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Date : 20130527

Dossier : IMM‑5442‑12

Référence : 2013 CF 553

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

TUKONDJA MBIRIMUJO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], visant la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] rendue oralement le 28 mai 2012 et les motifs écrits datés du 5 juillet 2012 par lesquels le demandeur s’est vu refuser l’asile.

 

I.                   Les faits et la décision contrôlée

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Namibie, célibataire et âgé de 32 ans. Il craint la société et les autorités parce qu’il est chrétien et homosexuel, et il craint également son oncle qui s’en est pris à lui parce qu’il a refusé d’épouser sa cousine.

 

[3]               La SPR a conclu que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[4]               Tout d’abord, le demandeur n’a pas déclaré, lors de l’entrevue au point d’entrée, que son homosexualité explique qu’on s’en prenne à lui, ce qui était pourtant l’une des principales allégations invoquées à l’appui de sa demande d’asile lors de l’audience. La SPR a rejeté l’explication du demandeur d’asile selon laquelle il craignait l’agent en uniforme parce que les autorités policières en Namibie ne l’écoutaient pas et qu’il croyait que l’agent pouvait rejeter sa demande. La SPR a constaté que le demandeur d’asile est une personne confiante qui s’exprime clairement, qu’il a fait des études secondaires et qu’il a déclaré qu’il avait choisi de venir au Canada et non de rester en Allemagne, où il avait changé d’avion, parce que des amis d’un parent lui avaient dit que le Canada serait un bon endroit pour lui. Par conséquent, la SPR estimait qu’il aurait dû mentionner au point d’entrée qu’on s’en prenait à lui en raison de son orientation sexuelle.

 

[5]               La SPR a également conclu qu’il n’était pas crédible que le demandeur d’asile ressente une crainte en raison de sa confession chrétienne comme il l’alléguait, car, à l’audience, lorsqu’il avait dû expliquer pourquoi il voulait obtenir l’asile, il avait répondu qu’il craignait d’être pris pour cible à cause de son homosexualité et d’être forcé d’épouser sa cousine. Le demandeur d’asile a expliqué que la question de sa confession chrétienne avait déjà été traitée plus tôt au cours de l’audience, lorsqu’il avait expliqué que son oncle s’était moqué de lui en raison de sa confession religieuse et de son homosexualité, mais la SPR a rejeté cette explication, car les questions posées antérieurement par le commissaire portaient sur sa déclaration au point d’entrée au Canada. La SPR a donc conclu que si sa confession chrétienne avait été à l’origine de sa crainte d’être persécuté, le demandeur d’asile en aurait parlé lorsqu’il lui avait été demandé d’expliquer précisément pourquoi son oncle s’en prenait à lui. La SPR a encore une fois souligné que le demandeur s’exprimait bien.

 

[6]               La SPR a ensuite constaté que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle il avait eu une relation homosexuelle au Canada. La SPR a rejeté l’explication qu’il a donnée, à savoir que la relation avait pris fin et qu’il avait tenté de communiquer avec son ancien partenaire, car elle estimait que la personne concernée se serait présentée à l’audience pour témoigner à l’appui de cette demande importante, ou bien que le demandeur aurait dû établir que des efforts sérieux avaient été faits pour que l’ex‑partenaire présente un témoignage ou des éléments de preuve.

 

[7]               La SPR a évoqué le fait que le demandeur aurait pu faire une demande d’asile à Francfort, en Allemagne, où il avait changé d’avion.

 

II.        Observations du demandeur

[8]               Le demandeur affirme d’abord qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure qu’il n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est homosexuel. La SPR a exclu de façon déraisonnable des éléments de preuve documentaires pertinents, comme une lettre de l’ancien partenaire homosexuel du demandeur en Namibie, une lettre du révérend Brent Hawkes et une lettre de son conseiller.

 

[9]               Le demandeur soutient en outre que la SPR a évalué de façon déraisonnable son explication au fait qu’il n’avait pas dit à l’agent au point d’entrée qu’il était homosexuel, soit son expérience passée avec les autorités en uniforme en Namibie, car l’évaluation ne tient pas compte du fait que le demandeur a vécu toute sa vie dans un pays homophobe. De plus, la SPR a commis une erreur en mettant l’accent sur son niveau de scolarité.

 

III.       Observations du défendeur

[10]           Le défendeur affirme que la SPR, dans sa décision rendue de vive voix, précise qu’elle n’a pas admis la production tardive d’éléments de preuve. De plus, au début de l’audience, la SPR a donné la possibilité au demandeur d’expliquer précisément pourquoi la documentation avait été présentée tardivement, et le demandeur n’a formulé aucun argument convaincant pour expliquer pourquoi il n’avait pas réuni les documents plus tôt.

 

[11]           Le défendeur fait valoir que la SPR avait de toute façon examiné l’ensemble des éléments de preuve présentés par le demandeur, y compris toutes les lettres, et conclu qu’il n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’on s’en prenait à lui en raison de sa confession chrétienne et de son homosexualité. De plus, il est loisible à la SPR de conclure que le témoignage d’opinion n’est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels elle repose sont vrais, et la SPR n’est pas tenue de faire preuve de retenue à l’égard de l’opinion de l’auteur du rapport, particulièrement lorsqu’il s’agit de questions comme la crédibilité du demandeur.

 

[12]           Deuxièmement, la SPR a raisonnablement rejeté l’explication que le demandeur a donnée au fait qu’il n’avait pas dit à l’agent, au point d’entrée, qu’il craignait de retourner en Namibie en raison de son homosexualité, alors qu’il avait justement attendu d’être au Canada pour présenter une demande d’asile, car il pensait que le Canada serait réceptif à une personne qui craint de retourner dans son pays parce qu’il est homosexuel et chrétien. Il était donc déraisonnable de la part du demandeur de penser qu’il ne pourrait pas faire une demande d’asile sur ces fondements. Le défaut de produire des éléments de preuve pertinents lors de l’entrevue au point d’entrée est un motif suffisant pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[13]           Troisièmement, la SPR a raisonnablement jugé douteux que le demandeur d’asile ait d’emblée répondu que son oncle s’en prenait à lui parce qu’il est homosexuel, mais qu’il ait omis de faire état de son orientation sexuelle durant l’entrevue au point d’entrée. Par conséquent, la SPR n’a pas commis d’erreur en tenant compte du niveau de scolarité du demandeur d’asile, car elle précisait ce qui l’avait amenée à rejeter l’explication qu’il avait donnée au fait qu’il n’avait pas mentionné qu’on s’en prenait à lui en raison de son homosexualité.

 

[14]           Le défendeur soutient également que les questions se rapportant à la crédibilité et à l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence de la SPR à titre de juge des faits à l’égard des revendications du statut de réfugié.

 

[15]           En conclusion, le défendeur affirme que la SPR a exposé des motifs clairs pour expliquer son rejet de la demande d’asile du demandeur, que la décision appartient aux issues possibles acceptables et que le demandeur d’asile s’élève seulement contre le poids qui a été accordé à la preuve.

 

IV.       Questions en litige

1.   L’exclusion d’éléments de preuve par la SPR était‑elle conforme à la loi?

 

2.   Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité sont‑elles raisonnables?

 

V.        La norme de contrôle

[16]           La décision de la SPR d’exclure des éléments de preuve soulève une question d’équité procédurale (Nagulesan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1382, 44 Imm LR (3d) 99, au paragraphe 17; S.E.B. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 791, 2005 CarswellNat 1583, au paragraphe 25), laquelle est susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 111). Quant à la deuxième question, les conclusions relatives à la crédibilité sont des questions de fait, de sorte qu’elles doivent être assujetties à la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190).

 

VI.       Analyse

A. L’exclusion d’éléments de preuve par la SPR était‑elle conforme à la loi?

[17]           La décision de la SPR quant à l’admissibilité d’éléments de preuve présentés tardivement est incomplète, car la SPR n’a pas dûment tenu compte des facteurs énumérés à l’article 30 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 [les Règles de la SPR].

 

[18]           La SPR a expliqué à la fin de l’audience qu’elle avait rejeté tous les éléments de preuve qui avaient été présentés tardivement, car elle jugeait insatisfaisante l’explication selon laquelle le demandeur voulait attendre d’avoir réuni tous les documents avant de les soumettre. Par conséquent, elle n’a pas tenu compte de la lettre du révérend Brent Hawkes, de la lettre de l’ancien partenaire sexuel du demandeur en Namibie et de la lettre du conseiller, bien que, dans ce dernier cas, la SPR ait cependant tenu compte du témoignage du demandeur portant sur ses rencontres avec un conseiller.

 

[19]           Conformément à la version antérieure de l’article 29 des Règles de la SPR, le demandeur était tenu de produire une copie des documents à l’appui de sa demande 20 jours avant l’audience. Comme les documents ont été déposés tardivement, la SPR devait, aux fins de sa décision, examiner les facteurs suivants énumérés à l’article 30 :

 

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228

 

30. La partie qui ne transmet pas un document selon la règle 29 ne peut utiliser celui‑ci à l’audience, sauf autorisation de la Section. Pour décider si elle autorise l’utilisation du document à l’audience, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

 

a) la pertinence et la valeur probante du document;

 

b) toute preuve nouvelle qu’il apporte;

 

c) si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29.

 

Refugee Protection Division Rules, SOR/2002‑228

 A party who does not provide a document as required by rule 29 may not use the document at the hearing unless allowed by the Division. In deciding whether to allow its use, the Division must consider any relevant factors, including

 

 

 

(a) the document’s relevance and probative value;

 

(b) any new evidence it brings to the hearing; and

 

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by Rule 29.

 

 

[20]           La lecture de la transcription montre qu’il y a eu un échange entre la SPR et le demandeur et son conseil sur le dépôt tardif des documents et sur leur utilité générale, mais la SPR ne s’est jamais prononcée sur la pertinence et sur la valeur probante de l’un ou autre des documents. Comme il a été mentionné, la décision orale contient une observation générale sur la pertinence, mais aucune explication. Rien ne renseigne le lecteur sur la pertinence et sur la valeur probante de chaque document, ce qui contrevient aux exigences de l’article 30 des Règles de la SPR dans une telle situation.

 

[21]           La SPR a tenu compte du fait que le demandeur était représenté par un conseil d’expérience. Le tribunal a également évalué l’explication donnée pour justifier son défaut de produire les documents, qu’il a jugée insatisfaisante. Il a de plus souligné qu’il estimait que le demandeur n’avait commencé à réunir des documents qu’à partir du moment où il avait reçu l’avis d’audience.

 

[22]           La décision de la SPR ne contient toutefois aucune évaluation de la valeur probante ou de la pertinence qui aurait été conférée aux documents déposés tardivement s’ils avaient été produits dans le cadre de la preuve, des facteurs dont il faut tenir compte (Mercado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 289, 192 ACWS (3d) 1319), au paragraphe 38. De plus, la SPR n’a examiné qu’en partie si le demandeur aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, les transmettre selon l’article 29 des Règles de la SPR.

 

[23]           En fait, si la SPR reconnaît qu’il y a d’autres facteurs dont il faut tenir compte outre la pertinence des documents, elle n’examine pas en l’espèce la pertinence ou la valeur probante des documents déposés tardivement. L’analyse de la SPR est axée sur les raisons pour lesquelles les documents ont été produits tardivement et sur le manque de diligence du demandeur, qui est un facteur à considérer parmi d’autres. À cet égard, la SPR a fait un examen incomplet du dernier critère. Dans son analyse visant à déterminer si le demandeur aurait pu, avec des efforts raisonnables, produire les documents 20 jours avant l’audience du 28 mai 2012, la SPR a écarté le fait qu’un certain nombre de documents n’étaient pas disponibles le 8 mai 2012 ou avant, soit la lettre du révérend Brent Hawkes datée du 23 mai 2012, la lettre du conseiller en santé mentale datée du 14 mai 2012 et la lettre du coordonnateur de l’établissement des gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres (GLBT) datée du 17 mai 2012.

 

[24]           Parmi les documents dont la SPR n’a pas tenu compte, mentionnons des photographies du demandeur en compagnie de son ancien partenaire en Namibie et une lettre de ce dernier confirmant qu’il a eu une relation homosexuelle avec le demandeur. La SPR aurait pu admettre ces éléments de preuve malgré leur production tardive, car il s’agit d’éléments pertinents qui auraient pu établir l’orientation sexuelle du demandeur s’ils avaient été admis par la SPR. Il était donc incorrect de rejeter les documents produits tardivement sans avoir fait une analyse en bonne et due forme en examinant les facteurs énoncés à l’article 30 de la version antérieure des Règles de la SPR.

 

B. Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité sont‑elles raisonnables?

[25]           À la lumière de ce qui précède, et vu le fait que la SPR ne disposait peut‑être pas de tous les éléments de preuve documentaires parce qu’elle a refusé certains documents produits tardivement, il n’est pas nécessaire de trancher la seconde question. Un tribunal nouvellement constitué examinera le dossier que le demandeur présentera et rendra une nouvelle décision fondée sur les éléments de preuve produits et les témoignages livrés.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5442‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  TUKONDJA MBIRIMUJO c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 23 mai 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NOËL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 27 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sina Ogunleye

 

Pour le demandeur

 

Prathima Prashad

 

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sina Ogunleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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