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Date : 20130617

Dossier : IMM-7631-12

Référence : 2013 CF 665

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

ABDOLLAH SHARIFIAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la Loi], de la décision de l’agent d’immigration (l’agent) rendue le 13 août 2012 à l’ambassade canadienne à Ankara, en Turquie. L’agent a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences applicables pour obtenir le statut de résident permanent au Canada à titre de travailleur qualifié (fédéral), lesquelles sont prévues au paragraphe 76(1) de la Loi.

 

Contexte

[2]               M. Sharifian, un citoyen de l’Iran, a présenté une demande de résidence permanente en tant que membre au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral)[TQF], selon la description 3131 de la Classification nationale des professions [CNP] qui correspond à celle de pharmacien.  Son épouse, qui est également pharmacienne, faisait partie de la même demande. L’agent a examiné la demande et attribué un total de 64 points, soit trois points en dessous de la note de passage de 67 points exigée au titre de la catégorie des TQF.

 

Décision contrôlée

[3]               L’agent a examiné la demande en fonction de la profession correspondant au code 3131 de la CNP qui est celle de pharmacien. En ce qui concerne les études du demandeur, l’agent a conclu que son diplôme obtenu de l’Université des sciences médicales de Téhéran équivalait au baccalauréat, et il a attribué 20 points en application du sous-alinéa 78(2)d)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002-227 [le Règlement].

 

[4]               L’agent a conclu que le diplôme de l’épouse du demandeur, également pharmacienne, équivalait au baccalauréat et a attribué 4 points au titre de la capacité d’adaptation à la demanderesse.

 

[5]               Étant donné que le demandeur n’a pas satisfait au nombre minimal requis de 67 points, l’agent n’était pas convaincu qu’il réussirait son établissement économique au Canada. Ainsi, il a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la résidence permanente au Canada à titre de travailleur qualifié (fédéral).

 

Questions en litige

[6]               Le demandeur soutient que la décision dans son ensemble est déraisonnable puisque l’agent n’a pas pris en compte la preuve pertinente et n’a pas évalué son niveau d’études en fonction des normes régionales ou nationales. Étant donné qu’il a complété 18 ans d’études à temps plein et que ses diplômes ont été considérés comme correspondant à la maîtrise par le ministère de la Santé et de l’Enseignement médical en Iran, le demandeur prétend que l’agent aurait dû lui attribuer 25 points en application de l’alinéa 78(2) f) du Règlement. En outre, les diplômes de l’épouse du demandeur aurait dû lui permettre d’obtenir des points additionnels puisqu’elle détenait le même diplôme. Le demandeur fait valoir que cela aurait donné un résultat supérieur au nombre minimal requis de 67 points.

 

[7]               Le demandeur allègue que ni les notes figurant dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] ni la lettre de refus de l’agent n’ont fait mention de la lettre du ministère de la Santé et l’Enseignement médical et, par conséquent, qu’on peut en conclure que l’agent n’a pas pris en compte la preuve pertinente quant aux normes régionales ou nationales applicables pour procéder à l’évaluation des diplômes d’études.

 

[8]               Le demandeur soutient également que l’agent a violé les principes d’équité procédurale en ne cherchant pas à obtenir plus de renseignements et en ne lui donnant pas l’occasion de répondre aux préoccupations qu’il a soulevées concernant ses diplômes d’études.

 

[9]               Le défendeur est d’avis que l’agent a évalué la demande conformément au Règlement suivant les directives du guide opérationnel [OP 6A] et, qu’au vu de l’ensemble de la preuve, la décision est raisonnable.

 

[10]           Le défendeur souligne que les diplômes en médicine sont généralement considérés comme de « premier cycle » d’après OP 6A. La preuve présentée par le demandeur n’indiquait pas l’obtention d’un diplôme par une faculté d’études supérieures, et l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur détenait un diplôme universitaire équivalant au baccalauréat, lequel ne correspondait pas à la maîtrise.

 

[11]           Le défendeur soutient que la prise en considération des normes régionales n’est pas un facteur déterminant mais qu’un facteur parmi d’autres.

 

[12]           Le défendeur soutient de plus que l’agent n’avait aucune obligation d’informer le demandeur des exigences prévues par les lois et les règlements en matière d’immigration. Le fardeau de la preuve appartient en tout temps au demandeur de présenter sa cause sous son meilleur jour. Les préoccupations de l’agent ne portaient pas sur la crédibilité ou la véracité des documents. Par conséquent, il n’y a pas eu manquement à l'équité procédurale.

 

DISPOSITIONS PERTINENTES

Définition

[13]           L’article 3 du Règlement :

« diplôme » Tout diplôme, certificat de compétence ou certificat d’apprentissage obtenu conséquemment à la réussite d’un programme d’études ou d’un cours de formation offert par un établissement d’enseignement ou de formation reconnu par les autorités chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer de tels établissements dans le pays de délivrance de ce diplôme ou certificat.

“educational credential” means any diploma, degree or trade or apprenticeship credential issued on the completion of a program of study or training at an educational or training institution recognized by the authorities responsible for registering, accrediting, supervising and regulating such institutions in the country of issue.

 

 

 

[14]           Le paragraphe 78(2) du Règlement prévoit :

78. (2) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués pour les études du travailleur qualifié selon la grille suivante :

 

a) 5 points, s’il a obtenu un diplôme d’études secondaires;

 

b) 12 points, s’il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant une année d’études et a accumulé un total d’au moins douze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

 

c) 15 points, si, selon le cas :

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant une année d’études et a accumulé un total de treize années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

 

(ii) il a obtenu un diplôme universitaire de premier cycle nécessitant une année d’études et a accumulé un total d’au moins treize années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

 

d) 20 points, si, selon le cas :

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant deux années d’études et a accumulé un total de quatorze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

 

(ii) il a obtenu un diplôme universitaire de premier cycle nécessitant deux années d’études et a accumulé un total d’au moins quatorze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

 

e) 22 points, si, selon le cas :

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant trois années d’études et a accumulé un total de quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

 

(ii) il a obtenu au moins deux diplômes universitaires de premier cycle et a accumulé un total d’au moins quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

 

f) 25 points, s’il a obtenu un diplôme universitaire de deuxième ou de troisième cycle et a accumulé un total d’au moins dix-sept années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein.

78. (2) A maximum of 25 points shall be awarded for a skilled worker’s education as follows:

 

 

(a) 5 points for a secondary school educational credential;

 

(b) 12 points for a one-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 12 years of completed full-time or full-time equivalent studies;

 

 

 

(c) 15 points for

(i) a one-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 13 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or

 

 

(ii) a one-year university educational credential at the bachelor’s level and a total of at least 13 years of completed full-time or full-time equivalent studies;

 

 

 

(d) 20 points for

(i) a two-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 14 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or

 

 

(ii) a two-year university educational credential at the bachelor’s level and a total of at least 14 years of completed full-time or full-time equivalent studies;

 

 

 

 

(e) 22 points for

(i) a three-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 15 years of completed full-time or full-time equivalent studies, or

 

 

(ii) two or more university educational credentials at the bachelor’s level and a total of at least 15 years of completed full-time or full-time equivalent studies; and

 

 

 

(f) 25 points for a university educational credential at the master’s or doctoral level and a total of at least 17 years of completed full-time or full-time equivalent studies.

 

Normes de contrôle

[15]           La norme de contrôle applicable n’est pas contestée.  Les violations à l’équité procédurale soulèvent des questions de droit et sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte : Abou-Zahra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1073, [2010] CAF no 1326, par. 16; Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 709, [2009] ACF no 875, par. 29; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434 [Khosa], par. 43; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, par. 79, [Dunsmuir].

 

[16]           La question en litige en l’espèce ne porte pas sur l’interprétation du Règlement ou de la Loi mais plutôt sur la question de savoir si l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences d’admissibilité au titre de la catégorie des TQF, comme le Règlement le prévoit.  L’agent est un décideur spécialisé dont les conclusions de fait concernant l’admissibilité d’un demandeur à titre de résident permanent au Canada appellent une grande retenue et sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Dunsmuir, par. 53; Khosa, par. 59; Hameed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 271, par. 22.

 

[17]           Tel qu’il est mentionné dans l’arrêt Khosa, la décision doit appartenir aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47).  « Il peut exister plus d’une issue raisonnable.  Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable. » (par. 59).

 

L’évaluation des diplômes d’études du demandeur effectuée par l’agent était-elle raisonnable?

[18]           La question déterminante est de savoir si la conclusion de l’agent, selon laquelle le diplôme du demandeur ne correspondait pas à une maîtrise, était raisonnable compte tenu des documents à l’appui fournis par le demandeur, y compris la lettre écrite par le registraire du ministère de la Santé et de l’Enseignement médical de l’Iran.

 

[19]           La lettre, datée du 25 août 2010, indiquait ce qui suit :

[TRADUCTION] « La présente certifie que la qualification des finissants d’un doctorat général dans le domaine de la pharmacie équivaut à une maîtrise dans la République islamique d’Iran en ce qui touche la promotion académique au doctorat. » (en caractères gras dans l’original)

 

[20]           Le diplôme du demandeur émis par la faculté de pharmacie de l’Université des sciences médicales de Téhéran est intitulé « diplôme de fin d’études » et indique : [TRADUCTION] « M. Abdollah Sharifian, … a complété avec succès ses études dans un programme de doctorat dans le domaine de la pharmacie le 31 décembre 1990… ».

 

[21]           Lors de l’examen du diplôme du demandeur, les notes du SMGC, qui font partie des motifs, confirment que l’agent a pris en compte le paragraphe 10.2 du guide OP 6A, qui prévoit :

[TRADUCTION] Remarque : Un diplôme de médecine correspond généralement à un diplôme universitaire de premier cycle, au même titre qu’un baccalauréat en droit ou qu’un baccalauréat en pharmacie, même s’il s’agit d’un diplôme «  professionnel  », et il devrait donner 20 points. S’il s’agit d’un diplôme de deuxième cycle et s’il est délivré par une faculté d’études supérieures, par exemple, 25  points pourraient être accordés. Si le baccalauréat est un préalable, mais que le diplôme en soi est considéré comme un diplôme de premier cycle, 22  points seront accordés. Il est important de s’informer de la façon dont l’administration locale responsable des établissements d’enseignement considère les diplômes, c’est-à-dire de premier cycle, de deuxième cycle ou d’études supérieures. L’agent a-t-il pris en compte ce dernier aspect?

 

[22]           Après avoir cité le paragraphe 10.2, l’agent a tiré des conclusions précises qui ont trait aux exigences prévues par le Règlement :

[TRADUCTION] En l’espèce, le demandeur a reçu un seul diplôme qui lui a permis d’exercer la profession de pharmacien. Rien n’indique qu’un diplôme de baccalauréat ou de maîtrise a été délivré avant ce diplôme ou que le diplôme a été délivré par une faculté d’études supérieures. De plus, rien n’indique que le demandeur a fait une spécialisation ou qu’il a exercé des fonctions liées à une spécialité pharmaceutique après avoir obtenu son seul diplôme. La situation est la même dans le cas des études de l’épouse.

 

[23]           Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte des normes régionales lors de l’évaluation des diplômes d’études. J’ai examiné la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Hasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 339, [2011] ACF no 1729 sur laquelle s’appuie le demandeur pour insister sur l’importance des normes régionales. Dans cette affaire, on s’est demandé comment le Règlement, qui exige un diplôme et un nombre précis d’années d’études, doit s’appliquer, et on s’est attardé sur le nombre d’années d’études. La Cour d’appel a souligné que la définition de « diplôme » figurant dans le Règlement commande de faire preuve de retenue à l’égard des autorités nationales. Dans la présente affaire, la définition du terme diplôme n’est pas en cause. L’agent a admis la reconnaissance par les autorités compétentes du diplôme du demandeur, qui a été désigné comme un doctorat général. L’agent devait se demander comment ce diplôme, tel que désigné, devait être évalué en application du Règlement.

 

[24]           Le demandeur allègue que l’agent a aveuglément suivi le guide opérationnel et omis d’appliquer l’exigence imposée par la Loi qui consiste à tenir compte des normes régionales. Cependant, le guide opérationnel sert également à orienter un agent sur la façon d’évaluer les diplômes d’études qui ont été reconnus par les autorités régionales responsables des institutions d’enseignement : c.-à-d., un diplôme de premier ou de deuxième cycle ou d’études universitaires supérieures.

 

[25]           Je ne suis pas d’avis que l’agent a aveuglément suivi les directives, ou seulement une partie de celles-ci.  Il les a examinées et a cité des exemples qui étaient analogues aux faits de l’espèce. Rien n’indique qu’il ne s’est pas penché sur la façon dont les autorités régionales ont reconnu le niveau du diplôme. Ainsi, l’agent a conclu que le diplôme du demandeur était un diplôme de premier cycle.

 

[26]           Le demandeur et le défendeur ont tous les deux fait référence à plusieurs décisions de la présente Cour qui ont abordé le caractère raisonnable de la décision d’un agent au moment d’évaluer les diplômes et les points à attribuer en application du Règlement.

 

[27]           Par exemple, dans Nikoueian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 514, le juge Phelan a accueilli la demande de contrôle judiciaire dans laquelle le demandeur n’avait pas obtenu le nombre maximal de points pour son doctorat en médecine dentaire. Il a conclu qu’aucune preuve n’indiquait que le diplôme est considéré comme un diplôme de premier cycle en Iran.

 

[28]           En l’espèce, l’agent a conclu que la preuve indiquait que le diplôme ne pouvait être autre chose qu’un diplôme de premier cycle en Iran. La lettre, qui est présumée avoir été examinée, n’indiquait pas qu’il s’agissait d’un diplôme d’études supérieures.

 

[29]           Je note également la récente décision du juge Roy dans l’affaire Sedighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 445, qui portait sur le caractère raisonnable de la décision de l’agent à propos des points attribués au demandeur qui affirmait être médecin. Le juge Roy a indiqué :

[15]    Pour bénéficier de l’alinéa 78(2)f) du Règlement, le demandeur devait démontrer que le diplôme d’études universitaires qu’il avait obtenu était un diplôme universitaire de deuxième ou de troisième cycle. Son affirmation selon laquelle l’agent avait, d’une manière ou d’une autre, une obligation de se renseigner au sujet des exigences d’obtention d’un diplôme de médecine en Iran est sans fondement. Le fardeau n’est pas renversé; il reste sur les épaules du demandeur, et ce, tout au long du processus. Le demandeur a soulevé un argument ingénieux, fondé sur un des mots employés dans la version anglaise de l’alinéa 78(2)f) : « level ». Il prétend que l’emploi du mot « level » conjointement avec les mots « master’s or doctoral » dans la version anglaise donne à penser que ce n’est pas un diplôme en particulier qui est exigé, mais plutôt un diplôme de « niveau » équivalent. Malheureusement pour le demandeur, son argument ingénieux ne concorde pas avec la version française du même alinéa, qui établit clairement que le diplôme requis doit être un diplôme de deuxième ou de troisième cycle. Il est bien connu que les tribunaux chercheront le sens commun entre des versions bilingues et que c’est ce sens qui sera retenu (Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), [2012] 1 RCS 23). Compte tenu de la preuve dont disposait l’agent, il n’était pas déraisonnable pour ce dernier de conclure que le diplôme du demandeur n’était pas un diplôme de deuxième ou de troisième cycle.

 

[30]           La comparaison entre les versions française et anglaise des dispositions est également utile en l’espèce étant donné que le niveau du baccalauréat correspond au « premier cycle » ou « first-level ». Les diplômes du demandeur et de son épouse ont été qualifiés de premier cycle du fait que l’agent n’avait aucune preuve que les diplôme étaient précédés par un autre ou qu’ils avaient été délivrés par une faculté d’études supérieures.

 

[31]           Dans Mohagheghzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2013 CF 533, le juge Rennie a examiné le refus d’un agent des visas d’attribuer davantage de points à un dentiste venant de l’Iran. Il a souligné le rôle des agents des visas de procéder à des évaluations indépendantes. Une lettre rédigée en des termes très similaires à celle présentée par le demandeur en l’espèce a été fournie par l’université qui avait remis le diplôme à M. Mohagheghzadeh. La lettre a été jugée inadmissible parce qu’elle n’a pas été portée à la connaissance de l’agent des visas. Cependant, il est intéressant de noter que le juge Rennie était d’avis que la lettre n’indiquait pas que le diplôme du demandeur était un diplôme d’études supérieures :

[17]   Il est bien connu que la décision raisonnable tient à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Le fait que certains agents des visas peuvent avoir, pendant un certain temps, considéré les diplômes en dentisterie de l’Iran comme des diplômes d’études supérieures ne limite ni l’étendue des issues raisonnablement acceptables ni le pouvoir discrétionnaire des agents dans des décisions subséquentes. Chaque agent des visas a le pouvoir d’effectuer une appréciation indépendante d’une demande. Il n’y a pas d’exigence d’uniformité. Dans chaque cas, la décision est examinée eu égard au cadre juridique et aux principes du droit administratif.

 

[18]   En l’espèce, l’agent des visas ne disposait pas de preuve étayant une conclusion que le diplôme en dentisterie était un diplôme universitaire de deuxième cycle, ou qu’il avait été délivré par une faculté d’études supérieures. Par conséquent, la décision de l’agent des visas résiste à un examen approfondi eu égard tant à la norme de la décision raisonnable, qu’à la norme de la décision correcte.

 

[19]   Bien qu’elle soit inadmissible, la lettre de l’Université Chiraz de sciences médicales n’étaye pas, de toute façon, le point de vue du demandeur. La lettre contient une déclaration selon laquelle [traduction] « le diplôme de docteur en dentisterie est reconnu comme un diplôme en sciences médicales pour l’admission à un programme de doctorat ». Cela ne règle pas la question de savoir s’il s’agit d’un diplôme d’études supérieures ou s’il a été délivré par une faculté d’études supérieures. Comme la juge Judith Snider l’a observé dans la décision Sirous Nekooei c. Canada (Citizenship and Immigration), le 4 mai 2011 (IMM‑5704‑10), la définition de « diplôme » énoncée à l’article 73 du Règlement requiert que le diplôme soit reconnu par les autorités chargées de superviser et de réglementer de tels établissements dans le pays de délivrance de ce diplôme. L’auteur de cette lettre, en tant que chef des admissions, n’est probablement pas une autorité accréditée visée par le Règlement.

 

[20]   D’autres juges de la Cour ont conclu que des décisions étaient raisonnables lorsqu’il n’y avait pas de preuve que le diplôme professionnel était un diplôme de deuxième cycle ou un diplôme d’études supérieures. Dans la décision Mahouri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 244, le juge Michael Manson a confirmé le refus d’une agente des visas de délivrer un visa alors que la demanderesse détenait un doctorat en médecine de l’Université Chiraz de sciences médicales après huit années d’études et qu’elle détenait un diplôme dans une « spécialisation » après trois autres années d’études à la même université. L’époux de la demanderesse avait sept années d’études, et détenait un « doctorat en médecine » ainsi qu’un « diplôme dans une spécialisation » qu’il avait obtenu après quatre autres années d’études. Dans cette décision, l’agente avait conclu que les diplômes étaient tous les deux au niveau du baccalauréat. De façon semblable, dans la décision Rabiee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 824, le juge Michel Beaudry a conclu qu’un diplôme en médecine peut raisonnablement être considéré comme un diplôme de premier cycle, en l’absence d’éléments de preuve clairs établissant qu’il rempli les conditions d’un diplôme d’études supérieures.

 

[32]            Je ne suis pas d’avis que l’agent a écarté des éléments de preuve pertinents à l’appui de l’admissibilité du demandeur dans la présente affaire. Bien que la lettre du ministère de la Santé et de l’Enseignement médical ne soit pas expressément mentionnée, il existe une présomption selon laquelle un décideur a examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 ACF 598 (CAF)). Le demandeur a allégué que, conformément à l’arrêt Cepeda-Guttierez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CAF no 1425, l’omission de l’agent d’avoir mentionné des éléments de preuve qui étaient déterminants dans le cadre de la demande du demandeur et qui contredisent la conclusion de l’agent constitue une erreur susceptible de révision.

 

[33]           L’omission de l’agent de mentionner la lettre ne constitue pas une erreur susceptible de révision puisque la lettre ne contredit pas la conclusion de l’agent. En outre, rien n’indique que l’agent a écarté quelque élément de preuve que ce soit dont il disposait.

 

[34]           L’agent a affirmé qu’aucune preuve n’indiquait que le diplôme avait été délivré par une faculté d’études supérieures, comme le guide OP 6A lui conseille d’examiner. La lettre sur laquelle s’appuie le demandeur ne précise pas que le diplôme provenait d’une faculté d’études supérieures mais plutôt simplement que les étudiants qui terminent avec un doctorat général sont évalués de la même manière que les étudiants de la maîtrise [traduction] « en ce qui concerne la promotion académique au doctorat » en Iran.

 

[35]           Comme il a été mentionné, OP 6A, qui donne des directives aux agents quant à l’application du Règlement, indique que les diplômes en médecine sont généralement qualifiés de premier cycle à moins qu’il s’agisse de diplômes de deuxième cycle, comme ceux provenant d’une faculté d’études supérieures. La conclusion de l’agent selon laquelle le diplôme du demandeur correspond au baccalauréat est raisonnable, même si le diplôme du demandeur a fait suite à un programme d’études de six ans. Rien dans la lettre ou dans la preuve présentée ne permettait de conclure que le doctorat obtenu par le demandeur était un diplôme d’études supérieures, ou que le demandeur a obtenu un diplôme antérieur, comme condition préalable. La lettre indiquait seulement que le diplôme était considéré comme une maîtrise en vue de satisfaire aux pré-requis d’un programme de doctorat en Iran.

 

[36]           Les agents des visas sont chargés d’appliquer le Règlement qui a été élaboré pour garantir une certaine cohérence dans la manière dont les diplômes d’études, qui peuvent varier d’un pays à l’autre, sont évalués. Bien que les demandeurs puissent prétendre que leurs diplômes ne sont pas adéquatement évalués en fonction du Règlement, les agents des visas doivent appliquer la loi et le Règlement, en s’appuyant sur les guides OP applicables aux faits dont ils sont saisis.

 

[37]           Il était loisible à l’agent d’évaluer le diplôme du demandeur en fonction des éléments de preuve dont il disposait et sa conclusion était raisonnable.

 

L’agent a-t-il porté atteinte à l’équité procédurale du demandeur?

[38]           La question de savoir si les agents des visas doivent communiquer leurs réserves aux demandeurs avant de refuser une demande a été récemment examinée par le juge de Montigny dans la décision Talpur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 25, 210 A.C.W.S. (3d) 765 :

Il est désormais bien établi que l’obligation d’équité dont bénéficient les demandeurs de visa, bien qu’elle se situe à l’extrémité inférieure du registre (Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 41; Trivedi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au paragraphe 39), impose aux agents des visas de communiquer leurs réserves aux demandeurs, de manière à ce qu’ils aient l’occasion de les dissiper. Il en sera notamment ainsi lorsque ces réserves se rapportent non pas tant à des exigences légales qu’à l’authenticité ou à la crédibilité de la preuve fournie par le demandeur. Après s’être livré à un examen approfondi de la jurisprudence sur cette question, le juge Mosley a pu concilier ainsi les décisions apparemment contradictoires de la Cour :

 

Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci-dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

 

Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283 (C.F.), par. 24, (2006), [2007] 3 R.C.F. 501 (C.F.).

 

[39]           La jurisprudence a confirmé que l’obligation de communiquer dépend de la question de savoir si les réserves de l’agent des visas découlent directement des exigences de la loi ou de « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande » (Hassani, susmentionné, cité dans Talpur, par. 21).

 

[40]           Dans la récente affaire Hamza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 264, le juge Bédard a examiné la question de l’équité procédurale dans une cause relative à un TQF et a fait un résumé des principes pertinents tirés de la jurisprudence : il incombe au demandeur de démontrer qu’il satisfait aux exigences du Règlement en présentant des éléments de preuve suffisants à l’appui de sa demande; l’obligation d’équité procédurale à laquelle est astreint l’agent des visas se situe vers l’extrémité inférieure du registre; l’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des lacunes de sa demande ou des documents à l’appui; et, l’agent des visas n’a aucune obligation de donner au demandeur l’occasion de dissiper ses doutes lorsque les documents à l’appui sont incomplets, imprécis ou insuffisants pour le convaincre que le demandeur répond aux critères.

 

[41]           Le juge Bédard a également souligné que, tel qu’indiqué dans Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501 (CF), par. 24, un agent  peut être tenu de donner au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations lorsque celles-ci découlent de la crédibilité, de l’exactitude ou de l’authenticité des documents plutôt que du caractère suffisant de la preuve.

 

[42]           Dans l’affaire qui nous occupe, l’agent n’avait aucune préoccupation quant à l’authenticité ou à l’exactitude de la preuve qu’on lui a présentée. Il n’a pas douté de la crédibilité du demandeur ou tiré de conclusions défavorables à l’égard de la qualité de la preuve produite.

 

[43]           Ainsi, l’agent n’avait pas l’obligation d’informer le demandeur de l’évaluation de sa demande avant de la refuser, pour obtenir d’autres renseignements ou lui donner la possibilité de s’expliquer.

 

[44]           En conclusion, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale et la décision de l’agent qui a évalué la demande et les documents à l’appui, et qui a attribué les points en application du Règlement, était raisonnable. La décision est claire et fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[45]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question n'est certifiée.

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7631-12

 

INTITULÉ :                                      ABDOLLAH SHARIFIAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             30 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            La juge KANE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 17 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

Pour le demandeur

Me Asha Gafar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldwan & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

 

 

 

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