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Date : 20130613

Dossier : IMM-9989-12

Référence : 2013 CF 649

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

ROMAN ALEXANDER CHERNIKOV

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision [la décision] par laquelle une commissaire de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié [la commissaire] n’a pas autorisé le demandeur à poursuivre la procédure de demande d’asile au motif qu’il a commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada au sens de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, 1951, RTC 1969/6, 189 RTNU 150.

1.F. Les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[…]

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiées [.]

 

II.        CONTEXTE

[2]               Le demandeur est né en République kirghize, avant la chute de l’URSS. Il affirme qu’il n’est pas citoyen de la Russie ni du Kirghizistan. Cette question n’est pas pertinente dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. 

 

[3]               Le demandeur est arrivé aux États‑Unis en 2000, où il a vécu sans statut avant de venir au Canada en 2006. Il a présenté une demande d’asile en 2009.

 

[4]               Lorsqu’il était aux États‑Unis, le demandeur a été accusé de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles à autrui (lésions au cou, au dos et au poignet et perforation d’un poumon). Il a été accusé de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles. Il n’a pas contesté l’accusation et il a été condamné à un an d’emprisonnement et à une période de probation de 36 mois.

 

[5]               Dans le cadre de sa probation, le demandeur devait suivre un programme de réadaptation pour les alcooliques dans un établissement résidentiel. Il s’est enfui de l’établissement sans permission pour se soustraire au programme. Un mandat d’arrêt a été lancé contre lui; il a été arrêté et trouvé coupable de violation des conditions de sa probation, puis condamné à deux années d’incarcération additionnelles le 30 août 2005.

 

[6]               Le demandeur a ensuite été libéré en 2006 (un an avant la fin de sa peine) à la condition qu’il communique régulièrement avec son agent de libération conditionnelle. Il s’est finalement rendu au Canada, enfreignant les conditions de sa probation, et il semble qu’il soit toujours visé par un mandat d’arrêt non exécuté.

 

[7]               La commissaire a fait état de la conduite en état d’ivresse, de la déclaration de culpabilité, des peines et des violations des conditions de probation et de libération conditionnelle. La commissaire a conclu que la conduite en état d’ivresse est une infraction grave et que les lésions corporelles qui en ont résulté augmentent la gravité de l’affaire en l’espèce. La commissaire a en outre affirmé que la peine imposée pour cette première infraction témoigne du degré de gravité. La commissaire a également trouvé préoccupant que le demandeur n’ait pas respecté les conditions de réadaptation ni mené à bien sa libération conditionnelle.  

Le demandeur conteste les observations précitées de la commissaire dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[8]               La commissaire a constaté que les infractions visées au paragraphe 255(2.1) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 [le Code criminel], soit la conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite permise causant un accident occasionnant des lésions corporelles, correspondent aux infractions reconnues en Californie. Cet acte criminel est passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

 

[9]               Le demandeur s’est élevé contre les affirmations de la commissaire selon lesquelles il n’a pas terminé le programme de réadaptation ni respecté les conditions de sa liberté conditionnelle et qu’il est visé par un mandat d’arrêt non exécuté.

 

[10]           Enfin, en concluant que le demandeur n’était pas visé par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LRC 2001, c 27 [la LIPR], articles 96 et 97, la commissaire a fait observer que la liberté conditionnelle est jugée faire partie de la peine, et que la Cour fédérale a conclu que la peine n’a pas été purgée dans les situations où une personne a fui avant l’échéance de la période de peine.

 

III.       ANALYSE

A.        Question importante

[11]           Selon le demandeur, les questions en litige sont les suivantes : avoir tiré une conclusion erronée d’après l’alinéa Fb) de l’article premier, ne pas avoir fourni de motifs adéquats, et ne pas avoir respecté le critère énoncé dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 FCR 164 [Jayasekara]. La question distincte des motifs inadéquats n’a pas été sérieusement invoquée à la lumière de la jurisprudence.  

La véritable question est de savoir si la décision est raisonnable parce qu’elle repose sur une juste application de Jayasekara.

 

[12]           La question de savoir si Jayasekara a été appliqué est une question juridique fondée sur la jurisprudence établie et qui est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que l’application du critère juridique est une question mixte de droit et de fait susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Pulido Diaz, 2011 CF 738, 391 FTR 288).

 

B.        Critère énoncé dans Jayasekara

[13]           Le demandeur avance que la commissaire n’a pas souscrit au critère énoncé dans l’arrêt Jayasekara. Cet argument a pour principal fondement que l’arrêt Jayasekara n’est pas mentionné dans la décision, alors qu’il a été invoqué devant la commissaire.

 

[14]           Les facteurs pertinents sont exposés aux paragraphes 55 et 56 de l’arrêt Jayasekara :

55     Pour décider si l’appelant avait été déclaré coupable d’un crime grave, la Commission a tenu compte des facteurs suivants :

 

a) la gravité des crimes (le trafic d’opium et la possession criminelle de marijuana) selon la législation de l’État de New York qui, même dans le cas d’une première infraction, peut donner lieu à une peine d’emprisonnement et à une période de probation de cinq ans;

 

b) la peine infligée par le tribunal new-yorkais;

 

c) les faits à la base de la déclaration de culpabilité, à savoir la nature de la substance faisant l’objet du trafic et de la possession, le trafic de l’opium en trois parties, la quantité de stupéfiants ayant fait l’objet de la possession et du trafic;

 

d) la conclusion tirée par notre Cour dans l’arrêt Chan [Chan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (2000), 190 DLR (4th) 128, 10 Imm LR (3d) 167] suivant laquelle un crime est un crime grave de droit commun si une peine maximale de dix ans aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada;

 

e) la gravité objective du crime de trafic d’opium au Canada qui peut donner lieu à une peine d’emprisonnement à perpétuité;

 

f) le fait que l’appelant a violé son ordonnance de probation en faisant défaut à trois reprises de se présenter à son agent de probation et en prenant finalement la fuite.

 

56      J’estime que le juge n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure, au vu de ces faits, que la déclaration de culpabilité aux États‑Unis lui donnait de sérieuses raisons de penser que l’appelant avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays.

 

[15]           La commissaire a examiné les facteurs suivants dans la décision :

               la gravité du crime selon la législation de l’État de la Californie, cette première infraction ayant entraîné une peine d’emprisonnement d’un an et une période de probation de 36 mois;

               la peine infligée par le tribunal californien;

               les faits à la base de la déclaration de culpabilité, dont les accusations de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles et la non‑contestation des chefs d’accusation par le demandeur;

               la conclusion selon laquelle un crime est un crime grave de droit commun si une peine maximale égale ou supérieure à dix ans aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada;

               la gravité objective du crime de conduite d’un véhicule sous l’influence d’une alcoolémie supérieure à la limite permise causant des lésions corporelles au Canada, passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, ce qui entre dans la définition de « grande criminalité » aux termes de la LIPR;

               le fait que le demandeur n’a pas respecté les conditions de sa libération conditionnelle en ne se conformant pas aux conditions du programme de réadaptation, ce qui a rallongé sa peine d’emprisonnement;

               le fait que, à la suite de sa libération, le demandeur a encore une fois négligé de respecter les conditions de sa libération conditionnelle en tentant de retourner en Russie, puis en entrant au Canada, de sorte qu’il est visé par un mandat d’arrêt non exécuté aux États‑Unis;

               le fait que la libération conditionnelle fait partie de la peine et qu’une peine n’a pas été purgée dans les situations où une personne a fui avant l’échéance de la période de liberté conditionnelle;

               l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention a pour objet, entre autres, de protéger l’intégrité du système d’octroi de l’asile en éliminant, dès l’étape de l’examen initial, les auteurs de crimes graves de droit commun en raison de leurs activités criminelles dans d’autres pays.

 

[16]           J’estime que la commissaire a mentionné tous les facteurs essentiels :

a)         la gravité du crime;

b)         la peine infligée;

c)         les faits à la base de la déclaration de culpabilité;

d)         (l’affaire Chan n’est pas pertinente en l’espèce);

e)         la gravité objective du crime;

f)         la violation de l’ordonnance de probation.

 

[17]           Se rapporter à l’arrêt de principe invoqué par la commissaire constituerait certes une avenue utile et une « pratique exemplaire », mais ce qui importe avant tout, et ce à quoi le demandeur a droit, est d’analyser les facteurs exposés dans Jayasekara. La commissaire a rempli cette obligation même sans avoir invoqué l’arrêt de principe.

 

C.        Faits à la base de la déclaration de culpabilité

[18]           Le demandeur affirme que la commissaire a mal décrit les faits à la base de l’infraction en indiquant que le demandeur s’était endormi en conduisant, au lieu d’avoir dit qu’il était endormi en raison de sa consommation excessive d’alcool et qu’il avait conduit le véhicule alors qu’il était inconscient. S’il y a une distinction entre le fait de s’endormir en état d’ivresse en conduisant et le fait de s’endormir d’abord puis de conduire en état d’inconscience, je ne la vois pas. Quoi qu’il en soit, le passage reproduit ci‑après suffit à étayer la conclusion de la commissaire.

Vous avez déclaré aujourd’hui que vous avez été impliqué dans un accident le 17 février 2004, en Californie. Vous avez pris le volant après avoir consommé de l’alcool et vous vous êtes endormi. Pour reprendre vos mots, vous étiez [traduction] « inconscient au volant » et c’est alors que vous êtes entré en collision avec un autre véhicule, dans lequel deux passagers ont été blessés.

 

D.        Gravité de l’infraction

[19]           Le demandeur affirme que la commissaire a tenu compte d’éléments non pertinents dans son examen de la gravité de l’infraction. Dans le premier cas, elle aurait formulé une opinion personnelle, à savoir que la conduite avec facultés affaiblies est grave; dans le deuxième cas, elle a affirmé que l’importance de la peine infligée pour une première infraction témoigne du degré de gravité des gestes du demandeur. Ce passage figure au paragraphe 24 de la décision :

J’estime que, à la base, la conduite avec facultés affaiblies est grave, et que, en l’espèce, le fait d’avoir causé des lésions corporelles alors que vous conduisiez en état d’ébriété a accru la gravité de la situation, et je dois en tenir compte. L’importante peine qui vous a été infligée par les autorités des États-Unis pour une première infraction témoigne du degré de gravité de vos gestes.

 

[20]           À mon avis, l’affirmation déterminante est que le fait d’avoir causé des lésions corporelles à d’autres personnes en conduisant en état d’ébriété accroît la gravité de la situation. Il s’agit d’une façon tout à fait juste d’interpréter la disposition pertinente du Code criminel. Le « commentaire personnel » est presque une lapalissade, et le commentaire au sujet de la peine infligée aux États‑Unis a peu d’importance. Les commentaires de la commissaire doivent être interprétés à la lumière de l’ensemble et du contexte de l’affaire.

 


E.         Conduite à la suite de la déclaration de culpabilité

[21]           Le demandeur s’oppose à ce que la commissaire examine sa conduite à la suite de la déclaration de culpabilité, c’est‑à‑dire les violations de l’ordonnance de probation et des conditions de libération conditionnelle. Le demandeur s’appuie sur les commentaires formulés dans Febles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 324, 223 ACWS (3d) 1012 [Febles], au paragraphe 52, selon lesquels la gravité de l’infraction est appréciée en fonction du moment où elle a été commise :

52     À mon avis, le sens ordinaire du libellé de l’alinéa 1Fb) est le suivant : pour décider si le crime est grave, lorsqu’il s’agit d’exclure, ou non, le demandeur d’asile, il faut tenir compte des faits énumérés par notre Cour par l’arrêt Jayasekara. La gravité du crime doit être appréciée en fonction du moment où il a été commis. La gravité du crime ne change pas avec le temps et le fait que le demandeur d’asile s’est par la suite réadapté et qu’il a cessé de représenter un danger pour la société n’y change rien non plus.

 

[22]           L’argument du demandeur ne saurait être retenu. Les commentaires de la commissaire sur la conduite du demandeur après la déclaration de culpabilité apparaissent à la suite du paragraphe 28 où elle conclut qu’il s’agit d’un crime grave en Californie en regard de l’infraction équivalente visée dans le Code criminel canadien. Le demandeur a cité les commentaires hors contexte.

 

[23]           Les commentaires sur la conduite à la suite de la déclaration de culpabilité sont énoncés dans le contexte général de l’alinéa Fb) de l’article premier.

32.       L’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention a pour objet, entre autres, de protéger l’intégrité du système d’octroi de l’asile en éliminant, dès l’étape de l’examen initial, les auteurs de crimes graves de droit commun en raison de leurs activités criminelles dans d’autres pays (décision, au paragraphe 32).

 

[24]           Cette conclusion est en droite ligne avec les objectifs multiples de la section F de l’article premier évoqués au paragraphe 28 de Jayasekara et cités avec approbation dans Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 CF 761, et, plus récemment, dans Febles.

 

[25]           L’un des facteurs pertinents examinés dans Jayasekara était le fait que l’appelant avait violé son ordonnance de probation. Jayasekara confirme que la conduite postérieure à la déclaration de culpabilité peut être utile pour déterminer si une personne a été accusée d’un crime grave dans le cadre de l’objet de la section F de l’article premier.

 

[26]           Je ne peux rien trouver qui appuie l’argument du demandeur selon lequel Febles et Feimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF3 25, 353 DLR (4th) 536 [Feimi], visaient à limiter ou à modifier Jayasekara. En fait, Febles adopte précisément les critères énoncés dans Jayasekara et Feimi s’appuie sur Febles. Si la Cour d’appel fédérale avait voulu s’éloigner de Jayasekara, elle l’aurait fait en termes clairs.

 

IV.       CONCLUSION

[27]           Pour évaluer le caractère raisonnable de la décision de la commissaire, il faut considérer la décision dans son ensemble. Si une phrase ou un commentaire soulèvent un doute, il demeure malgré tout nécessaire d’examiner la décision dans son intégralité. L’ayant fait, je ne vois aucune raison ni aucun motif qui justifierait l’intervention de la Cour.

 

[28]           Les parties se verront accorder sept (7) jours pour décider s’il convient de certifier une question. Pour le demandeur, cette période de réflexion débutera à la date des motifs, et pour le défendeur, à la date de réception des observations du demandeur.

 

[29]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9989-12

 

INTITULÉ :                                      ROMAN ALEXANDER CHERNIKOV

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 13 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bjorn Harsanyi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Hardstaff

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STEWART SHARMA HARSANYI

Barristers & Solicitors

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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