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Date : 20130528

Dossier : IMM‑2281‑12

Référence : 2013 CF 560

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

REUPANG CAO

 

 

 

demandeur

 

ET

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant la décision du 26 janvier 2012 par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision de l’agent ainsi que le renvoi de sa demande à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour qu’elle soit réexaminée par un autre agent.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine. En 2001, ses parents l’ont envoyé au Pérou pour y faire des études. Victime là‑bas de harcèlement et d’agression en raison de sa nationalité chinoise, le demandeur a quitté le Pérou à destination du Canada, où il est arrivé le 24 septembre 2004. Il y a demandé l’asile le 22 octobre 2004.

 

[4]               Un consultant en immigration a convaincu le demandeur de fonder sa demande d’asile sur son appartenance au Falun Gong. En décembre 2004, le demandeur est devenu chrétien d’obédience protestante. Croyant approprié de dire la vérité, le demandeur a présenté un nouveau Formulaire de renseignements personnels (FRP) accompagné d’un exposé circonstancié où il mentionnait que le véritable motif de sa demande d’asile était sa conversion au christianisme.

 

[5]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) n’a pas cru sincère la conversion du demandeur et, le 24 mars 2006, elle a rejeté sa demande d’asile.

 

[6]               Le demandeur a soumis une demande d’ERAR, le 16 mars 2011, dans laquelle il faisait valoir les difficultés auxquelles l’exposerait la pratique de sa religion en Chine. Cette demande a été examinée en même temps, et par le même agent, que la demande fondée sur des considérations humanitaires présentée par le demandeur.

 

Décision de l’agent

 

[7]               Dans une lettre datée du 26 janvier 2012, l’agent a informé le demandeur du rejet de sa demande d’ERAR. Les notes de l’agent constituent les motifs de la décision.

 

[8]               L’agent a commencé par résumer l’historique d’immigration du demandeur, et a notamment fait état de la conclusion de la SPR selon laquelle ce dernier n’était pas crédible et n’était pas véritablement chrétien. L’agent a pris acte du risque allégué par le demandeur quant au harcèlement dont il risquait d’être victime en raison de sa religion et parce qu’il vivrait dans un État athée et répressif.

 

[9]               L’agent a souligné que le demandeur n’avait accompagné sa demande d’ERAR d’aucune preuve pouvant réfuter les conclusions tirées par la SPR.

 

[10]           Tout en admettant que la situation des chrétiens protestants n’était pas parfaite en Chine, l’agent a fait remarquer que le gouvernement chinois reconnaissait officiellement le protestantisme en tant que religion. Bien que les églises doivent s’inscrire auprès du gouvernement, les autorités des provinces de la côte est, la région d’où provient le demandeur, se montrent de plus en plus tolérantes. Le gouvernement accepterait ainsi que les membres d’une famille et des amis, sans avoir à s’inscrire, se réunissent à la maison pour y pratiquer leur religion.

 

[11]           L’agent a conclu que si le demandeur était bien protestant, il pourrait, selon la prépondérance des probabilités, pratiquer sa religion à son retour en Chine en respectant le cadre fixé par les autorités et ne serait pas exposé à un risque de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[12]           L’agent a passé en revue les documents sur les conditions dans le pays produits par le demandeur, qui traitaient de la situation générale des droits de la personne en Chine, et il a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre cette situation et les risques particuliers auxquels le demandeur pourrait être confronté. Pour se voir reconnaître la qualité de personne à protéger, un demandeur doit être personnellement exposé à un risque.

 

[13]           L’agent a par conséquent conclu qu’il n’existait guère plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté et qu’il n’y avait aucun motif sérieux de croire qu’il serait exposé à la torture, à des traitements ou peines cruels et inusités ou à une menace à sa vie.

 

Questions en litige

 

[14]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

            1.    L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son examen de la demande « sur place » présentée par le demandeur?

            2.    L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que le père du demandeur était un opposant politique au gouvernement chinois?

 

[15]           Je reformulerais comme suit ces questions :

            1.    Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.    L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande?

 

Observations écrites du demandeur

 

[16]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en ne se rendant pas compte qu’il s’agissait d’une demande « sur place » et qu’il se pouvait que, depuis l’audience de la SPR de 2006, la situation se soit détériorée en Chine. S’il avait pris ces éléments en compte, l’agent aurait pu faire droit à sa demande sur le fondement de l’article 96. Bien que la SPR ait tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, l’agent disposait de nombreux éléments de preuve qui lui permettaient d’accueillir la demande, et pourtant, il n’en a aucunement tenu compte. On peut considérer qu’une personne est un réfugié « sur place » en raison, non seulement d’un changement de situation dans le pays, mais aussi de ses propres actions. La Cour européenne des droits de l’homme a récemment statué que les risques courus par la population de manière générale pouvaient équivaloir à un risque réel de mauvais traitements pour une personne expulsée. Par conséquent, le défaut de l’agent d’examiner si les activités au Canada du demandeur allaient avoir des conséquences en Chine constitue une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[17]           Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que son père est un opposant politique au gouvernement chinois. Il ressort clairement de sa demande d’ERAR que son père s’opposait aux violations commises par ce gouvernement à l’égard des droits des citoyens chinois. La conclusion de l’agent quant au caractère général du risque couru est contredite par le fait que la SPR a reconnu au père du demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention. L’agent aurait pu consulter l’information sur la famille du demandeur en procédant à une simple recherche informatique. L’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en ne prenant pas en considération cet important élément de preuve.

 

Observations écrites du défendeur

 

[18]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité et qu’une demande d’ERAR ne doit pas donner lieu à une nouvelle instruction de la demande d’asile. La SPR avait déjà examiné les allégations soumises à l’agent. Le demandeur n’a pas montré en quoi les observations présentées au soutien de sa demande d’ERAR pouvaient réfuter les conclusions de crédibilité tirées par la SPR. Il soulève deux points dans sa demande d’ERAR, celui de ses prétendues croyances religieuses et celui des droits de la personne en Chine. L’agent a examiné les deux. Les prétentions du demandeur quant à la nature « sur place » de sa demande avaient été présentées à la SPR. La preuve sur les conditions dans le pays du demandeur n’établit aucun lien entre celles‑ci et la demande individuelle du demandeur. Il est difficile de voir également de quelle manière la décision de la Cour européenne invoquée par le demandeur peut étayer ses prétentions, puisque c’était d’un retour en Somalie qu’il y était question. L’agent a valablement examiné les prétentions du demandeur.

 

[19]           Le demandeur n’a pas mentionné dans ses observations présentées à l’agent que son père était un opposant politique au gouvernement chinois, ni qu’on avait reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention à un membre de sa famille. Cette qualité de réfugié n’aurait de toute façon pas eu d’incidence sur la demande d’ERAR du demandeur. L’agent a examiné la preuve sur les conditions dans le pays, et il a conclu de manière raisonnable que le demandeur n’avait pas établi de lien entre la documentation et sa situation personnelle.

 

Analyse et décision

 

[20]           Question no 1

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence établit la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[21]           Il est bien établi en droit que la norme de contrôle des décisions d’ERAR est celle de la raisonnabilité (voir Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 799, [2010] ACF no 980, au paragraphe 11; Aleziri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 38, [2009] ACF no 52, au paragraphe 11). De la même façon, les questions de la protection de l’État ainsi que de la pondération, de l’interprétation et de l’appréciation des éléments de preuve font l’objet d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Giovani Ipina Ipina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 733, [2011] ACF no 924, au paragraphe 5; Oluwafemi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[22]           Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision d’un agent selon la norme de la raisonnabilité, la Cour s’abstiendra d’intervenir, à moins que l’agent ne soit arrivé à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiée et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve présentée (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339). Comme l’a statué la Cour suprême dans Khosa, précité, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue, pas plus qu’il n’entre dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (au paragraphe 59).

 

[23]           Question no 2

      L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande?

            La décision de l’agent reposait sur la prétention du demandeur selon laquelle il s’était converti au christianisme après son arrivée au Canada. L’agent a conclu que cette prétention était sans fondement puisque la SPR l’avait rejetée.

 

[24]           Bien que l’agent n’ait pas recouru aux mots « sur place », il ressortait clairement de l’analyse faite dans sa décision qu’un changement véritable de situation survenu après l’arrivée au Canada pouvait fonder l’acceptation d’une demande. La question n’était manifestement pas de savoir si une conversion religieuse pouvait constituer le fondement juridique d’une demande d’ERAR, mais plutôt de savoir si la conversion du demandeur était sincère. L’agent a d’ailleurs dit considérer que la persécution des chrétiens était un problème d’actualité en Chine, après avoir exposé les conclusions de la SPR, ce qui laisse croire qu’il était tout disposé à ce que le demandeur fasse la preuve de la persécution en raison de la conversion à une nouvelle religion. Rien dans le dossier n’étaye l’hypothèse du demandeur selon laquelle l’agent ne savait pas qu’il était possible de présenter une demande de statut de réfugié « sur place ».

 

[25]           Quant à l’argument du demandeur relatif à la persécution politique du fait des convictions de son père, il a été soulevé pour la première fois dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, et il n’a pas été présenté à l’agent. On ne peut donc se fonder sur cet argument pour conclure au caractère déraisonnable de la décision de l’agent.

 

[26]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

[27]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

 

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible or does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2281‑12

 

 

INTITULÉ:                                                   REUPANG CAO

 

                                                                        ‑ et –

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 18 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 28 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Milan Tomasevic

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rafeena Rashid

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Milan Tomasevic

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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