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Date : 20130607

Dossier : IMM-10964-12

Référence : 2013 CF 614

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2013

En présence de madame la juge Simpson

 

Entre :

 

FANG WU

 

 

 

la demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

le défendeur

 

 

 

 

 

           Motifs de l'ordonnance et ordonnance

 

[1]               Fang Wu [la demanderesse] a présenté une demande de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi], d'une décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut des réfugiés [la SAI] rendue le 9 octobre 2012, qui rejetait son appel d'une décision selon laquelle elle ne satisfaisait pas aux conditions de résidence établies à l'article 28 de la Loi [la décision].

 

[2]               Pour les motifs suivants, la demande sera accueillie.

 

Le contexte

[3]               La demanderesse, qui est citoyenne de la Chine, a obtenu la résidence permanente au Canada en 2001 à titre de membre de la catégorie des investisseurs. En 2002, elle a acheté une maison et a emménagé au Canada avec son mari et ses enfants. Cependant, elle a vendu sa maison et, de 2003 jusqu'à ce jour, la demanderesse et sa famille ont principalement habité en Chine. Elle y était employée par une compagnie canadienne du nom de Jahoo Education Management [Jahoo]. Elle croyait que le temps qu'elle avait passé en Chine à travailler pour un employeur canadien compterait pour ses obligations en matière de résidence au sens de l'alinéa 28(2)iii) de la Loi.

 

[4]               Le 22 janvier 2009, un agent d'immigration à l'ambassade canadienne en Chine [l'agent] a conclu que la demanderesse n'avait pas satisfait à l'exigence de résidence prévue par la Loi parce qu'elle n'avait été présente physiquement au Canada que pendant 213 des 730 jours requis, pendant la période pertinente de cinq ans. L'agent était d'avis que la demanderesse n'avait pas fourni les documents à l'appui dont il avait besoin pour conclure qu'elle avait été employée à temps plein par une entreprise canadienne au sens de l'alinéa 28(2)iii) de la Loi.

 

[5]               La demanderesse a interjeté appel à la SAI. Elle contestait la validité légale de la décision de l'agent et elle demandait aussi des mesures spéciales discrétionnaires pour des motifs d'ordre humanitaire [demande CH].

 

La décision

[6]               La SAI a maintenu l'avis de l'agent au sujet de l'insuffisance de la preuve portant sur l'emploi de la demanderesse chez Jahoo et elle a conclu qu'il n'existait pas suffisamment de motifs d'ordre humanitaire pour accueillir l'appel.

 

Les questions en litige

[7]               Il y a trois questions en litige :

a.       Le dossier que l'agent a préparé pour la SAI était-il incomplet?

b.      Y a-t-il eu manquement aux règles d'équité procédurale?

c.       La décision contenait-t-elle des erreurs de fait?

 

Analyse

a. Le dossier que l'agent a préparé pour la SAI était-il incomplet?

[8]               La demanderesse soutient que le dossier que l'agent a fourni à la SAI était incomplet [le dossier] parce que :

a.       Il ne comprenait pas une télécopie d'une lettre du PDG de Jahoo [la lettre de Jahoo].

b.      Les notes de l'agent dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration [le STIDI] donnent à penser que l'agent avait reçu d'autres documents sur l'emploi [les autres documents].

 

[9]               Les notes du STIDI de l'agent confirment qu'il a examiné la lettre de Jahoo. Cependant, elle n'a pas été inclue dans le dossier. À mon avis, il s'agit là d'un oubli et, de toute façon, cela ne porte pas à conséquence parce que la SAI était saisie de la lettre de Jahoo. La nature de novo de l'appel devant la SAI permettait à la demanderesse de présenter la lettre de Jahoo, ainsi que tout autre document à l'appui qui, à son avis, était important.

 

[10]           Deux arguments donnent à penser que l'agent avait les autres documents.

 

[11]           La première observation est fondée sur une inscription dans les notes du STIDI du 14 janvier 2009 [la première inscription] : [traduction] « documents reçus : ». À mon avis, cette inscription fait logiquement référence aux lettres de demandes précédentes du 7 et du 9 janvier 2009, qui montrent qu'on a demandé à la demanderesse de fournir plus de renseignements sur son emploi ainsi qu'un suivi original de ses entrées en Chine et de ses sorties de 2004 à 2009.

 

[12]           Cependant, comme la première inscription ne décrit pas le contenu ou la nature des documents, je conclus que cette première inscription à elle seule ne prouve pas que l'agent avait en sa possession de nombreux documents au sujet de l'emploi qui ne se trouvaient pas au dossier. Cette conclusion s'appuie sur la deuxième inscription du 19 janvier 2009 [la deuxième inscription] qui, après avoir mentionné la lettre de Jahoo, précisait :

[traduction]

Aucun autre document fourni au sujet de l'emploi dans une entreprise canadienne. Comme la demanderesse n'a pas présenté les documents à l'appui demandés, je ne suis pas convaincu que la demanderesse était employée à temps plein par une entreprise canadienne.

 

[13]           Compte tenu des circonstances, je suis convaincue que la première inscription ne porte pas sur des documents d'emploi.

 

[14]           Le deuxième argument est fondé sur un document intitulé [traduction] « Liste de contrôle des documents de voyage ». Il n'est pas clair qui a préparé et qui a rempli ce formulaire. Le document est écrit en anglais et en chinois. Le point numéro 12 est coché et il y est inscrit :

[traduction]

Si le demandeur ou son époux a été employé par une entreprise canadienne à l'extérieur du Canada, veuillez fournir :

         Des documents détaillés au sujet de l'entreprise canadienne.**

         Des documents détaillés prouvant l'emploi à temps plein (contrat, preuve de rémunération, preuve d'activité commerciale continue, etc.)**

**Veuillez consulter le guide d'instructions pour les demandes de titres de voyage pour savoir quels documents précis d'entreprise devraient être inclus dans votre demande.

 

 

[15]           La liste de contrôle est signée par la demanderesse, le 6 janvier 2007. Cependant, la demanderesse n'a présenté aucune preuve au sujet des documents qu'elle aurait fournis et les notes du STIDI du 7 janvier 2009 précisent : [traduction] « La demanderesse a fourni des documents prouvant son emploi au sein d'une entreprise canadienne à l'étranger - non ».

 

[16]           En me fondant sur cette inscription, ainsi que sur la deuxième inscription décrite ci-dessus, je conclus que le seul document que l'agent a reçu au sujet de l'emploi de la demanderesse en Chine était la lettre de Jahoo.

 

b. Y a-t-il eu manquement aux règles d'équité procédurale?

[17]           La demanderesse est aussi d'avis que la SAI a manqué aux règles d'équité procédurale en examinant « en secret » son propre dossier pour relever des renseignements au sujet de l'histoire compliquée et longue de l'appel de la demanderesse, en vue de la discréditer. Dans sa décision, la SAI a longuement traité du comportement évasif de la demanderesse et a conclu qu'elle avait retardé son appel. L'avocat de la demanderesse a soutenu que la question de savoir si le comportement de cette dernière avait causé des retards n'avait pas été soulevée par ni l'une ni l'autre des parties, ni par la SAI, pendant l'appel. Compte tenu des circonstances, la demanderesse soutient qu'après l'audience, lorsque la SAI a décidé de traiter de la question, elle aurait dû donner aux parties l'occasion de présenter des observations.

 

[18]           L'avocat du défendeur a soutenu que la SAI pouvait examiner le comportement de la demanderesse sans en aviser cette dernière, parce qu'elle avait soulevé la question de l'équité comme question en litige dans son appel et que son propre comportement était pertinent quant à ses allégations de traitement injuste. Cependant, comme ces allégations d'iniquité n'étaient pas liées à la SAI, je suis convaincue que la demanderesse n'avait aucune raison de croire que la SAI examinerait son comportement dans le cadre de l'appel et qu'elle soulèverait le retard comme question en litige.

 

[19]           Je souscris à l'argument de la demanderesse selon lequel la SAI ne pouvait pas la discréditer en fonction d'une conclusion selon laquelle elle avait retardé l'appel. Bien qu'il était correct pour la SAI d'examiner son propre dossier et de tirer une conclusion négative au sujet du comportement de la demanderesse, l'équité procédurale dicte que les parties devaient en être avisées et avoir l'occasion de présenter des observations. Cette erreur signifie que l'appel doit faire l'objet d'un nouvel examen.

 

c. La décision contenait-t-elle des erreurs de fait?

[20]           Enfin, la demanderesse soutient qu'il y avait des erreurs de fait dans la décision. Cependant, comme il y aura un nouvel examen, je n'ai pas à trancher cette question.

 

Les dépens

[21]           La demanderesse demande les dépens, mais à mon avis, il n'existe aucune raison spéciale de justifier les dépens, au sens de l'article 22 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22.

 

Une directive

[22]           La demanderesse demande aussi à la Cour de donner une directive à la SAI pour lui permettre de se présenter en personne au nouvel examen de son appel. Compte tenu de l'historique procédural compliqué en l'espèce, la SAI devra prendre les mesures nécessaires pour permettre à la demanderesse d'entrer au Canada afin de se préparer et de se présenter pour son appel.

 

Question certifiée

[23]           L'avocat de la demanderesse a proposé la question suivante pour la certification :

 

[traduction]

En rendant une décision après la conclusion de l'audience, est-il correct pour un membre de la SAI de fouiller les dossiers internes de la SAI afin d'y relever des éléments de preuves qui n'ont pas été présentées à l'audience? [La question proposée]

 

 

[24]           J'ai examiné les observations de la demanderesse et les observations en réponse du défendeur, datées du 22 mai 2013.

 

[25]           À mon avis, la réponse à la question proposée variera en fonction des faits et des questions dont la SAI sera saisie. Pour cette raison, elle ne sera pas certifiée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que

La décision est annulée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la SAI.

 

La SAI doit prendre les mesures nécessaires afin de permettre à la demanderesse d'entrer au Canada pour se préparer et se présenter pour son appel devant la SAI.

 

La question proposée n'est pas certifiée.

 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10964-12

 

INTITULÉ :                                      FANG WU c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 21 mai 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 7 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lawrence Wong

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Marjan Double

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lawrence Wong & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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