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Date : 20130605

Dossiers : T‑1327‑12

T‑1328‑12

 

Référence : 2013 CF 603

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2013

En présence de monsieur le juge Roy

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

 

FOLUKE OLAFIMIHAN et

AKINWANDE OLAOYE OLAFIMIHAN

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il est rare qu’on voie Sa Majesté solliciter une réparation en matière de citoyenneté et d’immigration. C’est le cas en l’espèce.

 

[2]               Aux termes d’une ordonnance prononcée le 7 septembre 2012, la protonotaire Mireille Tabib a ordonné que les demandes concernant Foluke Olafimihan (dossier T‑1327‑12) et Akinwande Olaoye Olafimihan (dossier T‑1328‑12) soient réunies et jugées sur le même dossier. Par conséquent, les présents motifs s’appliqueront à ces deux demandes. Madame Olafimihan et son conjoint, M. Olaoye Olafimihan, seront désignés comme « les défendeurs ».

 

[3]               Le 4 juillet 2012, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) a, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi), interjeté le présent appel des décisions rendues par le juge de la citoyenneté Brian Coburn. Le juge Coburn avait accueilli la demande de citoyenneté de M. Akinwande Olaoye Olafimihan le 30 avril 2012 et de Mme Foluke Olafimihan le 8 mai 2012 en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi.

 

Les faits

[4]               Les demandeurs sont mari et femme. Ils sont des citoyens du Nigéria et ils ont obtenu le statut de résidents permanents du Canada en 2002.

 

[5]               Leur demande de citoyenneté canadienne a été refusée en 2006. Il semble que leurs demandes antérieures ne satisfaisaient pas aux exigences en matière de résidence.

 

[6]               Les défendeurs ont présenté une autre demande de citoyenneté canadienne le 9 décembre 2010. C’est cette seconde tentative qui est à l’origine de la présente instance.

 

[7]               Bien que cet aspect ne soit pas essentiel à la solution de la présente affaire, il convient de signaler, par souci d’exhaustivité, que les défendeurs sont mariés depuis 1981 et qu’ils sont les parents de trois enfants adultes qui sont tous des citoyens canadiens. Les défendeurs ont tous les deux une formation d’architecte; ils ont toutefois eu de la difficulté à se trouver du travail dans leur domaine depuis leur arrivée au Canada. Il semble que leur manque d’expérience au Canada comme architectes a beaucoup nui à leurs chances d’obtenir du travail au Canada.

 

[8]               Compte tenu des difficultés qu’ils ont rencontrées depuis leur arrivée au Canada, les défendeurs ont mis sur pied une entreprise, Canadian Studies Limited, qui permet à des étudiants étrangers de poursuivre des études au Canada. Le succès de cette entreprise commerciale semble avoir été un facteur important dans la décision du juge de la citoyenneté.

 

[9]               Il est acquis aux débats que les défendeurs ont produit des déclarations de revenus personnelles depuis leur arrivée au Canada en 2002 et qu’ils ont indiqué l’Ontario comme province de résidence. Ils ont plusieurs biens au Canada. Il semble que, lorsqu’ils voyagent à l’étranger pour les besoins de leur entreprise, les défendeurs logent à l’hôtel et qu’ils le fassent à l’occasion pour de périodes prolongées. Ils ont un bureau pour leur entreprise au Nigéria, mais il semble qu’ils se rendent parfois aussi dans d’autres pays africains.

 

Question en litige

[10]           Le débat tourne autour de l’application de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, dont voici le libellé :

  5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i) un demi‑jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

  5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one‑half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

[11]           La question que le juge de la citoyenneté était appelé à trancher était celle de savoir si les défendeurs satisfaisaient ou non aux exigences en matière de citoyenneté leur permettant d’acquérir la citoyenneté canadienne. Pour ce faire, le juge de la citoyenneté a tenté d’appliquer les critères élaborés dans le jugement Koo, [1993] 1 CF 286 [Koo], une décision de la juge Barbara Reed de notre Cour. Le demandeur conteste l’application que le juge de la citoyenneté a faite des critères élaborés dans le jugement Koo. Sa Majesté ne cherche pas à faire infirmer la décision au motif que les défendeurs ne satisfaisaient pas à l’exigence fondamentale d’« avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout » dans les quatre ans qui ont précédé la date de leur demande du 9 décembre 2010. Le demandeur conteste plutôt les conclusions que le juge de la citoyenneté a tirées en se fondant sur le jugement Koo.

 

Cadre d’analyse

[12]           Dans le jugement Martinez‑Caro c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 640, le juge Donald J. Rennie de notre Cour a examiné attentivement ce qu’on a convenu d’appeler les trois courants de pensée (certains diraient qu’il n’en existe que deux, étant donné que le troisième n’est qu’une variante d’un des deux premiers) en ce qui concerne les conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Comme lui, je ne suis pas convaincu qu’une interprétation appropriée de l’article 5 de la Loi justifie le critère élaboré dans le jugement Koo. Je constate que, dans le jugement Lam c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (26 mars 1999), T‑1310‑98, le juge Allan Lutfy a envisagé la possibilité pour les juges de la citoyenneté d’adopter l’un ou l’autre des critères élaborés par les divers juges de notre Cour. C’est sur ce fondement que le juge de la citoyenneté a, dans le cas qui nous occupe, retenu le critère du jugement Koo.

 

[13]           Compte tenu du fait que Sa Majesté a choisi de contester la décision du juge de la citoyenneté en se fondant sur le critère du jugement Koo (également connu comme étant le critère qualitatif), il ne conviendrait pas de chercher à examiner la question en fonction du critère plus quantitatif, qui exigerait la présence effective au Canada pendant trois des quatre années, comme le prévoit l’alinéa 5(1)c) de la Loi. J’aurais toutefois cru que plus un juge de la citoyenneté s’écarte de la norme des 1 095 jours sur les 1 460 jours requis, plus on s’attendrait à ce que l’écart par rapport à la norme soit justifié pour satisfaire même au critère qualitatif. Les liens que l’intéressé entretient avec le pays d’accueil sont essentiels pour qu’il en devienne un citoyen et, en remplissant ce critère cet intéressé démontre que le Canada est effectivement son pays. Je partage l’opinion formulée par le juge James O’Reilly, qui explique ce qui suit, au paragraphe 21 du jugement Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Nandre, 2003 CFPI 650 :

     [J]e crois que le critère qualitatif exposé dans l’affaire Papadogiorgakis et précisé davantage dans l’affaire Koo devrait être appliqué lorsqu’un demandeur de citoyenneté ne répond pas au critère physique. J’ajouterais que je ne considère pas le critère qualitatif comme un critère facile à remplir. Il faudrait que les attaches d’une personne avec le Canada soient très étroites pour que ses absences soient considérées comme des périodes de résidence continue au Canada.

 

 

[14]           Dans le cas qui nous occupe, les calculs effectués au sujet du nombre de jours passés à l’extérieur du Canada au cours des quatre années précédant la demande de citoyenneté révèlent un important déficit. Dans le cas de Mme Olafimihan, le juge de la citoyenneté a constaté des absences totalisant 838 jours sur les 1 460 nécessaires (soit environ 57,4 p. 100 du total exigé). Compte tenu du fait qu’une présence 1 095 jours était nécessaire, Mme Olafimihan n’a donc été effectivement présente que 622 jours (56,8 p. 100 de la norme), ce qui représente un déficit de 473 jours. Quant à M. Olaoye Olafimihan, les chiffres sont très semblables. Le juge de la citoyenneté a conclu qu’il avait été absent 809 jours en tout (55,4 p. 100 du temps), et qu’il avait donc été présent au Canada pendant 651 jours. Il lui manquait donc 444 jours pour satisfaire à la norme de 1 095 jours exigés. Le ministre arrivait à un calcul légèrement différent avec des absences de l’ordre de 827 jours au lieu de 809, obtenant ainsi un déficit d’environ 462 jours. D’une façon ou d’une autre, les défendeurs ont été effectivement présents au Canada pendant moins de cinquante pour cent du temps pendant une période de quatre ans. Fait intéressant à signaler, les chiffres démontrent que Mme Olafimihan a passé plus de temps à l’étranger pour de courts séjours (19) que son mari (24).

 

[15]           De toute évidence, les défendeurs sont loin de respecter l’exigence minimale prévue à l’alinéa 5(1)c). Ainsi que le juge Muldoon l’a affirmé catégoriquement dans le jugement Pourghasemi, [1993] ACF no 232 (QL) :

Ainsi donc, ceux qui entendent partager volontairement le sort des Canadiens en devenant citoyens du pays doivent le faire en vivant parmi les Canadiens, au Canada, durant trois des quatre années précédant la demande, afin de se canadianiser. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire à l’étranger, car la vie canadienne et la société canadienne n’existent qu’au Canada, nulle part ailleurs.

 

 

[16]           De fait, le critère élaboré dans le jugement Koo, que le juge de la citoyenneté a choisi d’appliquer, semble être une tentative d’arrêter un critère dans le but de découvrir si l’intéressé a forgé des liens solides avec le Canada pendant ses périodes de résidence continues au Canada même s’il n’y a pas passé les 1 095 jours exigés au cours des quatre années précédant sa demande.

 

Le critère applicable

[17]           La question à laquelle notre Cour doit répondre est celle de savoir si les décisions rendues par le juge de la citoyenneté sont raisonnables dans les circonstances. Il est de jurisprudence constante que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable s’agissant des appels interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi. Cette question a été récemment abordée dans le jugement Korolove c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 370 :

[12]     En l’espèce, la jurisprudence a établi que la décision des juges de la citoyenneté concernant le respect des obligations en matière de résidence d’un demandeur était une question de fait et de droit soumise à la norme de la raisonnabilité.

 

 

Application du critère du jugement Koo

[18]           Dans le jugement Koo, la juge Reed a rejeté l’opinion exprimée par certains suivant laquelle, dans le cas d’un demandeur « qui ferait de toute évidence un excellent citoyen, les dispositions de la Loi devraient être interprétées d’une manière large de manière à pouvoir lui accorder la citoyenneté » (à la page 293). Elle a écarté cette opinion catégoriquement :

    Voilà une recommandation qui me préoccupe quelque peu. Si cela veut dire que le juge doit interpréter différemment les exigences de la Loi selon qu’il a affaire à une personne au sujet de laquelle il s’est fait une opinion favorable (en tant que citoyen éventuel) ou à une personne au sujet de laquelle il ne s’est pas fait la même opinion, je me dois, selon moi, de rejeter la règle d’interprétation. Les requérants doivent tous satisfaire aux mêmes critères, indépendamment de l’opinion du juge quant aux qualités de chacun en tant que citoyen éventuel. La loi doit s’appliquer d’une manière égale à tous.

 

 

[19]           Il me semble que c’est la conclusion à laquelle le juge de la citoyenneté est arrivé implicitement en l’espèce. Il a conclu que le succès commercial que les défendeurs ont remporté en travaillant d’arrache‑pied fait en sorte qu’ils méritent la citoyenneté canadienne. Ce n’est toutefois pas là le critère applicable. J’examinerai plus attentivement la façon dont le juge de la citoyenneté a appliqué les six critères du jugement Koo pour expliquer la conclusion à laquelle j’en arrive.

 

[20]           Pour ce qui est de la décision à l’examen, le juge de la citoyenneté a tenté d’appliquer les six questions posées dans le jugement Koo pour répondre au critère, qui est le suivant :

Le critère est celui de savoir si l’on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement ». Le critère peut être tourné autrement : le Canada est‑il le pays où le requérant a centralisé son mode d’existence? [À la page 293]

 

 

[21]           Les six questions sont les suivantes :

1) le requérant était‑il physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

 

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

 

3) la forme de présence physique du requérant au Canada dénote‑t‑elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu’il n’est qu’en visite?

 

4) quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

 

5) l’absence physique est‑elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

 

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont‑elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

 

[22]           Tout en reconnaissant que les facteurs énumérés dans le jugement Koo ne sont ni exhaustifs ni obligatoires, le demandeur conteste trois des six facteurs qui ont été appliqués par le juge de la citoyenneté. Le demandeur affirme que l’effet cumulatif des erreurs commises par le juge, ajouté à la réponse évidente à la question 4, fait en sorte que sa décision est déraisonnable. Je suis du même avis. Force est de constater qu’il n’y a pas eu de résidence continue au Canada, ce qui constitue l’essentiel du critère du jugement Koo.

 

[23]           Compte tenu de l’analyse effectuée relativement aux questions 1, 3 et 5, on est frappé par l’importance que le juge de la citoyenneté accorde dans ces motifs aux raisons invoquées pour justifier ces absences, comme si les raisons invoquées pouvaient constituer une justification suffisante ou remplacer l’exigence de résidence continuelle effective et l’obligation d’avoir résidé au Canada avant de pouvoir présenter une demande permettant d’obtenir la citoyenneté canadienne.

 

[24]           La première question laisse entendre que le fait de se trouver au Canada pendant une période prolongée avant de récentes absences constitue un indice qui laisse penser que l’intéressé a intégré certains éléments de la culture canadienne et a créé des liens solides avec le Canada. Cette personne « vit régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada. Le juge de la citoyenneté a répondu à la question en soulignant que les affaires avaient amené les défendeurs à l’extérieur du pays. Il a conclu sa réponse à cette question en déclarant ce qui suit : [traduction] « Par suite de leurs absences reliées au travail, il manque au demandeur 473 sur les 1 095 jours exigés par la Loi. » Cette conclusion ne peut masquer le fait que, suivant les éléments de preuve qui avaient été soumis au juge, les défendeurs étaient loin de satisfaire au premier facteur. Comme la preuve le démontrait, il n’y avait pas eu de présence prolongée au Canada suivie de récentes absences. Depuis que les défendeurs avaient créé leur entreprise commerciale, ils s’étaient fréquemment absentés du pays. D’ailleurs, les chiffres parlent d’eux‑mêmes.

 

[25]           La troisième question est sans doute au cœur du critère du jugement Koo. Elle se résume à rechercher des éléments de preuve démontrant que le Canada est le pays où l’intéressé revient et non un pays où il se trouve en visite. Le juge de la citoyenneté a souligné à juste titre que les défendeurs avaient lancé leur entreprise au Canada. De plus, ils paient de l’impôt et des taxes foncières au Canada et y possèdent des biens. Aussi, leurs trois ennfants sont des citoyens canadiens établis ici. Il n’en demeure pas moins qu’au cours des quatre années précédant leur demande de citoyenneté, les défendeurs ont passé moins de 50 p. 100 de leur temps au Canada. Madame Olafimihan s’est absentée à 19 reprises au cours de la période en cause. Quant à M. Olaoye Olafimihan, il s’est absenté 24 fois. D’ailleurs, de ces périodes d’absence, quatre et six respectivement l’étaient pour des raisons familiales.

 

[26]           Force m’est de conclure qu’une personne n’est qu’en visite lorsqu’elle passe moins de la moitié de son temps dans un lieu déterminé. Dans le cas de Mme Olafimihan, elle a passé 57,4 p. 100 des quatre années à l’étranger (répartis sur 19 absences). Quant à M. Olaoye Olafimihan, ses absences sont encore plus fréquentes. On peut soutenir que les défendeurs considéraient le Canada comme le centre de leurs activités commerciales. Ce qui est beaucoup plus discutable, c’est la question de savoir s’ils considéraient le Canada comme leur pays, du moins suffisamment pour pouvoir en demander la citoyenneté. Ce qui est particulièrement troublant, c’est le fait que le schéma de leur retour au Canada démontre qu’ils n’y revenaient pas pour des périodes prolongées. C’est une chose d’être à l’extérieur du pays pour une période de temps prolongée au point où le demandeur se serait retrouvé à l’extérieur du Canada plus d’une année sur quatre en raison d’un long séjour à l’étranger; c’en est toute une autre de faire la navette entre le Canada et l’étranger et de ne vivre au Canada assez longtemps pour expérimenter le mode de vie canadien. C’est dans ce sens qu’on peut dire que quelqu’un est simplement en visite. Ce qui m’amène à aborder le cinquième facteur.

 

[27]           La cinquième question vise à savoir si l’absence effective est imputable à « une situation manifestement temporaire ». On ne devrait vraisemblablement pas être pénalisé parce qu’on a étudié à l’étranger ou qu’on a accepté un emploi temporaire au cours des quatre années précédant sa demande. En revanche, quelqu’un qui n’a pas passé des périodes de temps prolongées au Canada a moins de chance de vivre l’expérience canadienne que procure le fait de côtoyer des Canadiens, ce qui explique vraisemblablement la raison pour laquelle la Loi prévoit une condition de résidence de 1 095 jours sur une période de quatre ans. On ne peut faire l’économie de l’exigence de résidence. La réponse donnée par le juge de la citoyenneté est particulièrement déroutante. Il conclut que les défendeurs se trouvent dans une [traduction] « situation temporaire perpétuelle ». Là encore, il cherche à justifier la situation en invoquant les contraintes commerciales avec lesquelles les défendeurs doivent composer. Il semblerait que le juge de la citoyenneté était d’avis que les absences des défendeurs étaient toujours temporaires parce qu’ils revenaient invariablement au Canada. Comme on peut le constater aisément, le juge n’a pas répondu à la question. Les défendeurs sont loin d’avoir accumulé les 1 095 jours exigés, non pas parce qu’ils ont été à l’extérieur du pays pendant de longues périodes de temps temporaires, mais bien parce qu’ils se sont trouvés à l’extérieur du pays plus de 50 p. 100 du temps et qu’ils rentraient au Canada et en ressortaient constamment, une situation qui n’est pas sur le point de changer.

 

[28]           Enfin, le demandeur ne conteste pas la quatrième question, mais c’est uniquement parce que la réponse ne favorise pas les défendeurs. Ce facteur n’est pas négligeable, ainsi que je l’ai déjà souligné. Ce facteur reconnaît en fait que la personne qui n’a pas accumulé les 1 095 jours exigés par la Loi aura plus de difficulté à démontrer qu’il répond suffisamment aux critères de résidence pour se voir octroyer la citoyenneté au Canada. Établir la résidence en vue de se voir octroyer la citoyenneté exige que l’on démontre l’attachement qui est associé à la présence effective au cours des quatre années précédentes. Suivant le jugement Koo, il n’est pas impossible de démontrer cet attachement si l’intéressé a passé moins de 1 095 jours au Canada, mais cette démonstration est plus difficile si le nombre de jours est de loin inférieur à la norme prévue par la Loi.

 

[29]           Le tableau qui se dégage de l’examen des six facteurs dans le cas qui nous occupe est le suivant : le juge de la citoyenneté a remplacé les exigences relatives aux attaches physiques exigées par l’alinéa 5(1)c) de la Loi par les raisons invoquées pour justifier les absences motivées par les besoins de l’entreprise. En n’appliquant pas correctement les critères élaborés dans la décision Koo, le juge de la citoyenneté a effectivement créé un nouveau critère. Il n’a accordé aucun poids au quatrième critère et à toutes fins utiles ignoré le premier, le troisième et le cinquième critères. On ne peut guère dire qu’il a satisfait aux critères applicables. La décision à l’examen revient à dire qu’on devrait octroyer la citoyenneté canadienne aux défendeurs devraient parce qu’ils la méritent, étant donné qu’ils ont bâti une entreprise prospère, ce qui justifie le fait que leurs absences dépassent la norme prévue. Ainsi qu’il a été souligné dans le jugement Koo, tel n’est pas l’objet de la Loi. Les défendeurs sont sans aucun doute des individus méritoires dont il convient d’applaudir le succès, et on peut comprendre que le juge de la citoyenneté se soit montré sympathique à leur endroit dans les circonstances. Toutefois, la question est ailleurs.

 

Conclusion

[30]           Avec égard, force est de constater que les conclusions tirées par le juge de la citoyenneté ne satisfont pas à la norme de la décision raisonnable. Ses motifs du jugement ne satisfont pas au critère du jugement Koo, lequel permet une certaine souplesse lorsqu’il s’agit d’appliquer le critère quantitatif, qui exige une présence effective au Canada pendant au moins 1 095 des 1 460 jours précédents. Dès lors que quatre des six critères ne favorisent pas les défendeurs et que ces derniers ont passé moins de 50 p. 100 de leur temps au Canada, force est d’admettre qu’ils n’ont pas satisfait aux critères du jugement Koo. Il semble qu’il s’agisse de la seule issue logique. En dernière analyse, un écart aussi important fondé uniquement sur les besoins d’une entreprise ne satisfait pas au critère de la résidence élaborée dans la décision Koo, qui constitue lui‑même un écart ou une mesure de souplesse par rapport aux exigences apparentes de la Loi. D’ailleurs, la juge Reed a reconnu cette réalité dans le jugement Koo, à la page 292 :

On a laissé entendre dans certaines décisions que les changements apportés à la Loi sur la citoyenneté en 1978 [S.C. 1976‑77, ch. 52, art. 128] menaient à la conclusion que le législateur envisageait qu’il n’était pas nécessaire d’être physiquement présent au pays pendant toute la période prescrite de trois ans. Cela est lié, a‑t‑on dit, au fait que les restrictions fondées sur le lieu de domicile ont été supprimées. J’ai lu les débats parlementaires et les délibérations des comités de l’époque et je n’y vois rien qui justifie une telle conclusion. En fait, il semble que ce soit tout le contraire. La condition de trois ans de résidence dans une période de quatre ans semble avoir été conçue pour permettre une absence physique d’une durée d’un an pendant les quatre ans prescrits. Certes, les débats tenus à l’époque donnent à penser que l’on envisageait comme durée minimale une présence physique au Canada de 1 095 jours. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai signalé plus tôt, la jurisprudence qui est aujourd’hui fermement établie n’exige pas que la personne en question soit physiquement présente pendant toute la période de 1 095 jours.

 

 

[31]           Par conséquent, l’appel est accueilli et les décisions du juge de la citoyenneté sont annulées. L’affaire sera renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il rende une nouvelle décision.


 

JUGEMENT

 

Le présent appel est accueilli. Les décisions par lesquelles le juge de la citoyenneté Brian Coburn a approuvé la demande de citoyenneté de M. Akinwande Olaoye Olafimihan le 30 avril 2012 et celle de Mme Foluke Olafimihan le 8 mai 2012, en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29, sont annulées. L’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  T‑1327‑12 et T‑1328‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION c.
FOLUKE OLAFIMIHAN ET AKINWANDE OLAOYE OLAFIMIHAN

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 23 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 5 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Helene Robertson

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Warren L. Creates

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Perley‑Robertson, Hill & McDougall s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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