Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130610

Dossier: IMM-6416-12

Référence : 2013 CF 623

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

LUIS ALVARO PIZARRO GUTIERREZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision d’une agente de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC)en date du 18 juin 2012, refusant la demande de résidence permanente de Luis Alvaro Pizarro Gutierrez (le demandeur) en raison du fait qu’il est interdit de territoire pour motifs de sécurité en vertu des alinéas 34(1)c) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, et après avoir soigneusement examiné les dossiers et les arguments soumis de part et d’autre, j’en suis arrivé à la conclusion que la présente demande de contrôle judiciaire ne peut être accueillie. Compte tenu de la preuve qui était devant elle, l’agente pouvait raisonnablement conclure que le demandeur a été impliqué dans des organisations terroristes et doit de ce fait être interdit de territoire.

 

I. Les faits

[3]               Le demandeur est né au Chili en 1971. Il s’est impliqué politiquement très jeune en joignant les rangs du Parti communiste chilien dès 1985. Il a par la suite également participé aux activités du Front populaire Manuel Rodriguez (FPMR), du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) et des Milices rodriguistes, à l’époque de la dictature dirigée par le général Pinochet.

 

[4]               Le demandeur a quitté le Chili en 1991. Il a vécu en Argentine jusqu’en 1993, puis il s’est rendu en Allemagne où il a séjourné pendant deux mois avant de s’établir en Belgique, en juin 1993. En 1994, le demandeur a obtenu le statut de réfugié dans ce dernier pays.

 

[5]               En 2001, le demandeur a acquis la citoyenneté belge. La même année, le demandeur et son épouse – une citoyenne canadienne – ont eu un fils qui est maintenant citoyen canadien.

 

[6]               Le demandeur et sa famille se sont établis au Canada en 2002. En 2003, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente suite au parrainage de son épouse. À partir de ce moment, le demandeur a obtenu des permis de travail annuels.

[7]               En 2004, le demandeur a été interviewé par le Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) au sujet de ses activités au Chili. Le SCRS a préparé un rapport dont le demandeur a obtenu copie seulement après avoir déposé sa demande de révision judiciaire.

 

[8]               Le 6 mars 2012, le demandeur a reçu une lettre de convocation à une entrevue par Citoyenneté et Immigration Canada concernant son « interdiction de territoire en vertu de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés à cause de [son] appartenance au Frente Patriotico Manuel Rodriguez, de 1981 à 1989 ». L’entrevue s’est tenue le 21 mars 2012.

 

[9]               L’agente a communiqué sa décision de refuser la demande de résidence permanente au moyen d’une courte lettre datée du 18 juin 2012. Le défendeur a communiqué au demandeur, après que celui-ci eût introduit la présente demande de contrôle judiciaire, les notes de l’agente prise pendant l’entrevue ainsi qu’un document de 13 pages, également daté du 18 juin 2012, intitulé « DÉTERMINATION DE L’ADMISSIBILITÉ ». Ce document peut être considéré comme les motifs de l’agente.

 

II. La décision contestée

[10]           La lettre de refus communiquée au demandeur est très courte, et tient essentiellement dans les lignes qui suivent :

Il semble que vous soyez une personne visée aux sous-alinéas (1)c) et f) de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). J’ai déterminé que vous êtes interdit de territoire au Canada à cause de vos activités dans les Milices rodriguistes et le Front patriotique Manuel Rodriguez, et de votre appartenance au Mouvement de la gauche révolutionnaire. La période de votre affiliation successive à ces trois organisations étant, selon vos déclarations, de 1987 à 1991.

 

Par conséquent, votre demande de résidence permanente au Canada est refusée.

 

 

[11]           Dans le document intitulé « DÉTERMINATION DE L’ADMISSIBILITÉ » mentionné plus haut, l’agente a tout d’abord résumé les faits du dossier et a ensuite fait état des déclarations du demandeur lors de son entrevue avec le SCRS en 2004 :

•          Il a joint les Milices rodriguistes en 1987, avec lesquelles il a effectué quelques missions (il a lancé des bombes Molotov, érigé des barricades et supporté techniquement le Front Patriotique Manuel Rodriguez (FPMR);

•          Il a joint le FPMR en 1988, au sein duquel il a fait sauter des pylônes électriques et tiré en direction des policiers avec une arme à feu;

•           Il connaît l’organisation et le fonctionnement du FPMR;

•           Il a suivi un entraînement de commando avec le FPMR.

 

[12]           L’agente note également que le demandeur a déclaré dans ses deux demandes de résidence permanente (en 2003 et en 2011) « avoir eu recours à la lutte armée ou avoir entretenu des relations avec un groupe qui a eu recours à la lutte armée ou à la violence ou a incité ce recours pour atteindre des objectifs politiques, religieux ou sociaux ».

 

[13]           Quant au témoignage que le demandeur a donné lors de son entrevue le 21 mars 2012, l’agente le résume ainsi :

•     Il a milité au sein du Parti communiste chilien;

•     Il a milité au sein d’une cellule militarisée du FPMR;

•    Il a porté une arme et a fait le guet alors que d’autres militants faisaient sauter des pylônes;

•     Il n’a jamais posé lui-même des explosifs;

•     Il ne s’est jamais servi de son arme;

•    Il a fait sauter des poteaux électriques dans des quartiers résidentiels pour déclencher des manifestations;

•     Il a fabriqué des bombes artisanales et incité d’autres à le faire.

 

[14]           L’agente a ensuite consulté les sources documentaires et procédé à une analyse détaillée de la nature des organisations dont le demandeur a fait partie, soit le MIR, le FPMR et les Milices rodriguistes. Elle a conclu que ces organisations ont commis les actes décrits aux sous-alinéas 83.01(1)b)(i) et (ii) du Code criminel ou comploté, incité à la perpétration et soutenu ces actes. Par conséquent, l’agente a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que ces organisations ont été, durant leur existence, les auteurs des actes décrits par les alinéas a), b) et c) du paragraphe 34(1) de la LIPR.

 

[15]           L’agente a par la suite analysé l’implication du demandeur au sein de ces différentes organisations, et a notamment tiré les conclusions suivantes de la preuve documentaire et des déclarations orales et écrites du demandeur :

•    Le demandeur a admis avoir fait partie du FPMR et en avoir été un « dirigeant interne public ». De plus, il a démontré une connaissance étendue de la structure du FPMR, de ses cellules et de leur fonctionnement. Les informations qu’il a données à ce sujet sont corroborées par les documents;

•    L’agente a conclu qu’une telle connaissance d’un milieu où la compartimentation était une question de vie ou de mort et où les membres vivaient et agissaient dans le secret et la clandestinité ne peut être que proportionnelle au degré d’implication et de responsabilité du demandeur au sein de l’organisation;

•    Les déclarations du demandeur en entrevue avec CIC contredisent la preuve documentaire en ce qui concerne la cessation des activités du FPMR. Contrairement à ce que le demandeur a soutenu, le FPMR a continué à exister et à commettre des attentats et autres actes de violence après 1987 et jusqu’en 1991. Cette période correspond au moment des activités du demandeur au sein du FPMR, selon les premières déclarations faites au SCRS;

•    Les activités et les actes avoués par le demandeur correspondent en tout point à ceux rapportés dans les documents de sources ouvertes et qui caractérisent les techniques tant des Milices rodriguistes que du FPMR dans l’objectif d’inciter la population à ce que le Parti communiste chilien appelait « l’insurrection nationale » : déclenchement de pannes de courant locales et nationales, usage systématique d’explosifs divers pour les actes de sabotage, à petite et à grande échelle, et enfin, les techniques de fonctionnement lors des opérations : surveillance des « maisons sûres », surveillance lors des sabotages, appui logistique, maniement d’armes, rôle de formation, entraînement, liens étroits et de confiance entre le FPMR et les Milices, compartimentation, etc.;

•    Même si le demandeur dit ne pas avoir tenu un rôle actif dans des actes de violence dont une ou des factions du MIR ont été les auteurs, l’agente a donné du poids au facteur d’intemporalité prévu à l’article 33 de la LIPR étant donné la connaissance que le demandeur devait nécessairement avoir de la nature de l’organisation à cause de son implication dans le Parti communiste chilien, les Milices et le FPMR;

•    Les raisons du départ du demandeur du Chili restent vagues, tout comme les raisons de sa réticence à retourner au Chili;

•    Bien que le demandeur ait adhéré au Parti communiste chilien à l’âge de 14 ans, il est devenu actif dans les Milices rodriguistes à 16 ans et il participait aux opérations du FPMR à partir de l’âge de 17 ans. À la lumière de l’arrêt Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 RCF 487 [Poshteh], elle souligne que l’un des facteurs à prendre en considération pour déterminer l’impact du statut de mineur sur l’interdiction de territoire est de savoir si le mineur a la connaissance ou la capacité mentale nécessaire pour comprendre la nature et les conséquences de ses actes, et que plus le mineur se rapproche de l’âge de 18 ans, plus il sera probable qu’il possède une telle connaissance ou capacité.

 

[16]           Après avoir considéré tous les éléments du dossier, l’agente a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur est décrit aux alinéas 34(1)c) et 34(1)f) de la LIPR et qu’il est interdit de territoire pour les raisons suivantes :

DÉCISION

 

Compte tenu des déclarations que le demandeur a fait [sic] lors de son entrevue avec le SCRS à l’effet qu’il était membre des Milices rodriguistes et par la suite du FPMR, qu’il a reconnu avoir participé à des actes de sabotage des tours à haute-tension, qu’il a porté une arme à plusieurs occasions lors de ses activités de surveillance et d’avoir suivi un entraînement de commando;

 

Compte tenu que le demandeur a admis à l’agent de CIC avoir fait partie des mêmes organisations, d’avoir fabriqué des bombes artisanales et d’avoir fait usage de dynamite, de s’être livré à des activités de sabotage, d’avoir soutenu les activités et les opérations du FPMR, d’avoir eu un rôle de responsabilité dans le FPMR et d’avoir eu recours à la lutte armée et à la violence, d’avoir incité la perpétration de ces actes;

 

Compte tenu que, la preuve documentaire rappelle que les actes du MIR et du FPMR ont provoqué la mort de civils ainsi que de militants, dommages collatéraux qui ont été dénoncés comme de graves violations des droits humains dans le Rapport Rettig [Report of the Chilean National Commission on Truth and Reconciliation] et attendu que le rôle des Milices rodriguistes était de soutenir les activités du FPMR;

 

Compte tenu de la nature de ces trois organisations;

 

À la lumière de la définition du terrorisme contenue dans le Code criminel canadien;

 

Après avoir considéré tous les faits et les documents au dossier j’ai des motifs raisonnables de croire que le requérant est décrit à l’article 34(1)c) et 34(1)f) de la LIPR.

 

Par conséquent, il est interdit de territoire au Canada.

 

 

III. Questions en litige

 

[17]           Le demandeur a soulevé plusieurs questions ayant toutes trait au respect des règles d’équité procédurale, sans vraiment remettre en question les conclusions de l’agente quant au fait qu’il a fait partie d’organisations visées par les alinéas 34(1)a) b) et c) de la LIPR ou qu’il s’est lui-même livré à des actes de terrorisme.

 

[18]           Les questions soulevées par le demandeur peuvent se résumer comme suit :

(1)       La décision est-elle suffisamment motivée ou repose-t-elle plutôt sur des spéculations arbitraires?

(2)       L’agente a-t-elle commis une erreur en omettant de considérer que le demandeur a été reconnu comme réfugié en Belgique?

(3)       L’agente a-t-elle commis une erreur dans sa considération de l’intérêt de l’enfant ou manqué à l’équité procédurale en omettant d’informer le demandeur de la possibilité d’invoquer l’intérêt supérieur de son enfant?

(4)       L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale en omettant d’informer le demandeur de la possibilité d’obtenir une dispense en raison de son âge?

(5)       L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale en omettant de divulguer au demandeur les documents sur lesquels elle s’est appuyée pour prendre sa décision, le privant du même coup de la possibilité de répondre à cette preuve?

IV. Analyse

A. Remarque préliminaire

[19]           Dans le cadre de ce dossier, le défendeur a présenté une requête préliminaire le 24 janvier 2013 en vertu de l’article 87 de la LIPR, visant à faire interdire la divulgation de renseignements qui ont été caviardés lors de la constitution du dossier certifié du tribunal dans cette demande de contrôle judiciaire. Le défendeur a soutenu que la divulgation de ces renseignements confidentiels porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Après avoir pris connaissance des extraits caviardés et entendu les représentations du défendeur, à huis clos et ex parte, la Cour a fait droit à la requête par voie d’ordonnance émise le 19 février 2013.

 

[20]           Il convient de noter que les extraits caviardés ne comportent que quelques lignes aux pages 24 à 27 du dossier du tribunal qui compte par ailleurs 1861 pages. Une bonne partie du contenu retranché se rapporte à des renseignements de nature interne ou administrative sans pertinence pour les fins de la présente demande de contrôle judiciaire. Quant à la portion plus substantielle de l’information caviardée, dont la divulgation serait préjudiciable à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, elle n’est pas de nature à préjudicier le demandeur dans la mesure où elle se rapporte à des renseignements qu’il connaît déjà ou qui lui ont déjà été communiqués.

 

B. La norme de contrôle

[21]           La Cour d’appel fédérale a déjà jugé que la question de savoir si une personne est « membre » d’une organisation visée par l’alinéa 34(1)f) de la LIPR est une question mixte de droit et de fait, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Poshteh, précité. Il en va de même lorsqu’il s’agit plutôt de déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire que les organisations en question se sont livrées, se livrent ou se livreront à des actes de terrorisme. En fait, ces deux aspects sont intimement liées et soulèvent tous deux des questions mixtes de droit et de fait sur lesquelles les agents d’immigration ont une certaine expertise, comme l’a également reconnu notre Cour à plusieurs occasions : voir, entre autres, Jalil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 246 aux paras 19-20, [2006] 4 RCF 471 [Jalil]; Daud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 701 au para 6, (disponible sur CanLII) [Daud]; Omer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 478 aux para 8‑9, 157 ACWS (3d) 601.

 

[22]           D’autre part, il convient de rappeler que la norme de preuve que doit appliquer l’agent d’immigration dans le contexte des articles 34 à 37 de la LIPR est celle des « motifs raisonnables de croire » que les faits mentionnés à ces articles sont survenus, surviennent ou peuvent survenir (LIPR, art 33). Il est bien établi que cette norme exige davantage qu’un simple soupçon, mais n’équivaut pas à la prépondérance des probabilités exigée en matière civile : Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40 au para 114, [2005] 2 RCS 100; Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 au para 39, [2007] 1 RCS 350. Par conséquent, le rôle de cette Cour lorsqu’elle est appelée à réviser la décision d’un agent d’immigration prononçant l’interdiction de territoire n’est pas de déterminer s’il y avait bel et bien des motifs raisonnables de croire que l’individu visé s’est livré ou a été membre d’une organisation qui s’est livrée aux actes qu’on lui reproche, mais bien plutôt de se demander si la conclusion de l’agent selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire peut elle-même être considérée comme raisonnable.

 

[23]           Quant aux questions d’équité procédurale, elles doivent être appréciées à l’aulne de la norme de la décision correcte. En cette matière, aucune déférence n’est requise : Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 au para 53, [2006] 3 RCF 392.

 

(1) La décision est-elle suffisamment motivée ou repose-t-elle plutôt sur des spéculations arbitraires?

[24]           Le demandeur allègue que l’agente n’a pas suffisamment motivé sa décision et s’appuie sur des spéculations plutôt que sur des motifs raisonnables, comme le requiert l’article 33 de la LIPR, et il invoque au soutien de son argument le libellé de la lettre l’avisant que sa demande de résidence permanente était refusée, et plus particulièrement la phrase suivante (reproduite au paragraphe 10 des présents motifs) : « Il semble que vous soyez une personne visée aux sous-alinéas (1)c) et f) de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) ». Il affirme également, mais sans vraiment expliciter sa pensée, que l’agente d’immigration n’a pas indiqué en termes clairs ce qu’elle entend par « terrorisme » et comment ce concept trouve application dans son cas précis.

 

[25]           Cet argument n’a aucun mérite et ne peut être retenu. Il convient tout d’abord de rappeler que les notes au dossier de l’agente (en l’occurrence, le document intitulé « Détermination de l’admissibilité ») font partie de la décision rendue par cette dernière, comme la Cour suprême l’a indiqué dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, au para 44 (disponible sur CanLII). Or, une lecture attentive de ces notes révèle que l’agente était bien au fait de la norme de preuve applicable et elle y réfère explicitement dès les premières lignes de son analyse, après avoir cité le texte des articles 33 et 34 de la LIPR.

 

[26]           Il ne fait par ailleurs aucun doute à mon avis que l’agente pouvait raisonnablement conclure qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur est décrit aux alinéas 34(1)c) et 34(1)f) de la LIPR pour ses activités dans les Milices rodriguistes et le FPMR et son appartenance au MRI de 1987 à 1991, organisations dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles se livrent et se sont livrées au terrorisme. Le demandeur l’a admis lors de son entrevue avec le SCRS en 2004, et l’a confirmé dans une certaine mesure lors de son entrevue avec l’agente en mars 2012. Dans sa demande de résidence permanente présentée en 2011, le demandeur a lui-même inscrit, à la question portant sur les organisations dont il a été membre, le Front Patriotique Manuel Rodriguez (qu’il décrit comme une organisation révolutionnaire). Dans sa demande antérieure soumise en 2003, il avait également mentionné le Mouvement de la gauche révolutionnaire à la même question.

 

[27]           La notion de « terrorisme » n’est pas définie comme telle dans la LIPR. Il est vrai qu’à plusieurs reprises, cette Cour s’en est remise à la définition qu’en a donnée la Cour suprême dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1 au para 98, [2002] 1 RCS 3 [Suresh] :

[...] tout "acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque".

 

[28]           Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit pas là de la seule définition possible du terrorisme, comme en font foi les nombreux libellés que l’on retrouve dans les instruments internationaux et les différentes législations nationales. La Cour suprême a d’ailleurs reconnu dans l’arrêt Suresh, précité, au para 95, que l’on cherchera en vain une définition du terrorisme qui fasse autorité. En choisissant de ne pas définir la notion de terrorisme dans la LIPR, le législateur canadien a refusé de s’enfermer dans une conception étroite et rigide de ce terme et a plutôt laissé le soin aux décideurs administratifs et ultimement aux tribunaux de développer ce concept de façon souple et en tenant compte des circonstances. Par conséquent, la raisonnabilité d’une déclaration d’interdiction de territoire liée au terrorisme sera tributaire non pas tant de l’application qu’a faite le décideur d’une définition précise de cette notion aux faits de l’espèce, mais bien plutôt de l’adéquation entre la définition choisie (pour autant qu’elle soit raisonnable et puisse se justifier sur le plan des principes) et la preuve qui était au dossier. Voir, dans le même sens, Daud au para 11; Jalil au para 32.

 

[29]           En l’occurrence, l’agente a choisi d’appliquer la définition de « terrorisme » que l’on retrouve à l’article 83.01 du Code criminel. On ne saurait certes lui en tenir rigueur et le demandeur n’a pas présenté d’arguments en ce sens. Il se peut que cette définition soit un peu plus large que la description qu’a donnée du terrorisme la Cour suprême dans l’arrêt Suresh, précité. Cela ne saurait cependant suffire à rendre sa décision déraisonnable. D’une part, il faut rappeler que la Cour suprême a indiqué que la notion de terrorisme que l’on retrouvait à l’article 19 de la Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I-2 « inclut » la description reproduite plus haut au paragraphe 27 des présents motifs. D’autre part, il était certes loisible à l’agente de référer à la définition de terrorisme insérée au Code criminel par le biais de la Loi antiterroriste, LC 2001, c 41, dans la mesure où la LIPR prévoit dans son préambule (art 3(1)i)) que l’un de ses objectifs est de « promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité ». Enfin, nul ne saurait prétendre que les actes de violence recensés par l’agente et commis par les MIR, le FPMR et les Milices rodriguistes ne constituent pas des actes terroristes, même en adoptant une définition plus étroite du terrorisme que celle retenue par le législateur au Code criminel.

 

[30]           Dans ses notes au dossier, l’agente relève notamment que le Global Terrorism Database a répertorié 306 actes terroristes au Chili clairement attribués au MIR entre 1976 et 1994 ou dont on soupçonne cette organisation d’avoir été l’auteur, notamment des actes d’intimidation et des assassinats ciblés, des attentats aux explosifs, des actes de sabotage à l’explosif sur des infrastructures électriques et de transport, des édifices gouvernementaux, des commerces et des industries, des attaques à main armée, des assassinats et des prises d’otages dont les cibles étaient des membres du gouvernement, des forces de sécurité et des journalistes. Quant au FPMR, l’agente a consulté la preuve documentaire et a constaté que ce groupe se distinguait par une structure très militarisée et par ses tactiques terroristes particulièrement violentes, qu’il était impliqué dans la guérilla urbaine et l’utilisation d’explosifs comme le MIR, et que 830 actes de sabotage, d’attentats à l’explosif, d’enlèvements et d’assassinats ont été revendiqués ou attribués à ce groupe entre 1984 et 1997. Enfin, les Milices rodriguistes servaient de bassin de recrutement et de réseau de soutien aux militants du FPMR et formaient des gens à ériger des barricades, à provoquer des pannes de courant et à confronter les forces de sécurité quand elles voulaient pénétrer dans les quartiers populaires.

 

[31]           L’agente pouvait donc raisonnablement conclure, à la lumière de la preuve au dossier, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que ces groupes sont des organisations qui sont, ont été ou seront les auteurs d’actes de terrorisme. Encore une fois, le demandeur n’a pas vraiment contesté cette conclusion, si ce n’est pour affirmer qu’il aurait fallu tenir compte du fait que ces organisations luttaient contre une dictature elle-même extrêmement violente et répressive. Or, la notion de terrorisme (du moins telle qu’elle est comprise et mise en œuvre au Canada) ne permet pas de faire la distinction entre le « bon » et le « mauvais » terrorisme, et ne peut trouver sa justification dans le but poursuivi : voir Suleyman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 780 aux para 59-60 (disponible sur CanLII) [Suleyman]. Il se peut bien, cependant, que le contexte dans lequel les actes terroristes mentionnés plus haut ont été perpétrés puisse être pris en considération par le ministre aux fins de déterminer si la présence du demandeur au Canada serait préjudiciable à l’intérêt national, conformément au paragraphe 34(2) de la LIPR. J’y reviendrai plus loin.

 

[32]           Quant à l’implication personnelle du demandeur, la preuve est beaucoup moins claire. Le demandeur a reconnu avoir porté une arme à quelques occasions quand il faisait le guet alors que d’autres militants dynamitaient des pylônes électriques et quand il faisait la surveillance des maisons sûres, mais il a soutenu ne l’avoir jamais utilisée. Tout au plus aurait-il utilisé de la dynamite pour faire sauter des poteaux d’électricité dans les quartiers afin de provoquer des manifestations contre le régime, et fabriqué des bombes artisanales. Compte tenu de cette preuve, je ne suis pas convaincu que l’agente pouvait raisonnablement conclure que le demandeur a lui-même commis des actes de terrorisme. Je note d’ailleurs qu’elle n’élabore pas beaucoup sur cette question, et le défendeur ne s’y est pas attardé non plus dans ses représentations écrites et orales. Il est vrai que le demandeur a tenté de minimiser son rôle lors de son entrevue avec l’agente d’immigration en mars 2012. Alors qu’il avait déclaré à l’agent du SCRS qu’il avait tiré en direction d’un policier lors d’une mission qui avait mal tourné, il a nié ce fait par la suite en disant qu’il ne portait pas d’armes sauf pendant les cours pour apprendre leur maniement.

 

[33]           Bref, je n’ai aucune hésitation à conclure que la décision de l’agente était raisonnable, à tout le moins en ce qui concerne la participation du demandeur à des organisations terroristes. Peut-être la Cour n’en serait-elle pas arrivée à la même conclusion, mais telle n’est pas la question en litige. Compte tenu de la preuve qui était devant elle, l’agente pouvait raisonnablement conclure que le FPMR, les milices rodriguistes et le MIR sont des organisations qui sont, ont été ou seront les auteurs d’actes de terrorisme. Même si l’agente avait erré en déterminant que le demandeur a personnellement posé des actes terroristes, cette erreur serait sans conséquence dans la mesure où le seul fait d’être membre d’une organisation terroriste suffit pour emporter l’interdiction de territoire pour raison de sécurité, au terme du paragraphe 34(1) de la LIPR.

 

(2) L’agente a-t-elle commis une erreur en omettant de considérer que le demandeur a été reconnu comme réfugié en Belgique?

[34]           Le demandeur prétend qu’il ne peut être visé par les alinéas 34(1)c) et f) de la LIPR puisque les autorités belges lui ont reconnu le statut de réfugié sur la base des mêmes faits qu’on lui reproche maintenant, et qu’il n’y a rien dans la décision de l’agente qui permette d’écarter la décision prise en Belgique. Tout en reconnaissant que le gouvernement canadien n’était pas lié par la décision du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides de Belgique, il soutient que l’agente devait à tout le moins tenir compte de cette information.

 

[35]           Cette prétention ne peut être retenue, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le défendeur a raison de souligner que certains des documents sur lesquels s’appuie le demandeur à cet égard n’ont pas été soumis à l’agente et ont été soumis pour la première fois dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Qui plus est, l’agente a bel et bien noté que le statut de réfugié avait été reconnu au demandeur en Belgique.

 

[36]           Mais, de façon plus importante, le fait qu’un demandeur ait été reconnu réfugié dans un autre pays ou même au Canada n’a pas pour effet de relever un demandeur de son fardeau de démontrer à l’agent saisi de sa demande de résidence permanente qu’il n’est pas interdit de territoire en vertu de la LIPR. En effet, les principes régissant l’interdiction de territoire pour motif de sécurité sont tout à fait différents de ceux qui encadrent le statut de réfugié, y compris l’exception prévue à l’article 1F de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [Convention]. En d’autres termes, la tâche d’un agent chargé de rendre une décision sur une demande de résidence permanente consiste à déterminer si le demandeur ou la demanderesse est interdit(e) de territoire au Canada en vertu de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement], et non pas à analyser sa demande dans le cadre de la Convention. Le paragraphe 21(1) de la LIPR et le sous-alinéa 72(1)e)(i) du Règlement sont clairs, et stipulent qu’un étranger ne peut obtenir la résidence permanente qu’à la condition de se conformer à la LIPR et de ne pas être interdit de territoire. Ces dispositions réfèrent donc explicitement à la Section 4 de la LIPR portant sur les interdictions de territoire, dont fait partie l’article 34 relatif aux interdictions pour motif de sécurité.

 

[37]           Cette Cour s’est d’ailleurs déjà prononcée sur cette question à plus d’une reprise. À titre d’illustration, voici ce qu’écrivait ma collègue, la juge Mactavish, dans l’arrêt Suleyman, précité aux paragraphes 52 à 57 :

52.       Suivant M. Suleyman, il est impossible de ne pas tomber sous le coup de la clause d’exclusion prévue par la Convention relative aux réfugiés tout en étant visé par l’alinéa 34(1)f) de la LIPR par application de l’alinéa 34(1)b), compte tenu du fait qu’être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force constitue un crime grave de droit commun.

 

53.       Notre Cour a déjà déclaré cet argument mal fondé. Dans le jugement Omer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 642, le juge Blais a en effet examiné les rapports qui existent entre l’exclusion prévue à l’alinéa 1F de la Convention relative aux réfugiés et l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, en faisant observer que ces deux décisions font intervenir des considérations fort différentes.

 

54.       Voici, à ce propos, ce que le juge Blais écrit, au paragraphe 11 de sa décision :

 

Il convient par ailleurs de signaler que, dans sa décision, la Commission a conclu que le demandeur s’était rendu complice des actes du MQM. Les avocats des parties ont également formulé des observations devant la Cour quant à la question de la complicité. Il ne sera pas nécessaire que la Cour les examine, étant donné que la question de la complicité n’entre pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de prendre une décision en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi, qui vise strictement à savoir si l’intéressé était membre de l’organisation. Il y a donc lieu d’établir une distinction entre l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 34(1)f) et l’exclusion prévue à l’article 98 de la Loi, qui permet de refuser à un individu la qualité de réfugié par application de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relatives au statut des réfugiés, si cet individu a « commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité » et qui, à défaut de preuve directe de l’implication de cet individu dans un crime précis, exige une conclusion de complicité avec l’organisation qui a commis le crime en question.

 

            [Non souligné dans l’original.]

 

55.       Un examen du dossier confirme que l’UNHCR a examiné la question de l’éventuelle exclusion de M. Suleyman par application de l’alinéa 1F de la Convention, concluant qu’il n’était pas exclu étant donné que rien ne permettait de penser qu’il avait personnellement aidé à la perpétration d’un des crimes visés par l’alinéa 1F.

 

56.       Par contraste, la décision par laquelle l’agent des visas a déclaré M. Suleyman interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR était fondée sur le fait qu’il était membre du PKK. Ainsi que je l’ai déjà signalé au début de mon analyse, M. Suleyman ne conteste pas la conclusion de l’agent au sujet de son appartenance au PKK.

 

57.       J’estime donc qu’il n’y a aucune contradiction entre les conclusions de l’UNHCR et celles de l’agent des visas, et je conclus que l’agent des visas n’a pas commis l’erreur qui lui est reprochée à cet égard.

 

 

[38]           J’estime donc que l’agente n’était pas liée par la décision des autorités belges de reconnaître au demandeur le statut de réfugié, et qu’elle pouvait raisonnablement conclure que le demandeur est néanmoins interdit de territoire en application du paragraphe 34(1) de la LIPR en raison de sa participation aux activités des Milices rodriguistes, du FPMR et du MIR.

 

(3) L’agente a-t-elle commis une erreur dans sa considération de l’intérêt de l’enfant ou manqué à l’équité procédurale en omettant d’informer le demandeur de la possibilité d’invoquer l’intérêt supérieur de son enfant?

[39]           Le demandeur reproche à l’agente d’avoir tenu compte de son propre chef de l’intérêt de son enfant, sans l’avertir au préalable et sans lui donner l’occasion de faire des représentations à cet égard. L’agente a considéré le fait que le fils du couple souffre du syndrome du déficit de l’attention accompagné d’hyperactivité, et que le couple, séparé depuis 2008, a décidé de reprendre la vie commune pour la stabilité de l’enfant même si madame doit séjourner régulièrement à l’étranger dans le cadre de son travail. L’agente a cependant accordé plus de poids aux préoccupations liées à la sécurité nationale dans sa pondération des intérêts en présence.

 

[40]           L’agente n’était pas tenue de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant, comme s’est fait fort de le rappeler le défendeur. Il ne s’agit pas ici d’une demande de résidence permanente en vertu de considérations d’ordre humanitaire, mais plutôt d’une demande de résidence permanente en vertu des dispositions de la catégorie « époux et conjoints de fait au Canada ». En outre, c’est au demandeur qu’il appartenait de soumettre la preuve et l’information pertinente au sujet de la situation de son enfant s’il tenait à ce que l’agente en tienne compte. On ne saurait tenir rigueur à cette dernière d’avoir été au-delà de ce qui était strictement requis dans le cadre de la demande présentée par le demandeur, et de ne pas avoir tenu compte d’informations qui ne lui ont pas été communiquées.

 

(4) L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale en omettant d’informer le demandeur de la possibilité d’obtenir une dispense en raison de son âge?

[41]           Le demandeur reproche également à l’agente de ne pas lui avoir fait part de la possibilité d’obtenir une dispense en raison du fait qu’il était mineur au moment des actes reprochés. Il est vrai que lors de l’entrevue, l’agente ne semble pas avoir questionné le demandeur à propos de son âge et surtout de sa compréhension de ses actes au moment où il les a posés. Il n’en demeure pas moins qu’elle a correctement appliqué les principes qui se dégagent de l’arrêt Poshteh, précité, dans les motifs de sa décision, tel que mentionné précédemment.

 

[42]           Il convient d’abord de rappeler qu’il n’existe pour les mineurs aucune dispense générale d’application dans le cadre de l’article 34 de la LIPR, contrairement à ce que prévoit l’alinéa 36(3)e) pour l’interdiction de territoire en raison de criminalité. Par conséquent, la minorité pourra être un facteur à prendre en considération dans l’application de l’alinéa 34(1)f) mais ne constituera pas à elle seule un motif d’exemption. Il incombera donc au demandeur de convaincre un agent qu’il n’avait pas la maturité, la responsabilité ou la capacité mentale requise pour apprécier la nature de ses actes :

J’arrive donc à la conclusion que, bien qu’il n’existe pour les mineurs aucune dispense générale d’application, le statut de mineur reste néanmoins un facteur pertinent en ce qui concerne l’alinéa 34(1)f). Je dois maintenant me demander quels facteurs il convient de retenir.

 

Il me semble que, s’agissant de l’âge, les facteurs à considérer dans l’alinéa 34(1)f) seraient des aspects tels que le point de savoir si le mineur a la connaissance ou la capacité mentale nécessaire pour comprendre la nature et les conséquences de ses actes. Il est loisible au mineur concerné de faire valoir ces aspects et tous autres arguments appuyant une dispense d’application de l’alinéa 34(1)f) en raison de sa minorité, et de produire les preuves à l’appui de tels arguments.

 

Poshteh, précité, aux para 46-47.

 

 

[43]           Non seulement appartient-il au demandeur de faire valoir qu’il n’avait pas les facultés requises pour bien saisir les conséquences de ses actes et d’en apporter la preuve, mais on présumera également « que plus le mineur se rapproche de l’âge de 18 ans, plus il sera probable qu’il possède la connaissance ou la capacité mentale requise » (Poshteh, précité, au para 51). Ce sont précisément les principes qu’a appliqués l’agente dans la présente affaire. Après avoir fait référence à l’arrêt Poshteh, elle a noté que le demandeur, bien qu’il ait adhéré au Parti communiste chilien à l’âge de 14 ans, était devenu actif dans les Milices rodriguistes à 16 ans et avait participé aux opérations du FPMR à partir de l’âge de 17 ans. Elle a également souligné qu’il n’a présenté aucun argument en faveur d’une dispense fondée sur son âge à l’époque des faits. Bref, sa décision est en tout point conforme aux enseignements de l’arrêt Poshteh, précité. C’est au demandeur qu’incombait le fardeau d’établir qu’il devait bénéficier d’une dispense en raison de son âge, et non à l’agente. Par conséquent, la décision me paraît inattaquable à ce chapitre.

 

(5) L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale en omettant de divulguer au demandeur les documents sur lesquels elle s’est appuyée pour prendre sa décision, le privant du même coup de la possibilité de répondre à cette preuve?

[44]           Le demandeur allègue que l’agente n’a pas respecté les règles d’équité procédurale parce qu’elle ne lui a pas donné la possibilité de commenter les documents trouvés sur internet concernant la situation générale prévalant au Chili à l’époque pertinente et, plus particulièrement, les documents concernant les organisations dont le demandeur était membre ou au sein desquelles il a œuvré. Le demandeur prétend avoir pris connaissance de ces documents pour la première fois lorsque la décision de l’agente lui a été communiquée. Ces documents, au nombre d’une dizaine, émanent d’organismes non gouvernementaux, d’universités, du Département d’État américain, de la Central Intelligence Agency, et d’un magazine (Jane’s World Insurgency and Terrorism). On trouve également dans cette liste trois ouvrages publiés en 1988 et 1998.

 

[45]           Je ne peux me ranger à l’argument du demandeur, essentiellement pour les motifs mis de l’avant par le défendeur. Premièrement, le demandeur était dûment informé que son implication au Chili au sein du FPMR, du MIR et des Milices rodriguistes représentait une préoccupation puisqu’il avait d’une part eu une entrevue avec le SCRS en 2004 au sujet de son implication dans ces organisations et, d’autre part, reçu une lettre de convocation précise à cet égard le 6 mars 2012. Dès lors, il n’est pas surprenant que l’agente ait basé ses conclusions sur de la preuve documentaire émanant de sources variées, crédibles et fiables concernant le contexte politique et social au Chili durant les années pertinentes ainsi que les organisations mentionnées par le demandeur lui-même dans sa demande de résidence permanente. En effet, ces documents sont directement reliés à la situation prévalant au Chili et aux organisations dont le demandeur a allégué faire partie dans sa demande de résidence permanente, implication qui a fait l’objet d’une entrevue avec le SCRS.

 

[46]           Deuxièmement, les documents publics disponibles sur internet sur la situation dans un pays et provenant de sources crédibles et connues ne constituent pas de la preuve extrinsèque. Ces documents étaient facilement accessibles sur internet, et le fait que l’agente les ait consultés et s’y soit référé sans en aviser le demandeur ne saurait constituer une violation des exigences du devoir d’équité procédurale : voir, entres autres, Huggins c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 250 au para 5, 137 ACWS (3d) 809; Beca c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 566 au para 8, 148 ACWS (3d) 624; Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 CF 461, 226 NR 134 (CA); Manvalpillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 584 aux paras 9-11, 139 ACWS (3d) 118; Sinnasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 67 aux para 35-40 (disponible sur CanLII); Al Mansuri c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 22 au para 52 (disponible sur CanLII).

 

[47]           Troisièmement, le demandeur a dûment été confronté aux informations contenues dans la preuve documentaire lors de son entrevue. Or, son témoignage, loin de contredire la preuve sur la situation au Chili ou sur le Parti communiste chilien, les Milices rodriguistes, le FPMR et le MIR, confirme plutôt les informations quant à ces organisations, leur mode de fonctionnement et le cursus suivi par une personne impliquée comme le demandeur dans le Parti communiste chilien et l’opposition au régime de Pinochet à l’époque pertinente.

 

[48]           En effet, le demandeur a démontré une connaissance étendue de la structure du FPMR, de ses cellules et de leur fonctionnement. Les informations qu’il a données à ce sujet sont corroborées par la preuve documentaire. De plus, les activités et les actes avoués par le demandeur correspondent en tout point à ceux qui sont rapportés dans les documents publics et qui caractérisent les techniques tant des Milices rodriguistes que du FPMR dans l’objectif d’inciter la population à ce que le Parti communiste chilien appelait « l’insurrection nationale ». Le demandeur pouvait, à tout moment avant qu’une décision ne soit rendue, prendre connaissance de la preuve documentaire et fournir à l’agente des informations ou des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de sa demande. Il ne peut donc s’en prendre qu’à lui-même s’il ne l’a pas fait.

 

[49]           Enfin, le demandeur a soutenu que l’agente avait porté atteinte aux principes d’équité procédurale en ne lui communiquant pas le rapport du SCRS de façon à ce qu’il puisse contredire les informations qu’il contient ou au contraire s’y appuyer. Encore une fois, l’équité procédurale ne commandait pas une telle façon de procéder dans les circonstances.

 

[50]           Tel qu’il appert des notes de l’entrevue, le demandeur n’a pas demandé à voir ce document. D’autre part, le demandeur a été confronté à maintes reprises au témoignage qu’il a donné à l’agent du SCRS, et on peut présumer que le demandeur est au courant de ce qu’il a dit lors de cette entrevue. La jurisprudence de cette Cour est à l’effet qu’il n’est pas nécessaire de remettre au demandeur le document lui-même sur lequel l’auteur de la décision peut se fonder, tant et aussi longtemps que les renseignements contenus dans ce document sont communiqués au demandeur de façon à ce qu’il puisse prendre connaissance des renseignements qui lui sont défavorables et corriger les malentendus ou les déclarations inexactes susceptibles de nuire à sa cause : Nadarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1112 au para 25 (disponible sur CanLII); Krishnamoorthy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 1342 au para 25, 400 FTR 267. En l’espèce, je suis d’avis que la non-divulgation du rapport rédigé par le SCRS n’a pas empêché le demandeur de faire valoir sa position, et il a eu tout le loisir de répondre aux préoccupations exprimées dans ce rapport.

 

V. Conclusion

[51]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune ne sera certifiée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6416-12

 

INTITULÉ :                                      LUIS ALVARO PIZARRO GUTIERREZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             26 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     10 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Albert Bellemare

Me Christine Vinet

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Sherry Rafai

Me Karl Chemsi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Albert et Vinet Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.