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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20130603

Dossier : IMM-9623-12

Référence : 2013 CF 593

Ottawa (Ontario), ce 3e jour de juin 2013

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

Reyna Johana LOYO DE XICARA

Eilyn Fernanda XICARA LOYO

Hillary Andrea XICARA LOYO

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), ch 27, (la Loi) d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) datée du 24 août 2012. La SPR a rejeté la demande d’asile de Reyna Johana Loyo de Xicara et ses enfants Eilyn Fernanda Xicara Loyo et Hillary Andrea Xicara Loyo (les demanderesses) à titre de réfugiées au sens de la Convention ou de personnes à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi.

 

Les faits

[2]          Les demanderesses sont des citoyennes du Guatemala. Elles demandent la protection du Canada en se fondant sur les articles 96 et 97 de la Loi. La mère a été désignée représentante de ses enfants.

 

[3]          Le 16 septembre 2008, des membres de la Mara Salvatrucha (les Maras) auraient téléphoné au mari de la demanderesse pour exiger un montant de 15 000 quetsales. Un délai de six semaines était accordé pour trouver le montant.

 

[4]          Le 31 octobre 2008, le mari de la demanderesse aurait déboursé la somme requise. Le même soir, les Maras auraient rappelé pour exiger, cette fois, 150 000 quetsales payables dans les 45 jours. À défaut de faire le paiement, la menace était faite de tuer la famille.

 

[5]          Le 3 novembre 2008, le mari de la demanderesse aurait déposé une plainte à la police. Trois jours plus tard, le 6 novembre 2008, les Maras auraient attaqué la demeure du conjoint de la demanderesse. Ils auraient sauvagement battu celui-ci en raison de sa dénonciation; ils l’avertissaient de ne plus faire de telles dénonciations car la police et les Maras ne faisaient qu’un. Suite à cette attaque, le mari de la demanderesse a été hospitalisé pendant trois jours. Le 27 février 2009, le mari de la demanderesse aurait quitté le pays pour demander la protection du Canada. Cependant, il serait retourné au Guatemala le 9 mars 2009 parce que l’une des filles du couple était gravement malade.

 

[6]          Plus de quinze mois plus tard, soit le 3 juin 2010, les Maras auraient contacté le mari de la demanderesse pour lui dire qu’il avait été vu dans les environs et qu’ils avaient un vieux compte à régler avec lui. Le 6 juin 2010, les Maras seraient venu à la demeure de la demanderesse alors qu’elle était absente et auraient tiré des balles sur les murs de la maison. La demanderesse aurait contacté le ministère public pour rapporter l’incident; le ministère public n’aurait pas pris note de la dénonciation et aurait même refusé d’aller constater les trous de balles, alléguant que ce serait une perte de temps.

 

[7]          Le 8 juin 2010, les demanderesses arrivaient au Canada afin d’y demander la protection. Il semble que le mari de la demanderesse soit toujours aux États-Unis, ayant peur des Maras.

 

La décision contestée

[8]          La SPR a conclu qu’il n’y avait aucun lien avec l’article 96 de la Loi et que la demande devait être examinée sous l’angle de l’article 97 de la Loi. À ce titre, la crédibilité de la demanderesse n’était pas contestée en ce qu’elle avait témoigné sans contradiction et que l’histoire relatée était plausible. De fait, c’est une histoire plutôt fréquente au Guatemala.

 

[9]          Essentiellement, la SPR en venait à la conclusion que les demanderesses ne satisfaisaient pas à l’alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi, en ce que la violence à laquelle les demanderesses faisaient face est une violence généralisée que l’ensemble de la population connaît et avec laquelle elle vit quotidiennement. Ledit alinéa se lit de la manière suivante :

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

  97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

 

La norme de contrôle

[10]      En l’espèce, les demanderesses ne font pas une analyse détaillée de la norme applicable, mais parlent plutôt en termes de décision de la SPR comme étant déraisonnable. C’est aussi la position adoptée par le défendeur. Étant donné que la Cour est saisie de questions mixtes de fait et de droit, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (voir Zacarias c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 62, Guerilus c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 394 et Guifarro c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 182).

 

 

 

Analyse

[11]      La question est finalement assez pointue. La SPR a conclu en à peine quelques pages que « la demandeure et sa famille font face à de la violence généralisée. Bien que l’état essaie péniblement de protéger ses citoyens, la police connait (sic) des problèmes et parce que infiltrée par les Maras, elle a aussi peur de s’attaquer aux Maras ». Au paragraphe 14 de la décision l’on peut lire :

[14]     La violence face à laquelle se retrouve la demandeure en est une généralisée, que l’ensemble de la population connait (sic) et vit quotidiennement au Guatemala. . . .

 

 

 

[12]      Ainsi, la SPR conclut qu’une violence n’est pas personnalisée, que les menaces à la vie sont moindres dans la mesure où les mêmes menaces pèsent sur la population en général.

 

[13]      À mon avis, ce ne peut être l’état du droit sans faire violence à l’objet de l’article 97, menant en fait à une absurdité.

 

[14]      Le but de cet article 97 est de donner protection à qui en a besoin. Pour ce faire, la Loi a créé un mécanisme par lequel le demandeur devra établir que la menace à sa vie, ou le risque de mauvais traitements, est personnalisé. Un demandeur qui invoquerait l’article 97 pour ne pas retourner dans son pays parce que la société y est violente ne pourrait réussir. Il s’agit là d’un risque généralisé, assumé par tous les résidents et citoyens de ce pays.

 

[15]      Cependant, ce n’est pas le cas en l’espèce. La SPR décide plutôt que parce qu’un grand nombre de personnes sont attaquées par les Maras au Guatemala, la situation de la demanderesse n’est pas différente du reste de cette population, ou sous-population.

 

[16]      La vraie question à se poser est de déterminer si le risque qui est allégué est personnalisé, au sens où le risque ou la menace à la vie sont pour des personnes visées, indépendamment que beaucoup d’autres personnes dans un État donné subiraient le même risque personnalisé.

 

[17]      La décision de la SPR, poussée plus loin dans sa logique, mène à une incongruité, pour ne pas dire une absurdité. Ainsi, dans un pays où un génocide aurait cours, une personne ne pourrait invoquer l’article 97 parce que le fait que cette personne sera victime de génocide comme ses compatriotes fait en sorte que le risque est généralisé, au sens de cet article 97. D’une certaine façon, plus le péril est grand parce que personne n’y échappe, moins il est possible de se réclamer de l’article 97 de la Loi.

 

[18]      Il apparaît difficile de croire qu’une telle interprétation de la Loi soit conforme à l’intention du législateur. Non seulement l’interprétation mène vite à l’absurdité, mais elle nie l’objet même de la disposition. Le législateur a voulu qu’une allégation générale ne soit pas retenue. Mais une allégation très personnelle, même partagée par d’autres personnes dans cet État, remplit les conditions de l’alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi.

 

[19]      C’est la conclusion à laquelle en est arrivée ma collègue la juge Mary Gleason dans Portillo c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 678. L’affaire portait aussi sur les Maras, mais cette fois au El Salvador.

 

[20]      Je suis redevable à Madame la juge Gleason pour son analyse de la norme de contrôle applicable. Comme elle, je ne crois pas que la norme appropriée quant à l’interprétation donnée à l’article 97 de la Loi par la SPR change le résultat de l’analyse. Que la norme de contrôle soit la décision correcte ou raisonnable importe peu puisque, comme elle, je ne crois pas que la déférence inhérente à la décision raisonnable puisse sauver la décision prise en l’espèce.

 

[21]      Puisque j’ai déjà noté l’incongruité, pour ne pas dire l’absurdité à laquelle nous mène l’approche de la SPR, je ne peux qu’être en parfait accord lorsque la juge Gleason déclare au paragraphe 36 :

. . . Les deux affirmations que la Commission fait sont tout simplement incompatibles : si une personne est exposée à une menace personnelle à sa vie ou au risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités, ce risque n’est plus un risque général.

 

 

 

[22]      Je ne prétends certes pas qu’il suffit de soulever la crainte des Maras pour avoir gain de cause au terme de l’analyse sous l’article 97. Mais la tâche de la SPR n’est pas de déclarer l’existence d’un risque, de manière peut-être vague, pour ensuite l’expulser en déclarant que d’autres ressortissants du pays en cause subissent le même. C’est une chose pour la SPR de se déclarer insatisfaite de l’existence d’un risque. C’en est une autre de déclarer qu’il y a un risque personnalisé, mais que ce serait aussi le cas pour d’autres personnes. Dans le premier cas, l’article 97 ne trouvera pas application. Dans l’autre, il faudra reconnaître le risque pour ce qu’il est, un risque personnalisé. Je partage l’avis du juge Donald Rennie dans Lovato c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 FC 143 au paragraphe 14 :

. . . l’article 97 ne doit pas être interprété d’une manière qui le vide de son sens. Si un risque créé par une « activité criminelle » est toujours considéré comme un risque général, il est difficile de voir comment les exigences prévues à l’article 97 pourraient être satisfaites. Au lieu de mettre l’accent sur la question de savoir si le risque est créé par une activité criminelle, la Commission doit concentrer son attention sur la question dont elle est saisie : le demandeur serait-il exposé à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements et peines cruels et inusités à laquelle ou auquel les autres personnes qui vivent dans le pays ou qui sont originaires du pays ne sont pas exposées? . . .

 

 

 

[23]      Madame la juge Edith Snider a bien illustré mon point de vue lorsqu’elle écrivait dans Pineda c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 FC 403 :

[12]     Je reconnais que, fondamentalement, le demandeur est une victime de crime. Toutefois, les faits de l’espèce sont inhabituels en ce que le demandeur prétend avoir été personnellement et directement la cible du MS-18. La Commission n’a pas mis en doute sa crédibilité sur ce point. Dans d’autres termes, il ne s’agit pas ici d’une crainte généralisée d’être la cible du MS-18 du seul fait que le demandeur est un citoyen ou en raison de son profil de médecin. Le risque auquel il est maintenant exposé n’est pas de même nature que celui auquel il faisait face avant d’avoir soigné un membre du gang - avant de traiter le membre du gang, il était exposé à l’extorsion ou la violence, alors qu’il est aujourd’hui spécifiquement et individuellement ciblé en raison de ses agissements perçus, contrairement à la population en général.

 

[13]     Dans pratiquement toutes les affaires citées par le défendeur, les demandeurs n’étaient pas ciblés personnellement. Les gangs connaissaient peut-être leurs noms, des renseignements personnels à leur sujet, et les avaient peut-être menacés ou agressés à un certain nombre de reprises, la nature de la menace n’en demeurait pas moins généralisée. Le gang aurait pu s’en prendre à quiconque avait selon lui une certaine fortune, ou à tout jeune susceptible d’être recruté comme membre. Pour les membres du gang, ces personnes étaient essentiellement un moyen pour atteindre une fin. Que la personne A ou la personne B ait donné l’argent que le gang cherchait, je doute que cela ait eu de l’importance, même si les deux parties avaient personnellement reçu des menaces. Dans le même ordre d’idées, je doute que cela change quelque chose si c’est la personne C ou la personne D qui adhère à la cause, pourvu que l’effectif du gang continue d’augmenter. Dans la présente espèce, la situation est fondamentalement différente. Le demandeur a dit à la Commission qu’il était exposé à un risque parce qu’il était perçu comme quelqu’un qui avait dénoncé un membre du gang.

 

 

 

[24]      Comme l’analyse qui précède le démontre, la Cour est d’avis que la décision de la SPR doit être infirmée parce qu’elle tient à sa conclusion qu’une menace ou un risque personnalisé perd cette caractéristique du simple fait que la conduite criminelle a été fréquemment observée dans un pays donné. Cette approche vide de son sens l’article 97 de la Loi comme cette Cour l’a noté plus d’une fois.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est retournée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour réexamen par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés. Aucune question à certifier n’a été proposée et la Cour estime qu’aucune ne se pose.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9623-12

 

INTITULÉ :                                      Reyna Johana LOYO DE XICARA, Eilyn Fernanda XICARA LOYO, Hillary Andrea XICARA LOYO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Roy

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 3 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Oscar Fernando Rodas                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Anne-Renée Touchette                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Oscar Fernando Rodas                                               POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

William F. Pentney                                                     POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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