Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130605

Dossier : IMM-4310-12

Référence : 2013 CF 604

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2013

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

 

SIVAGARAN SIVAGNANASINGAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                   Aperçu

 

 

[1]               En 2010, monsieur Sivagaran Sivagnanasingam est arrivé au Canada à bord du MV Sun Sea, en compagnie d’environ 500 autres migrants tamouls. Il a demandé l’asile, mais un tribunal de la Section d'immigration (SI) de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada parce qu’il s’était livré à du « passage de clandestins » au sens de l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] (les dispositions citées sont reproduites à l’annexe).

 

[2]               La SI a conclu que M. Sivagnanasingam s’était joint volontairement à l’équipage du MV Sun Sea et savait que les autres passagers étaient des migrants non munis de documents qui projetaient d’entrer au Canada illégalement ou a fait preuve d’ignorance volontaire quant à ce fait. Elle a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Sivagnanasingam avait commis le crime transnational que constitue le « passage de clandestins ».

 

[3]               Monsieur Sivagnanasingam prétend que la SI a commis une erreur dans son interprétation du sens de « passage de clandestins » et de l’« ignorance volontaire ». Il me prie d'annuler la décision de la SI et d'ordonner qu'un autre tribunal réexamine les questions en litige.

 

[4]               Je ne vois aucune raison d'infirmer la décision de la SI et je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               Les questions en litige sont les suivantes :

1.         La SI a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de « passage de clandestins »?

2.         La SI a-t-elle commis une erreur en appliquant le concept d’ignorance volontaire?

 

II.                Le contexte factuel

 

[6]               Monsieur Sivagnanasingam est né au Sri Lanka en 1972 et y a vécu la plus grande partie de sa vie. Il a régulièrement voyagé à l’étranger, car il a travaillé sur un navire pétrolier et il a travaillé comme importateur. Après ses voyages à l’étranger, il se servait de son propre passeport pour rentrer au Sri Lanka.

 

[7]               En 2009, désirant quitter définitivement le Sri Lanka, M. Sivagnanasingam a pris contact avec un passeur de clandestins qui était en train de préparer une immigration massive au Canada par bateau. Le prix était de 40 000 $ et M Sivagnanasingam n’avait pas les moyens de le payer. Après que M. Sivagnanasingam eut fait mention de son expérience de la navigation, les organisateurs ont réduit le prix à 25 000 $. M. Sivagnanasingam a versé un dépôt de 2 500 $; le solde devait être payé après l’arrivée au Canada.

 

[8]               En 2010, M. Sivagnanasingam a obtenu un visa pour se rendre en Thaïlande où il a rencontré le capitaine du navire ainsi que d’autres membres d’équipage. Comme il n’y avait pas suffisamment de membres d’équipage, M. Sivagnanasingam a accepté de donner un coup de main.

 

[9]               Pendant le voyage vers le Canada, le navire n’a pas battu de pavillon enregistré ou n'a pas utilisé de nom enregistré. M. Sivagnanasingam a travaillé comme membre d’équipage pendant tout le voyage. À l’arrivée au Canada en 2010, M. Sivagnanasingam se trouvait sur le pont et il s’est présenté comme étant un membre de l’équipage. De plus, au cours de nombreuses entrevues avec des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), M. Sivagnanasingam a toujours déclaré être membre de l’équipage.

 

III.             La décision de la SI

 

[10]           La SI a conclu que M. Sivagnanasingam s’était volontairement joint à l’équipage du MV Sun Sea après avoir obtenu un tarif réduit. De plus, M. Sivagnanasingam savait que les passagers étaient sans papiers et qu’ils tenteraient de contourner les exigences du Canada en matière de passeport et de visa. Il a sciemment et délibérément participé à l’opération.

 

[11]           La SI a ensuite vérifié si M. Sivagnanasingam était interdit de territoire au Canada. Une personne est interdite de territoire pour criminalité organisée pour « s’[être] livr[ée], dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités tel le passage de clandestins » (LIPR, alinéa 37(1)b)).

 

[12]           La SI a vérifié si M. Sivagnanasingam s’était livré à des activités criminelles transnationales. Elle a appliqué la définition de ce terme qui figure au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (CNUCTO). Cette disposition prévoit, notamment, qu’une infraction est de nature transnationale si elle est commise dans plus d’un État ou si une partie substantielle de sa préparation, de sa planification, a lieu dans un autre État. La SI a conclu que M. Sivagnanasingam s’était livré à des activités transnationales.

 

[13]           La SI a ensuite vérifié si M. Sivagnanasingam s’était livré au « passage de clandestins ». La LIPR ne comprend aucune définition explicite de « passage de clandestins ». Le ministre a prétendu qu’on doit s’inspirer de la définition qui figure à l’article 117 de la LIPR selon lequel il est interdit à quiconque « d’organiser l’entrée au Canada d’une ou de plusieurs personnes ou de les inciter, aider ou encourager à y entrer en sachant que leur entrée est ou serait en contravention avec la présente loi ou en ne se souciant pas de ce fait ». M. Sivagnanasingam a prétendu que la définition devrait être plus étroite et comprendre l’exigence que le présumé passeur soit motivé par le profit.

 

[14]           La SI a rejeté les arguments avancés par M. Sivagnanasingam sur ce point et a refusé d’introduire un but lucratif dans la définition de « passage de clandestins ». Elle a conclu que M. Sivagnanasingam avait sciemment participé au fonctionnement du navire, dont le but était de transporter des personnes sans papier au Canada. Selon la SI, cela constituait du « passage de clandestins ». La SI a ensuite conclu, de plus, que les éléments de l’infraction énoncés à l’article 117 de la LIPR étaient présents. En effet, M. Sivagnanasingam a aidé et encouragé le réseau de contrebande, les clandestins n’étaient pas munis des documents adéquats, M. Sivagnanasingam savait que ces personnes étaient sans papiers, ou a fait preuve d’ignorance volontaire quant à ce fait, et les clandestins sont entrés au Canada.

 

[15]           Par conséquent, la SI a estimé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Sivagnanasingam, un étranger, s’était livré au passage de clandestins dans le cadre de la criminalité transnationale. Par conséquent, il était interdit de territoire au Canada. La SI a pris une mesure d’expulsion contre M. Sivagnanasingam.

 

IV.             La première question en litige – La SI a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de « passage de clandestins »?

 

[16]           Monsieur Sivagnanasingam prétend que la SI a commis une erreur en omettant d’inclure dans la définition de « passage de clandestins » l’exigence que la personne soit motivée par le profit.

 

[17]           Après l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a rendu ses décisions dans B010 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et B072 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CAF 87. Dans ces décisions, la juge Eleanor Dawson (avec l’appui des juges John Evans et David Stratas) a conclu que le « passage de clandestins n’exige pas que le présumé passeur ait retiré un avantage matériel quelconque » (au paragraphe 8). Plus particulièrement, la définition de « passage de clandestins » peut être tirée de l’article 117 de la LIPR selon lequel commet une infraction quiconque aide ou encourage des personnes qui ne possèdent pas les documents requis à entrer au Canada.

 

[18]           Par conséquent, il ne fait aucun doute que la SI n’a commis aucune erreur en concluant que les agissements de M. Sivagnanasingam étaient visés par la définition de « passage de clandestins ».

 

V.                La deuxième question en litige – La SI a-t-elle commis une erreur en appliquant le concept d’ignorance volontaire?

 

[19]           Monsieur Sivagnanasingam prétend que la SI a commis une erreur en concluant qu’il avait fait preuve d’ignorance volontaire quant au fait que les passagers du MV Sun Sea n’étaient pas munis des documents requis.

 

[20]           En fait, la discussion de la SI portant sur l’ignorance volontaire faisait partie d’une analyse subsidiaire, complémentaire à sa conclusion principale selon laquelle les agissements de M. Sivagnanasingam étaient visés par la définition de « passage de clandestins ». Par conséquent, toute erreur de la part de la SI portant sur le concept d’ignorance volontaire n’a eu aucune incidence sur sa principale conclusion.

 

[21]           De toute façon, je ne relève aucune erreur de la part de la SI.

 

[22]           L’ignorance volontaire renvoie à une situation où une personne « a des doutes au point de vouloir se renseigner davantage, mais qui choisit délibérément de ne pas le faire » (R c Briscoe, 2010 CSC 13, au paragraphe 21, en italique dans l’original). La SI a expressément conclu que M. Sivagnanasingam savait que des passeports et des visas étaient exigés pour entrer au Canada. À tout le moins, il se doutait que des passagers ne satisfaisaient pas à cette exigence et il a décidé de ne pas s’enquérir davantage à se sujet. La SI a raisonnablement conclu que ces circonstances équivalaient à de l’ignorance volontaire de la part de M. Sivagnanasingam.

 

VI.             Conclusion et décision

 

[23]           La SI n’a commis aucune erreur dans sa définition de « passage de clandestins » ou de son application du concept d’ignorance volontaire. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties ont proposé que je certifie la même question de portée générale qui a été certifiée dans les arrêts B010 et B072, précités, mais une réponse à cette question a déjà été donnée par la Cour d’appel fédérale. Aucune question de portée générale n'est soulevée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Activités de criminalité organisée

 

  37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

 

 

[…]

 

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

 

Entrée illégale

 

  117. (1) Il est interdit à quiconque d’organiser l’entrée au Canada d’une ou de plusieurs personnes ou de les inciter, aider ou encourager à y entrer en sachant que leur entrée est ou serait en contravention avec la présente loi ou en ne se souciant pas de ce fait.

 

Assemblée générale, Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée : 15 novembre 2000, A/RES/55/25

 

  3. 2. Aux fins du paragraphe 1 du présent article, une infraction est de nature transnationale si:

 

a) Elle est commise dans plus d’un État;

 

b) Elle est commise dans un État mais qu’une partie substantielle de sa préparation, de sa planification, de sa conduite ou de son contrôle a lieu dans un autre État;

 

c) Elle est commise dans un État mais implique un groupe criminel organisé qui se livre à des activités criminelles dans plus d’un État; ou

 

d) Elle est commise dans un État mais a des effets substantiels dans un autre État.

 

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Organized criminality

 

  37. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

 

 

(b) engaging, in the context of transnational crime, in activities such as people smuggling, trafficking in persons or money laundering.

 

 

Organizing entry into Canada

 

  117. (1) No person shall organize, induce, aid or abet the coming into Canada of one or more persons knowing that, or being reckless as to whether, their coming into Canada is or would be in contravention of this Act.

 

 

General Assembly, United Nations Convention against Transnational Organized Crime: 15 November 2000, A/RES/55/25

 

  3. 2. For the purpose of paragraph 1 of this article, an offence is transnational in nature if:

 

(a) It is committed in more than one State;

 

(b) It is committed in one State but a substantial part of its preparation, planning, direction or control takes place in another State;

 

(c) It is committed in one State but involves an organized criminal group that engages in criminal activities in more than one State; or

 

(d) It is committed in one State but has substantial effects in another State.

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4310-12

 

INTITULÉ :                                      SIVAGARAN SIVAGNANASINGAM

                                                            c

                                                            MSPPC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 20 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 5 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Packialuxmi Vasan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alex Kam

Maria Stefanovic

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Luxmi Vasan

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.