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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20130613

Dossier : IMM-8797-12

Référence : 2013 CF 634

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2013

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

 

Yanxia YE

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de Lucinda Bruin, membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la « Commission »), fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi). La Commission a accepté la demande d’asile de la défenderesse et a conclu qu’elle avait qualité de réfugié au sens de la Convention conformément à l’article 96 de la Loi.

 

[2]               La défenderesse, âgée de 29 ans, est citoyenne de la République populaire de Chine.

 

[3]               Le 11 septembre 2011, la défenderesse et son mari sont entrés au Canada. Ils ont demandé l’asile le 20 septembre 2011.

 

[4]               Dans la plainte, le couple affirmait craindre l’application de la politique de l’enfant unique de la Chine, puisqu’il désirait avoir beaucoup d’enfants. Ils ne voulaient pas utiliser de moyens de contraception, se soumettre à des tests de grossesse, subir un avortement ou être stérilisés.

 

[5]               Au moment de l’audience, la défenderesse était enceinte de son premier enfant.

 

* * * * * * * *

 

[6]               Selon la prépondérance des probabilités, la Commission a conclu que la défenderesse et son mari étaient sincères en ce qui concerne leur point de vue bien ancré au sujet de la contraception. Ils ont établi qu’ils souhaitaient avoir au moins deux enfants, et peut‑être plus, et qu’ils voulaient tous deux continuer à avoir des enfants jusqu’à ce qu’ils aient un fils. Ils ont également établi qu’ils s’opposaient, par principe, à l’idée d’utiliser un dispositif intra-utérin (« DIU ») comme moyen de contraception et que ni l’un ni l’autre ne voulaient être stérilisés.

 

[7]               Selon la Commission, compte tenu de la politique officielle de l’enfant unique du gouvernement chinois et de sa promotion continue, le point de vue des demandeurs constituait une opinion politique opposée au gouvernement, et un lien était donc établi pour les besoins de la demande.

 

[8]               La Commission a souscrit aux observations du ministre selon lesquelles la crainte à long terme des demandeurs concernant la stérilisation à un certain moment dans l’avenir était fondée sur des inconnues trop nombreuses pour constituer en soi un fondement objectif à la demande.

 

[9]               Toutefois, la Commission a conclu que compte tenu des expériences uniques et des opinions bien arrêtées de la défenderesse, l’effet cumulatif d’une insertion obligatoire d’un DIU et des examens périodiques équivaudrait à de la persécution dans sa situation. Pour la Commission, il ressortait clairement du témoignage des demandeurs qu’il existait une possibilité sérieuse que les effets cumulatifs des sanctions pour s’être opposés à la politique de l’enfant unique et des conséquences potentielles pour les enfants forceraient finalement la défenderesse à faire le choix intenable de se soumettre à une surveillance externe de son corps et à des procédures contraceptives auxquelles elle s’oppose, ou s’exposer à des sanctions économiques de plus en plus contraignantes et finalement à la perte des possibilités en matière d’éducation et de soins de santé pour ses enfants.

 

[10]           Comme bon nombre des problèmes auxquels la défenderesse pourrait faire face découlent de lois sur la planification familiale, la Commission a conclu qu’elle ne pouvait bénéficier de la protection de l’État.

 

[11]           Comme c’est en fait la demanderesse qui risque sérieusement de subir une pression pour accepter des mesures invasives de planification des naissances et une surveillance à long terme, la Commission a conclu que les problèmes auxquels sera exposé son mari à son retour en Chine ne constituaient pas un fondement objectif pour conclure qu’il risquait sérieusement d’être persécuté au sens de l’article 96 de la Loi.

 

* * * * * * * *

[12]           La seule question soulevée par le demandeur est celle de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la défenderesse craignait avec raison d’être persécutée.

 

[13]           La norme de contrôle applicable à l’espèce est celle de la raisonnabilité (Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Ma, 2009 CF 779, par. 31; Kulasingam c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 543, par. 23).

 

[14]           Lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la raisonnabilité, la Cour doit déterminer si les conclusions de la Commission appartiennent aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, par. 47). Bien qu’il puisse y avoir plus d’une issue possible, dans la mesure où le processus décisionnel de la Commission est justifié, transparent et intelligible, le tribunal de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, par. 59).

 

* * * * * * * *

 

[15]           Le demandeur ne s’est pas prononcé sur la conclusion de la Commission selon laquelle l’effet cumulatif d’une insertion forcée d’un DIU et des examens périodiques équivaudrait à de la persécution dans la situation de la défenderesse. Le demandeur affirme plutôt que les motifs de la Commission étaient insuffisants et fondés sur des conjectures et des hypothèses.

 

[16]           Je ne saurais être d’accord avec le demandeur pour dire que l’intervention de la Cour est justifiée sur ce motif, compte tenu de la jurisprudence qui a reconnu qu’une ingérence coercitive et physiquement intrusive dans la liberté de procréation d’une femme, y compris l’insertion forcée d’un DIU, constitue de la persécution (Zheng c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 327, par. 13‑14; Chi c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 126, par. 48).

 

[17]           Le demandeur conteste le fait que la décision de la Commission était supposément fondée sur le fait que la défenderesse et son mari continueront d’avoir des opinions bien arrêtées au sujet des moyens de contraception et qu’ils souhaitent avoir beaucoup d’enfants. Toutefois, la Commission a expliqué rapidement dans son analyse que selon la prépondérance des probabilités, elle a estimé que les demandeurs étaient sincères en ce qui concerne leur point de vue bien ancré au sujet de la contraception. Le demandeur n’a indiqué aucune preuve dans le dossier qui contredisait cette conclusion ou démontrait qu’à l’avenir, la défenderesse et son mari n’adopteraient plus ce point de vue bien ancré. Par conséquent, je ne comprends pas en quoi la Commission a commis une erreur en fondant sa conclusion sur le fait que la défenderesse continuerait d’adopter ce point de vue à l’avenir.

 

[18]           De plus, l’analyse effectuée par la Commission du fondement objectif de la demande de la défenderesse était raisonnable. Comme l’a indiqué la défenderesse, la norme applicable aux motifs de la Commission n’est pas la perfection. Comme l’a affirmé la juge Abella dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708 :

[17]      Le fait que la convention collective puisse se prêter à une interprétation autre que celle que lui a donnée l’arbitre ne mène pas forcément à la conclusion qu’il faut annuler sa décision, si celle‑ci fait partie des issues possibles raisonnables.  Les juges siégeant en révision doivent accorder une « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs. 

 

[18]     Dans Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, le juge Evans précise, dans des motifs confirmés par notre Cour, (2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572), que l’arrêt Dunsmuir cherche à « [éviter] qu’on [aborde] le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste » (par. 164).  Il signale qu’« [o]n ne s’atten[d] pas à de la perfection » et indique que la cour de révision doit se demander si, « lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (par. 163).  J’estime que la description de l’exercice que donnent les intimées dans leur mémoire est particulièrement utile pour en décrire la nature :

 

     [traductionLa déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable.  Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus.  Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs.  [par. 44]

 

                                                            (Je souligne.)

 

 

 

[19]           La Commission n’a pas renvoyé à des documents précis dans le dossier dont elle disposait qui étayaient la prétention de la défenderesse selon laquelle après la naissance de son premier enfant, elle serait forcée d’insérer un DIU et de subir des examens périodiques. Or, la preuve documentaire objective étayait ces allégations (voir, par exemple, Country of Origin Information (COI) Report on China, publié par l’Agence des services frontaliers du Royaume‑Uni le 24 août 2011, pages 476-492 du dossier certifié du tribunal). Le demandeur n’a indiqué aucune preuve dans le dossier qui contredisait les prétentions de la défenderesse à cet égard.

 

[20]           De plus, je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire qu’il y a une contradiction entre les deux conclusions suivantes de la Commission aux paragraphes 9 et 10 de sa décision :

[9]     …Compte tenu du fait que les demandeurs d’asile sont venus au Canada et ont demandé l’asile avant même de fonder leur famille, les craintes à long terme concernant la stérilisation à un certain moment dans l’avenir s’appuient sur des inconnues trop nombreuses pour constituer en soi un fondement objectif à la demande d’asile.

 

[10]     D’autre part, toutefois, en ce qui concerne la demandeure d’asile, je suis d’accord avec les observations du conseil selon lesquelles, compte tenu des expériences uniques et des opinions bien arrêtées de la demandeure d’asile, une procédure obligatoire d’installation d’un DIU et des examens périodiques équivalent à de la persécution…

 

 

 

[21]           La preuve étayait la distinction qu’a faite la Commission entre la probabilité que le couple soit stérilisé et la probabilité que la défenderesse soit forcée d’insérer un DIU et de subir des examens périodiques à son retour en Chine. Comme l’a expliqué la Commission, le risque que le couple soit stérilisé dépend du sexe de leur premier enfant, en plus de plusieurs autres inconnues, et la tendance pour les responsables de recourir à la stérilisation varie dans l’ensemble de la Chine. En revanche, la Commission a accepté le fait que la défenderesse risquait sérieusement d’être forcée à utiliser un DIU et à subir des tests de grossesse obligatoires périodiquement dès qu’elle enregistrerait son premier enfant et entrerait dans le système de planification familiale.

 

[22]           Par conséquent, je suis d’avis que la Commission a eu raison d’analyser le fondement objectif de la demande de la défenderesse comme elle l’a fait au vu du dossier dont elle disposait.

 

* * * * * * * *

 

 

[23]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[24]           Je suis d’accord avec les avocats des parties pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 15 août 2012 par un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8797-12

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. Yanxia YE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             2 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 13 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Helen Park                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Dean Pietrantonio                                           POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney                                         POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

Dean D. Pietrantonio                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

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