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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130611

Dossier : IMM-8361-12

Référence : 2013 CF 640

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

RENATA NAGY, VIOLA ZITA ZDRAVIAK, PETER RICHARD ZDRAVIAK

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision datée du 10 juillet 2012 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Mme Renata Nagy, la demanderesse principale (la demanderesse), est une Hongroise de 32 ans. Elle craint d’être persécutée en Hongrie en raison de son origine rom. Les demandeurs secondaires sont ses enfants mineurs, dont les demandes dépendent entièrement de la sienne. L’histoire personnelle de la demanderesse est relatée dans l’exposé circonstancié accompagnant son formulaire de renseignements personnels (FRP).

Exposé circonstancié du FRP

[3]               La demanderesse affirme avoir été victime de la discrimination, de la ségrégation et de la violence de ses camarades d’école durant ses jeunes années passées en Hongrie en raison de son origine rom. À l’âge adulte, elle n’avait pas le droit d’assister à des activités locales ou de se rendre à certains endroits simplement parce qu’elle était rom. Elle a cherché du travail, mais en vain.

[4]               En 1996, la demanderesse a fait la connaissance du futur père de ses enfants. En 2004, elle s’est rendu compte qu’il fréquentait une autre femme et qu’il avait eu un enfant de cette union. Le couple se disputait souvent à ce sujet et le conjoint la frappait parfois devant ses enfants. En 2010, la demanderesse et son conjoint se sont séparés.

[5]               Ces derniers temps, le racisme en Hongrie s’est intensifié et de nombreux rapports font état d’agressions racistes sur les Roms. À une occasion où la demanderesse attendait l’autobus, elle a été assaillie et agressée sexuellement par deux jeunes hommes. C’est à cette époque que la demanderesse a compris qu’elle ne pouvait plus vivre en sécurité en Hongrie et qu’elle a décidé de partir au Canada.

            Prétentions de la demanderesse

[6]               Pour l’aider à présenter sa demande d’asile, la demanderesse a retenu les services d’un avocat, M. Jozsef Farkas. Elle affirme dans son affidavit que M. Farkas lui a conseillé de faire un exposé circonstancié bref et de donner des précisions à l’audience. Dans son FRP, la demanderesse a essentiellement décrit en termes généraux le harcèlement qu’elle avait enduré pendant des années, et elle a donné des précisions sur des événements particuliers à l’audience devant la SPR. La demanderesse déclare que son ancien avocat ne l’a pas aidée à remplir le FRP, qu’il n’a pas déposé de documents à l’appui et qu’il ne l’a pas préparée à l’audience.

[7]               En outre, la demanderesse affirme que les motifs qu’a présentés M. Farkas à l’appui d’une demande de prolongation de délai pour le dépôt de la demande d’autorisation étaient faux et inexacts. Selon elle, après que sa demande d’asile eut été rejetée, M. Farkas l’a assurée de ce qu’il avait déposé tous les documents requis en vue du contrôle judiciaire. L’audience devant la SPR devait avoir lieu le 10 juillet 2012 et, n’ayant encore eu aucune nouvelle au mois d’août, elle a commencé à avoir des soupçons. M. Farkas lui a alors donné copie d’une demande de contrôle judiciaire datée du 27 mars 2012 intéressant « Renata Nagy ». Toutefois, comme son audience devait se tenir après cette date, la demanderesse savait qu’il ne pouvait s’agir de sa propre demande.

[8]               La demanderesse a alors retenu les services d’un autre avocat le 17 août 2012. Ce nouvel avocat a confirmé qu’en consultant le site Web de la Cour fédérale, il avait pu se rendre compte que M. Farkas avait bien déposé une autre demande pour le compte d’une certaine « Renata Nagy » le 27 mars 2012, mais que cette demande avait été rejetée le 11 août 2012. La demanderesse affirme avoir alors interrogé M. Farkas, qui a demandé une prolongation de délai à la Cour fédérale. Dans cette demande, il affirmait que la demande de contrôle judiciaire n’avait pas été déposée à temps parce que le service d’aide juridique avait tardé à lui verser ses honoraires.

[9]               La demanderesse a déposé une plainte officielle contre M. Farkas auprès du Barreau du Haut-Canada le 13 septembre 2012. Elle a également notifié ses allégations à M. Farkas.

DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[10]           Dans sa demande d’asile, la demanderesse a indiqué qu’elle craignait à la fois son ancien conjoint et la Garde hongroise. Dans une décision du 10 juillet 2012, la SPR a rejeté la demande de protection de la demanderesse pour des raisons de crédibilité.

[11]           La SPR a signalé que l’ancien conjoint de la demanderesse vivait maintenant au Canada, mais que la demanderesse n’avait pas essayé de prendre contact avec lui et que ce dernier n’avait pas non plus essayé de prendre contact avec elle depuis son arrivée au Canada. Interrogée à savoir s’il lui avait causé des difficultés après son départ en 2010, elle a répondu qu’il lui téléphonait. À la question de savoir ce qu’il voulait quand il l’appelait, elle a répondu qu’elle ne le savait pas. La SPR a conclu que, bien que la demanderesse affirmât qu’elle était toujours harcelée par son ancien conjoint et qu’elle continuait de le craindre, son témoignage n’appuyait pas ses allégations.

[12]           La SPR a admis que l’ancien conjoint de la demanderesse avait pu la maltraiter durant leurs années de vie commune, mais elle a estimé que la preuve montrait qu’il ne représentait plus une menace pour elle depuis que le couple s’était séparé en 2010. La SPR a jugé que la demande renfermait des incohérences et que, dans les faits, la demanderesse était entrée au Canada avec une lettre indiquant que son ancien conjoint l’avait autorisée à quitter la Hongrie avec ses enfants. La demanderesse a déclaré que la famille de son ancien conjoint continue d’exercer des pressions sur elle pour qu’elle se réconcilie avec lui, mais elle n’a pas expliqué pourquoi ou comment la famille de son mari pouvait la forcer à une réconciliation. Les quelques éléments de preuve présentés relativement à cette question contredisaient les allégations de la demanderesse, et la SPR a jugé qu’elle manquait de crédibilité en prétendant craindre son ancien conjoint.

[13]           Interrogée sur sa crainte de la Garde hongroise, la demanderesse a déclaré qu’elle avait été agressée alors qu’elle attendait un autobus. Elle a dit avoir reçu des coups de poing au visage et en avoir gardé une cicatrice, mais elle n’a pas expliqué comment sa cicatrice résultait du coup de poing. Elle a dit ne pas avoir reçu de soins médicaux.

[14]           La demanderesse a également déclaré que ses frères et sœurs, sa tante et elle‑même avaient été frappés et battus avec des matraques de caoutchouc par des membres de la Garde hongroise le 20 août 2009. On lui a demandé pourquoi elle n’avait pas mentionné cet incident dans son FRP, et la demanderesse a dit qu’elle ne voulait pas « résumer cela sur quatre pages » et a ajouté qu’elle ne savait pas pourquoi. Quant au nombre de ses attaquants, la demanderesse a également dit qu’elle ne le connaissait pas. Quant à savoir ce qu’elle et sa famille avaient fait après l’incident, elle a répondu qu’ils n’avaient « rien fait ».

[15]           La SPR a examiné l’exposé circonstancié du FRP et a signalé à la demanderesse qu’elle n’avait mentionné qu’un seul incident impliquant la Garde hongroise. La demanderesse a nié cette affirmation et insisté qu’elle avait mentionné d’autres incidents dans son FRP. Certains des membres de sa famille vivent toujours en Hongrie, mais elle n’a produit aucun document émanant des membres de sa famille qui étaient censés être présents lors des agressions pour corroborer ses dires. La SPR a conclu que la demanderesse avait exagéré les choses dans son témoignage, qu’elle n’avait pas produit de documents corroborants et que, dans l’ensemble, elle n’était pas crédible. 

[16]           Pour ces motifs, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

QUESTIONS EN LITIGE

[17]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

1)                  La demanderesse s’est‑elle vu refuser le droit à la justice naturelle ainsi que celui à une audience équitable à cause de l’incompétence de son ancien avocat?

2)                  La SPR a‑t‑elle fait erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse?

3)                  La SPR a‑t‑elle fait erreur en n’évaluant pas de façon raisonnable l’ensemble de la preuve et en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve?

NORME DE CONTRÔLE

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de procéder à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs qui entrent en jeu dans l’analyse relative à la norme de contrôle.

[19]           La première question porte sur le droit de la demanderesse de présenter l’intégralité de sa cause, ce qui est une question d’équité procédurale (Xu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 718; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], au paragraphe 22). Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 100 : « Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. » De plus, dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale a statué que la « question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » La norme de contrôle applicable au premier point en litige est celle de la décision correcte.

[20]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la crédibilité était la raisonnabilité. De plus, dans la décision Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, le juge Max Teitelbaum a déclaré (au paragraphe 21) que les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité étaient au cœur de son rôle de juge des faits, de sorte qu’elles étaient assujetties à la norme de la raisonnabilité. Finalement, dans l’arrêt Negash c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1164, le juge David Near a affirmé, au paragraphe 15, que la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la crédibilité est celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle applicable au second point en litige est celle de la décision raisonnable.

[21]           Quant à la troisième question en litige, la prise en considération et l’examen de la preuve s’inscrivent dans un exercice axé sur les faits qui appelle la déférence (arrêt Dunsmuir, précité). La demanderesse attaque en particulier l’analyse qu’a faite la SPR du risque de persécution et de la protection de l’État. La question de la persécution est une question mixte de faits et de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Divakaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 633; Pararajasingham c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1416). L’appréciation de la protection de l’État est aussi assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94). En conséquence, cette question doit être évaluée selon la norme de la raisonnabilité.

[22]           Lorsqu’une décision est soumise au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens où elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

LES ARGUMENTS

La demanderesse

L’incompétence de l’avocat

[24]           La demanderesse fait valoir que la façon dont son FRP a été rempli est loin de satisfaire aux normes de qualité qu’on attendrait d’un conseil. Très bref, il ne renfermait pas suffisamment de précisions et n’énumérait pas « tous les événements importants ». Ces lacunes ont porté préjudice à la demande de la demanderesse, et la SPR a conclu au bout du compte que le fait de ne pas avoir décrit certains incidents dans son formulaire avait miné sa crédibilité.

[25]           Toute demande de contrôle judicaire fondée sur l’incompétence d’un avocat ne devrait être accueillie qu’en des circonstances exceptionnelles, lorsqu’il y a une probabilité raisonnable que l’issue aurait été différente n’eut été de l’incompétence (Huynh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 65 FTR 11 (CF 1re inst.)). Le conseil doit être informé des allégations portées contre lui et avoir l’occasion d’y répondre (Shirvan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509). Un avocat est tenu de faire preuve de diligence, de compétence et de connaissances raisonnables dans la prestation de ses services professionnels (Mathon c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] ACF no 707 (1re inst.)).

[26]           L’incompétence doit être établie très clairement avant que la Cour n’ordonne une nouvelle audience (Betesh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 173). La demanderesse fait valoir que l’exposé circonstancié dans son FRP, de même que l’inaction de son avocat après la décision, constituent des preuves convaincantes et non équivoques de son incompétence.

[27]           Dans l’affaire Shirwa c Canada (Minisre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 51 (1re inst.) [Shirwa], la cour a statué comme suit au paragraphe 12 :

Dans les autres cas où une audience a lieu, la décision rendue ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans des « circonstances extraordinaires », lorsqu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir « l’étendue du problème » et que le contrôle judiciaire a « pour fondement des faits très précis ». Ces restrictions sont essentielles, selon moi, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les juges MacGuigan et Rothstein, selon lesquelles l’insatisfaction d’ordre général ressentie à l’égard de la qualité de la représentation assurée par l’avocat dont le demandeur a, de son propre chef, retenu les services, ne saurait justifier le contrôle judiciaire d’une décision défavorable. Toutefois, lorsque l’incompétence ou la négligence du représentant ressort de la preuve de façon suffisamment claire et précise, elle est en soi préjudiciable au demandeur et elle justifie l’annulation de la décision, même si le tribunal n’a pas agi de mauvaise foi ni omis de faire quoi que ce soit.

[28]           La demanderesse fait valoir que l’issue de l’audience aurait probablement été autre n’eût été l’incompétence de son avocat (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 269, au paragraphe 24). La SPR n’aurait pas centré son évaluation sur la crédibilité et aurait aussi analysé les conditions dans le pays. Dans le jugement Memari c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1196 [Memari], l’avocate a été jugée incompétente en raison de l’effet cumulatif de sa représentation incompétente.

[29]           Le juge David Near a affirmé ce qui suit dans la décision El Kaissi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1234, aux paragraphes 21 et 33 :

Il y a inévitablement manquement à l’équité procédurale lorsque l’incompétence de son conseil empêche un demandeur d’asile de produire une preuve importante, apte à convaincre la Commission, celle‑ci tirant de ce fait des conclusions défavorables quant à la crédibilité, lesquelles imprègnent la décision tout entière.

 

[…]

 

L’incompétence du conseil du demandeur principal a entraîné un manquement à l’équité procédurale. Bien que le reste de la décision soit raisonnable, c’est‑à‑dire la conclusion touchant la crainte subjective et la conclusion touchant le fait que le demandeur principal s’était réclamé à nouveau de la protection du Liban, la demande d’asile du demandeur principal a pâti de la conclusion défavorable de la Commission touchant sa crédibilité, une conclusion entraînée dès le départ par la non‑production d’un document et l’absence de preuve d’une crainte objective. À mon avis, il est loin d’être sûr qu’un tribunal différemment constitué de la Commission arriverait nécessairement aux mêmes conclusions générales. C’est pourquoi l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Commission, pour nouvel examen.

 

 

[30]           Dans la décision Galyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 250, la Cour a affirmé ceci aux paragraphes 86 à 89 :

Les anciens conseils mettent en doute les éléments de preuve fournis par le demandeur, mais, à mon avis, il ne peut y avoir lieu de contester les lacunes qui ressortent de l’exposé circonstancié du FRP du demandeur, lesquelles corroborent manifestement son allégation selon laquelle il a été laissé seul pour préparer cet important document, sans être conseillé sur le contenu qui devait y figurer ni sur ce que la SPR s’attend à trouver dans un tel exposé. Un avocat compétent aurait su que l’exposé circonstancié du demandeur n’était pas conforme aux exigences de la SPR et qu’il serait extrêmement préjudiciable pour le demandeur à l’audience. Quiconque possède une certaine expérience devant la SPR sait que celle‑ci tire constamment et implacablement des conclusions défavorables de l’omission d’incidents importants dans le FRP et que, lorsqu’un demandeur est représenté par un avocat, elle ne considère pas que le manque de connaissances sur les éléments à inclure dans le FRP constitue une explication raisonnable. À cet égard, le FRP du demandeur était destiné à entraîner une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

Selon les éléments de preuve dont je dispose, il n’est pas contesté que le demandeur a dû rédiger son FRP par lui‑même et que, après qu’il l’a fait, personne ne lui a dit que son exposé n’était pas conforme aux exigences énoncées à la question 31 quant à ce qui doit figurer dans l’exposé circonstancié du FRP.

 

Je suis également d’avis que la représentation incompétente, du moins en ce qui concerne le FRP, a amené la SPR à juger non crédible la crainte d’être persécuté en Hongrie alléguée par le demandeur, et que le résultat aurait fort bien pu être différent si le demandeur avait eu de l’assistance pour rédiger un FRP satisfaisant aux exigences de la SPR. D’après les motifs de la SPR, celle‑ci a conclu que le demandeur n’était pas crédible après avoir examiné chacun des incidents de persécution évoqués par ce dernier, puis constaté qu’aucun d’entre eux n’était mentionné dans le FRP. Je conviens avec le demandeur que les conclusions fondées sur un FRP inadéquat ont des incidences sur l’ensemble de la décision. De plus, le demandeur a clairement établi dans son affidavit qu’il aurait pu ajouter des éléments de preuve additionnels à l’appui de sa demande si ses anciens conseils lui avaient donné les consignes adéquates.

 

Je suis convaincu qu’il s’agit de l’un de ces cas exceptionnels, comme ceux exposés dans les décisions El Kaissi et Memari, précitées, où le travail incompétent des anciens conseils s’est révélé déterminant dans l’évaluation de la demande par la SPR et où la représentation inadéquate a été suffisamment grave pour entacher la décision de la SPR.

 

 

[31]           La demanderesse fait valoir que la SPR a conclu à un manque de crédibilité parce qu’elle ne savait pas quoi inscrire dans son FRP et que c’était à l’avocat de l’aider à cet égard. La demanderesse prétend aussi qu’elle a subi un préjudice par suite de l’omission de l’avocat de se procurer des documents corroborants. La demanderesse fait valoir que l’effet cumulatif de cette incompétence a donné lieu à une erreur judiciaire (décision Memari, précitée).

Crédibilité

[32]           La demanderesse fait valoir que la SPR a fait erreur en ne tenant pas compte de ses allégations de discrimination générale et en s’arrêtant à des incidents particuliers. Interrogée sur la raison pour laquelle elle n’avait pas inscrit tous les incidents dans son formulaire, elle a répondu qu’elle ne savait pas pourquoi, ce qui est raisonnable dans les circonstances. La demanderesse soutient qu’une personne ne peut connaître la raison pour laquelle elle a omis d’inscrire un renseignement lorsqu’elle ignorait qu’elle aurait dû le mentionner.

[33]           La demanderesse fait valoir qu’à moins qu’un témoignage ne soit contredit ou ébranlé, il devrait être tenu pour avéré (Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101 [Feradov]). Comme la Cour l’a signalé dans la décision Pinzon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1138 [Pinzon], il existe une présomption de véracité, et la SPR est [traduction] « clairement tenue de justifier ses conclusions relatives à la crédibilité en renvoyant à des éléments de preuve clairs et précis ».

[34]           La SPR ne doit pas mettre l’accent sur quelques erreurs et se livrer à une analyse microscopique du témoignage (Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55). Comme la Cour l’a déclaré aux paragraphes 18 et 19 de sa décision dans l’affaire Feradov, précitée :

La préoccupation de la Commission au sujet de la prétendue omission dans le FRP de M. Feradov est aussi injustifiée. Bien que le défaut de mentionner des faits importants ou des faits clés relatifs à la persécution dans un FRP soit un motif raisonnable de préoccupation, l’omission d’un détail accessoire ne l’est pas. La Cour a souvent statué que la Commission ne devrait pas accorder trop d’importance aux omissions mineures dans le FRP d’un demandeur : voir par exemple les décisions Perera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précitée; Singh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 69 F.T.R. 142, [1993] A.C.F. n1034, et Akhigbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 332, 2002 CFPI 249. Il est bien établi que ces documents sont souvent préparés par des représentants ou sur les conseils de représentants qui ont des points de vue différents au sujet de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas. En l’espèce, M. Feradov a déclaré : [traduction] « nous n’avons pas écrit [le FRP] ». Curieusement, la Commission a conclu que cette réponse était préoccupante alors qu’il s’agissait tout au plus d’une réponse ambiguë à la question portant sur le défaut de préciser les dates dans le FRP. L’autre préoccupation de la Commission, portant sur le défaut de M. Feradov de mentionner dans son FRP qu’il avait été incapable de retourner chez lui en automobile après l’agression des policiers, est un exemple de la façon dont elle a analysé un détail qui n’avait guère plus d’importance que le fait que, par ailleurs, M. Feradov n’avait pas mentionné dans son FRP de quelle façon il s’était d’abord rendu au poste de police.

 

Le FRP de M. Feradov n’était évidemment pas censé servir de récitation encyclopédique de la preuve. Au contraire, il est évident qu’il a été écrit comme résumé très général des principaux aspects de sa demande et la Commission n’aurait pas dû s’inquiéter de l’absence de détails sans importance.

 

 

[35]           La demanderesse soutient également que la SPR a fait erreur en exigeant que son témoignage soit corroboré pour établir la crédibilité de sa demande (Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571; Buri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1538, au paragraphe 6; décision Pinzon, précitée, au paragraphe 5).

Persécution

[36]           La demanderesse fait valoir que la SPR a également fait erreur en ne procédant pas à une analyse fouillée pour déterminer si elle risquait la persécution en retournant en Hongrie. La SPR n’a pas évalué la preuve documentaire qui traite de discrimination, de ségrégation et de persécution des Roms en Hongrie. La SPR était tenue de décider si, pris globalement, les actes qu’elle avait subis constituaient de la persécution (Hegedüs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1366; Munderere c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 84, au paragraphe 2). La SPR doit fournir « [une] véritable explication quant à savoir pourquoi l’effet cumulatif n’équivalait pas à de la persécution » (JB c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210).

[37]           La demanderesse déclare avoir présenté d’abondantes preuves documentaires sur les conditions dans le pays et soutient que la SPR a fait erreur en n’en tenant pas compte (Mhando c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 422). Il ne suffit pas pour la SPR de dire simplement qu’elle a tenu compte de la nature cumulative des actes discriminatoires (Mete c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 840).

La protection de l’État

[38]           La demanderesse fait remarquer que la question de la protection de l’État a entièrement été évacuée par la SPR en raison de sa conclusion défavorable relativement à la crédibilité. La Cour fédérale a maintes fois conclu que les Roms de la Hongrie ne bénéficient pas de la protection de l’État (voir, par exemple, Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250; Rezmuves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 334; Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438).

[39]           La SPR doit tenir compte du caractère satisfaisant de la protection offerte par l’État (E.Y.M.V. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364), et le demandeur n’a pas à épuiser tous les recours qui s’offrent à lui (Malik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 453). Le demandeur n’a pas à courir un danger pour se prévaloir de la protection de l’État (Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491). Ce ne sont pas toutes les organisations en Hongrie qui peuvent offrir une protection efficace aux Roms de leur pays (Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326).

[40]           La demanderesse fait valoir que l’aspect de la protection de l’État aurait dû être analysé.

Le défendeur

            L’incompétence de l’avocat

[41]           Dans un premier temps, le défendeur souligne que la demanderesse a déposé une plainte auprès du Barreau du Haut-Canada (le Barreau). Même si une conclusion du Barreau ne serait pas contraignante pour la Cour, elle permettrait de déterminer s’il y avait eu en l’espèce déni de justice naturelle (Moryakina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1455, au paragraphe 11). Le défendeur ne s’opposerait pas à une prorogation de délai pour permettre à la demanderesse de déposer un affidavit supplémentaire qui contiendrait la réponse du Barreau ou la réponse de l’avocat aux allégations portées contre lui.

[42]           Pour établir un déni de justice naturelle, la demanderesse doit démontrer que : 1) les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence et 2) qu’une erreur judiciaire en a résulté (R. c G.D.B., 2000 CSC 22, aux paragraphes 26 et 27 [G.B.D.]). La barre est très haute en ce qui a trait aux circonstances et à la preuve requises pour que la Cour puisse conclure à l’incompétence de l’avocat (Odafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1429, au paragraphe 8). En ce qui concerne la qualité du travail, l’incompétence ou la négligence de l’avocat doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise (décision Shirwa, précitée). Les tribunaux sont réticents à admettre une allégation de faute professionnelle sans preuve à l’appui (Nunez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 555 (1re inst.)).

[43]           L’incompétence de l’avocat constitue un déni de justice naturelle uniquement dans des circonstances exceptionnelles, et la Cour doit être convaincue qu’une erreur judiciaire en a résulté (décision Memari, précitée). Le demandeur doit démontrer qu’il est raisonnablement probable que l’issue aurait été différente, n’eût été l’incompétence de son avocat (Jeffrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605, au paragraphe 9).

[44]           Lorsque le demandeur ne peut prouver avoir subi de préjudice, il n’est généralement pas souhaitable que la Cour s’arrête à l’examen du travail de l’avocat (arrêt G.B.D., précité). L’objectif d’une allégation d’inefficacité n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat, ce dernier aspect devant plutôt être laissé à l’appréciation de l’organisme de réglementation de la profession.

[45]           Le défendeur souligne que bien que la demanderesse eût pu consulter le rapport de l’enquête du Barreau et la réponse de son avocat, elle n’a pas déposé ces documents en preuve. C’est pourquoi il y a lieu de tirer une conclusion défavorable de sa décision de ne pas présenter cette preuve à la Cour.

[46]           En outre, le défendeur affirme que rien dans l’affidavit de la demanderesse n’indique en quoi les actions de l’avocat ont donné lieu à un déni de justice. Elle n’indique pas en quoi consistent les autres renseignements qu’elle aurait pu fournir dans son exposé circonstancié, et elle n’explique pas la façon dont elle s’attendait à être préparée par son avocat ni la manière dont la décision qu’a rendue la SPR relativement à sa crédibilité aurait pu en être influencée.

[47]           La demanderesse n’explique pas non plus la nature des autres éléments de preuve documentaire que son avocat aurait dû présenter à l’audition de sa demande d’asile. Lors de l’audience, diverses preuves documentaires ont été déposées, à savoir : un rapport de l’état de santé psychologique de la demanderesse, un dossier d’hôpital concernant son fils, une lettre de son ancien conjoint l’autorisant à emmener les enfants avec elle hors de la Hongrie pour une période indéterminée, ainsi que des documents décrivant la situation dans le pays. Le défendeur fait valoir que pour établir un manquement à l’équité procédurale causé par l’incompétence de son avocat, la demanderesse devait fournir à la Cour les renseignements manquants (Gomez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 568, aux paragraphes 21 à 25).

Crédibilité

[48]           À l’encontre des allégations de la demanderesse, le défendeur fait valoir que la SPR a tiré une conclusion défavorable du fait que la demanderesse n’a pas présenté des éléments documentaires corroborants qu’elle aurait pu facilement obtenir (Dundar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1026, au paragraphe 19; Samseen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 542, au paragraphe 30).

[49]           La véracité du témoignage d’un demandeur est toujours présumée, mais cette présomption peut toujours être réfutée (Bustamante c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 499). Aussi n’était‑il pas déraisonnable que la SPR tire une conclusion défavorable du fait que la demanderesse n’a pas fourni des documents à l’appui émanant des membres de sa famille qui auraient été présents lorsqu’elle a été agressée par la Garde hongroise en 2006.

Persécution

[50]           La demanderesse allègue que la SPR a fait erreur en ne tenant compte que de deux des allégations de persécution et non de la persécution cumulative. Toutefois, la demanderesse n’a pas donné de détails sur d’autres incidents dans son FRP ni dans son témoignage lorsqu’on lui a précisément demandé les raisons qui l’avaient poussée à quitter la Hongrie. Le défendeur fait valoir que la SPR ne peut être blâmée de ne pas avoir fait cas de vagues allégations, en particulier si la demanderesse a préféré ne pas en parler.

La protection de l’État

[51]           Le défendeur soutient que la SPR n’a pas commis d’erreur en ne se prononçant pas sur la protection de l’État. La décision relative à la crédibilité était déterminante, et la SPR n’avait pas à se prononcer sur la protection de l’État (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94).

ANALYSE

            Incompétence de l’ancien avocat

[52]           La demanderesse affirme que l’incompétence de son ancien avocat a rendu l’audition de sa demande d’asile inéquitable sur le plan procédural, ainsi que la décision qui en a découlé, mais elle n’a pas fourni suffisamment de preuves pour appuyer ces allégations.

[53]           Elle déclare que son ancien avocat ne l’a pas aidée à préparer un exposé circonstancié convenable. Comme son FRP ne contenait pas suffisamment de renseignements, la SPR n’a pas été en mesure d’apprécier la situation dans son ensemble. Rien n’indique ici la nature des renseignements qui, selon la demanderesse, auraient pu influer sur la décision de la SPR s’ils avaient figuré dans le FRP.

[54]           En outre, la demanderesse a eu la possibilité d’expliquer lors de l’audience les risques auxquels elle craignait d’être exposée en Hongrie et les raisons motivant sa demande d’asile. Elle a dit qu’elle craignait son ancien conjoint de fait et sa famille ainsi que la Garde hongroise. La SPR a évalué ces risques.

[55]           Il ne s’agit pas ici d’un cas où la SPR a conclu à la non‑crédibilité de la demanderesse en se fondant uniquement sur les incohérences entre les renseignements fournis dans le FRP et les explications données à l’audience. Certaines des conclusions de la SPR en matière de crédibilité sont uniquement fondées sur le témoignage de la demanderesse à l’audience.

[56]           La demanderesse affirme que son ancien avocat était incompétent parce qu’il n’a pas déposé de documents à l’appui. Ici aussi, toutefois, cette allégation est sans fondement parce que la demanderesse n’a pas pu expliquer la nature des documents que l’avocat aurait pu ou aurait dû présenter.

[57]           Elle prétend aussi que son ancien avocat ne l’a pas convenablement préparée à l’audition de sa demande d’asile, mais rien n’appuie cette allégation, qui n’est qu’une simple affirmation. On peut dire la même chose de l’allégation selon laquelle son ancien avocat a fait montre d’incompétence à l’audience. La demanderesse n’a pas expliqué la nature ni l’ampleur de cette prétendue incompétence ni la façon dont cette incompétence l’aurait lésée dans son droit à une audience équitable, et elle s’attend quand même à ce que la Cour admette tout simplement ses affirmations non corroborées.

[58]           Comme l’indique sa décision, la SPR ne s’est fondée sur le FRP que pour mettre en question la crédibilité de la crainte que dit éprouver la demanderesse à l’endroit de la Garde hongroise et les incidents qui auraient suscité cette crainte. Même à cet égard, les incohérences ne jouent qu’un rôle mineur – voire aucun – dans la décision globale relative à la crédibilité. À l’audience, la demanderesse n’a pas dit que son ancien avocat ne lui avait pas conseillé de ne pas fournir tous les détails dans son FPR. Elle s’est contentée de dire qu’elle n’était pas d’accord avec la SPR et a déclaré qu’elle n’avait pas mentionné l’autre incident dans son FRP.

[59]           Comme le fait remarquer le défendeur, pour établir que l’incompétence d’un avocat a donné lieu à un manquement de l’équité procédurale, il incombe au demandeur de prouver :

1.                  que les actes ou omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence,

2.                  qu’une erreur judiciaire en a résulté.

Voir l’arrêt G.D.B., précité, aux paragraphes 26 et 27, et la décision Yang, précitée, aux paragraphes 15 à 18.

[60]           La barre est très haute en ce qui a trait aux circonstances et à la preuve requise pour que la Cour puisse accorder une réparation en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour cause de la négligence de l’avocat (décision Odafe, précitée, au paragraphe 8).

[61]           En ce qui concerne la qualité du travail, l’incompétence ou la négligence de l’avocat doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise (décision Shirwa, précitée, au paragraphe 12; et décision Memari, précitée, au paragraphe 36).

[62]           La Cour n’est pas disposée à admettre une allégation de faute professionnelle non étayée. Dans la décision Nunez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15156 (CF), le juge a déclaré ce qui suit au paragraphe 19 :

Je ne suis pas disposé à admettre une accusation de faute professionnelle grave contre un avocat, auxiliaire de la justice, sans une explication par celui‑ci des agissements en question ou sans la preuve que l’affaire a été soumise à l’ordre des avocats pour enquête. En l’espèce, il y avait amplement de temps pour faire l’une ou l’autre de ces deux choses, mais ni l’une ni l’autre n’a été faite. Ce défaut ne s’accorde pas avec la gravité de l’allégation. Cette observation n’est nullement une manifestation de la sollicitude de la Cour à l’égard des avocats et aux dépens de leurs clients. La Cour ne fait que reconnaître qu’il est facile de faire des allégations de faute professionnelle et que, une fois jugées fondées, celles‑ci aboutissent généralement au redressement demandé. La preuve administrée à l’appui d’une allégation de ce genre doit être à la mesure de la gravité des conséquences pour tous les intéressés.

 

[63]           Il ne fait donc aucun doute que l’incompétence d’un avocat ne constitue un déni de justice naturelle que dans des circonstances extraordinaires (décision Huhnh, précitée, au paragraphe 23; Gogol c Canada, 1999 CanLII 9262 (CAF), au paragraphe 3; et décision Memari, précitée, au paragraphe 36).

[64]           En l’espèce, nous ne disposons pas de suffisamment d’éléments de preuve pour accueillir les allégations d’incompétence ni de suffisamment de précisions sur la façon dont les agissements de l’ancien avocat ont donné lieu à une iniquité procédurale.

Les autres moyens

[65]           La demanderesse prétend que divers autres motifs justifient un contrôle judiciaire, à savoir :

a)                  la SPR a omis d’examiner toutes les allégations générales relatives à la discrimination et à la persécution;

b)                  la SPR a fait erreur en exigeant des documents corroborants;

c)                  la SPR a omis d’apprécier la situation générale des Roms en Hongrie;

d)                 la SPR n’a pas pris en considération la persécution cumulative;

e)                  la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve documentaire;

f)                   la SPR n’a pas fait d’analyse de la protection de l’État.

 

[66]           Aucune de ces allégations ne résiste à un examen attentif. La jurisprudence associée à l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés a établi clairement que la SPR peut retenir contre le demandeur l’absence d’efforts de sa part pour se procurer des éléments de preuve qu’il aurait pu obtenir et que la présomption de véracité peut toujours être réfutée (Akhtar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1319, au paragraphe 5; décision Samseen, précitée, au paragraphe 30; décision Dunbar, précitée, au paragraphe 19; et Adu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 (CAF), au paragraphe 1). En l’espèce, la SPR n’a pas été déraisonnable en tirant une conclusion défavorable du fait que la demanderesse n’a pas présenté d’éléments de preuve émanant de membres de sa famille qui auraient été présents au moment où elle a été agressée par la Garde hongroise en août 2009.

[67]           La SPR a explicitement demandé à la demanderesse la raison pour laquelle elle avait quitté la Hongrie, mais celle‑ci n’a rien dit au sujet des incidents qu’elle avait mentionnés dans son FRP, à savoir qu’elle avait été harcelée à l’école, qu’on lui avait refusé l’accès à un parc d’attractions, qu’elle avait été tenue à l’écart d’activités organisées sur les lieux mêmes de son domicile et qu’elle avait eu des difficultés à trouver du travail. La SPR était en droit de s’enquérir de la nature précise des craintes de la demanderesse, et elle l’a fait à l’audience, mais la demanderesse ne lui a pas dit qu’elle craignait d’être la cible d’actes de discrimination et de persécution. La demanderesse a dit qu’elle craignait son ancien conjoint de fait et la famille de celui‑ci ainsi que la Garde nationale (Escorcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 993, au paragraphe 15).

[68]           La SPR n’était pas non plus tenue d’apprécier la situation générale des Roms en Hongrie. Comme la Cour l’a signalé à diverses occasions, il ne suffit pas pour un demandeur de s’appuyer sur le mauvais bilan en matière de droits de la personne qu’a son pays (Masanganise c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 993, au paragraphe 15).

[69]           En l’espèce, l’exposé qu’a fait la demanderesse du risque personnel qu’elle court n’était tout simplement pas crédible (même en tant que Rom). La preuve documentaire relative à la situation générale des Roms ne suffit pas.

[70]           Comme la décision était fondée sur la non‑crédibilité – la demanderesse n’a pu démontrer qu’elle était exposée à un risque de persécution aux termes de l’article 96 ou à un risque décrit à l’article 97 si elle retournait en Hongrie –, il n’était pas nécessaire que la SPR procède à une analyse de la protection de l’État.

Points soulevés à l’audience devant la Cour

[71]           Lors de l’audition de la présente demande à Toronto, le 10 avril 2013, la demanderesse a soulevé d’autres points pour faire valoir le caractère déraisonnable de la décision. Des divers points signalés dans ses observations écrites, l’avocate de la demanderesse a insisté sur ceux‑ci :

a)                  l’inopportunité des conclusions relatives à l’invraisemblance;

b)                  le non‑respect de la présomption de véracité;

c)                  le défaut de la SPR de motiver adéquatement ses conclusions relatives à la crédibilité.

 

[72]           Essentiellement, la demanderesse affirme que, en tirant une conclusion défavorable quant à sa crédibilité, la SPR a :

a)                  confondu incrédibilité et invraisemblance;

b)                  fait fi des considérations culturelles;

c)                  relevé des incohérences et des contradictions alors qu’il n’y en avait aucune;

d)                 mal exposé la preuve;

e)                  tiré des conclusions non corroborées par le témoignage de la demanderesse et d’autres éléments de preuve;

f)                   formé son opinion en se fondant sur l’absence de documents corroborants alors qu’aucun n’était requis car le témoignage de la demanderesse ne contenait pas de contradictions.

 

[73]           S’agissant du paragraphe 7 de la décision où il est question de la crainte qu’éprouvait la demanderesse pour son ancien conjoint de fait, la SPR a conclu que les prétentions de la demanderesse n’étaient pas cohérentes entre elles et que les quelques éléments de preuve que la demanderesse avait produits à cet égard contredisaient ses propres allégations.

[74]           Le témoignage de la demanderesse est incohérent en soi parce que son ancien conjoint vit au Canada et ne lui a téléphoné qu’une seule fois. Il ne donne pas l’impression de continuer de la harceler.

[75]           Dans son témoignage (DCT, pages 148 et 149), elle a déclaré que les parents de son ancien conjoint souhaitaient qu’elle se réconcilie avec lui parce qu’elle l’aidait à maîtriser sa dépendance aux drogues lorsqu’ils étaient ensemble :

[traduction]

[Ils] voudront me forcer à me réconcilier avec lui, à former de nouveau un couple quand il reviendra. Il n’a jamais essayé ici de me maltraiter parce qu’il sait que je peux compter sur les policiers canadiens; alors il n’ose pas. Mais en Hongrie, aucune loi ne me protège.  

 

 

[76]           De toute évidence, la SPR a eu raison d’affirmer que l’ancien conjoint n’a jamais repris contact avec la demanderesse ni n’a cherché à se réconcilier avec elle. La demanderesse semble insinuer dans son témoignage que si elle retourne en Hongrie, tout cela changera, et il reviendra la harceler dans un milieu où elle ne bénéficie d’aucune protection. La SPR n’admet pas ce scénario qu’elle trouve illogique étant donné que l’ancien conjoint lui a remis une lettre l’autorisant à quitter la Hongrie avec ses enfants [traduction] « pour une période illimitée ». Selon la demanderesse, il n’y a rien d’illogique, même si on peut être en désaccord avec elle. Je ne crois pas que la conclusion de la SPR était déraisonnable. Le fait que les parents de l’ancien conjoint souhaitent la réconciliation du couple parce que leur fils peut mieux maîtriser sa toxicomanie lorsqu’il est avec la demanderesse ne signifie pas qu’il souhaite aussi une réconciliation et qu’il ira jusqu’à la harceler si la demanderesse résiste. Depuis leur arrivée au Canada, il n’a fait aucune véritable tentative de réconciliation. Elle a dit qu’elle ignorait ce qu’il voulait, même la fois où il lui a téléphoné. Je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion selon laquelle « le peu d’éléments de preuve à ce sujet fournis par la demandeure d’asile contredit ses allégations » selon lesquelles elle craint son ancien conjoint parce qu’il la harcèlera jusqu’à ce qu’ils se réconcilient. Je ne crois pas que la SPR confond vraisemblance et crédibilité. Elle a simplement déclaré que la demanderesse n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer l’allégation selon laquelle son ancien conjoint la harcèlera ou, si elle retourne en Hongrie, qu’il l’y suivra dans l’intention de la harceler.

[77]           Quant au paragraphe 8 de la décision, même si la demanderesse a expliqué les raisons pour lesquelles les parents de son ancien conjoint tenaient à ce que le couple se réconcilie (à savoir son influence quant à la maîtrise de sa toxicomanie), elle n’a pas expliqué « comment » la famille s’y prendrait.

[78]           Au paragraphe 7 de sa décision, la SPR admet que l’ancien conjoint a effectivement essayé de communiquer avec elle au Canada en 2010, mais elle explique pourquoi cela ne signifie pas qu’il la suivra jusqu’en Hongrie pour continuer de la harceler.

[79]           Dans son témoignage, la demanderesse a effectivement raconté qu’il lui avait téléphoné pour demander une réconciliation, mais elle a également dit ceci (DCT, page 135, lignes 14 à 16) :

[traduction]

Commissaire :               Que voulait-il donc exactement s’il avait déjà épousé une autre femme?

Demandeure d’asile :    Je l’ignore. Malgré le fait qu’il vivait avec moi. Il a épousé cette autre femme.

[80]           La demanderesse souligne aussi que le fait que son ancien conjoint lui avait remis une lettre l’autorisant à quitter la Hongrie ne signifie pas qu’elle ne le craint pas. Cela est vrai, mais la SPR a conclu que cette lettre, prise avec les autres facteurs décrits au paragraphe 7 de sa décision, montrait que la demanderesse n’éprouvait pas de crainte subjective. Le fait qu’elle pouvait encore le craindre ne rend pas la conclusion de la SPR à cet égard déraisonnable.

[81]           En ce qui concerne le paragraphe 8 de la décision et la crainte alléguée à l’égard de la Garde hongroise, la demanderesse a effectivement expliqué ce qui lui a laissé une cicatrice au visage (DCT, page 137, ligne 19) : [traduction] « Ils m’ont donné un coup de poing. » Elle a également précisé au sujet de la deuxième agression alléguée que ses agresseurs étaient [traduction] « très très nombreux », mais qu’elle ignorait combien ils étaient exactement. Toutefois, ces précisions n’ont que peu de poids dans la conclusion générale relative à la crédibilité, et la SPR était en droit de tenir compte du fait qu’aucune autre preuve ne corroborait le deuxième incident qui n’avait pas été mentionné dans le FRP. La SPR a conclu, à raison, que « [s]on témoignage au sujet de cet incident était limité pour ce qui est du nombre de personnes qui l’avaient attaquée et de ce que sa famille et elle avaient fait après l’incident ».

[82]           La demanderesse allègue aussi que l’absence de documents corroborants ne devrait pas suffire pour conclure à sa non‑crédibilité, et qu’il s’agit du seul facteur dont la SPR a tenu compte. Elle se plaint de ce que la SPR ne lui a pas demandé plus de précisions, mais il me semble que la SPR s’est fondée sur « ce que sa famille et elle avaient fait après l’incident » et sur le fait qu’elle n’a pas mentionné dans son FRP qu’elle n’avait pas cherché à se faire soigner.

[83]           Après examen des nouveaux points soulevés par la demanderesse, je ne considère pas qu’ils rendent la décision de la SPR déraisonnable. Ayant lu le DCT, il me semble que la demanderesse n’a que très faiblement étayé les craintes qu’elle a fait valoir.

[84]           Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour partage leur avis.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

                    i.                                                La demande est rejetée.

                  ii.                                                Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8361-12

 

INTITULÉ :                                      RENATA NAGY, VIOLA ZITA ZDRAVIAK, PETER RICHARD ZDRAVIAK

 

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                 

                                                          

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 avril 2013

                                                            

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 11 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Daisy McCabe-Lokos                                                                         DEMANDEURS

                                                                                                                     

Monmi Goswami                                                                                DÉFENDEUR                                 

                              

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Rochon Genova LLP                                                                          DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                               

 

William F. Pentney                                                                             DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 

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