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Date : 20130618

Dossier : IMM-8546-12

Référence : 2013 CF 681

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

HUBERT ALEXANDER MCCURVIE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et de statut de réfugié a, le 24 juillet 2012, rejeté l’appel interjeté par Hubert Alexander McCurvie d’une mesure de renvoi prise contre lui au motif qu’il est une personne visée à l’alinéa 36(1)a) de la Loi (la décision).

CONTEXTE

[2]               Âgé de 50 ans, le demandeur est un citoyen de la Jamaïque. Il est arrivé aux États-Unis à l’âge de six ou sept ans, et, en 1983, il a immigré au Canada en tant que personne à charge de sa mère. Le demandeur a sept enfants au Canada, tous de mères différentes. Il a également plusieurs beaux-fils et belles-filles. Tous ces enfants vivent en Ontario.

[3]               Le demandeur a commencé à avoir des démêlés avec la justice vers 1986. Il est allé vivre aux États-Unis en 1990, au moins en partie pour éviter d’autres déclarations de culpabilité criminelle au Canada. Alors qu’il se trouvait aux États-Unis, il a été reconnu coupable de complot en vue de faire le trafic de stupéfiants. Il a été condamné à deux ans d’emprisonnement et a passé une année en prison. Il a été expulsé des États-Unis en 1994, après quoi il est retourné en Jamaïque pendant un mois pour ensuite revenir au Canada.

[4]               À son retour au Canada, les autorités l’ont arrêté en rapport avec des faits antérieurs à son départ du pays en 1990. En 1995, il a été déclaré coupable de possession d’une arme à autorisation restreinte et il a été condamné à 15 mois d’emprisonnement. En 1999, une mesure d’expulsion a été prise contre lui pour grande criminalité. Il a interjeté appel de cette mesure à la SAI, qui a fait droit à son appel en 2004 et a annulé la mesure de renvoi prise contre lui.

[5]               En 2005, le demandeur a quitté l’Ontario pour aller travailler en Alberta. Le 24 octobre 2007, il a demandé un permis de conduire de l’Alberta en donnant une fausse date de naissance. Il a été accusé d’usage d’un document contrefait et a été condamné à une amende de 2 500 $, à la suite de quoi il a fait l’objet d’une mesure de renvoi le 28 mars 2011.

[6]               Le demandeur a de nouveau interjeté appel à la SAI, lui demandant d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour prendre une mesure spéciale. Le demandeur n’a pas contesté la légalité de la mesure d’expulsion. La SAI a rejeté son appel le 24 juillet 2012.

DÉCISION À L’EXAMEN

[7]               La SAI a cité les facteurs énumérés dans la décision Ribic dont elle doit tenir compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire selon les balises précisées dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3.

[8]               La SAI a fait observer que, dans l’affaire à l’origine de la mesure d’expulsion, le demandeur avait déclaré au juge provincial qu’il avait donné une fausse date de naissance parce qu’il avait besoin de travailler. À l’audience devant la SAI, il a présenté une autre version des faits et a déclaré qu’il avait été condamné à environ 8 000 $ d’amendes en Ontario, et qu’il lui en restait 3 800 $ à payer et que, pour éviter d’avoir à acquitter ces amendes, il avait déménagé en Alberta pour tenter d’obtenir un permis de conduire albertain. Au cours de son témoignage, le demandeur a affirmé — et son avocat l’a fait valoir dans ses observations — que cette infraction n’était pas très grave. La SAI a estimé qu’une telle affirmation « reflète l’absence de prise de conscience de la part [du demandeur], et peut-être même de l’arrogance ». De l’avis de la SAI, il ne s’agissait pas d’une infraction commise par mégarde, d’autant plus que le demandeur avait des antécédents en matière de fraude. La SAI a néanmoins relevé que l’infraction ne comportait aucun acte de violence, que c’était un acte isolé et que cette infraction ne figurait pas parmi les infractions considérées comme graves.

[9]               Parmi les antécédents criminels du demandeur au Canada, il y a lieu de mentionner un incident avec une ex-petite amie, trois chefs de fraude pour avoir fait des chèques sans provision, la possession d’une arme prohibée, une tentative d’entrave à la justice, la possession d’une arme à autorisation restreinte non enregistrée et le défaut de comparaître devant le tribunal. Après s’être enfui du Canada, le demandeur a été accusé d’une infraction liée aux stupéfiants aux États-Unis. La SAI a fait observer que les renseignements relatifs aux infractions qu’il avait commises aux États‑Unis n’avaient été révélés qu’au cours du contre-interrogatoire. Le demandeur a expliqué qu’il était allé en Jamaïque pendant un mois, omettant de signaler que ce séjour d’un mois faisait suite à son expulsion des États-Unis et à ses démarches pour obtenir l’autorisation de revenir au Canada.

[10]           La SAI a constaté que, tout au long de son témoignage, le demandeur minimisait ses infractions et rejetait la responsabilité sur autrui. Elle s’est dite d’avis que la réticence du demandeur à donner des précisions sur son passé démontrait qu’il estimait que son passé criminel était un détail légèrement embêtant et indigne d’une réflexion sincère. La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas de remords et a affirmé qu’elle doutait qu’il avait démontré une possibilité importante de réadaptation.

[11]           La SAI a par ailleurs qualifié de nébuleux les antécédents de travail du demandeur. Il y avait un écart considérable entre le revenu qu’il avait affirmé à la SAI avoir tiré de son entreprise et celui qu’il avait déclaré comme revenu dans les avis de cotisation qu’il avait produits. Entre 2005 et 2008, ses revenus déclarés variaient entre 7 866 $ et 13 821 $. Le demandeur a expliqué qu’il versait entre 600 $ et 700 $ par mois en pension alimentaire pour ses enfants, qu’il possédait des outils d’une valeur de 40 000 $ et un camion d’une valeur de 6 000 $, et qu’il avait 1 300 $ dans son régime enregistré d’épargne-retraite et 600 $ dans un compte d’épargne libre d’impôt. Il a également acheté une maison à Edmonton en 2008 en versant 5 000 $ comme mise de fonds. Le demandeur n’a pas été en mesure de préciser le nom de son entreprise, il n’a pas mentionné l’endroit où il travaille ni ses heures de travail et il n’a pas soumis de références professionnelles. Il a touché des prestations d’aide sociale en 1996, immédiatement après sa mise en liberté.

[12]           Pour la SAI, les chiffres ne faisaient pas le compte et elle n’était pas convaincue que le demandeur travaillait fort et qu’il payait sa juste part d’impôts. Il devait toujours 3 800 $ sur ses amendes en Ontario et son dossier avait été confié à une agence de recouvrement. Interrogé quant à savoir pourquoi il avait fait un versement initial de 5 000 $ sur sa maison au lieu de payer ses amendes, le demandeur avait répondu qu’il n’y avait pas pensé. La SAI en a conclu que les possibilités de réadaptation semblaient faibles et qu’il s’agissait d’un facteur défavorable à l’appel.

[13]           Le demandeur a affirmé avoir fait un versement initial de 5 000 $ sur sa maison et expliqué que son versement hypothécaire mensuel était de 2 800 $. Le titre de propriété qu’il avait soumis indiquait que le principal du prêt hypothécaire se chiffrait initialement à 490 000 $. La SAI a estimé qu’il n’était pas clair comment le demandeur pouvait se permettre de tels versements. Elle a conclu que la période que le demandeur avait passée au Canada était un facteur favorable à son appel, mais que son faible degré d’établissement y faisait contrepoids. Dans l’ensemble, il s’agissait selon elle d’un facteur neutre.

[14]           Le demandeur est père de sept enfants, tous de mères différentes. Aucun de ses enfants n’habite en Alberta. Le demandeur est présentement célibataire. Carolyn Keel, une ex-petite amie et la mère d’un de ses enfants, en venue par avion en Alberta depuis l’Ontario pour le soutenir et pour témoigner à l’audience. Elle a expliqué qu’elle le connaissait depuis 25 ans, et a affirmé qu’il est un bon père pour ses cinq enfants, même s’il n’est pas le père biologique de quatre de ses enfants.

[15]           La dernière fois que le demandeur avait vu l’un de ses enfants, c’était il y a deux ans. Il ignore où se trouvent deux de ses enfants : une fille qu’il n’a pas vue depuis qu’elle avait dix ans et un autre enfant au sujet duquel il sait peu de choses. Seulement deux de ses enfants sont encore mineurs, et il n’a jamais vécu avec l’un d’eux. Le demandeur a expliqué qu’il parlait souvent au téléphone au plus jeune, dont la mère a écrit une lettre de soutien dans laquelle elle affirme que le demandeur et son fils ont créé un lien spécial entre eux. Ont également été soumises cinq lettres provenant des enfants ou des beaux-fils et belles-filles du demandeur, dont quatre sont des enfants de Mme Keel.

[16]           Pour ce qui est du soutien financier aux enfants, le demandeur a déclaré qu’il déposait 300 $ par mois directement dans le compte bancaire de Mme Keel. Prié de produire des reçus, il a rétorqué qu’il faudrait que l’attestation provienne de la personne qui avait reçu l’argent, ce qui était illogique, selon la SAI. Mme Keel a expliqué qu’elle avait reçu 200 $, 100 $ et 150 $ de l’appelant au cours des trois derniers mois. La SAI a estimé qu’il était possible que le demandeur envoie de l’argent aux enfants, mais n’a pas cru qu’il faisait des versements réguliers de 300 $, ajoutant que personne ne comptait sur son soutien financier. Le demandeur a déménagé en Alberta pour le travail, mais même lorsque [traduction] « ses affaires ont beaucoup ralenti », il a choisi d’y rester. Il a affirmé qu’il parlait avec certains de ses enfants régulièrement par téléphone. La SAI a accordé peu de poids au facteur de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision, car le demandeur pourrait selon elle continuer à parler avec eux au téléphone même s’il était expulsé.

[17]           Le demandeur a déclaré qu’il fréquentait l’église à l’occasion, mais il n’a soumis aucun autre élément de preuve se rapportant au soutien dont il bénéficierait de la part de la collectivité. Il a expliqué qu’il a quatre sœurs au Canada avec lesquelles il n’a plus de contact. La SAI a conclu que, bien que le demandeur bénéficie d’un certain soutien de la part de la famille de Mme Keel en Ontario, le fait qu’il n’avait soumis aucun élément de preuve se rapportant à sa vie quotidienne ou à ses amis ou proches en Alberta, où il vit depuis 2005, était un facteur défavorable à son appel.

[18]           En ce qui concerne l’importance des difficultés qu’une expulsion causerait au demandeur, la SAI a noté qu’il travaillait à son compte depuis de nombreuses années et que son type de compétences serait transférable en Jamaïque. Le demandeur a affirmé ne pas avoir de famille immédiate en Jamaïque, mais il n’est pas en mesure de rendre visite à sa famille aux États-Unis et il ne communique jamais avec sa fratrie au Canada. Il voit certains de ses enfants seulement une fois tous les deux ans environ et rien n’empêchera ses enfants de lui rendre visite en Jamaïque. Son expulsion à la Jamaïque ne devrait pas l’empêcher de maintenir des communications téléphoniques régulières avec eux.

[19]           En résumé, la SAI a fait observer que l’infraction criminelle à l’origine de la mesure de renvoi n’était pas une infraction particulièrement grave et qu’il ne s’agissait pas d’une infraction avec violence, mais que le demandeur avait de lourds antécédents judiciaires. Son attitude pour ce qui est de ses antécédents criminels laisse supposer un manque de prise de conscience à l’égard de son comportement, et l’appelant n’a pas exprimé de remords sincères. Son témoignage quant à sa vie professionnelle était assez nébuleux, mais il avait les moyens de faire un versement initial sur une maison et d’acheter un camion en argent comptant, mais a ignoré sa dette en Ontario découlant d’amendes impayées. La SAI a reconnu que le demandeur vivait au Canada depuis près de 30 ans, mais qu’il bénéficiait de très peu de soutien au sein de la collectivité et qu’il n’avait aucun contact avec sa fratrie au Canada. Le demandeur n’avait pas soumis de documents justificatifs à l’appui de son témoignage concernant le soutien financier qu’il prétendait avoir fourni. La SAI a estimé que le l’expulsion de l’appelant n’entraînerait pas de difficultés ou de bouleversements pour les membres de sa famille, à part peut-être une certaine peine.

[20]           La SAI a rappelé qu’il incombait au demandeur de démontrer l’existence de motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales à l’égard de la mesure de renvoi prise contre lui. Le demandeur avait déjà été expulsé des États-Unis et avait déjà fait face au Canada à une mesure d’expulsion, et pourtant, il avait choisi de contrevenir de nouveau à la loi. La SAI a conclu qu’étant donné qu’il avait manifesté peu de remords et qu’il n’avait pas pris conscience de ses manquements, le demandeur ne serait pas un bon candidat pour se conformer aux conditions d’un sursis à la mesure de renvoi. La SAI a rejeté l’appel du demandeur.

QUESTIONS EN LITIGE

[21]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente demande :

1.                  La SAI a‑t‑elle manqué aux principes de justice naturelle en ne tenant pas une audience qui accordait au demandeur une possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue?

2.                  La SAI a‑t‑elle commis une erreur en tenant compte des antécédents judiciaires du demandeur qui étaient antérieurs au sursis qui lui a été accordé en 2001 et à l’appel pour lequel il a obtenu gain de cause en 2001?

3.                  La SAI a‑t‑elle mal interprété les faits, tiré des inférences déraisonnables et tiré des conclusions en se fondant sur des éléments de preuve insuffisants?

NORME DE CONTRÔLE

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas nécessaire dans tous les cas de procéder à une analyse de la norme de contrôle applicable. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche est infructueuse que la cour de révision entreprend l’examen des quatre facteurs formant l’analyse relative à la norme de contrôle.

[23]           La première question soulevée dans la présente affaire concerne l’équité procédurale. Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100, « [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». De plus, dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale a déclaré que « [l]a question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». La norme de contrôle applicable à la première question dans la présente demande est donc celle de la décision correcte.

[24]           Les deuxième et troisième questions portent sur l’examen, par la SAI, de la question de savoir si le demandeur a commis un acte de grande criminalité et si la prise d’une mesure spéciale fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est justifiée dans les circonstances. Il s’agit de questions mixtes de droit et de fait qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 58 [Khosa]; Iamkhong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 355, au paragraphe 27; Omeyaka c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 78, au paragraphe 14).

[25]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[26]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent à la présente instance :

Grande criminalité

 

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants:

 

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

 

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

 

 

 

Fondement de l’appel

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

[...]

 

Sursis

 

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

[...]

 

Serious criminality

 

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

 

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

Appeal allowed

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

...

 

Removal order stayed

 

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

...

 

 

 

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Le demandeur

            Équité procédurale

 

[27]           Le demandeur affirme que, pendant tout le déroulement de l’audience, la SAI a constamment insisté pour que lui et son avocat procèdent le plus rapidement possible de sorte qu’elle ne leur a pas accordé suffisamment de temps pour assurer une instruction approfondie de la présente affaire.

[28]           À l’audience, la SAI a déclaré ce qui suit :

[traduction]

La SAI :          J’ai quelques consignes à vous donner. Nous sommes limités dans le temps et je sais que cette audience est très importante pour vous, mais je tiens à répéter que nous sommes limités dans le temps et que nous voulons entendre les meilleures preuves dont vous disposez.

[...]

La SAI :          Si l’on vous pose une question et que vous avez l’intention d’y répondre, je tiens à ce que vous répondiez à la question aussi directement que possible. Par cela, je veux dire que, comme notre temps est limité, vous devez faire confiance à votre avocat, il est certainement compétent et il va aborder des aspects qui sont utiles et importants pour votre appel.

[...]

La SAI :          Pourquoi? Allez-y rondement parce que nous manquons de temps.

[...]

La SAI :          Très bien. D’accord. Pourriez-vous s’il vous plaît répondre à quelques questions. Je suis vraiment préoccupée par le temps. Nous allons maintenant laisser l’avocat du ministre s’exprimer. D’accord?

[...]

La SAI :          C’est tout? Très bien. Oh mon Dieu, nous allons nous faire sortir de la salle d’audience très bientôt!

Rick, vous êtes là?

INTERLOCUTEUR INCONNU : Oui, Madame.

La SAI :          Eh bien, dans combien de temps devons-nous sortir d’ici?

INTERLOCUTEUR INCONNU : À 16 h 15.

La SAI :          16 h 15, très bien [...]

[...]

La SAI :          Très bien. D’accord. Tenez compte de l’heure. S’il faut avoir terminé pour 16 h 15 et – avez-vous une idée du temps que prendra votre plaidoyer?

[...]

La SAI :          D’accord, nous allons – Je ne veux vraiment pas que vous soyez forcé de sortir sous escorte. Je ne veux pas que Rick ait à régler tout ça avec vous, d’accord?

[...]

La SAI :          Très bien. Monsieur Thind, je dois vous demander d’accélérer un peu. Il est déjà 14 h 15 ou presque. Pourriez-vous parler brièvement des enfants, d’accord? Vous dites que vous avez une ribambelle d’enfants : passons-les en revue à tour de rôle s’il vous plaît. Leur date de naissance et l’endroit où ils vivent. D’accord?

 

[29]           Le demandeur souligne également que cette audience a eu lieu par vidéoconférence et qu’il a témoigné à Edmonton alors que l’audience se déroulait à Vancouver. Le demandeur affirme qu’il est évident que la SAI ne pouvait entendre son témoignage très bien :

[traduction

La SAI :          Excusez-moi, mais je n’entends pas, je n’entends pas.

[...]

La SAI :          Très bien, Monsieur Thind, je n’ai pas pu entendre votre question; excusez-moi, je n’ai pas pu l’entendre.

[...]

L’AVOCAT : Parlez plus fort s’il vous plaît.

LE DEMANDEUR : Quatre ou cinq fois, je crois.

L’AVOCAT : C’est la commissaire qui doit entendre, pas moi [...]

[...]

La SAI :          Vous devez parler bien fort et bien clairement parce qu’il est très difficile de vous entendre. Je parle très fort de sorte que vous devez probablement m’entendre bien clairement, mais il est très difficile de mon côté de vous entendre. Vous devez donc parler plus fort pour que je vous entende. D’accord? [...]

[...]

La SAI :          Désolée – Je suis vraiment désolée de devoir vous interrompre, je n’arrive pas à entendre et je ne voudrais pas avoir à répéter ou à vous demander de répéter.

 

 

[30]           Le demandeur affirme que le fait que la SAI a constamment insisté pour que le demandeur et son avocat se dépêchent a compromis sa capacité de faire valoir son point de vue équitablement. Ce facteur, ajouté à la mauvaise qualité de la connexion vidéo ont causé un manquement aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817).

Caractère raisonnable de la décision

[31]           Le demandeur affirme que la SAI a commis des erreurs factuelles graves dans sa décision, rendant celle‑ci déraisonnable. L’infraction à l’origine de la mesure de renvoi et, partant, de l’appel du demandeur, était le fait du demandeur, qui a donné une fausse date de naissance lorsqu’il a demandé un permis de conduire albertain. Le demandeur a été condamné à une amende de 2 500 $ pour laquelle il doit encore 400 $.

[32]           Dans sa décision, la SAI a expliqué que le demandeur avait déclaré au juge, lors de son procès pénal, qu’il avait donné une fausse date de naissance parce qu’il avait besoin de travail, mais devant la SAI, il a changé sa version des faits et déclaré qu’il avait agi ainsi pour éviter d’avoir à payer la somme de 8 000 $ qu’il devait en amendes en Ontario et dont il devait encore 3 800 $. Le demandeur fait valoir que rien ne permet de penser qu’il a dit au juge qu’il avait besoin de travail pour ensuite changer sa version des faits, et qu’il ne devait plus que 3 800 $ en amendes en Ontario au moment de l’audience.

[33]           La SAI a reconnu que l’infraction ne comportait aucun acte de violence, qu’il s’agissait d’un acte isolé et que l’infraction ne figurait pas parmi celles considérées comme graves. Selon le demandeur, ces facteurs auraient dû être les principales préoccupations de la SAI. Le demandeur avait déjà obtenu gain de cause dans son appel en ce qui concerne ses antécédents judiciaires, et sa dernière infraction remontait à 1995, c’est‑à‑dire une quinzaine d’années avant l’infraction qui a entraîné l’audience devant la SAI.

[34]           Le demandeur affirme que la SAI a commis une erreur dans son examen de l’ensemble des antécédents judiciaires du demandeur compte tenu de la période de temps exceptionnellement longue écoulée entre les faits en question et l’infraction actuelle qui, de l’aveu même de la SAI, n’était pas considérée comme grave. Il n’y avait aucun lien entre les antécédents judiciaires du demandeur – qui avaient déjà été examinés – et son infraction actuelle, et la SAI a précisé que l’infraction actuelle était un acte isolé. Le demandeur affirme que la SAI aurait dû en tenir compte en appliquant les facteurs énumérés dans la décision Ribic et qu’elle a commis une erreur en n’établissant pas de distinction entre ses antécédents judiciaires et l’infraction visée par l’appel.

[35]           La SAI a également signalé que le demandeur n’avait pas exprimé de remords. Toutefois, le demandeur a fait des déclarations suivantes à l’audience :

[traduction]

Votre Honneur, je suis conscient d’avoir tout bousillé, mais je n’ai jamais eu l’intention de frauder ou de léser qui que ce soit. Pour ce qui est de l’achat de ma maison, jamais je n’aurais fait cela. C’est la raison pour laquelle j’ai pris les moyens pour tout faire légalement en mon nom. Je ne voulais pas – j’essayais – je suis venu ici à cause du travail et je regrette vraiment. Je sais que je perds mon travail et bien d’autres choses, mais je suis venu pour dire que

[...]

Non, Madame, je ne suis pas ignorant à ce point pour dire cela. Ce n’est pas ce que je dis. Tout ce que je dis c’est que je suis surtout habité par la peur maintenant et que ce sentiment ne m’effleurait même pas à l’époque. Je ne suis pas sûr que cette explication vous satisfasse, mais c’est tout ce que je peux vous dire.

[...]

Votre Honneur, avec mes excuses les plus sincères, je sais que j’ai fait une erreur, mais je vous demande de me pardonner [...] Je ne sais pas où aller. C’était ma vie jusqu’ici, mes enfants et mes petits enfants. C’est la seule vie que je connais et j’implore seulement votre clémence.

 

 

[36]           Le demandeur affirme que la conclusion tirée par la SAI sur cette question était déraisonnable compte tenu des faits portés à la connaissance de la SAI et de son témoignage. La SAI a mis en doute les remords exprimés par le demandeur parce que ses antécédents judiciaires aux États‑Unis n’avaient été révélés que lors du contre-interrogatoire. Le demandeur soutient que seul l’avocat du défendeur l’avait interrogé au sujet de cette déclaration de culpabilité et ajoute que la conclusion négative tirée par la SAI au sujet de ses remords était déraisonnable. Le demandeur affirme que son témoignage démontre ses remords sincères et le fait qu’il est conscient de l’erreur qu’il a commise.

[37]           La SAI a également mis en doute les antécédents professionnels du demandeur. Le demandeur explique que son bilan financier a été établi par un expert-comptable et que les montants de revenus déclarés correspondaient à ses revenus personnels nets après déductions de ses dépenses d’entreprise, mais que la SAI n’en a pas tenu compte. La SAI a également ignoré ses explications suivant lesquelles il avait un régime enregistré d’épargne-retraite et un compte d’épargne libre d’impôt.

[38]           Le demandeur affirme qu’il ressort de la preuve qu’à l’exception d’une très brève période consécutive à sa remise en liberté en 1996, il n’a jamais touché de prestations d’aide sociale et qu’il est toujours subvenu à ses propres besoins en travaillant comme menuisier et en rénovant des maisons. Néanmoins, la SAI a conclu que « les possibilités de réadaptation semblent lointaines; il s’agit d’un facteur déraisonnable à l’appel en espèce ». La SAI a poursuivi en concluant que les années que le demandeur avait passées au Canada constituaient un facteur positif dans son appel, mais que son faible degré d’établissement compte tenu de ses nombreuses années passées au Canada y faisait contrepoids. Le demandeur affirme que ses conclusions étaient arbitraires et que la SAI les a tirées sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait (Toro c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] ACF no 192 (CAF)).

[39]           La SAI a aussi déclaré que le demandeur ne fréquentait pas régulièrement son église actuelle et qu’il ne s’y identifiait pas. Le demandeur dit que c’est inexact et que l’église qu’il fréquentait était l’église Beulah.

[40]           En ce qui concerne ses rapports avec ses enfants, le demandeur est retourné à Toronto, où la plupart des membres de sa famille vivent, à au moins quatre ou cinq reprises depuis 2005. Il n’y est pas retourné récemment parce qu’il avait l’impression qu’il ne pouvait quitter l’Alberta avant que son dossier ne soit réglé. Le demandeur a expliqué dans son témoignage que, pendant un certain temps, il avait élevé sa fille née de son union avec Charmaine Reid, ainsi que la fille que Mme Reid avait eue d’un autre homme. Sa fille Tamara est allée vivre avec lui en Alberta pendant environ six mois en 2010. Il a également parlé des contacts fréquents qu’il avait avec ses filles Renee et Victoria. Le demandeur affirme que la SAI semble n’avoir pas tenu compte de ses éléments de preuve.

[41]           En ce qui concerne son fils Caden, le demandeur a expliqué qu’il le soutenait financièrement en déposant chaque mois de l’argent pour lui directement dans le compte de sa mère. C’est la raison pour laquelle il n’avait pas de relevé des opérations en question. Le demandeur entretient également des liens étroits avec les autres enfants des mères de ses enfants, y compris Chantal, Keisha, Everton, Nishi et Cheneeka. Avant de déménager en Alberta, le demandeur entretenait également des liens étroits avec ses neveux et ses nièces. Carolyn Keel, la mère de Jamella, la fille du demandeur, a expliqué que le demandeur s’occupait des enfants qu’il avait eus d’autres hommes et qu’ils l’appelaient « papa » et qu’aucun des pères de ses autres enfants ne s’occupait d’eux. Le demandeur lui offre également son soutien chaque fois qu’elle en a besoin. Il lui avait envoyé de l’argent chaque mois avant l’audience. De plus, contrairement à ce que la SAI a affirmé, le demandeur a vu quatre de ses enfants et petits-enfants l’année dernière lorsqu’il a payé leur billet d’avion pour venir en Alberta.

[42]           Le demandeur a beaucoup de famille au Canada et affirme qu’il entretient des liens étroits avec la plupart de ses enfants et plusieurs des mères de ses enfants ainsi que ses beaux-fils et belles-filles. Jusqu’à sa dernière accusation criminelle, il avait visité ses enfants environ une fois par année depuis son déménagement à Edmonton en 2005. Depuis lors, quatre de ses enfants et beaux‑fils et belles-filles l’ont visité à Edmonton. Il entretient également des liens avec eux par Skype ou par téléphone. Le demandeur affirme que suivant les éléments de preuve dont disposait la SAI, la conclusion de celle‑ci suivant laquelle il peut tout aussi bien continuer à entretenir des liens avec ses enfants à partir de la Jamaïque est arbitraire et ne tient pas compte de l’intérêt supérieur des enfants (arrêt Baker, précité, aux paragraphes 43 et 53).

[43]           Le demandeur souligne également qu’il n’a pas de famille en Jamaïque et qu’il n’y dispose d’aucun moyen lui permettant de s’y établir. Le demandeur affirme que, pour les motifs qu’il a fait valoir, la SAI a commis une erreur de droit et que la présente demande devrait être accueillie.

Le défendeur

            Équité procédurale

[44]           Suivant le défendeur, le demandeur tente d’inventer un manquement à l’équité procédurale en tirant des extraits de la transcription hors de leur contexte. Rien ne permet de penser qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce et le demandeur a renoncé à son droit d’invoquer ce motif.

[45]           La Cour d’appel fédérale a jugé qu’il incombe au demandeur de soulever ce genre de question dès que possible au lieu d’attendre que le tribunal prononce sa décision. Dans l’affaire Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 949 (CAF) [Yassine], la question en litige était celle de savoir si le fait de ne pas avoir soulevé à l’audience une objection à la procédure suivie par la SPR pour recevoir des renseignements complémentaires emportait renonciation. Au paragraphe 7, la Cour a conclu ce qui suit :

Il convient également de préciser qu’aucune objection n’a été soulevée quant à la procédure que le président de l’audience a suivie pour recevoir les renseignements supplémentaires. Cette procédure était la suivante : dans une directive en date du 20 novembre 1990, le président de l’audience a ordonné à l’agent d’audience de mettre des copies des documents à la disposition de l’avocate de l’appelant et de lui accorder un délai de deux semaines pour soumettre des observations à titre de « réponse ». Cette procédure a été suivie et aucune réponse n’a été soumise. En outre, l’appelant ne s’est nullement opposé à cette procédure. Il aurait certainement pu le faire à ce moment-là et demander au tribunal de reprendre l’audience, s’il n’était pas possible de recevoir les renseignements d’une autre façon. L’appelant avait alors en main tous les nouveaux renseignements et savait que le tribunal avait l’intention de les admettre. Non seulement aucune objection n’a-t-elle été soulevée à cette époque, ce qui m’apparait être « la première occasion » de le faire (In re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.), par le juge MacGuigan, aux pages 113 et 114), mais l’appelant n’en a pas parlé avant que la Section du statut de réfugié n’ait fait connaître sa décision le 18 avril 1991. En conséquence, même s’il y a eu violation des principes de justice naturelle, l’appelant a renoncé implicitement à cette violation par sa conduite.

 

 

[46]           Dans l’affaire Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 371 (1re inst.) [Mohammadian], la question en litige était celle de savoir si le défaut du demandeur de soulever à l’audience une objection quant à la qualité de l’interprétation emportait renonciation. Au paragraphe 29, la Cour a conclu :

En l’instance, je conclus que la qualité de l’interprétation aurait dû être soulevée devant la SSR puisqu’il était évident pour le demandeur qu’il y avait des difficultés de communication avec l’interprète. Dans son affidavit, il déclare qu’il avait de la difficulté à comprendre l’interprète et il dit aussi qu’à certaines occasions il ne comprenait pas ce qui était dit. Ceci suffit à démontrer qu’il aurait dû en faire état à ce moment-là. Comme il ne l’a pas fait, sa réclamation ne peut avoir aucune suite. [...]

 

 

[47]           Il s’ensuit que le demandeur d’asile qui n’a pas formulé d’opposition en temps utile devant la Commission est irrecevable à le faire plus tard. Ainsi que le juge Richard Mosley l’a expliqué dans la décision Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461 [Benitez], aux paragraphes 220 et 221 :

Je retiens de l’analyse qui précède le principe selon lequel un demandeur doit soulever une allégation de partialité ou tout autre manquement à la justice naturelle devant le tribunal à la première occasion qui lui est donnée. Celle‑ci se présente lorsque le demandeur est informé des renseignements pertinents et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soulève une objection.

 

En l’espèce, les avocats des demandeurs devaient être au courant de l’application des Directives no 7 depuis le 7 décembre 2003. S’ils étaient d’avis que leur application dans un cas particulier entraînerait un déni du droit de leurs clients à une audience équitable, la première occasion qu’ils auraient eu de soulever une objection et de demander une exception à l’ordre normalisé des interrogatoires se serait présentée avant la tenue de chaque audience mise au rôle, conformément aux règles 43 et 44, ou oralement à l’audience même. Le fait de ne pas s’opposer au cours de l’audience doit être considéré comme une renonciation implicite à invoquer toute crainte d’iniquité résultant de l’application des Directives elles‑mêmes.

 

 

[48]           Dans toutes ces affaires, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont appliqué le critère de common law de la renonciation énoncé dans l’arrêt In re Tribunal des droits de la personne c Énergie atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.), à la page 113 :

Toutefois, même si l’on écarte cette renonciation expresse, toute la manière d’agir d’EACL devant le Tribunal constituait une renonciation implicite de toute affirmation d’une crainte raisonnable de partialité de la part du Tribunal. La seule manière d’agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d’alléguer la violation d’un principe de justice naturelle à la première occasion. En l’espèce, EACL a cité des témoins, a contre-interrogé les témoins cités par la Commission, a présenté un grand nombre d’arguments au Tribunal et a engagé des procédures devant la Division de première instance et cette Cour sans contester l’indépendance de la Commission. Bref, elle a participé d’une manière complète à l’audience et, par conséquent, on doit tenir pour acquis qu’elle a implicitement renoncé à son droit de s’opposer.

 

 

[49]           Le défendeur affirme que le demandeur ne peut garder une objection quant à l’équité procédurale en réserve en vue de l’utiliser plus tard. Le demandeur devait soulever le présumé manquement à l’équité procédurale dès que possible et il ne l’a pas fait. Il a par conséquent renoncé à son droit de contester en invoquant le temps consacré à l’audience ou la façon dont la vidéoconférence s’est déroulée. L’avocat n’a soulevé aucune objection à l’audience et rien ne permet de penser que le demandeur n’a pas été en mesure de présenter les éléments de preuve qu’il souhaitait ou que les problèmes soulevés lors de la vidéoconférence n’ont pas été immédiatement corrigés par le demandeur en parlant d’une voix claire et forte. Le défendeur affirme qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

Caractère raisonnable de la décision

[50]           Le défendeur souligne que le demandeur ne conteste pas son interdiction de territoire au Canada ou la validité de la mesure d’expulsion dont il est frappé. Il demande simplement à la Cour de réévaluer la preuve en fonction des facteurs énumérés dans la décision Ribic et de tirer une conclusion différente; or, tel n’est pas le rôle de la Cour lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire. La SAI a examiné les facteurs énumérés dans la décision Ribic et elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales. Il incombait au demandeur d’établir les motifs « exceptionnels » pour lesquels on devait lui permettre de demeurer au Canada; or, il ne s’est pas déchargé de ce fardeau (arrêt Chieu, précité, au paragraphe 57).

[51]           La SAI a examiné ensemble des facteurs énumérés dans la décision Ribic mais il ressort à l’évidence de la lecture de l’ensemble de la décision de la SAI que celle‑ci a bien saisi les questions en litige et la preuve dont elle disposait et qu’aucune injustice n’a été commise (Medina c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1990) 120 NR 385 (CAF); Boulis c Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), (1972) 26 DLR (3d) 216 (CSC)).

[52]           Les agissements du demandeur sont fortement défavorables à la prise d’une mesure spéciale. Il a systématiquement persisté dans ses comportements criminels et s’est livré à d’autres activités criminelles même après avoir fait l’objet du même processus à une autre occasion. Il était raisonnable de la part de la SAI de conclure que les agissements du demandeur étaient graves; d’ailleurs, le demandeur ne conteste pas véritablement ces conclusions. Il est de jurisprudence constante que la gravité des antécédents judiciaires ou d’une fausse déclaration peut être soupesée au regard d’autres facteurs d’ordre humanitaire (Qureshi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 238, au paragraphe 20).

[53]           L’appréciation que la SAI a faite des facteurs d’ordre humanitaire était raisonnable en l’espèce, d’autant plus que les facteurs en question n’étaient pas particulièrement convaincants, compte tenu de l’insuffisance de la preuve présentée par le demandeur. Les arguments du demandeur se résument en fait à un désaccord avec la valeur que la SAI a choisi d’accorder aux divers facteurs. De plus, la vaste majorité des arguments invoqués par le demandeur sont sans fondement dès lors que l’on interprète de façon raisonnable la décision et la transcription (Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 686).

[54]           Par exemple, aux pages 232 et 233 de son mémoire, le demandeur affirme à tort qu’il n’a pas modifié sa version des faits quant aux raisons pour lesquelles il a fait usage de documents contrefaits en Alberta. Cette affirmation est carrément fausse : dans son procès au criminel, il a dit au juge qu’il avait agi ainsi parce qu’il avait besoin d’un emploi ou qu’il devait agir ainsi pour obtenir cet emploi et qu’il n’essayait pas de se cacher (voir page 161 du dossier certifié du tribunal [DCT], aux lignes 20 à 22). Devant la SAI, le demandeur a expliqué qu’il avait dû faire usage de documents contrefaits étant donné que son permis de conduire ontarien avait été suspendu parce qu’il n’avait pas acquitté ses amendes et qu’il essayait d’éviter de payer temporairement ses amendes (page 46 du DCT aux lignes 17 à 23). Le demandeur affirme également qu’il s’agissait seulement d’une erreur et il a tenté de minimiser ses actes criminels (page 46 du DCT à la ligne 7) pour ensuite prétendre qu’il avait besoin de cette pièce d’identité pour acheter une maison (page 50 du DCT, à la page 5). L’affirmation du demandeur suivant laquelle les raisons qu’il avait données au tribunal criminel et celles qu’il avait fournies à la SAI ne se contredisaient pas est tout simplement inexacte.

[55]           Qui plus est, l’argument du demandeur suivant lequel le montant de l’amende mentionné par la SAI est inexact est également faux. La SAI a clairement reconnu que le montant de l’amende dû au moment de l’audience était de 3 800 $ et que le demandeur avait expliqué qu’il avait été condamné en tout à environ 8 000 $ d’amendes (page 46 du DCT, à la ligne 33). Aucune erreur n’a été commise à cet égard.

[56]           Le demandeur soutient également que la SAI aurait dû accorder plus de poids aux présumés remords qu’il affirme avoir manifestés à l’audience. Toutefois, en réalité, pendant tout son témoignage, le demandeur a constamment tenté de minimiser ses activités criminelles antérieures et a continué à violer la loi même après qu’on lui eut accordé une autre chance après l’annulation de la première mesure d’expulsion prise contre lui. Il était loisible à la SAI d’évaluer son degré de remords et ses chances de réadaptation et il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les explications que le demandeur a fournies.

[57]           Au paragraphe 15 de son mémoire, le demandeur affirme que la SAI a commis une erreur dans son évaluation du temps qu’il a passé au Canada, de ses antécédents professionnels et de ses présumés revenus. Le défendeur affirme que cet argument est dénué de fondement. Le demandeur n’a manifestement pas produit d’état de ses revenus commerciaux et il n’a fourni aucun élément de preuve à ce sujet dans le cadre de la présente demande. Il a soumis des chiffres pour quelques‑unes des années de ses revenus personnels, mais n’a présenté aucun relevé de ses dépenses d’entreprise pour démontrer les présumés revenus tirés de son entreprise ou pour démontrer que son entreprise avait payé ses impôts ou rémunéré des employés. De plus, compte tenu du faible revenu personnel que le demandeur a déclaré, il est difficile de comprendre comment il réussit à être propriétaire d’une maison ou à subvenir à ses propres besoins. Les conclusions tirées par la SAI à cet égard sont valables et elles reposent sur les éléments de preuve dont elle disposait. La SAI avait en outre le droit de considérer comme un facteur neutre le temps passé par le demandeur au Canada.

[58]           Le demandeur fait également valoir que la SAI aurait dû accorder plus de poids aux éléments de preuve qu’il a présentés au sujet de ses rapports avec ses enfants. Le défendeur affirme que la SAI a tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants en l’espèce et que, bien qu’il soit important, ce facteur n’est pas déterminant (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475). La SAI a tenu compte des difficultés que le renvoi du demandeur du Canada pouvait causer aux enfants, mais a fait observer que le fils du demandeur pouvait encore compter sur le soutien de sa mère et de sa famille au Canada et que ses intérêts seraient protégés. La SAI a également estimé que, compte tenu des contacts limités que le demandeur avait avec ses enfants – à savoir, il ne les voyait pas tous les ans et il leur envoyait un peu d’argent à l’occasion –, il pouvait continuer à le faire après son renvoi du Canada. Rien ne permettait de penser que ses enfants ne pourraient pas continuer à le visiter ou que le demandeur ne pourrait pas maintenir la communication avec eux et continuer à leur envoyer le peu d’argent qu’il leur fournissait présentement. Le fait que le demandeur aurait préféré que ce facteur soit déterminant et penche en sa faveur ne justifie pas l’intervention de la Cour (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125).

[59]           Le demandeur affirme également que la SAI a commis une erreur en tenant compte de ses antécédents judiciaires pour décider s’il avait droit à une mesure spéciale discrétionnaire pour des raisons d’ordre humanitaire. L’ensemble des antécédents judiciaires et des antécédents du demandeur en matière d’immigration sont des facteurs dont il faut tenir compte pour décider s’il existe des facteurs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de la mesure spéciale qu’il sollicitait. Le défendeur affirme que le fait que la mesure d’expulsion a régulièrement été prise en rapport avec les accusations les plus récentes n’empêchait pas la SAI de tenir compte des antécédents judiciaires du demandeur.

[60]           Le défendeur prétend également que l’allégation du demandeur suivant laquelle la SAI a ignoré certains éléments de preuve n’est pas confirmée par l’examen de ses motifs. Tous les éléments de preuve qu’il cite ont été expressément abordés aux paragraphes 8 à 17 de la décision. Là encore, il s’agit tout simplement d’un désaccord au sujet de la valeur accordée à la preuve. Le défendeur réclame le rejet de la présente demande.

Réponse du demandeur

[61]           En réponse à l’argument du défendeur suivant lequel le demandeur a renoncé à son droit de se plaindre au sujet du déroulement de l’audience, le demandeur soutient qu’il est possible d’établir une distinction entre la présente affaire et les décisions citées par le défendeur. Dans l’affaire Yassine, la Commission invoquait une disposition législative en rapport avec un présumé manquement. Dans l’affaire Mohammadian, il ressortait à l’évidence de la transcription que le demandeur avait eu des difficultés de communication avec l’interprète au cours de l’audience. Dans l’affaire Benitez, les demandeurs avaient eu amplement l’occasion de s’opposer. Dans le cas du demandeur, on ne peut mettre le doigt sur un incident quelconque ou une préoccupation précise. La difficulté découle du fait que la SAI a mené l’audience rondement et a exercé de la pression sur les parties. Il s’agit d’un manquement moins tangible et dont les conséquences ne pouvaient être aisément calculées à l’époque. Le demandeur affirme qu’il ne pouvait donc pas renoncer implicitement à ce type de manquement à l’équité procédurale. Il soutient en outre que le défendeur ne s’est pas penché sur les distinctions factuelles qui existent entre les affaires citées et la situation du demandeur.

[62]           Le demandeur soutient également que le défendeur n’a pas abordé l’erreur qu’a commise la SAI en tenant compte des antécédents judiciaires du demandeur qui ont commencé 17 années plus tôt. Le demandeur affirme que, si la SAI a commis une erreur à cet égard, les conclusions de fait qu’elle a tirées et sur lesquelles le défendeur se fonde sont donc toutes viciées. Qui plus est, le défendeur n’a pas tenu compte du fait que la SAI avait admis que la seule infraction pour laquelle le demandeur était expulsé n’était pas grave.

[63]           Le défendeur fait aussi valoir que la SAI a examiné adéquatement les liens familiaux du demandeur. Le demandeur affirme que le défendeur s’est contenté de faire de simples assertions et qu’il n’a pas tenu compte des importants éléments de preuve présentés à ce sujet, ce qui démontre que la conclusion de la SAI suivant laquelle les sept enfants du demandeur ne seraient pas indûment affectés par son expulsion était déraisonnable. Le demandeur ajoute que, dans son argumentation, le défendeur fait des affirmations sans tenir compte de faits qui réfutent expressément les conclusions de la SAI.

ANALYSE

[64]           En ce qui concerne l’équité procédurale, le demandeur affirme que la SAI n’a pas consacré suffisamment de temps à l’instruction de la présente affaire et qu’elle n’a pas pu entendre très bien son témoignage parce que l’audience s’est déroulée par voie de vidéoconférence. Le demandeur n’a toutefois soumis à la Cour aucun élément de preuve ou détail au sujet des éléments qu’il n’a pas pu présenter à l’audience, et il n’a signalé aucun problème à la SAI. Son avocat et lui l’auraient su immédiatement si on ne leur avait pas permis de présenter leur point de vue adéquatement dans le temps prévu. Or, il n’y a absolument rien qui permet de conclure à un problème de communication au cours de la vidéoconférence qui aurait résulté en une omission ou une erreur importante dans la décision.

[65]           La jurisprudence de la Cour indique clairement qu’à défaut d’objection formulée en temps utile devant le tribunal administratif, le demandeur d’asile est irrecevable à soulever la même objection plus tard (voir, par exemple, la décision Benitez, précitée, aux paragraphes 220 et 221). Si le demandeur et son avocat s’estimaient lésés en raison de contraintes de temps, ils auraient dû le signaler à la SAI. Ils ne peuvent maintenant soulever la question devant la Cour sous forme de moyen de contrôle alors qu’ils n’ont pas invoqué cet argument en temps utile. Aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis en l’espèce.

[66]           Le demandeur prétend également que la SAI n’aurait pas dû examiner et tenir compte de ses antécédents judiciaires antérieurs au sursis qui lui a été accordé en 2001 et l’appel pour lequel il a obtenu gain de cause en 2001. En fait, lors des débats qui ont eu lieu devant moi, le demandeur a invoqué la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et a fait valoir que la question de ses antécédents judiciaires avait déjà été examinée et tranchée de sorte que la SAI ne pouvait tenir compte de ce facteur en l’espèce. Selon le demandeur, la SAI aurait dû faire abstraction des actes et des déclarations de culpabilité antérieures à 2001 lors de l’examen de ses antécédents judiciaires.

[67]           En ce qui concerne ses antécédents judiciaires, le demandeur ne cite aucun précédent à l’appui de son argument que l’on devait faire abstraction de l’ensemble de ses antécédents judiciaires, et il est difficile d’imaginer comment on pourrait tenir dûment compte des facteurs énumérés dans la décision Ribic sans prendre en considération l’ensemble des antécédents judiciaires et des antécédents en matière d’immigration du demandeur. L’histoire personnelle du demandeur et ses chances de réadaptation sont des facteurs expressément énumérés dans la décision Ribic et les antécédents judiciaires du demandeur font immanquablement partie de cet examen. Le pouvoir discrétionnaire dont l’alinéa 67(1)c) de la Loi investit la SAI est vaste et la Cour suprême a réaffirmé dans l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 65, que les facteurs énumérés dans la décision Ribic ne sont pas exhaustifs et que l’analyse repose toujours grandement sur les faits de l’espèce.

[68]           Par ailleurs, le juge Yvon Pinard a abordé la question aux paragraphes 21 et 22 de la décision Charabi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1184 [Charabi], où il écrit :

21     Je suis d’avis que la SAI a bien évalué la preuve en tenant compte de tout l’historique du dossier. De plus, à cause du pouvoir discrétionnaire accordé à ce tribunal en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi et en raison de son expertise, cette Cour doit réviser ses conclusions avec un degré élevé de déférence (Khosa et Gonzalez). Le demandeur n’a donc pas réussi à se décharger de son fardeau de prouver les motifs exceptionnels méritant un sursis (Camara c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 169; Bhalru c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 777).

 

22      Il est bien établi que le poids accordé à chaque critère variera selon les circonstances particulières de l’espèce (Ribic, ci-dessus, décision citée avec approbation par la Cour suprême du Canada dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84 au para 77). Le défendeur a raison de soutenir que la SAI était justifiée de prendre en compte les anciennes condamnations, vu la jurisprudence qui indique qu’il faut considérer ce qui a donné naissance à la mesure de renvoi. Le demandeur a bénéficié des privilèges d’un sursis pendant une période de dix ans. Il n’avait qu’à respecter soigneusement les conditions prévues dans l’ordonnance de sursis, ce qu’il n’a pas fait.

 

 

 

[69]           Je suis d’avis que le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas vu les faits de la présente affaire, et que le demandeur n’a cité aucun précédent à l’appui de sa thèse à ce sujet. D’autres tribunaux de la SAI se sont prononcés sur d’autres mesures de renvoi, des éléments de preuve différents et des déclarations de culpabilité différentes. Il serait illogique d’empêcher la SAI de tenir compte des antécédents judiciaires du demandeur sur le fondement du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée tout en affirmant qu’elle pouvait tenir compte de l’ensemble de ses antécédents en matière d’immigration pour l’application des autres facteurs énumérés dans la décision Ribic.

[70]           J’abonde dans le sens du demandeur lorsqu’il affirme que le long intervalle entre ses anciennes activités criminelles portées à la connaissance de la SAI en 2001 et ses activités criminelles plus récentes était une question dont la SAI devait tenir compte pour appliquer les facteurs énumérés dans la décision Ribic dans le cadre de la présente demande. Toutefois, mon interprétation de la décision de la SAI m’amène à conclure que cette dernière était parfaitement consciente de cette question et qu’elle en a tenu compte.

[71]           La lecture que je fais de l’ensemble de la décision de la SAI ne me permet pas de conclure à l’existence des erreurs et des omissions alléguées par le demandeur. Essentiellement, le demandeur est en désaccord avec la décision et il estime qu’on aurait dû accorder davantage de poids aux facteurs qui le favorisent. La Cour ne peut intervenir sur ce fondement (décision Iamkhong, précitée, au paragraphe 46). Les motifs sont intelligibles et clairs et ils appartiennent aux issues acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir.

[72]           Le demandeur a proposé la certification de la question suivante :

[traduction] Lorsqu’elle applique les facteurs énumérés dans la décision Ribic, la SAI devrait-elle faire abstraction des antécédents judiciaires dont un tribunal antérieur de la SAI a déjà tenu compte dans un appel antérieur qui a été accueilli et dont il a été tenu compte dans le cadre de la décision antérieure rendue par ce tribunal de la SAI?

 

[73]           Le juge Simon Noël a résumé les règles de droit relatives à la certification de questions dans la décision Harkat (Re), 2011 CF 75, au paragraphe 9 :

Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11, la Cour d’appel fédérale a exprimé la question comme suit : existe‑t‑il une question grave de portée générale qui permettrait de régler l’appel? Par conséquent, il y a deux facteurs à examiner : 1) si la question est grave et de portée générale et 2) si la question permettrait de régler l’appel. Il a été conclu qu’une question grave est une question qui transcende l’intérêt immédiat des parties au litige et permet d’aborder des points qui ont « des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.), au paragraphe 4). Ces facteurs découlent non seulement de la jurisprudence, mais ils sont aussi formulés dans le libellé même de l’article 82.3 de la LIPR.

 

 

[74]           Bien que la question de savoir si l’on peut tenir compte des antécédents judiciaires du demandeur lors de l’analyse à laquelle on doit procéder conformément à la décision Ribic pourrait transcender les faits de l’espèce, il s’agit d’une question à laquelle une réponse a déjà été donnée (décision Charabi, précitée). Il ne s’agit donc pas d’une question qui a « des conséquences importantes » et je ne vois donc aucune raison de la certifier.


 

JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande;

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8546-12

 

INTITULÉ :                                      HUBERT ALEXANDER MCCURVIE

 

                                                            -  et  -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 avril 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 18 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Yehuda Levinson                                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Manuel Mendelzon                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Levinson & Associates                                                           POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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