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Date : 20130606

Dossier : T‑2121‑11

Référence : 2013 CF 611

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

ISAAC JALAL

 

demandeur

 

et

 

MINISTRE DE RESSOURCES HUMAINES
ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Jalal n’accepte pas son élimination du processus de sélection d’un concours qui visait à pourvoir jusqu’à neuf postes au sein de la fonction publique fédérale. Il estime être plus qualifié que les sept personnes nommées à partir du bassin de dotation dont il a été exclu. Le jury de sélection l’aurait éliminé du concours soi‑disant parce qu’il n’a pas su répondre convenablement à trois questions à l’entrevue. Il croit cependant que sa candidature a été rejetée parce qu’il appartient à une minorité visible et que les postulants dont la candidature a été retenue étaient « blancs ». Il fait par ailleurs observer que la première candidate retenue aurait été favorisée parce qu’elle était francophone.

 

[2]               M. Jalal a adressé une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique en invoquant un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite et dans le choix du processus. Après un certain nombre de décisions et de conférences préalables à l’audience, la plainte a été instruite et rejetée par John A. Mooney, vice‑président du Tribunal. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de cette décision.

 

DÉCISION

 

[3]               La demande de contrôle judiciaire de M. Jalal sera rejetée avec dépens. Contrairement à ce qu’il fait valoir, il a bénéficié d’une audience équitable. Aucune crainte raisonnable de partialité de la part des enquêteurs ou du Tribunal n’est justifiée. La décision de M. Mooney est tout à fait raisonnable. Comme il l’a clairement expliqué, sa tâche ne consistait pas à réévaluer les examens, mais simplement à déterminer si la candidature de M. Jalal avait été rejetée à cause d’un abus de pouvoir ou d’une discrimination préjudiciable liée à sa race ou à son origine ethnique. Sa conclusion à l’effet inverse reposait sur des motifs convenables et ne devrait pas être écartée.

 

FAITS

 

[4]               La Direction générale de l’apprentissage du ministère des Ressources humaines et Développement social a annoncé le poste de « conseiller » classifié au niveau PM‑05, AS‑05, au moyen d’une annonce de dotation de la fonction publique s’adressant exclusivement aux fonctionnaires de la région de la Capitale nationale. Il était prévu qu’un maximum de neuf postes soient pourvus rapidement ou dans le futur.

 

[5]               L’énoncé des critères de mérite et conditions d’emploi relatif à cette annonce faisait état de quinze qualifications essentielles, incluant [traduction] « capacité de diriger des équipes, capacité d’analyser des problèmes et de formuler des recommandations, des avis et des directives », et [traduction] « capacité de travailler efficacement sous la pression qu’occasionnent les délais et un volume de travail élevé ».

 

[6]               Le jury de sélection était composé de neuf membres, qui ont décidé d’évaluer les qualifications sur la base du curriculum vitæ des candidats, d’un examen écrit, d’une vérification des références et d’une entrevue.

 

[7]               M. Jalal a réussi l’examen écrit; son CV et la vérification de ses références ne semblent pas avoir posé problème. Cependant, le jury de sélection a conclu qu’il avait échoué l’entrevue orale (examen) au regard des trois qualifications essentielles susmentionnées.

 

[8]               Le 15 juin 2009, les Ressources humaines ont annoncé ce qui suit par courriel à M. Jalal : [traduction] « Nous avons le regret de vous informer que votre candidature ne peut plus être considérée dans le cadre de ce processus de sélection étant donné que vous n’avez pas obtenu la note de passage à l’égard d’au moins une qualification essentielle. » M. Jalal, qui a eu un entretien postérieur à la sélection qui ne lui a pas donné satisfaction, a déposé, le 10 juillet 2009, une plainte devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Il ignorait alors qu’une nomination avait déjà eu lieu. L’objet initial de sa plainte était son exclusion du bassin de dotation.

 

LA PROCÉDURE DE RÈGLEMENT DES GRIEFS

 

[9]               La plainte a été déposée en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Le paragraphe (1) de cette disposition est libellé comme suit :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui‑ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

 

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

 

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

 

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

 

77. (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations — make a complaint to the Tribunal that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

 

 

 

 

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

 

 

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non‑advertised internal appointment process; or

 

(c) the failure of the Commission to assess the complainant in the official language of his or her choice as required by subsection 37(1).

 

[10]           L’article 77 prévoit une condition préalable : la plainte ne peut être présentée que lorsque la Commission de la fonction publique a fait une proposition de nomination ou une nomination. Ce n’est qu’alors qu’une personne dans la situation de M. Jalal peut adresser une plainte au Tribunal au motif qu’elle n’a pas été nommée ni fait l’objet d’une proposition de nomination. M. Jalal avait qualité pour agir en vertu du paragraphe 77(2) et de l’article 34 en ce que sa candidature n’a pas été retenue dans le cadre d’un processus de nomination interne annoncé. Je ne suis pas saisi de la question de savoir s’il disposait d’un autre recours avant d’être exclu du bassin de dotation.

 

[11]           La plainte de M. Jalal a suscité une certaine confusion, car elle n’était pas conforme au Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique. En effet, les articles 10 et 11 de ce règlement prévoient que la plainte doit être reçue par le Tribunal dans les quinze jours suivant la date à laquelle le plaignant reçoit avis de la nomination ou de la proposition de nomination et qu’une copie de ladite nomination ou proposition de nomination doit être jointe à la plainte. Ces formalités s’expliquent par le fait que la personne nommée devient partie au processus et qu’elle a le droit de se défendre.

 

[12]           Par la suite, il y a eu un échange de quelques courriels entre le greffe du Tribunal et les Ressources humaines, car celles‑ci n’ont pas été en mesure d’identifier la personne visée par la plainte. M. Jalal a donc fourni le nom d’une personne, mais cette dernière n’a été nommée pour pourvoir un poste que plus de quinze jours après le dépôt de sa plainte. Heureusement pour M. Jalal, une certaine Sandra Langlois avait été nommée durant ce délai de quinze jours, et la plainte a donc été traitée comme si elle était dirigée contre elle.

 

[13]           M. Jalal a fait valoir que sa plainte visait en fait les sept personnes engagées, dont certaines n’ont été nommées que l’année suivant le dépôt de sa plainte. Il soutient que le Tribunal s’est montré incohérent en autorisant la production des résultats d’examen des sept candidats reçus, mais en concluant sur le fond que la plainte n’était censée viser que Mme Langlois. La logique de M. Jalal est défaillante. À un stade préliminaire, comme celui de la production de documents, on peut très bien autoriser la communication de pièces susceptibles de permettre de mener une série de vérifications. Il ne s’ensuit pas que tous ces documents seront considérés comme pertinents lorsque la décision définitive sera rendue.

 

[14]           La décision de M. Mooney de limiter la plainte à la candidature retenue de Mme Langlois était à la fois raisonnable et correcte.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[15]           Dans les motifs de sa décision, le Tribunal a formulé ainsi les questions dont il était saisi :

36 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

 

(i)                 L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir dans son évaluation des qualifications du plaignant?

 

(ii)               L’intimé a‑t‑il fait preuve de discrimination à l’endroit du plaignant en raison de sa race ou de son origine ethnique?

 

(iii)             L’intimé a‑t‑il enfreint les politiques ministérielles et fourni des renseignements trompeurs dans le guide d’évaluation?

 

(iv)             Mme Ducharme maîtrisait‑elle suffisamment l’anglais pour évaluer les qualifications du plaignant?

 

(v)               L’intimé a‑t‑il fait preuve de favoritisme personnel envers Mme Langlois parce qu’elle est francophone?

 

[16]           Dans son dossier de demande, M. Jalal a formulé de cette manière les questions soulevées par le présent contrôle judiciaire :

[traduction]

Le TDFP :

         a statué sur des questions dénuées de pertinence en tenant compte principalement de facteurs non pertinents;

         a fondé sa décision sur une conclusion factuelle erronée sans tenir compte des documents et de la preuve dont il disposait;

         a enfreint son propre règlement et exercé son pouvoir discrétionnaire de manière arbitraire;

         a dirigé le processus d’audience de manière contestable;

         a refusé d’examiner la preuve cruciale fournie par le demandeur;

         a rendu sa décision sur la foi des renseignements trompeurs et incorrects du défendeur, auxquels il a donné préséance;

         le demandeur n’a pas eu la possibilité de présenter ses arguments (sa représentante et lui‑même ont été interrompus à plusieurs reprises par l’avocat du défendeur au cours de l’audience). Par ailleurs, le demandeur a été privé de la possibilité d’interroger les témoins du défendeur ayant pris part à l’évaluation des personnes nommées.

 

[17]           En d’autres termes, M. Jalal fait valoir que le Tribunal a erré en droit, que ses conclusions factuelles sont entachées d’erreurs manifestes et dominantes et qu’il a agi de manière inéquitable du point de vue procédural.

 

INIQUITÉ PROCÉDURALE

 

[18]           M. Jalal avait le droit de bénéficier de l’équité procédurale et d’une juste opportunité de présenter ses arguments. Sur ces questions, le Tribunal n’a droit à aucune déférence (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539, [2013] ACS no 28 (QL)).

 

[19]           Les plaintes de M. Jalal à ce chapitre sont très nombreuses.

 

[20]           Il soutient que Ressources humaines et le Tribunal ont échangé des courriels à son insu. Cet échange découlait du fait que le greffe devait transmettre la plainte à l’employeur. Ce dernier s’est naturellement enquis de l’identité de la personne contre laquelle la plainte était dirigée, ce qui a amené le greffe à communiquer avec M. Jalal. Il s’agissait d’une démarche purement administrative, et en aucune manière inéquitable.

 

[21]           Le jury de sélection était composé de neuf membres. L’employeur a indiqué lors d’une conférence préalable à l’audience qu’il n’avait l’intention d’appeler comme témoins que les deux personnes qui avaient administré l’examen oral à M. Jalal. Ce dernier, de même que la représentante de son syndicat, aurait pu assigner les sept autres à comparaître, mais ils ne l’ont pas fait.

 

[22]           M. Jalal se plaint que les témoins n’ont pas été exclus de l’audience, ce qui a ouvert la porte à la collusion et au parjure. Il ne revenait pas au Tribunal d’exclure des témoins. M. Jalal et sa représentante auraient pu présenter une requête en ce sens. Son allégation de parjure est tout à fait dénuée de fondement.

 

[23]           Il prétend que la représentante de son syndicat a été constamment interrompue. Pourtant, cette dernière ne s’en est pas plainte.

 

[24]           Des éléments de preuve importants ont été exclus. L’audience devait durer deux jours. La preuve a pu être présentée au complet, mais les parties ont manqué de temps pour leurs observations orales. Il a donc été convenu que les observations seraient présentées par écrit. M. Jalal a cherché à tirer profit de cette décision, car il a étoffé son témoignage. M. Mooney a eu raison d’écarter cette preuve. Par exemple, M. Jalal affirmait que les notes prises par les examinateurs durant son examen oral étaient incomplètes. Il lui était loisible de faire cette remarque lors de son témoignage de manière à donner aux deux examinateurs en question, qui ont comparu, la possibilité d’y répondre. Les documents et le « témoignage » reçus après l’audience auraient pu être produits plus tôt. M. Mooney a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire en décidant de les exclure.

 

[25]           M. Jalal a également des reproches à faire à sa représentante. Au début de l’audience, cette dernière a retiré la plainte selon laquelle les personnes nommées avaient violé les droits de M. Jalal garantis par la Charte. Il affirme que rien ne l’y autorisait. Cependant, les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne ayant trait à la discrimination ont été évoquées durant l’audience. La Charte n’aurait rien apporté de plus.

 

[26]           M. Jalal estime que certaines des questions examinées par M. Mooney étaient dépourvues de pertinence et qu’il n’en était pas saisi. Il m’est impossible de parvenir à une telle conclusion. Les observations écrites finales déposées devant le Tribunal, rédigées par lui‑même plutôt que par la représentante de son syndicat, contiennent quelque 169 paragraphes, et sa réponse ultérieure compte trente pages. Sa demande de contrôle judiciaire était accompagnée d’un affidavit de 100 paragraphes, son mémoire des faits et du droit en contenait 129. La manière dont M. Mooney a formulé les questions en litige n’était pas déraisonnable. Dans le présent contrôle judiciaire, M. Jalal n’est pas revenu sur les allégations selon lesquelles une examinatrice ne parlait pas suffisamment anglais pour comprendre ses réponses à l’examen oral, et que Mme Langlois avait été favorisée à titre de francophone. Ces allégations ont toutefois été soumises à l’attention du Tribunal.

 

[27]           Je conclus que M. Jalal a bénéficié d’une audience équitable.

 

CRAINTE RAISONNABLE DE PARTIALITÉ

 

[28]           S’agissant maintenant de cet autre aspect de la justice naturelle, à savoir la prétendue crainte de partialité, M. Jalal a soumis une analyse des résultats de l’examen que les sept personnes nommées et lui‑même ont passé; ces résultats se rapportaient à la fois à l’examen écrit, qui n’a aucune pertinence puisqu’il l’a réussi, et à l’entrevue. Il a conclu :

[traduction] Après examen et comparaison de mes exemples, à savoir les questions A1, A3 et A4, avec les réponses données par toutes les personnes nommées, en particulier les candidats 2, 3, 4 et 5, il m’apparaît très clairement que mes réponses étaient plus solides et justes que la plupart des leurs. Je pense que si un tiers raisonnablement informé comparait mes exemples avec ceux des sept personnes nommées, il relèvera certainement une partialité de la part du jury de sélection.

 

[29]           M. Jalal demandait en fait au Tribunal de reprendre son évaluation. Or, ce n’était pas là sa fonction, pas plus que ce n’est celle de la Cour. Le Tribunal devait établir si les notes attribuées à M. Jalal et aux autres justifiaient son allégation de partialité ou d’abus. Peut‑être qu’un autre jury de sélection lui aurait accordé une note plus élevée, ou peut‑être pas. La question n’est pas là. Il s’agit plutôt de savoir si la conclusion du Tribunal selon laquelle rien ne justifiait une crainte de partialité était raisonnable. Comme le déclarait le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique [...]. »

 

[30]           À mon avis, rien dans le dossier n’étaye la supposition de M. Jalal voulant que le jury de sélection se soit montré partial et qu’il ait choisi une autre candidate par favoritisme, ou que M. Mooney, le vice‑président du Tribunal, ait agi de la même manière.

 

LES CONCLUSIONS DU TRIBUNAL – ERREURS DE FAIT ET DE DROIT

 

[31]           M. Jalal fait valoir que les erreurs de droit alléguées, et je n’en ai découvert aucune, devraient être contrôlées selon la norme de la décision correcte. Il soutient que M. Mooney n’examinait pas des questions relatives à sa loi constitutive parce que d’autres appliquent également cette loi, et qu’en examinant la Loi canadienne sur les droits de la personne, il n’appliquait pas une loi étroitement liée. Cela ne peut pas être vrai puisque le Tribunal est expressément tenu d’envisager la discrimination préjudiciable au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Quoi qu’il en soit, la norme de contrôle n’est pas en cause. Il n’y a pas ici de pure question de droit. Au mieux, nous avons affaire à des questions de fait et de droit et à des conclusions de fait. Depuis l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, [2008] ACS no 9 (QL), ces deux types de question sont assujetties à la norme de la raisonnabilité.

 

[32]           M. Jalal devait donner avis à la Commission canadienne des droits de la personne des questions de fait et de droit pour permettre à celle‑ci de participer à l’audience si elle le désirait. C’est ce qu’il a fait, mais la Commission n’a pas souhaité participer.

 

[33]           Comme le déclarait la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir (précité, au paragraphe 47) :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[34]           Comme nous le rappelait le juge Iacobucci dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, 209 NR 20, au paragraphe 80 :

En guise de conclusion de mon analyse de cette question, je tiens à faire observer que le décideur chargé du contrôle de la décision, et même un décideur appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, sera souvent tenté de trouver un moyen d’intervenir dans les cas où il aurait lui‑même tiré la conclusion contraire. Les cours d’appel doivent résister à cette tentation. Mon affirmation selon laquelle je ne serais peut‑être pas arrivé à la même conclusion que le Tribunal ne devrait pas être considérée comme une invitation aux cours d’appel à intervenir dans les cas comme celui qui nous intéresse, mais plutôt comme une mise en garde contre pareille intervention et comme un appel à la retenue. La retenue judiciaire s’impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.

 

[35]           Je reconnais, sans qu’il y ait à ajouter d’autres commentaires, que le Tribunal a correctement établi que l’employeur n’avait pas enfreint son propre règlement.

 

[36]           M. Jalal a invoqué toutes les imperfections possibles de la procédure. Comme le souligne le juge Joyal dans Miranda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 63 FTR 81, [1993] ACF no 437 :

S’il est vrai que des plaideurs habiles peuvent découvrir quantité d’erreurs lorsqu’ils examinent des décisions de tribunaux administratifs, nous devons toujours nous rappeler ce qu’a dit la Cour suprême du Canada lorsqu’elle a été saisie d’un pourvoi en matière criminelle où les motifs invoqués étaient quelque douze erreurs commises par le juge dans ses directives au jury. En rendant son jugement, la Cour a déclaré qu’elle avait trouvé dix‑huit erreurs dans les directives du juge mais que, en l’absence de tout déni de justice, elle ne pouvait accueillir le pourvoi.

 

[...] Certes, il est toujours possible qu’on ne s’entende pas sur la preuve; Un tribunal différemment constitué pourrait également rendre une décision contraire. Quelqu’un d’autre pourrait tirer une conclusion différente. C’est notamment le cas lorsque la personne qui rend la décision souscrit à un système de valeurs différent. Toutefois, malgré l’exposé approfondi de l’avocat du requérant, je n’arrive pas à saisir le genre d’erreur qu’aurait pu faire la Commission dans sa décision et qui justifierait mon intervention. À mon avis, la décision de la Commission est tout à fait compatible avec la preuve.

 

DÉPENS

 

[37]           Il n’y a aucune raison que les dépens ne suivent pas l’issue de la cause. L’employeur a engagé d’importantes ressources pour se défendre en l’espèce. Le ministre suggère un montant global de 3 500 $ pour couvrir les dépens. La Cour peut, à sa discrétion, accorder les dépens sous la forme d’une somme forfaitaire. En fait, cette approche est privilégiée puisqu’elle évite aux deux parties d’avoir à effectuer des calculs détaillés et à se présenter devant un officier taxateur. Cependant, un calcul approximatif ne devrait pas dépasser le tarif B. Compte tenu de la colonne III du tarif B, j’estime les dépens taxables à 17 unités, à raison de 140 $ par unité, soit 2 380 $. Il y a aussi des débours nécessaires. Je fixe les dépens et les débours taxables à 2 750 $, taxes comprises, tout en étant conscient que s’il y avait taxation, le montant serait supérieur.


ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS,

LA COUR ORDONNE que

1.                  la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens, pour une somme globale de 2 750 $.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2121‑11

 

INTITULÉ :                                                  JALAL c
MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES
ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 29 mai 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Isaac Jalal

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Anne‑Marie Duquette

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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