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Date : 20130605

Dossier : IMM-8783-12

Référence : 2013 CF 606

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

TIBOR OLAH

KATALIN LAJHO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision par laquelle une commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la commissaire] a rejeté la demande d’asile de deux époux roms de la Hongrie. La question centrale concerne la protection de l’État en Hongrie et le caractère raisonnable de la conclusion de la commissaire.


II.        CONTEXTE

[2]               Les faits en cause ne sont pas contestés. En raison de leur origine ethnique rom, les demandeurs ont subi de multiples incidents de discrimination touchant leurs conditions de vie, leurs études, leur milieu de travail et leurs interactions sociales générales avec d’autres Hongrois non roms.

 

[3]               Les incidents violents ont impliqué des skinheads dans un cas et la Garde hongroise (un groupe de droite) dans l’autre cas. Le demandeur de sexe masculin a signalé le premier incident violent à la police, qui a ri de lui, et à une association rom, qui s’est dite incapable de faire quoi que ce soit. Le deuxième incident n’a pas été signalé. Les demandeurs ont tous deux confirmé qu’ils ressentaient un état général de détresse parce que l’État refusait d’apporter une aide réelle.

 

[4]               La commissaire a accepté le récit des demandeurs; elle a estimé qu’ils étaient généralement crédibles et qu’ils avaient établi un lien avec le motif de la race ou de l’origine ethnique prévu par la Convention. La demande d’asile a été rejetée uniquement au motif que la Hongrie offrirait sa protection aux demandeurs – ou, plus justement, que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[5]               La commissaire a écarté le manque de confiance des demandeurs envers les autorités hongroises, étant donné qu’ils avaient eu des contacts très limités avec la police.

 

[6]               La commissaire a ensuite passé en revue les mesures que la Hongrie avait prises pour régler les divers problèmes éprouvés par les Roms. Elle a analysé l’état du droit pénal, l’interdiction frappant la Garde hongroise, la promulgation de diverses lois visant à protéger les minorités ethniques, les efforts déployés pour assurer l’intégration des Roms, la mise sur pied du Centre européen des droits des Roms, le rôle de la police et la formation des policiers, et les mécanismes assurant le respect et l’application des lois.

 

[7]               La commissaire reconnaît que la situation n’est pas parfaite, mais porte une attention considérable aux efforts déployés en vue de lutter contre la discrimination et d’améliorer l’accès aux logements et à l’éducation des Roms. La commissaire termine son analyse par cette conclusion : « S’ils retournaient en Hongrie, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que, même s’ils étaient de nouveau victimes de discrimination ou même d’agression, les mécanismes de la protection de l’État seraient à leur disposition. »

 

III.       ANALYSE

[8]               Les décisions de ce genre sont susceptibles de révision selon la norme de la raisonnabilité (voir Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 197, 185 ACWS (3d) 726).

 

[9]               À mon avis, une lecture objective de la décision révèle qu’il y a eu examen approfondi des diverses institutions, mais que la réflexion sur l’efficacité de ces institutions a fait défaut. La commissaire ne s’est pas demandé si la protection de l’État était adéquate dans le concret.

 

[10]           Dans la décision Meza Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, 209 ACWS (3d) 648, le juge Mosley a résumé ce qui devait se produire, après examen des structures institutionnelles encadrant la protection de l’État et des efforts déployés par le gouvernement – « [l]les efforts doivent avoir, dans les faits, “véritablement engendré une protection adéquate de l’État” [...] » (au paragraphe 16).

 

[11]           La preuve qu’un État s’est amélioré et a fait des progrès mène à mi-chemin de l’analyse de la protection de l’État, mais cette preuve n’est pas suffisante en soi pour établir que les améliorations et les progrès équivalent à une protection de l’État efficace.

 

[12]           La commissaire n’a pas examiné l’efficacité du mécanisme de protection de l’État. La conclusion reproduite au paragraphe 7 des présents motifs n’est qu’un exemple de l’attention portée au mécanisme plutôt qu’à l’efficacité. De plus, la commissaire n’a pas tenu compte de la preuve contradictoire fournie par des tierces parties dignes de confiance, qui remettent en question l’efficacité de bon nombre des mécanismes mis en place pour régler les problèmes éprouvés par les Roms.

 

[13]           Le dossier documentaire, y compris les propres rapports de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contenait quantité de rapports et d’observations sur le caractère inadéquat de la protection de l’État offerte aux Roms, qui démontraient l’incapacité de l’État de protéger les Roms et le décalage entre les lois et leur application.

 

[14]           Dans la mesure où certaines des failles ont été mentionnées, à peu près rien n’indique comment la commissaire a concilié cette preuve contradictoire avec la conclusion selon laquelle la protection de l’État était offerte. La commissaire était tenue d’expliquer comment cette preuve avait été appréciée, étant donné la conclusion définitive qu’elle a tirée à l’encontre des demandeurs.

 

[15]           Par conséquent, la décision doit être annulée. Toutefois, il convient de commenter deux autres points, qui n’auraient pas nécessairement été déterminants.

 

[16]           La commissaire a souligné les contacts minimes que les demandeurs avaient eus avec les autorités hongroises, point qui n’était pas déterminant dans la décision de la commissaire. La commissaire ne disposait pas de la décision rendue par le juge Zinn dans Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421, 2013 CarswellNat 1112, qui fait une analyse très utile de la question des Roms qui demandent la protection de l’État, quand la persécution est généralisée et systématique dans le pays concerné. Le fait d’avoir cherché à obtenir la protection de l’État est un élément de l’analyse de la protection de l’État, car il peut établir la crainte de persécution, sans être nécessairement déterminant.

 

[17]           Enfin, la Cour a des réserves en ce qui concerne le dossier documentaire sur lequel la commissaire s’est fondée. La commissaire a considéré que la mention d’une enquête disciplinaire interne ordonnée par la police établissait que les policiers prenaient au sérieux leurs responsabilités à l’égard de la protection des Roms. Néanmoins, aucune enquête de cette sorte n’est mentionnée dans le rapport sur les droits de la personne produit par le Département d’État des États‑Unis, 2010 Human Rights Report:Hungary (8 avril 2011) auquel renvoie la commissaire. L’enquête en question est mentionnée dans un précédent rapport sur la Hongrie produit par le Département d’État, qui ne faisait pas partie du dossier de la présente affaire.

 

IV.       CONCLUSION

[18]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par un autre commissaire.

 

[19]           Il n’y a pas de question à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par un autre commissaire.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8783-12

 

INTITULÉ :                                      TIBOR OLAH

                                                            KATALIN LAJHO

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lisa Couillard

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jamie Churchward

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron et associés, s.r.l.

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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