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Date : 20130611

Dossier: IMM-9696-12

Référence : 2013 CF 635

Montréal (Québec), le 11 juin 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

EDOUARD KASEREKA KISONI

 

 

partie demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

partie défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 22 août 2012, selon laquelle il a été conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens, respectivement, de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Le demandeur prétend que la SPR a erré dans son évaluation de la crédibilité de son récit et dans l’évaluation de sa crainte de retour en tant que réfugié sur place en raison des activités politiques qu’il a menées contre le gouvernement congolais depuis qu’il est au Canada.

 

II. Faits

[2]               Le demandeur, monsieur Edouard Kasereka Kisoni, citoyen de la République démocratique du Congo [RDC], est marié, père de sept enfants, chargé d’études à l’université, économiste de formation et à l’emploi du ministère des postes, téléphone et télécommunications [MPTT] en RDC. Il allègue craindre les services de sécurité et la police en RDC en raison de ses activités syndicales et politiques.

 

[3]               En effet, les problèmes du demandeur auraient commencé lorsqu’il est devenu syndicaliste en 1997, et ensuite lorsqu’il a adhéré au parti Union pour la démocratie et le progrès social [UDPS] en 2005.

 

[4]               Le demandeur allègue avoir été arrêté deux fois en RDC, le 2 juin 2000 et le 25 juin 2003. Le 2 juin 2000, il aurait été arrêté par les services de sécurité pour avoir participé à la création d’un syndicat de la Société Telecel où il était employé à titre de chef de service. Il aurait ensuite été relâché sous menace d’être tué s’il n’arrêtait pas ses revendications syndicales. Le 25 juin 2003, le demandeur aurait été arrêté par la police nationale pour avoir participé à une grève pour protester contre le licenciement massif d’un nombre de travailleurs de Telecel. Il aurait été relâché grâce à l’influence de son syndicat auprès des autorités.

 

[5]               Entre 2004 et 2005, le demandeur aurait travaillé sur un projet financé par la communauté internationale et par le gouvernement congolais sous la tutelle du ministère du plan. Ce projet consistait à contrer la pauvreté en RDC. À cet effet, il aurait été envoyé en France en 2005 et ce fut alors qu’en rencontrant des sympathisants de l’UDPS à l’occasion de ce voyage qu’il a choisi de devenir membre de ce parti.

 

[6]               En mars 2008, le demandeur aurait été embauché au MPTT. Son travail consistait à analyser des dossiers et faire des rapports directement à la Ministre. Le demandeur allègue qu’en travaillant au MPTT, il vivait dans la crainte, car tous ses collègues « avaient la couleur du parti au pouvoir ».

 

[7]               En janvier 2009, un mémo de protestation de l’UDPS que le demandeur avait conservé aurait disparu d’un tiroir de son bureau et aurait été soumis au directeur de cabinet du MPTT. Ce mémo aurait fustigé la décision du gouvernement de constituer une force de coalition composée d’éléments des Forces armées de la RDC et le Congrès national pour la défense du peuple pour combattre les Forces démocratiques de libération du Rwanda, un groupe armé formé en RDC pour la défense des intérêts des réfugiés rwandais.

 

[8]               Le demandeur allègue que le 28 février 2009, il a été arrêté par deux policiers de la Police d’intervention rapide. Il allègue qu’il a été détenu, intimidé et menacé de mort et qu’on lui a alors mentionné qu’il était sur la liste noire. L’un des policiers aurait aussi mentionné au demandeur qu’il « risquait de mourir jeune ». Le demandeur aurait réussi à s’enfuir et se serait réfugié dans une boîte de nuit pour rentrer chez lui le lendemain matin. 

 

[9]               Suite à cet incident, le demandeur a continué à travailler au MPTT. Ce fut à la même période qu’il a appris qu’une conférence qui l’intéressait s’organisait aux États-Unis du 27 au 29 mars 2009. Le demandeur allègue qu’il a obtenu un visa pour assister à la conférence. Il allègue que le 27 mars 2009, son passeport a été retenu à l’aéroport et qu’il n’a été capable de quitter la RDC que le lendemain.

 

[10]           Le demandeur allègue qu’alors qu’il était aux États-Unis, son épouse l’a informé que des rebelles maï-maï étaient à sa recherche au sujet de la concession de terre de ses grands-parents, qu’elle a reçu des menaces de la part de ces rebelles, et que son collègue de travail qui avait des tâches semblables avait disparu.

 

[11]           Le 7 et 8 avril 2009, le demandeur sollicite un visa canadien. Il est arrivé au Canada le 18 mai 2009 et a immédiatement demandé l’asile.

 

[12]           Depuis qu’il est au Canada, le demandeur aurait participé à plusieurs manifestations contre le président congolais tenues à Montréal, Québec et Ottawa.

 

III. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[13]           Le 22 août 2012, la SPR a rejeté la demande d’asile en concluant que la crédibilité du demandeur était minée en raison de nombreuses lacunes et contradictions dans son témoignage.

 

[14]           La SPR n’a pas cru le demandeur sur plusieurs aspects de ses allégations. Premièrement, la SPR n’a pas cru que le demandeur ait pu quitter la RDC avec sa propre identité et son propre passeport alors qu’il prétend craindre les services de sécurité de l’État et la police et que, de surcroît, il ait été arrêté à l’aéroport la veille de son départ.

 

[15]           Quant aux implications syndicales du demandeur, la SPR a conclu que le demandeur n’a pas de crainte de retour puisqu’il n’a pas eu de problèmes pour ce motif depuis 2003. Aux dires du demandeur, l’entreprise a été délocalisée et l’action syndicale a diminué; ce qui, selon la SPR, affecte le bien-fondé de la crainte objective du demandeur. Par ailleurs, questionné par la SPR à savoir pourquoi aucune accusation n’avait été portée contre lui lors de son arrestation en juin 2000, malgré qu’il a été détenu, déshabillé, fouillé et mis dans une cellule, le demandeur a mentionné qu’il présumait qu’il avait été arrêté en raison de ses activités syndicales. En effet, le demandeur a mentionné que, bien que son employeur était une entreprise privée, l’État place souvent des agents de sécurité dans les entreprises où il est impliqué comme actionnaire occulte. Par ailleurs, la SPR a expliqué que le demandeur était incapable de décrire avec précision les problèmes qu’il a eus avec les autorités congolaises à cause de ses activités syndicales alors qu’il était à l’emploi de Telecel.

 

[16]           Quant à son implication politique au sein de l’UDPS, la SPR a noté que le demandeur n’est pas parvenu à préciser quels problèmes il a rencontrés à cause de son adhésion à l’UDPS si ce n’est de mentionner que son contrat de travail au ministère du plan n’a pas été reconduit et que 10% de son salaire étaient enlevés à la source en faveur du parti au pouvoir alors qu’il était à l’emploi du MPTT. Par ailleurs, la SPR n’a pas cru que le demandeur ait pu commettre l’imprudence de laisser traîner un mémo aussi compromettant qu’il l’a décrit dans son tiroir alors qu’il travaillait pour le MPTT et militait pour la UDPS. La SPR a rejeté l’explication du demandeur à l’effet qu’il ne pouvait conserver ce mémo ailleurs que dans son bureau, car les documents qui l’accompagnaient étaient trop volumineux.

 

[17]           La SPR a jugé non crédible que le demandeur ait pu continuer à travaillé pour le MPTT suite à son arrestation en février 2009 puisque, selon lui, la Ministre n’en aurait jamais été informée par son directeur de cabinet, et il a même pu poursuivre son emploi à titre de chargé d’études au sein de ce ministère sans que jamais être interpelé sur le sujet.

 

[18]           De surplus, la SPR a jugé que le comportement du demandeur était incompatible avec l’existence d’une crainte subjective puisqu’il n’a pas demandé la protection à la première occasion en France ni aux États-Unis avant de venir au Canada.

 

[19]           Enfin, la SPR a jugé que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il existait un risque de retour pour lui en tant que membre de l’UDPS (un parti qui a emporté 48% des voix aux dernières élections), du simple fait qu’il aurait été actif à l’étranger.

 

IV. Points en litige

[20]           (1) La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur?

(2) La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crainte de retour du demandeur comme réfugié sur place au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR, en raison de ses activités politiques au Canada?

 

 

V. Norme de contrôle

[21]           Il s’agit de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47; Canada (Citoyenneté et de Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12,  [2009] 1 RCS 339 au para 59; Earl c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 312 au para 16).

 

VI. Analyse

(1) La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur?

 

[22]           Le demandeur reconnaît que ses activités syndicales datent de plusieurs années et qu’il n’a pas cherché à quitter son pays avant son arrestation de février 2009 en raison de ses activités politiques. Il soumet toutefois que la SPR a erré en s’attardant aux détails de la demande plutôt qu’au fondement réel de la crainte du demandeur. Avec égards, la Cour ne peut faire droit à cet argument.

 

[23]           Le demandeur allègue que le mémo dans lequel il avait critiqué les actions du gouvernement a été remis au directeur du cabinet; celui-ci aurait lu le document en présence du demandeur et le lui aurait remis sans en faire de copie et sans en faire part à la Ministre. Le demandeur prétend que la SPR a rejeté cette allégation sur la base de pures spéculations. Cependant, à la lecture des motifs de la SPR, il est clair qu’elle n’a pas jugé la crainte du demandeur objectivement bien fondée puisque non seulement le rapport lui a été remis, mais encore la Ministre n’en a jamais été informée et le demandeur n’a eu aucun problème à continuer à travailler pour le MPTT. Cette conclusion est raisonnable, le point déterminant étant que les incidents allégués par le demandeur sont restés sans conséquence à son égard, aussi bien au niveau de son emploi que sa sécurité personnelle, jusqu’à ce qu’il quitte son pays.

 

[24]           Le demandeur soumet que la SPR n’a pas tenu compte de son explication à l’effet qu’il a été arrêté à l’aéroport alors qu’il quittait pour les États-Unis, et qu’il a payé une personne qui travaillait à l’aéroport pour pouvoir quitter le pays. Il est vrai que la SPR n’a pas fait état de cette explication dans ses motifs. Cependant, eu égard à l’ensemble des motifs et notamment le fait que le demandeur n’a pas réussi à établir le bien-fondé de sa crainte objective et subjective, une conclusion d’ailleurs que le demandeur n’a pas contestée dans ses représentations écrites, cet argument est insuffisant pour rendre déraisonnable la décision à l’étude.

 

[25]           La Cour conclut que la SPR n’a pas erré dans son évaluation de la crédibilité des divers aspects de la revendication du demandeur.

 

(2) La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crainte de retour du demandeur comme réfugié sur place au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR, en raison de ses activités politiques au Canada?

 

[26]           Le demandeur soumet que la SPR n’a pas considéré les problèmes qu’il risquerait de subir advenant son retour en RDC à cause des activités qu’il a publiquement menées au Canada contre le gouvernement Kabila. Il prétend que la SPR a erré en se limitant à la preuve documentaire que le demandeur lui a soumise le jour de l’audience, sans analyser la preuve objective du cartable au sujet du traitement réservé aux membres de l’opposition et aux personnes qui s’opposent au gouvernement Kabila à l’étranger.

 

 

[27]           Premièrement, la pièce déposée par le demandeur établissait que monsieur Étienne Tshisekedi, dirigeant de l’UDPS, avait été arrêté et détenu pour quelques heures dans les locaux de l’Agence nationale de renseignement alors qu’il s’apprêtait à quitter la RDC lors des récentes élections. Il a par la suite été relâché, mais le demandeur se basait sur ce document pour établir que la situation serait pire pour les simples membres du parti. La SPR a raisonnablement rejeté cet argument au motif que l’UDPS est un parti d’opposition avec 48% des votes aux dernières élections.

 

[28]           Le demandeur réfère à des extraits tirés de trois documents de la preuve du cartable qui ne contredisent la conclusion de la SPR à l’effet que rien n’indique qu’un membre activiste de l’UDPS ne serait pas un réfugié sur place du simple fait de son appartenance et ses activités politiques au soutien de son parti à l’extérieur de la RDC. Pour résumer, ces documents indiquent plutôt que les autorités congolaises refuseraient systématiquement de permettre aux opposants d'organiser des manifestations publiques, que le gouvernement n'autorise pas la tenue de manifestations pacifiques par les partis politiques de l'opposition et les organisations indépendantes de la société civile, et qu’une trentaine des membres de l'UDPS présents à une réunion organisée à Kinshasa en septembre 2010 auraient été arrêtés et détenus arbitrairement (Cartable national de documentation du 8 juin 2012 [CND], onglet 4.6 : COD103712.F).

 

[29]           Un autre document cité par le demandeur, soit un rapport de mars 2012 de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (CND, onglet 4.17), décrit les tensions liées au manque de transparence et les irrégularités dans le processus électoral durant les dernières élections de 2011, en mentionnant qu’une enquête a :

[…] documenté l’arrestation d’au moins 265 civils, dont la majorité aurait été maintenue en détention de manière illégale et/ou arbitraire, pour la plupart en raison de leur appartenance, réelle ou présumée, à un parti de l’opposition ou pour leur appartenance à la province d’origine du candidat M. Etienne Tshisekedi, ou à des provinces dans lesquelles il bénéficie d’un soutien important. Ces violations ont été attribuées principalement à des éléments de la Garde républicaine (GR), des agents de la Police nationale congolaise (PNC) et de ses unités spécialisées, telles que la Légion nationale d’intervention (LENI), la brigade d’investigations criminelles et le Groupe mobile d’intervention (GMI), ainsi que, dans une moindre mesure, à des militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) n’appartenant pas à la GR. Par ailleurs, des agents de l’Agence nationale de renseignements (ANR) sont présumés responsables de plusieurs cas d’arrestation arbitraire et détention illégale.

 

[30]           Enfin, le demandeur cite un extrait du rapport du 30 juin 2009 du Home Office du Royaume-Uni, qui fait état de cas d’arrestation et d’emprisonnement pour des motifs politiques malgré le fait que les partis politiques sont généralement en mesure d’opérer sans restriction ou ingérence extérieure (CND, onglet 2.5, aux para 16.05-16.06 et 18.05-18.06).

 

[31]           Aucun de ces documents ne présente la pertinence et la valeur probante qui sont exigées d’une preuve prétendument ignorée par la SPR, pour réfuter la présomption selon laquelle la SPR a considéré l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise (Ferraro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 801 au para 17; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF)).

 

VII. Conclusion

[32]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée. La Cour est d’avis que la décision contestée n’a rien de déraisonnable qui n’appartiendrait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47).

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire du demandeur sans aucune question d’importance générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9696-12

 

INTITULÉ :                                      EDOUARD KASEREKA KISONI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 10 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     le 11 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphanie Valois

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Sonia Bédard

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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