformait à la Loi.

 

[36]           Que l’obligation de dire la vérité soit un motif particulier d’interdiction de territoire ou non, il s’agit clairement d’une exigence de la Loi.

 

[37]           Bien qu’une personne puisse ne pas être interdite de territoire pour un des motifs définis expressément au paragraphe 21(3), sa demande ne sera pas automatiquement recevable, et un visa ne lui sera pas nécessairement délivré. Les exigences de la Loi doivent être respectées et, selon une de ces exigences, le demandeur doit dire la vérité.

 

[38]           L’article 11 est de toute évidence une disposition discrétionnaire comportant deux critères. Il précise que l’agent peut délivrer un visa sur preuve, tout d’abord, que le demandeur n’est pas interdit de territoire et, ensuite, que le demandeur se conforme à la Loi.

 

[39]           L’article 16 énonce une exigence fondamentale de la Loi, laquelle n’avait pas été respectée selon l’agent. L’agent n’a pas commis d’erreur en se fondant sur l’article 16 pour rejeter la demande en vertu de l’article 11.

 

Inadmissibilé familiale

[40]           Aux termes des paragraphes 176(1) et (3) du Règlement, reproduits ci‑dessus et mentionnés par l’agent, un membre de la famille peut être interdit de territoire pour un des motifs visés au paragraphe 21(2) de la Loi.

 

[41]           Comme il a été précisé ci‑dessus, les motifs visés au paragraphe 21(2) de la Loi comprennent la sécurité (article 34), l’atteinte aux droits humains ou internationaux (article 35), la grande criminalité (paragraphe 36(1)), les activités de criminalité organisée (article 37) et les motifs sanitaires (article 38).

 

[42]           La demanderesse soutient que les fausses déclarations ne font pas partie des motifs déterminant l’interdiction de territoire des membres de la famille visés par le Règlement et que, par conséquent, l’agent a commis une erreur en concluant qu’elle était interdite de territoire et en rejetant sa demande.

 

[43]           La demanderesse s’appuie également sur le guide opérationnel OP 24, qui contient des directives ayant trait expressément aux membres de la famille de personnes protégées (RD2). La demanderesse fait remarquer que, aux termes de la section 10.7 du guide OP 24, les fausses déclarations ne sont pas comprises dans les motifs déterminant l’interdiction de territoire des membres de la famille de personnes protégées.

 

[44]           La section 10.7 précise ce qui suit :

L40 ne peut être utilisé pour justifier le rejet de membres RD2 de la famille de personnes protégées. L40 n’est pas inclus dans les motifs déterminant l’interdiction de territoire des membres de la famille de personnes protégées citées dans L21(2), aux termes de R176(3). En cas de fausse déclaration concernant la validité d’un lien ou de l’identité d’un membre de la famille (par exemple, mariage de convenance, adoption de convenance, faux certificats de mariage ou de naissance d’un enfant, etc.), le membre de la famille doit être refusé non pas aux termes de L40, mais bien aux termes de R176(1) ou de R176(3). Voir les procédures liées aux refus de membres de la famille dont la demande est irrecevable à la section 10.6 ci‑dessus.

[Souligné dans l’original.]

 

(Remarque : « A40 » s’entend de l’article 40 de la Loi concernant les fausses déclarations, reproduit ci‑dessus.)

 

[45]           Le défendeur convient que l’article 40 ne s’applique pas aux membres de la famille de personnes protégées et ajoute que l’agent a reconnu ce fait dans ses notes du STIDI.

 

[46]           Le guide opérationnel confirme que les fausses déclarations visées à l’article 40 ne peuvent constituer un motif permettant de rejeter les demandes de membres de la famille de personnes protégées. Toutefois, le guide précise aussi que, en cas de fausse déclaration concernant la validité d’un lien, le membre RD2 (personne à charge d’une personne protégée) doit être refusé aux termes des paragraphes 176(1) et (3) du Règlement.

 

[47]           En l’espèce, l’agent s’est fondé sur les paragraphes 176(1) et 176(3) du Règlement en plus des articles 16 et 11, mais il n’a pas renvoyé à l’article 40 de la Loi.

 

[48]           Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’aborder l’argument subsidiaire de la demanderesse puisqu’il a été reconnu que l’article 40 ne s’appliquait pas, la demanderesse soutient que, si les fausses déclarations constituaient un motif d’interdiction de territoire, il n’y avait pas eu de fausses déclarations, étant donné que les éléments nécessaires pour qu’il y ait de fausses déclarations n’étaient pas réunis. La demanderesse renvoie à la décision Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, où la juge Snider a établi les éléments nécessaires pour conclure qu’une personne devait être interdite de territoire pour fausses déclarations :

[27]       Pour conclure qu’une personne doit être interdite de territoire, tel que prévu au paragraphe 40(1), il faut réunir deux éléments : cette personne doit avoir donné de fausses déclarations et ces fausses déclarations doivent porter sur un fait important et entraîner ou risquer d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. La norme de contrôle applicable au premier de ces éléments est, à mon avis, le caractère manifestement déraisonnable. Il s’agit d’une décision sur les faits; or, l’agent des visas est celui qui est le mieux placé pour évaluer ces faits. Sans me prononcer sur le deuxième élément, je considère que la norme de contrôle applicable est le caractère raisonnable simpliciter.

 

 

[49]           La norme de contrôle serait donc celle de la décision raisonnable, étant donné que les deux éléments sont des questions de fait : la demanderesse a‑t‑elle fait de fausses déclarations (sans nécessairement l’avoir fait intentionnellement) et ces fausses déclarations étaient‑elles importantes en ce sens qu’elles auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi? Comme la juge Snider l’a précisé dans la décision Bellido, l’agent est celui qui est le mieux placé pour apprécier ces éléments.

 

[50]           Selon la position de la demanderesse, l’omission de divulguer que le demandeur principal n’était pas le père biologique du garçon ne constituait pas une présentation erronée d’un fait important parce que le garçon était par ailleurs une personne à charge ou un membre de la famille de fait (à titre de fils de l’épouse du demandeur principal). Le fait de ne pas avoir divulgué la vérité n’aurait pas entraîné d’erreur dans l’application de la Loi parce que la demanderesse et son fils auraient été admissibles et le visa aurait été délivré même si la vérité avait été connue.

 

[51]           La demanderesse souligne également que si la demande avait été rejetée en raison de fausses déclarations, les conséquences pour la famille du demandeur principal auraient été le prononcé d’une interdiction de territoire pour une période de deux ans, plutôt que les conséquences peut-être encore plus graves d’un refus aux termes de l’article 16.

 

[52]           La demanderesse ajoute que les faits de l’espèce sont particuliers. Les mensonges étaient innocents, et découlaient de mauvais conseils et du stress provoqué par le fait que l’épouse et le fils du demandeur principal se trouvaient encore en Inde, où ils étaient apatrides.

 

[53]           Bien que les observations de la demanderesse selon lesquelles les objectifs généraux du régime de protection des réfugiés du Canada reconnaissent que les demandeurs doivent parfois prendre des mesures radicales pour obtenir l’asile, y compris mentir, retenir des renseignements ou faire de fausses déclarations, aient été examinées, et bien que les circonstances de la demanderesse soient troublantes, je soulignerais que l’agent connaît bien les conditions ayant cours dans les pays d’origine des réfugiés et est chargé d’appliquer les dispositions de la Loi en vue de préserver l’esprit et l’intégrité de la Loi.

 

[54]           Comme nous l’avons vu, l’agent ne s’est pas appuyé sur l’article 40, qui porte sur les fausses déclarations, pour rejeter la demande de visa. En outre, la demanderesse a formulé une hypothèse en affirmant que si la vérité avait été connue, le visa aurait été délivré, étant donné que la décision de délivrer un visa est discrétionnaire, aux termes de l’article 11 de la Loi.

 

Équité procédurale

[55]           Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que l’agent a remis en question l’authenticité de son mariage sans lui donner la possibilité de réagir. Si l’agent a bien écrit, dans les notes du STIDI [traduction] « [V]oilà qui remet en question l’authenticité de la relation entre le demandeur principal (sic) et Norbu Tsering », la lecture de la décision dans son ensemble montre nettement que l’agent n’a pas rejeté la demande parce qu’il avait des doutes sur le mariage. Les notes du STIDI indiquent ensuite que le certificat de mariage est versé au dossier et qu’il s’agit d’une copie certifiée.

 

[56]           Par conséquent, aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis.

 

Question proposée aux fins de certification

[57]           La demanderesse propose la question suivante aux fins de certification :

Lorsqu’une réticence n’entraînerait pas d’erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le paragraphe 176(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés limite‑t‑il le recours à l’article 16 de la Loi aux motifs d’interdiction de territoire applicables aux personnes à charge des réfugiés au sens de la Convention, quand la demande d’une telle personne à charge est traitée en même temps que la demande de résidence permanente du réfugié au sens de la Convention?

 

[58]           Le défendeur fait valoir que cette question ne permettrait pas de trancher la demande de contrôle judiciaire et qu’il ne s’agit pas d’une question d’importance générale.

 

[59]           Je trouve la question difficile à comprendre, car elle soulève des points qui ne découlent pas du libellé de l’article 16 de la Loi ni de celui du paragraphe 176(3) du Règlement. En outre, j’estime que la question ne permettrait pas de régler les questions en litige dont je suis saisie, parce que l’agent n’a pas rejeté la demande de visa en se fondant sur la réticence et les fausses déclarations qui sont visées par l’article 40. L’agent s’est fondé sur les articles 16 et 11. L’article 16 ne mentionne pas de motifs d’interdiction de territoire précis ni n’est limité par de tels motifs; il indique plutôt que le demandeur doit dire la vérité et produire tous les documents pertinents et requis. L’article 11 précise qu’un visa peut être délivré quand deux critères sont satisfaits : le demandeur n’est pas interdit de territoire, et le demandeur se conforme à la Loi. Par conséquent, la question proposée ne traite pas de la décision rendue en l’espèce.

 

[60]           En conclusion, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de l’agent était raisonnable; elle était transparente et intelligible, et pouvait se justifier au regard des faits et du droit.

Comme il a été mentionné ci‑dessus, la question proposée ne se prête pas à la certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.      Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7302-12

 

INTITULÉ :                                      TSERING LHAMO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jennifer Stone

 

POUR LA DEMANDERESSE

Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Neighbourhood Legal Services

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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