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Date : 20130607

Dossier : IMM‑6620‑12

Référence : 2013 CF 618

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

KHURRAM ZAHUR BUTT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant la décision du 10 mai 2012 par laquelle un agent des visas (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur à titre de travailleur étranger qualifié.

 

[2]               Le demandeur réclame que la décision de l’agent soit annulée et que la demande soit renvoyée au Haut‑commissariat du Canada à Londres pour qu’un autre agent statue à nouveau sur celle‑ci.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur est citoyen du Pakistan. En 2010, il a fait une demande à titre de travailleur étranger qualifié ayant une expérience comme directeur de la construction, code 0711 de la Classification nationale des professions (CNP). Pour étayer sa demande, il a présenté des lettres signées par deux de ses anciens employeurs pour lesquels il a agi à titre de gestionnaire de projet.

 

Décision de l’agent

 

[4]               L’agent a rendu une décision le 10 mai 2012. Les notes inscrites dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) servent de motifs de décision.

 

[5]               L’entrée du 19 octobre 2010 indique que l’agent des visas a soumis la demande pour décision définitive concernant son traitement. L’entrée du 24 avril 2012 révèle que la demande a été rejetée :

[traduction] BIEN QUE LE CODE 0711 DE LA CNP CORRESPONDE À UNE PROFESSION QUI FIGURE DANS LES INSTRUCTIONS, LES RENSEIGNEMENTS SOUMIS À L’APPUI DE LA DEMANDE NE SONT PAS SUFFISANTS POUR DÉMONTRER QUE LE DEMANDEUR SATISFAIT À LA DESCRIPTION DE LA PROFESSION OU QU’IL A EXERCÉ UNE PARTIE APPRÉCIABLE DES TÂCHES PRINCIPALES DÉCRITES À LA CNP 0711. L’INTÉRESSÉ A FOURNI DES LETTRES DE L’ARMÉE DU PAKISTAN QUI NE DONNENT PAS DE DÉTAILS SUR LES TÂCHES ACCOMPLIES, UNE RÉFÉRENCE PROFESSIONNELLE NON DATÉE D’EDEN HOUSING ET UNE LETTRE DE NOMINATION DE HUSNAIN COTEX LTD. EST ÉGALEMENT FOURNIE UNE RÉFÉRENCE PROFESSIONNELLE NON DATÉE DE HUSNAIN COTEX LTR, SELON LAQUELLE IL A TRAVAILLÉ COMME CHEF DE PROJET DANS LA CONSTRUCTION DE L’AUTOROUTE LAHORE‑GURANWALA. LES TÂCHES MENTIONNÉES DANS LA RÉFÉRENCE PROFESSIONNELLE NE CORRESPONDENT PAS À CELLES FIGURANT DANS L’ÉNONCÉ PRINCIPAL NI AUX TÂCHES PRINCIPALES DU CODE 0711 DE LA CNP. L’EXPÉRIENCE DE TRAVAIL DE L’INTÉRESSÉ SEMBLE CORRESPONDRE DAVANTAGE À CELLE D’UN INGÉNIEUR CIVIL (CNP 2131). PAR CONSÉQUENT, JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE L’INTÉRESSÉ A VRAIMENT UNE ANNÉE D’EXPÉRIENCE DANS LA PROFESSION CORRESPONDANT AU CODE 0711 DE LA CNP, ET CETTE DEMANDE N’EST PAS ADMISSIBLE À UN TRAITEMENT PLUS APPROFONDI.

 

Questions en litige

 

[6]               Le demandeur soumet les questions suivantes :

            1.         Le décideur a‑t‑il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte d’éléments de preuve ou en interprétant mal la preuve?

            2.         Le décideur a‑t‑il omis de faire preuve de diligence, comme le prévoit le Guide de traitement (OP 6A), lorsqu’il a examiné les références du demandeur?

 

[7]               Je reformulerais les questions ainsi :

            1.         Quelle est la bonne norme de contrôle?

            2.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande?

 

Observations écrites du demandeur

 

[8]               Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve ou qu’il a mal interprété la preuve concernant son expérience de travail. La lettre de recommandation de Husnain Cotex Limited indique que le demandeur a travaillé comme gestionnaire de projet dans la construction d’une autoroute nationale de janvier 2009 à juin 2010. Bien que le demandeur ait mentionné qu’il était ingénieur civil dans l’annexe 3 de sa demande, il est manifeste que les tâches accomplies correspondent à celles du code 0711 de la CNP, directeur de la construction.

 

[9]               En ce qui concerne les lettres de recommandation non datées, le demandeur fait valoir que la liste de contrôle des demandes présentées à titre de travailleur étranger qualifié ne mentionne nullement que les lettres doivent être datées. Les dates de début et de fin de l’emploi du demandeur étant clairement mentionnées, l’omission de la date dans une lettre n’est pas substantielle. Le Guide de traitement des demandes OP 6A mentionne seulement qu’il faut suffisamment de détails pour prouver que le demandeur a une année d’expérience de travail continue.

 

[10]           Subsidiairement, le demandeur prétend que l’agent n’a pas fait preuve de diligence suffisante lors de l’évaluation des références, contrairement à ce que prévoit le Guide de traitement des demandes OP 6A.

 

Observations écrites du défendeur

 

[11]           Le défendeur fait valoir que la bonne norme de contrôle est celle du caractère raisonnable et que la décision de l’agent est raisonnable. Il incombait au demandeur de présenter une demande claire, documents à l’appui. Le demandeur n’a pas satisfait aux exigences, étant donné qu’aucun document à l’appui ne faisait référence aux tâches énoncées dans la description figurant sous le code 0711 de la CNP ou, le cas échéant, les détails étaient insuffisants. Bien que le demandeur affirme avoir effectué ces tâches, l’agent a pris sa décision à la lumière des documents d’emploi soumis comme preuve. Il convient de faire preuve de déférence envers l’agent étant donné que les tâches énoncées dans la CNP relèvent de son expertise.

 

Analyse et décision

 

[12]           Question 1

      Quelle est la bonne norme de contrôle?

            Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour de révision est saisie, celle‑ci peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[13]           La décision de l’agent visant la demande présentée par le demandeur à titre de travailleur étranger qualifié concerne des conclusions de fait et de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité, comme je l’ai statué dans Anabtawi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 856, au paragraphe 28, [2012] ACF no 923.

 

[14]           Dans sa révision de la décision de l’agent selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne devrait intervenir que si l’agent est parvenu à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable ou intelligible et qui ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve portée à sa connaissance (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339). Comme l’a statué la Cour suprême dans Khosa, précité, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer l’issue qui serait à son avis préférable ni d’apprécier à nouveau la preuve (au paragraphe 59).

 

[15]           Question 2

            L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande?

            Selon l’affidavit déposé par le Ministre, les principales tâches associées au code 0711 de la CNP sont les suivantes :

         planifier, organiser, diriger, contrôler et évaluer les projets de construction du début à la fin conformément au calendrier d’exécution des travaux, au cahier des charges et au budget prévu;

 

         préparer et soumettre les prévisions budgétaires concernant le projet de construction

 

         planifier et préparer les calendriers d’exécution et les étapes à suivre, et vérifier les progrès en regard de ces données;

 

         préparer les contrats et négocier les révisions, les changements et les ajouts aux ententes contractuelles avec les architectes, les experts‑conseils, les clients, les fournisseurs et les sous‑traitants;

 

         élaborer et mettre en œuvre les programmes de contrôle de la qualité;

 

         représenter l’entreprise sur des questions telles que les services professionnels et la négociation des conventions collectives;

 

         préparer des rapports sur l’avancement des travaux et fournir aux clients le programme de construction;

 

         diriger l’achat de tous les matériaux de construction et l’acquisition des terrains;

 

         embaucher le personnel et superviser le travail des sous‑traitants et des employés subalternes.

 

 

[16]           La lettre de nomination du demandeur produite par Husnain Cotex Limited énonce les tâches qui incombent au gestionnaire de projet :

a.         assurer la coordination avec le RE SMEC / directeur de projet NHA et GM (NHIP) / CRE SMEC;

 

b.         élaborer les calendriers relatifs aux travaux et aux matériaux;

 

c.         acheter les matériaux nécessaires;

 

d.         évaluer le personnel en place, congédier les travailleurs malhonnêtes et embaucher du personnel;

 

e.         veiller au bon fonctionnement de l’équipement;

 

f.          louer de l’équipement, sous réserve de l’approbation du PDG;

 

g.         préparer l’état des résultats mensuel;

 

h.         faire le suivi des achats et de la consommation des matériaux.

 

i.          tenir le siège social informé des progrès et des dépenses.

 

 

[17]           L’agent n’a pas fait mention de la lettre de nomination. Les motifs n’évoquent que la lettre de recommandation fournie pour le même poste. Contrairement à la lettre de recommandation, la lettre de nomination mentionne des tâches semblables à celles énoncées dans la description du code 0711 de la CNP, comme les tâches liées aux achats et à la supervision du travail de subalternes. L’agent n’a pas dit pourquoi la lettre de recommandation et la lettre de nomination ont été considérées comme s’excluant mutuellement.

 

[18]           L’agent est présumé avoir pris en considération l’ensemble de la preuve dont il était saisi (voir Oprysk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 326, au paragraphe 33, [2008] ACF no 411). Cependant, plus les éléments de preuve non mentionnés sont importants, plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que le tribunal a tiré une conclusion de fait sans tenir compte de la preuve (voir Pinto Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 181, au paragraphe 35, [2012] ACF no 189).

 

[19]           Je n’ignore pas que les motifs sont généralement brefs dans le cas des décisions qui concernent les visas, sauf que l’agent ne mentionne que deux des trois documents d’une page qui témoignent des tâches. Étant donné que la décision de l’agent est centrée sur la question de savoir si les documents du demandeur établissent que les tâches étaient analogues à celles figurant dans la description du code 0711 de la CNP, l’omission atteint le niveau décrit dans Pinto Ponce, précité. Il s’agit d’un élément de preuve capital et il n’était pas raisonnable de la part de l’agent de ne pas en tenir compte dans sa décision ou dans ses motifs.

 

[20]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[21]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6620‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  KHURRAM ZAHUR BUTT

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DEL’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 30 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 7 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ali Amini

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Tessa Kroeker

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ali Amini

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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