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Date : 20130425

Dossier : T‑1933‑11

Référence : 2013 CF 430

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

 

ALICE FICEK

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La Cour est appelée à statuer sur la requête présentée par écrit par le défendeur en vue d’obtenir le rejet de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse en raison de son caractère théorique.

 

II.        FAITS

[2]               La demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire par voie de mandamus pour enjoindre au ministre défendeur (ou ses délégués) d’examiner la déclaration de revenus de la demanderesse, d’établir la cotisation correspondante et de délivrer un avis de cotisation pour l’année d’imposition 2010. La demande visait également à obtenir un jugement déclarant que l’examen de la déclaration de revenus, l’établissement de la cotisation et l’envoi de l’avis de cotisation ne pouvaient être retardés.

 

[3]               La demande de contrôle judiciaire a été débattue à fond. Le défendeur a fait valoir qu’il avait besoin de temps pour procéder à l’examen en question, notamment pour mener une vérification concernant un abri fiscal relatif à des dons de bienfaisance. Cet abri fiscal est au cœur du contrôle judiciaire.  

 

[4]               En dépit du plaidoyer du défendeur, visant à obtenir un délai jusqu’à la fin du mois de juin 2013, l’avis de cotisation relatif à l’année 2010 concernant la demanderesse a été délivré environ un mois après l’audition du contrôle judiciaire qui a eu lieu le 21 novembre 2012.

 

[5]               Le défendeur a par la suite saisi la Cour de la présente requête visant à faire rejeter la demande de contrôle judiciaire en raison de son caractère théorique.

 

[6]               La demanderesse reconnaît qu’en ce qui concerne la délivrance de l’avis de cotisation pour l’année d’imposition 2010 la question du mandamus est théorique. Toutefois, elle fait valoir que le droit de solliciter une ordonnance déclaratoire ne l’est pas et que, même s’il l’est, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de statuer à cet égard.

 

[7]               La demanderesse a aussi présenté une demande visant à modifier la déclaration sollicitée pour mieux refléter les derniers événements, pour qu’elle se lise comme suit :

[traduction]

… subsidiairement, un jugement déclarant que le ministre ne peut retarder l’examen de la déclaration de revenus de la demanderesse, l’établissement de la cotisation et l’envoi d’un avis relatif à cette cotisation en vue :

 

      a)      soit de dissuader les contribuables de participer à un certain abri fiscal enregistré (à savoir le programme Global Learning Gifting Initiative) ou de réduire le nombre de ceux qui y participent;

 

      b)      soit de réaliser des objectifs, autres que ceux qui sont directement liés à l’examen de la déclaration de revenus de la demanderesse et de fixer l’impôt ainsi que les intérêts et les pénalités payables en application de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

Cette modification a été autorisée et les présents motifs tiennent compte des incidences du jugement déclaratoire demandé.

 

[8]               Le fait que le bureau de Winnipeg de l’ARC ait adopté sa propre politique qui consiste à mettre en suspens l’établissement des cotisations des donateurs en attendant que la vérification relative aux abris fiscaux en cause soit effectuée est au cœur du présent litige. Ce faisant, il a modifié la politique antérieure, en vigueur à l’échelle nationale, selon laquelle un avis de cotisation doit d’abord être délivré. La question de droit que soulève la demande est celle de savoir si la nouvelle politique satisfait à l’obligation de fixer l’impôt payable « avec diligence ».

 

[9]               La demanderesse reconnaît que la demande de mandamus est sans objet, mais elle invoque le fait qu’elle demande aussi qu’il soit déclaré que le ministre n’a pas le pouvoir de retarder l’examen de sa déclaration de revenus et l’établissement de la cotisation correspondante ou de retarder l’envoi de l’avis de cotisation.

 

III.       ANALYSE

[10]           Le test applicable pour déterminer si une question est théorique a été clairement établi dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général) [1989] 1 RCS 342, 57 DLR (4th) 231 [Borowski] :

            (i)         il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique;

(ii)        si la réponse à la première question est affirmative, il faut déterminer s’il convient que le tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire et entende l’affaire.

 

[11]           La demande de mandamus est manifestement sans objet. Même si elle souscrivait à la position de la demanderesse que le ministre n’a pas satisfait à l’obligation légale d’établir l’impôt payable « avec diligence », la Cour ne pourrait accorder de réparation.

 

[12]           La demanderesse soutient que la déclaration demandée n’est pas théorique étant donné qu’elle constitue un autre type de réparation. Toutefois, la doctrine du caractère théorique ne peut être écartée du simple fait qu’une ordonnance déclaratoire est sollicitée (voir Rahman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 137, 216 FTR 263).

 

[13]           Cependant, la situation dans laquelle la demanderesse se trouve peut se produire souvent, et dans diverses circonstances. Un demandeur fait valoir que le gouvernement a contrevenu à la loi et que le manquement a eu des incidences sur lui. Avant que l’affaire soit examinée ou après examen, mais avant qu’une décision soit rendue, le gouvernement corrige la situation et soutient ensuite que le litige est théorique. Quels que soient les droits susceptibles d’avoir été violés, aucune mesure corrective ne s’offre alors.

 

[14]           La situation de la demanderesse est un peu plus complexe parce qu’il existe une possibilité réelle qu’elle subisse à l’avenir un préjudice étant donné que des cotisations seront dues relativement à d’autres années et que rien n’indique que la politique en litige a été ou sera modifiée. Bien que l’allégation de préjudice pour le passé ne tienne plus, un préjudice futur demeure possible.

 

[15]           Selon moi, ces circonstances ne rendent le litige ni plus théorique ni plus actuel. C’est dans le cadre du second volet du test de l’arrêt Borowski – relatif à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour – que ces considérations entrent en jeu. Un point de vue similaire a été exposé dans Danada Enterprises Ltd c Canada (Procureur général), 2012 CF 403, 407 FTR 268, une affaire de nature fiscale dans laquelle au moment de l’audience la dette avait été payée et les privilèges levés.

 

[16]           La controverse concernant l’interprétation et l’exercice des pouvoirs relatifs à l’établissement de cotisations pour l’année d’imposition 2010, qui est au cœur du litige, est théorique, plus particulièrement du fait que la demande de jugement déclaratoire était accessoire à la demande principale de mandamus.

 

[17]           La question du pouvoir discrétionnaire appelle la prise en compte de trois critères (Borowski, aux par. 29‑42) :

                     l’existence d’un débat contradictoire;

                     l’économie des ressources judiciaires;

                     la nécessité pour les tribunaux d’être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

 

[18]           Il revient à la demanderesse d’établir qu’elle remplit les exigences du second volet du test, mais il ne s’agit pas d’un processus mécanique. Pour tirer une conclusion définitive, un critère peut se voir attribuer plus de poids qu’un autre.

42     En exerçant son pouvoir discrétionnaire à l’égard d’un pourvoi théorique, la Cour doit tenir compte de chacune des trois raisons d’être de la doctrine du caractère théorique. Cela ne signifie pas qu’il s’agit d’un processus mécanique. Il se peut que les principes examinés ici ne tendent pas tous vers la même conclusion. L’absence d’un facteur peut prévaloir malgré la présence de l’un ou des deux autres, ou inversement.

 

(Borowski, précité, au par. 42)

 

[19]           En ce qui concerne le premier critère, les parties reconnaissent à divers endroits dans la demande l’existence d’un rapport contradictoire. Qui plus est, la preuve établit que le rapport contradictoire persiste et se perpétuera vraisemblablement. Comme il ressort de la preuve devant la Cour, la politique du Centre fiscal de Winnipeg existe toujours.

[traduction] Le Centre fiscal de Winnipeg a depuis lors prolongé l’application de son approche jusqu’en 2011; plus précisément en ce qui concerne les déclarations de revenus T1 des particuliers qui ont demandé des crédits d’impôt relatifs à la version 2011 du programme Global Learning Initiative Gifting [sic] qui n’avaient pas fait l’objet d’une cotisation en date du 23 mars 2012 (dossier de requête du défendeur, affidavit de Caroll Sukich, par. 32).

 

[20]           Comme il ressort de l’arrêt Borowski, en ce qui concerne le deuxième critère, l’économie des ressources judiciaires, trois facteurs entrent en jeu :

                     s’agit‑il d’une question délicate, susceptible de ne jamais être soumise aux tribunaux?

                     le « coût social » de laisser sans réponse une question d’importance publique ou nationale justifie‑t‑il l’intervention de la Cour?

                     la décision aura‑t‑elle des effets concrets sur les droits des parties même si elle ne résout pas le litige, maintenant théorique, qui a donné naissance à l’action?

 

[21]           La question est certainement délicate et elle a d’importantes incidences. Elle pourrait ne jamais être soumise aux tribunaux. Comme il a déjà été souligné, il devient difficile de procéder à un contrôle judiciaire après que la conduite reprochée a cessé étant donné que la partie « fautive » peut corriger la situation et éviter l’examen judiciaire.

 

[22]           En l’espèce, même le moment auquel la mesure curative – la délivrance de l’avis de cotisation pour l’année d’imposition 2010 – a été prise soulève des préoccupations. Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, l’ARC a dit ceci :

[traduction] Je m’attends à ce que tout le travail afférent à mon examen du promoteur, des autres entités, organismes de bienfaisance et particuliers ayant participé au GLGI 2010 ainsi que la préparation de l’exposé de position soient achevés d’ici juin 2013 (dossier de réponse du défendeur, affidavit d’Anton Plas, par. 26).

 

[23]           Telle était la position du défendeur devant notre Cour, mais en bout de ligne l’avis de cotisation concernant la demanderesse a été délivré en décembre 2012.

 

[24]           Compte tenu du fait que l’ARC est en mesure de choisir le moment de la délivrance des avis, que la controverse persiste et que la politique du Centre fiscal de Winnipeg est toujours en place, la question risque non seulement d’échapper à l’examen judiciaire, mais aussi, et cela est encore plus important, de subsister, sans toutefois être tranchée.

 

[25]           La nouvelle politique continuera d’avoir des incidences sur d’autres contribuables ainsi que sur la demanderesse dans les années à venir. Il s’agit d’une politique d’une large portée touchant les personnes ayant fait des dons à certains types d’organismes de bienfaisance reconnus. Les deux parties ont reconnu que la présente affaire constitue une cause type concernant la nouvelle politique du Centre fiscal de Winnipeg en matière de vérification.

 

[26]           Si le présent litige n’est pas réglé, il se peut que pendant un certain temps la question de la légalité de la nouvelle politique demeure non résolue. Comme la question en jeu concerne le système fiscal national, il s’agit d’une question d’importance publique et nationale.

 

[27]           Enfin, la résolution de cette question aura des incidences en ce qui concerne l’année d’imposition 2011 ainsi que les années d’imposition subséquentes de la demanderesse, si elle continue d’effectuer des dons de la même façon. Elle aura aussi des incidences sur les autres personnes visées par la nouvelle politique ou susceptibles d’être visées par celle‑ci ou une politique similaire. La décision aura donc un effet pratique.

 

[28]           L’économie des ressources judiciaires commande que la Cour résolve le litige.

 

[29]           La Cour est sensible au dernier critère – le rôle de la Cour. La thèse du défendeur selon laquelle il ne revient pas à la Cour d’émettre des opinions juridiques fait abstraction du rôle de la Cour en l’espèce qui consiste à interpréter la loi au vu des faits. Il n’est pas question que la Cour empiète sur les fonctions exécutive ou législative. Toutefois, si la demanderesse a raison, une politique adoptée par un bureau local pourrait aller à l’encontre du devoir que la loi impose au ministre de fixer l’impôt payable « avec diligence ».

 

[30]           La demanderesse a satisfait au critère justifiant que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de trancher le litige.

 

IV.       CONCLUSION

[31]           La requête du défendeur visant le rejet de la demande de contrôle judiciaire en raison de son caractère théorique est rejetée. Les dépens seront adjugés à la demanderesse quelle que soit l’issue de la cause.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête du défendeur visant le rejet de la demande de contrôle judiciaire en raison de son caractère théorique soit rejetée. Les dépens sont adjugés à la demanderesse quelle que soit l’issue de la cause.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1933‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  ALICE FICEK

 

                                                                        et

 

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À LA RÈGLE 369

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 25 avril 2013

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Salvador M. Borraccia

Mark Tonkovich

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Arnold H. Bornstein

Darren Prevost

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BAKER & McKENZIE LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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