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Date: 20130604

Dossier : IMM-6405-12

Référence : 2013 CF 596

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2013

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

MOHAMMED MURITALA SHUAIB

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen de la République fédérale du Nigéria qui était venu au Canada en octobre 2011. Il a demandé l’asile au Canada en alléguant une crainte d’être persécuté par sa famille, par la police et par la collectivité en raison de son orientation sexuelle. Dans une décision datée du 11 juin 2012, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), ni celle de personne à protéger au titre de l’article 97 de la Loi. En termes simples, la Commission ne croyait pas que le demandeur était homosexuel.

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision. Pour les motifs qui suivent et compte tenu des faits inhabituels de l’espèce, je conviens que la décision doit être annulée.

 

[3]               Le demandeur soulève deux questions :

 

1.                  La conclusion de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité est‑elle raisonnable?

 

2.                  La Commission a‑t‑elle contrevenu aux règles d’équité procédurale en omettant de tenir compte des documents déposés après l’audience par le demandeur?

 

[4]               Si je devais examiner la décision de la Commission en me fondant sur tous les éléments dont la Commission disposait en date de l’audience, je conclurais que la décision est raisonnable. Cependant, la question déterminante en l’espèce est de savoir si la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte de certains éléments de preuve déposés après l’audience.

 

[5]               L’audience a eu lieu le 8 mai 2012. Le conseil du demandeur a transmis, avec une lettre d’accompagnement datée du 6 juin 2012, des documents supplémentaires (les documents déposés après l’audience) à la Commission. Ces documents comprenaient une copie du permis de conduire du demandeur, un affidavit souscrit par le frère du demandeur dans lequel il attestait certains faits qui semblent corroborer le témoignage livré par le demandeur devant la Commission ainsi qu’un document de la police qui invitait supposément le demandeur à se présenter à la police pour un interrogatoire au sujet d’une [traduction] « enquête en cours concernant des soupçons relatifs à un acte homosexuel ».

 

[6]               Puisque la décision ne contient absolument aucune mention au sujet des documents déposés après l’audience, je présume que la Commission n’a pas tenu compte de ces documents. Deux questions subsistent :

 

1.                  La Commission pouvait‑elle validement rejeter les documents déposés après l’audience au motif que le demandeur n’avait pas présenté de demande en vue de les faire admettre en preuve, comme l’exige l’article 43 de Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles de la SPR)?

 

2.                  L’examen des documents déposés après l’audience aurait‑il eu une incidence déterminante quant à l’issue de la cause du demandeur?

 

[7]               L’article 43 des Règles de la SPR (anciennement, l’article 37) prévoit que la partie qui souhaite transmettre un document à admettre en preuve doit présenter une demande, accompagnée par la preuve en question, conformément à l’article 50 (anciennement, l’article 44). Cette demande doit être faite par écrit et sans délai, et elle doit expliquer la décision que la partie concernée souhaite que la Commission rende et fournir les motifs pour lesquels cette décision devrait être rendue. S’il y avait une autre partie à l’instance, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la demande devrait mentionner, dans la mesure où cette information est connue, si cette partie consent à la demande.

 

[8]               Je suis d’avis que la lettre datée du 6 juin 2012 et les documents qui y étaient joints répondaient à ces exigences, et ce, pour trois motifs :

 

1.                  La lettre contenue dans le dossier du demandeur a été étampée comme ayant été reçue par la Commission le 6 juin 2012. Il n’y a aucun doute que la Commission a reçu ces documents, ni quant à savoir quand elle les a reçus. Le défendeur ne conteste pas ce point.

 

2.                  Le conseil du demandeur mentionne clairement dans la lettre que les documents déposés après l’audience sont joints. Bien que cela ne soit pas explicite, cette lettre constitue clairement une demande visant à faire admettre en preuve les documents déposés après l’audience et il est impossible d’interpréter cette lettre de quelque autre manière que ce soit.

 

3.                  Un affidavit souscrit par le frère du demandeur est joint; il y explique les circonstances dans lesquelles le document le plus important – la lettre provenant de la police nigériane – avait été obtenu. Plus précisément, le frère explique pourquoi ce document n’était pas disponible plus tôt, que celui‑ci a été fourni dès qu’il fut trouvé et pourquoi la Commission devrait en tenir compte.

 

[9]               Ces circonstances sont très similaires à celles dont il était question dans la décision Nagulesan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1382, 44 Imm LR (3d) 99 (Nagulesan). Dans cette affaire, le demandeur avait déposé des éléments de preuve supplémentaires, en expliquant que le commissaire avait demandé la production de cette preuve corroborante au cours de l’audience (Nagulesan, précitée, aux paragraphes 3, 16 et 17). Dans cette situation, tout comme dans celle en l’espèce, le fait de transmettre les documents et d’expliquer pourquoi ils devraient être pris en compte suffit pour satisfaire aux exigences des Règles de la SPR.

 

[10]           La deuxième question est celle de savoir si ces éléments de preuve supplémentaires peuvent avoir une incidence déterminante quant à la décision ou si l’issue de l’affaire est inévitable. La Cour doit se pencher sur la question de savoir si le manquement à l’équité procédurale « est un vice de forme et n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice » (Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43; Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada─Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, aux pages 228-229, 111 DLR (4th) 1). Je suis d’avis que la preuve en l’espèce est assez importante, de sorte qu’elle aurait pu avoir une incidence quant à l’issue de l’affaire. Les documents déposés après l’audience portent directement sur la question de l’homosexualité du demandeur, qui est l’élément central de sa demande d’asile.

 

[11]           En résumé, au vu des faits en l’espèce, la Commission pouvait soit : a) expliquer pourquoi les documents déposés tardivement ne seraient pas acceptés, ou soit b) pourquoi les documents déposés après l’audience ne changeraient en rien sa conclusion. La Commission ne pouvait toutefois pas faire fi des documents déposés après l’audience comme l’a fait.

 

[12]           Aucune partie n’a soumis de question à des fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision;

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6405-12

 

INTITULÉ :                                      MOHAMMED MURITALA SHUAIB

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 29 MAI 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 4 JUIN 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sina Ogunleye

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ndija Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sina Ogunleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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