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Date : 20130611

Dossier : IMM-10209-12

Référence : 2013 CF 638

Montréal (Québec), le 11 juin 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

ELIE KHALIL

 

 

partie demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

partie défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 22 août 2012 par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, par laquelle ce dernier a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle d’une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

[2]               Le demandeur conteste les motifs rendus par la SPR, mais, plus spécifiquement, il prétend que le défaut du commissaire de lui accorder une remise de l’audience en l’absence de son avocat constitue une violation de l’équité procédurale.

 

Demande de remise de l’audience

[3]               L’audience du demandeur a eu lieu le 9 mai 2012.

 

[4]               Une demande de remise de l’audience a été présentée à la SPR le 2 mai 2012 au motif que l’avocat du demandeur avait été convoqué au rôle de la Section d’appel de l’immigration, par la Section elle-même, et, donc, dans l’impossibilité de se présenter à l’audience du demandeur. Suite au rejet de cette première demande par un commissaire coordonnateur le 4 mai 2012 au motif qu’il ne s’agissait pas de « circonstances exceptionnelles » au sens du paragraphe 48(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, [abrogé, DORS/2012-256, art 73] [Règles], l’avocat du demandeur a présenté une seconde demande pour savoir si l’audience pouvait être reportée de 90 minutes pour qu’il puisse représenter son client. Cette demande a été rejetée par le même commissaire coordonnateur, pour le même motif.

 

[5]               Le 9 mai 2012, le commissaire a rejeté une autre demande de remise, faite en salle d’audience par un avocat remplaçant le conseil du demandeur, et a décidé que le nom de ce dernier soit inscrit au dossier en tant que l’avocat du demandeur.

 


II. Points en litige

[6]               (1) Est-ce que le défaut du commissaire d’accorder la demande de remise présentée le jour de l’audience constitue une violation des principes d’équité procédurale?

(2) Est-ce que le demandeur a eu la juste possibilité de présenter sa cause, tel que conclu par le commissaire?

 

III. Norme de contrôle

[7]               La norme de contrôle applicable aux questions ayant trait à la justice naturelle et à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392 au para 111; Aguilar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 561, 411 FTR 94 au para 15).

 

[8]               Cependant, pour ce qui est de la première question en litige, il faut préciser qu’une partie de la jurisprudence reconnaît que la norme de contrôle des décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, et surtout celles de la Section d’appel de l’immigration [SAI], de ne pas accorder une remise est celle de la décision raisonnable puisqu’il s’agit essentiellement d’évaluer les facteurs du paragraphe 48(4) des Règles et qu’il faut analyser une telle décision en considérant la discrétion dont dispose la Commission (Omeyaka c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 78 au para 13 et Cleopartier c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1527 au para 4).

 

IV. Analyse

(1) Est-ce que le défaut du commissaire d’accorder la demande de remise présentée le jour de l’audience constitue une violation des principes d’équité procédurale?

[9]               La règle 48 des Règles prévoit le processus de traitement des demandes de changement de date d’une procédure et encadre l’exercice discrétionnaire de la SPR. Le paragraphe 48(4) énumère des facteurs non exhaustifs qui doivent être pris en considération par la SPR selon les circonstances :

48.      (1) Toute partie peut demander à la Section de changer la date ou l’heure d’une procédure.

 

(2) La partie :

 

a) fait sa demande selon la règle 44, mais n’a pas à y joindre d’affidavit ou de déclaration solennelle;

 

b) indique dans sa demande au moins six dates, comprises dans la période fixée par la Section, auxquelles elle est disponible pour commencer ou poursuivre la procédure.

 

(3) Si la partie veut faire sa demande deux jours ouvrables ou moins avant la procédure, elle se présente à la procédure et fait sa demande oralement.

 

(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

 

a) dans le cas où elle a fixé la date et l’heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

 

b) le moment auquel la demande a été faite;

 

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

 

 

d) les efforts qu’elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

 

e) dans le cas où la partie a besoin d’un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d’aller de l’avant en l’absence de ces renseignements sans causer une injustice;

 

f) si la partie est représentée;

 

 

g) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l’expérience de son conseil;

 

h) tout report antérieur et sa justification;

 

i) si la date et l’heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

 

j) si le fait d’accueillir la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice;

 

k) la nature et la complexité de l’affaire.

 

 

(5) Sauf si elle reçoit une décision accueillant sa demande, la partie doit se présenter à la date et à l’heure qui avaient été fixées et être prête à commencer ou à poursuivre la procédure. 

 

48.      (1) A party may make an application to the Division to change the date or time of a proceeding.

 

(2) The party must

 

(a) follow rule 44, but is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration; and

 

(b) give at least six dates, within the period specified by the Division, on which the party is available to start or continue the proceeding.

 

 

 

(3) If the party wants to make an application two working days or less before the proceeding, the party must appear at the proceeding and make the application orally.

 

(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

 

 

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

 

 

(b) when the party made the application;

 

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

 

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

 

 

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party’s arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

 

 

(f) whether the party has counsel;

 

(g) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

 

 

(h) any previous delays and the reasons for them;

 

(i) whether the date and time fixed were peremptory;

 

 

(j) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings or likely cause an injustice; and

 

(k) the nature and complexity of the matter to be heard.

 

(5) Unless a party receives a decision from the Division allowing the application, the party must appear for the proceeding at the date and time fixed and be ready to start or continue the proceeding.

 

[La Cour souligne].

 

[10]           Le défendeur reproche au demandeur de ne pas avoir sollicité la SAI afin que ses causes soient remises à une prochaine conférence de mise au rôle plutôt que de demander le report de l’audience de son client devant la SPR. Le défendeur soumet également que le demandeur a pu compter sur les services d’un avocat compétent qui a remplacé son avocat pour le représenter et a pu soumettre des observations écrites pour compléter ses arguments. Par ailleurs, le défendeur fait valoir que les demandes de remise antérieures ayant été refusées, le demandeur et son avocat devaient s’attendre à ce que le commissaire insiste pour que la cause procède le même jour (Ruiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 915 au para 15). Aussi, de façon plus générale, le défendeur soumet que le droit à l’avocat n’est pas un droit absolu et qu’il incombe au demandeur de se faire représenter par un avocat de son choix qui est en mesure de comparaître à la date du procès ou de l’audience (Gapchenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 427 au para 19).

 

[11]           Avec égard et en toute déférence, les éléments soulevés par le défendeur, qui correspondent essentiellement aux facteurs considérés par le commissaire, n’étaient pas suffisants pour justifier le refus d’une remise dans les circonstances particulières.

 

[12]           Premièrement, à la lecture des transcriptions de l’audience, il était clair que l’avocat qui a remplacé l’avocat du demandeur n’était pas tout à fait en mesure de le représenter. Il a mentionné à plusieurs reprises au commissaire qu’il a pu prendre connaissance du dossier seulement la veille de l’audience, qu’il a accompagné le demandeur pour faire une demande de remise et non pour procéder à la place de son avocat, et que son manque d’expérience par rapport à l’avocat du demandeur était un autre facteur à considérer. Or, le commissaire n’a pas tenu compte ni du temps dont l’avocat avait disposé pour se préparer ni de son défaut de connaissance du dossier du demandeur. Même s’il mentionne dans les motifs de sa décision que l’avocat remplaçant avait une bonne connaissance du dossier, le commissaire a lui-même reproché à cet avocat de ne pas « être prêt avec le dossier » lorsque ce dernier a demandé une pause de cinq à dix minutes pour préparer les questions qu’il allait poser au demandeur.

 

[13]           Tout ceci amène la Cour à conclure que, du fait du refus de la demande d’ajournement valablement faite une semaine avant l’audience, le demandeur a subi un préjudice qui tient surtout à la négation de son droit à une audition équitable, plutôt que son droit, certes non absolu, d’être représenté par un avocat. D’autant plus qu’il n’y avait aucune raison apparente expliquant pourquoi la remise de l’audience n’a pas été accordée.

 

[14]           Or, si un demandeur d’asile ne doit pas être privé d’une audience en bonne et due forme à cause de l’absence de son avocat, il serait illogique de rejeter une demande de remise au seul motif que le demandeur est assisté par un autre avocat pour les fins de sa demande de remise.

 

[15]           De plus, le commissaire a été plutôt insensible aux circonstances particulières du demandeur et du préjudice qu’il pourrait subir de l’absence de son avocat. Selon la jurisprudence de cette Cour et celle de la Cour d’appel fédérale, d’autres facteurs peuvent intervenir dans une analyse selon le paragraphe 48(4) des Règles, par exemple, les démarches faites par le demandeur pour se faire représenter et le point de savoir si l’on peut ou non lui reprocher de ne pas être prêt à procéder (Vazquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 385, 407 FTR 167 au para 12; Golbom c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 640, au para 13; Siloch c Canada (Ministre de l’Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 10 (QL/Lexis) (CAF); Modeste c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1027 au para 15; Sandy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1468, 260 FTR 1 au para 52).

 

[16]           Certes, le fait que le commissaire ait accordé un délai à l’avocat pour soumettre ses observations par écrit jusqu’au 30 mai 2012 a permis à ce dernier de compléter ses arguments. Toutefois, cela ne pouvait suppléer le droit du demandeur de faire valoir pleinement sa cause dans ces circonstances toutes particulières.

 

[17]           La Cour conclut que le commissaire a erré en refusant la demande de remise présentée par l’avocat remplaçant.

(2) Est-ce que le demandeur a eu la juste possibilité de présenter sa cause, tel que conclu par le commissaire?

 

[18]           La Cour admet qu’« un questionnement énergétique de la part d’un commissaire et de fréquentes interruptions ne soulèvent pas nécessairement une crainte raisonnable de partialité, tout particulièrement si l’intervention a pour objet de clarifier le témoignage d’un demandeur ou d’un témoin » (Chamo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1219 au para 12).

 

[19]           Le demandeur n’aurait pas dû subir la pression et le manque de temps qui ont résulté de l’absence de son avocat et du refus d’un ajournement.

 

V. Conclusion

[20]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie et l’affaire est retournée pour examen à nouveau par un panel autrement constitué. (Afin de ne pas occasionner un délai additionnel, la Cour suggère que l’audience soit fixée de façon péremptoire).

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit retournée pour examen à nouveau par un panel autrement constitué avec aucune question d’importance générale à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10209-12

 

INTITULÉ :                                      ELIE KHALIL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 11 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     le 11 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Éric Taillefer

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Daniel Latulippe

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Éric Taillefer

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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