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Date : 20130611

Dossier : IMM‑7487‑12

Référence : 2013 FC 628

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

 

RUSLAN TINCUL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur Tincul soutient avoir été faussement accusé du meurtre de sa mère par les autorités moldaves et avoir obtenu une réhabilitation ou avoir bénéficié d’une amnistie. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a par conséquent commis une erreur, à son avis, en concluant qu’il était exclu de la protection par application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, laquelle est annexée à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il affirme pour cette raison que la Cour devrait faire droit à sa demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR et renvoyer l’affaire à la Commission pour qu’elle la réexamine.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

CONTEXTE

 

[3]               Monsieur Tincul est un citoyen de la République de Moldavie. Son père a été tué en 1991, et sa mère en 2001. Le demandeur allègue que son père et sa mère ont été tués pour avoir dénoncé la corruption au sein du gouvernement moldave. Il reconnaît toutefois qu’il a été effectivement reconnu coupable en octobre 2001 d’avoir infligé intentionnellement des lésions corporelles graves ayant entraîné la mort de sa mère et d’avoir été condamné à cinq ans d’emprisonnement.

 

[4]               D’après un document émanant d’un tribunal de la ville de Cimislia, la condamnation était fondée sur un aveu de culpabilité du demandeur et sur le témoignage de plusieurs personnes. Il ressort du même document manuscrit qui a été traduit et déposé en preuve par le ministre que le demandeur avait déjà obtenu une réhabilitation à la suite d’une condamnation pour vol grâce à l’amnistie accordée à l’occasion du cinquième anniversaire de la proclamation de la Constitution moldave. En novembre 2004, un tribunal a ordonné sa remise en liberté conditionnelle en rapport avec la peine qui lui avait été infligée pour l’homicide en question.

 

[5]               À la suite de sa remise en liberté, le demandeur s’est marié et a adopté le nom de famille de sa femme pour éviter la publicité négative entourant la mort de sa mère. Il affirme qu’il a tenté de laver sa réputation en s’adressant aux autorités et en tentant de parler à un journaliste qui avait rencontré sa mère. Le demandeur affirme qu’en 2009, il a été détenu et torturé par la police. La demande de visa américain qu’il a présentée la même année lui a été refusée. Il affirme qu’en janvier 2010 il a été victime d’un enlèvement. Il a obtenu un visa des États‑Unis le 31 mars 2010 et est arrivé aux États‑Unis le 13 juin 2010. Il a demandé l’asile à la frontière canadienne le 29 octobre 2010.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

 

[6]               La Section de la protection des réfugiés a rendu sa décision le 28 juin 2012. La commissaire a retenu l’allégation du ministre suivant laquelle le demandeur a été jugé coupable en Moldavie d’un crime comparable à l’infraction d’homicide involontaire coupable prévu par le Code criminel du Canada pour le décès de sa mère. Le demandeur ne conteste pas cette conclusion, mais soutient qu’il n’a pas commis le crime qui lui est reproché, ajoutant que ce procès était un coup monté visant à se servir de lui comme bouc émissaire pour le faire payer pour les actes commis par d’autres.

 

[7]               Malgré des éléments de preuve documentaires objectifs concernant la corruption et la politisation du système judiciaire moldave, la commissaire a conclu que le demandeur avait vraisemblablement commis le crime qui lui était reproché et que sa protestation d’innocence n’était pas crédible. Elle n’a pas cru que la preuve permettait de conclure que toutes les personnes impliquées dans le procès, y compris la police, le poursuivant, les officiers de justice et les témoins se seraient livrés à une immense conspiration contre le demandeur.

 

[8]               La commissaire n’a pas jugé crédible qu’après sa remise en liberté, le demandeur aurait tenté d’obtenir réparation en se plaignant au même policier qui avait enquêté sur le décès de sa mère au lieu d’exercer un recours ou de communiquer avec des autorités supérieures. La commissaire a également trouvé contradictoire le fait que le demandeur avait changé son nom pour éviter la publicité tout en publicisant son histoire. Elle a accordé peu de poids à la divulgation tardive de la lettre de la sœur du demandeur, étant donné que le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi il ne l’avait pas produite plus tôt au cours de l’instance, ajoutant que la signature de sa soeur était douteuse.

 

[9]               La commissaire a également conclu que le demandeur avait fait des déclarations inexactes au sujet de la nature des sévices qu’il avait subis en 2009 et 2010. Le récit circonstancié de son formulaire de renseignements personnels donnait l’impression qu’il avait été battu en raison des démarches qu’il avait entreprises pour dénoncer sa condamnation injustifiée, mais il ressortait de son témoignage qu’il avait plutôt été maltraité en raison de ses attaques politiques générales contre le gouvernement.

 

[10]           Bien que la commissaire ait expliqué qu’elle comprenait que les condamnations découlant d’une audience inéquitable ne devaient pas être reconnues dans le cadre d’une audience relative à l’exclusion, elle a estimé que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait été faussement accusé. Par conséquent, il existait de solides raisons de croire que le demandeur avait effectivement commis le crime en question. Le crime n’était pas un crime politique étant donné qu’il se serait produit par suite d’un conflit de longue date au sujet du problème d’alcool de sa mère et de sa mauvaise utilisation des ressources limitées de la famille. Le crime en question était vraisemblablement suffisamment grave pour justifier l’exclusion du demandeur au motif qu’il équivalait à des crimes qui, au Canada, auraient justifié une peine plus sévère qu’une peine de dix ans d’emprisonnement.

 

[11]           La commissaire a rejeté l’argument du demandeur suivant lequel il avait obtenu sa réhabilitation. Même si un document du gouvernement indiquait qu’il n’avait aucun antécédent judiciaire malgré ses condamnations, le demandeur n’a pas donné de témoignage confirmant sa réhabilitation. La commissaire a considéré les circonstances entourant la perpétration du crime et a conclu que les circonstances atténuantes ne l’emportaient pas sur celles indiquant qu’il s’agissait d’un crime grave. Elle a par conséquent conclu que le demandeur devait être visé par l’exclusion. À titre subsidiaire, elle a conclu que la présomption de la protection de l’État s’appliquait.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[12]           Le demandeur n’a pas formulé d’arguments au sujet de la question de la norme de contrôle. J’accepte la thèse du défendeur suivant laquelle la norme a déjà été arrêtée de façon satisfaisante par la jurisprudence et que la norme applicable est celle de la décision raisonnable pour ce qui est des conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité ainsi que de son appréciation de la preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46; Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 584, au paragraphe 23; Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, au paragraphe 38).

 

[13]           Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision de la Commission en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la Commission est arrivée à une conclusion qui n’est pas justifiable, transparente et intelligible et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit compte tenu de l’ensemble de la preuve dont elle disposait : Khosa, précité, au paragraphe 59. Les juridictions de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue et il ne rentre pas dans les attributions de la juridiction de révision de soupeser à nouveau la preuve.

 

[14]           Bien que le demandeur ait soulevé plusieurs questions au sujet des conclusions tirées par la Commission, celles‑ci peuvent être résumées par la question de savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a rejeté la demande d’asile du demandeur.

 

ANALYSE

 

[15]           À mon avis, le demandeur n’a relevé aucune erreur qui justifierait l’infirmation de la décision de la Commission.

 

[16]           La théorie du complot avancée par le demandeur a été soumise à la Commission qui l’a raisonnablement écartée en raison de son invraisemblance intrinsèque et du manque de crédibilité du demandeur. Le demandeur a rendu un témoignage incohérent et n’a pas été en mesure d’expliquer les incohérences de son témoignage. La Commission a retenu les éléments de preuve relatifs à la situation qui existait en Moldavie suivant lesquels il existait de la corruption au sein du système de justice criminelle de la Moldavie tout en concluant que rien dans la preuve ne permettait de penser que cette collusion avait atteint un degré aussi poussé et raffiné que ce que prétendait le demandeur.

 

[17]           Sur la question de la réhabilitation ou de l’amnistie alléguées, le certificat de casier judiciaire délivré par les autorités moldaves était « peu clair » pour reprendre le qualificatif employé par la commissaire. Le certificat atteste à la fois que le demandeur a été jugé criminellement responsable tout en indiquant qu’il n’a aucun antécédent judiciaire. Quoi qu’il en soit, cette déclaration ne constituait pas un motif suffisant pour conclure que le demandeur avait démontré qu’il avait obtenu sa réhabilitation. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il avait été étonné de ne voir aucune allusion à ses antécédents judiciaires étant donné qu’il n’avait pas demandé de réhabilitation et qu’il n’avait jamais prétendu en avoir obtenu une. Dans ces conditions, il n’était pas loisible à la commissaire de deviner sur le sens de cette déclaration. Une autre interprétation possible pouvait être qu’aucune accusation n’était pendante contre le demandeur.

 

[18]           La commissaire a cité le passage de la page 157 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide du HCR) suivant lequel la clause d’exclusion n’est plus censée s’appliquer lorsque le demandeur a été gracié ou a bénéficié d’une amnistie. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, au paragraphe 39, le Guide du HCR n’a aucune valeur obligatoire mais les tribunaux peuvent le consulter pour y trouver des lignes directrices. Compte tenu du fait que la charge de la preuve reposait sur le demandeur, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait obtenu une réhabilitation. La seule allusion à une amnistie que l’on trouve dans la preuve est celle où il est question de la condamnation du demandeur pour vol, mais la décision relative à l’exclusion n’était pas fondée sur ce passage. La commissaire n’avait pas à aborder une question qui n’était pas soulevée par la preuve.

 

[19]           La commissaire a attentivement examiné les facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara pour en arriver à la conclusion que le crime commis par le demandeur était grave et je ne vois aucune raison de modifier ses conclusions.

 

[20]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée en vue d’être certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7487‑12

 

INTITULÉ :                                                  RUSLAN TINCUL

 

                                                                        et

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 5 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 11 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roger Bhatti

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kim Sutcliffe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROGER BHATTI

Avocat

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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