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Date : 20130524

Dossier : IMM-6784-12

Référence : 2013 CF 540

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 24 mai 2013

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

 

ROSINA NIMAKO

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande vise à déterminer si la Section de la protection des réfugiés était justifiée de conclure à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable sur le fondement de la preuve présentée dans le cadre de la demande d’asile de la demanderesse, une citoyenne du Ghana.

 

[2]               Le commissaire de la SPR qui a instruit la demande de la demanderesse a rendu une décision simple et empreinte de sensibilité. Le commissaire a accepté le témoignage présenté par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile, qu’il a repris comme suit dans la décision :

Comme les parents de la demandeure d’asile étaient pauvres, un homme appelé Kwaku Mensah (« Kwaku ») a accepté de payer les études de la demandeure d’asile et d’aider financièrement les parents de cette dernière si ceux-ci lui promettaient la demandeure d’asile à la fin de ses études.

 

En août 1980, alors qu’elle était à la maison durant un congé scolaire, il a été demandé à la demandeure d’asile de se rendre à la maison de Kwaku pour l’aider à faire le ménage. Là‑bas, Kwaku a drogué et violé la demandeure d’asile. Même si cette dernière en a informé ses parents, ceux-ci n’ont pris aucune mesure contre Kwaku, car il a menacé de cesser de payer les études de la demandeure d’asile et de demander à ses parents de lui rembourser l’argent qu’il leur avait donné. La demandeure d’asile est tombée enceinte lors de son viol, et Kwaku l’a emmenée subir un avortement.

 

À la fin de ses études, les parents de la demandeure d’asile ont informé cette dernière qu’ils l’avaient promise à Kwaku. En septembre 1981, la demandeure d’asile a été nommée pour enseigner à Kaasi et, quelques mois plus tard, elle a commencé à vivre avec Kwaku. Même s’il y avait des tensions en raison de l’incapacité de la demandeure d’asile à tomber enceinte, la demandeure d’asile n’a pas eu de graves problèmes avec Kwaku avant 2011.

 

En juin 2011, Kwaku a sévèrement battu la demandeure d’asile, et celle-ci a dû recevoir des soins à l’hôpital. La demandeure d’asile a signalé les mauvais traitements à la police, mais rien n’a été fait. La demandeure d’asile a ensuite tenté d’obtenir un transfert pour un poste d’enseignante à l’extérieur de sa région, mais personne n’était disposé à faire un échange avec elle. En septembre 2011, Kwaku a encore une fois battu brutalement la demandeure d’asile. Cette dernière s’est adressée à la police et elle a été aiguillée vers l’Unité de soutien pour les victimes de violence familiale (DOVVSU). Même si la DOVVSU a promis d’envoyer quelqu’un pour appréhender Kwaku, personne n’est venu. Lorsque la demandeure d’asile est rentrée à la maison après avoir été soignée pour ses blessures, Kwaku a menacé de la tuer. Elle s’est encore une fois adressée à la DOVVSU, mais personne ne s’est présenté à la maison ni n’a fait de suivi. Après avoir raconté ses expériences de mauvais traitements à un ami, celui-ci l’a aidée à quitter le pays.

 

(Décision, aux paragraphes 3 à 6.)

 

[3]               En ce qui concerne la possibilité d’obtenir la protection de l’État au Ghana, le commissaire a conclu ce qui suit :

Le tribunal a évalué la protection offerte par l’État. Selon la demandeure d’asile, celle-ci a signalé la violence physique subie de la part de Kwaku et, même si elle a été aiguillée vers la DOVVSU, les autorités ne lui ont fourni aucune aide lorsqu’elle s’est adressée à elles. Même si le pays prend des mesures pour contrer la violence conjugale, aucune preuve n’étaye l’existence d’une protection efficace offerte aux victimes de violence conjugale dans l’ensemble du pays.

 

(Décision, au paragraphe 9.)

 

[4]               À la lumière de ces conclusions, le commissaire a ensuite cherché à déterminer s’il existait une PRI au Ghana. La question factuelle essentielle à trancher était celle de savoir si Kwaku tenterait de retrouver la demanderesse si elle allait vivre loin de la maison familiale, dans une grande région comme celle d’Accra. Lorsque le commissaire a demandé à la demanderesse si elle avait envisagé une telle PRI avant de fuir au Canada, celle‑ci a répondu qu’elle y avait pensé, mais que les facteurs suivants avaient prévalu : Kwaku a beaucoup d’influence, il a les moyens de verser des pots‑de‑vin et de partir à sa recherche, il pourrait se faire aider par la police dans ses recherches, et il voyage dans la plupart des régions du pays pour affaires. Comme ces facteurs représentaient des dangers, la demanderesse a déclaré qu’elle avait suivi le conseil d’un ami et décidé de quitter le pays avec l’aide de celui‑ci (transcription certifiée, à la page 118, lignes 9 à 20).

 

[5]               Néanmoins, le commissaire a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque si elle quittait le foyer familial :  

Le tribunal a également questionné la demandeure d’asile pour savoir quels efforts Kwaku, son conjoint de fait, avait déployés pour tenter de la retrouver. La demandeure d’asile a répondu que, outre celle de se rendre au domicile de sa famille, elle n’est au courant d’aucune autre tentative. Aucune preuve convaincante ne laisse entendre que Kwaku a déployé des efforts pour chercher la demandeure d’asile; outre l’effort de se rendre au domicile de la famille de la demandeure d’asile. La lettre du frère de la demandeure d’asile selon laquelle Kwaku s’est rendu à leur domicile à plusieurs reprises et a proféré des menaces, a fait en sorte qu’ils ont emmené la mère de la demandeure d’asile dans sa ville natale — apparemment, ils ne croient pas que Kwaku les cherchera à cet endroit. En conséquence, le tribunal n’est pas convaincu que Kwaku est disposé à chercher la demandeure d’asile à l’extérieur de leur région, soit Kaasi, ou de la région du grand Koumassi.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, au paragraphe 13.)

 

[6]               L’avocate de la demanderesse fait valoir que les conclusions du commissaire ne sont pas étayées par la preuve, plus particulièrement en ce qui a trait au passage suivant tiré d’une lettre rédigée par le frère de la demanderesse, datée du 25 novembre 2011 : 

[traduction]

 

Ma sœur, comme je te l’ai dit au téléphone, M. Kwaku Mensal est venu plusieurs fois ici depuis que tu es partie. Il est absolument furieux et il affirme qu’il entend te retrouver pour te ramener chez lui. Il ne sait pas que tu es à l’extérieur du pays. Il est venu encore une fois dimanche dernier en disant que tu l’avais dupé et que tu lui avais fait perdre temps et argent. Il a juré devant nous que lorsqu’il te retrouverait, tu paierais de ton sang. Nous avons renvoyé maman dans sa ville natale, Ekeso, car ces menaces n’amélioreront en rien sa santé.

 

(Dossier certifié du tribunal, à la page 69.)

 

[7]               Je souscris à l’argument de l’avocate de la demanderesse. Il ne s’agit pas de savoir si Kwaku a fait des efforts pour retrouver la demanderesse, outre se rendre au domicile de sa famille; la question est plutôt de savoir s’il a les moyens et la motivation de la retrouver. Les éléments de preuve produits par la demanderesse et l’extrait de la lettre montrent qu’il a les deux. La lettre semble indiquer que Kwaku est déterminé à retrouver la demanderesse et à lui faire du mal. Le fait que la mère de la demanderesse a quitté le foyer de la famille montre que l’homme est perçu comme une menace violente. Rien n’appuie la conclusion selon laquelle la famille croit que Kwaku ne partira pas à leur recherche ou qu’il n’ira pas plus loin que les environs du domicile familial pour tenter de retrouver la demanderesse. Je conclus que le défaut du commissaire de tenir compte de la preuve présentée par la demanderesse est une erreur susceptible de contrôle.

 

[8]               En ce qui concerne la question de savoir s’il était raisonnable de conclure qu’il existe une PRI n’importe où au Ghana, j’estime que, conformément aux Directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, le commissaire aurait dû tenir compte des répercussions sur le plan émotionnel qu’entraînerait pour la demanderesse le fait de devoir vivre dans la crainte d’être à tout moment confrontée à ce prédateur violent. Je suis d’avis que les observations que j’ai déjà formulées sur cette question s’appliquent en l’espèce : afin d’appliquer adéquatement les Directives pour trancher la question de la PRI en l’espèce et avant d’attendre quoi que ce soit de la demanderesse, le commissaire devait juger toute attente potentielle en tenant compte de la réalité que vivait la demanderesse, y compris les troubles dont elle a souffert à la suite de la violence extrêmement grave subie (voir Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 425, au paragraphe 8). Malheureusement, malgré la sensibilité dont il a fait preuve à l’égard de la demanderesse, le commissaire n’est pas allé jusque‑là.

 

[9]               Par conséquent, je conclus que la décision du commissaire fondée sur l’existence d’une PRI est entachée d’une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire soit infirmée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen, mais en fonction des directives suivantes :

 

VU que la crédibilité de la demanderesse n’a pas été mise en cause dans la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire;

 

ET VU que la seule erreur susceptible de contrôle judiciaire décelée dans la décision contrôlée a trait à la conclusion au sujet de la PRI, comme il est exposé dans les motifs;

 

Aux fins du nouvel examen, il faudra accepter et reconnaître les éléments de preuve présentés par la demanderesse et déjà jugés crédibles par la SPR, et accepter et appliquer la conclusion relative à l’absence de protection de l’État tirée dans la décision contrôlée.

 

Par conséquent, la seule question à trancher dans le nouvel examen est celle de savoir s’il existe une possibilité de refuge intérieur. Le nouvel examen devra être fondé sur la preuve versée au présent dossier et mené conformément aux motifs exposés ici. De nouveaux éléments de preuve pourront être présentés si le président de l’audience le juge à propos.

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6784-12

 

INTITULÉ :                                      ROSINA NIMAKO c
LE MINISTRE DE  LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 22 mai 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 24 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Knapp

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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