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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130529

Dossier : IMM-7862-12

Référence : 2013 CF 564

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

PRADEEP RATHNAVEL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), contre une décision, datée du 30 mars 2012, par laquelle un agent (l’agent) chargé de l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) a rejeté la demande du demandeur. L’agent a décidé que le demandeur ne serait pas exposé au risque de persécution, au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Sri Lanka.

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision de l’agent et le renvoi de la demande à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine ethnique tamoule. Le demandeur et sa famille se sont enfuis du pays en raison des tentatives des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) de les recruter, son fils et lui. Le 14 novembre 2006, le demandeur est entré dans la clandestinité afin d’échapper à ce recrutement.

 

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada le 5 juin 2010 et a demandé l’asile. Le 1er mars 2011, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande.

 

[5]               L’épouse du demandeur et ses enfants ont été acceptés par le Canada comme réfugiés au sens de la Convention et, en juin 2008, ils sont devenus résidents permanents. L’épouse du demandeur a omis de l’inscrire dans sa demande de résidence permanente parce qu’elle ne savait pas où il était.

 

[6]               Le 8 juillet 2011, l’épouse du demandeur a présenté une demande de parrainage. Le demandeur s’attend à ce que cette demande soit accueillie étant donné que leur mariage est authentique et qu’il travaille.

 

[7]               Le 10 juin 2011, le demandeur a présenté une demande d’ERAR.

 

Décision d’ÉRAR de l’agent

 

[8]               Dans une lettre datée du 30 mars 2012, l’agent a informé le demandeur que sa demande était rejetée. Les notes de l’agent dans le dossier servent de motifs à sa décision.

 

[9]               Les notes de l’agent résument les antécédents du demandeur et indiquent que des articles sur la situation du pays, postérieurs à l’audition de la demande du demandeur par la SPR, seraient pris en compte.

 

[10]           L’agent a noté que la SPR a rejeté la demande du demandeur en raison du manque de crédibilité, et du fait que les risques allégués par le demandeur étaient les mêmes que ceux qu’il avait invoqués devant la SPR. L’agent a conclu que les éléments de preuve fournis concernant le fait que le gouvernement sri lankais n’avait pas puni les personnes qui avaient commis des abus pendant la guerre n’aidaient pas le demandeur à contrer les doutes de la SPR quant à la crédibilité. En fait, l’agent a conclu que les articles fournissaient la preuve de l’amélioration de la situation et de l’aide fournie aux demandeurs d’asile qui retournaient au Sri Lanka.

 

[11]           L’agent a pris note de l’extrait d’une loi du Sri Lanka en matière d’immigration fourni par le demandeur, mais il a conclu qu’il n’y avait pas de lien avec le demandeur ou avec sa demande d’asile. L’agent a conclu que le demandeur n’avait présenté aucune nouvelle preuve contrant la conclusion de la SPR, et que les risques décrits étaient les mêmes et que, par conséquent, il n’y avait pas de motifs de rendre une décision favorable.

 

[12]           Le renvoi du demandeur du Canada était prévu pour le 11 août 2012. La juge Elizabeth Heneghan, de la Cour, a octroyé un sursis au renvoi dans l’attente de la décision relative au présent contrôle judiciaire.

 

Questions en litige

 

[13]           Je formulerais les questions en litige de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a-t-il commis une erreur lorsqu’il a rejeté la demande?

 

Observations écrites du demandeur

 

[14]           Le demandeur allègue que l’agent n’a pas pleinement examiné la preuve fournie. L’agent a omis d’analyser le lien entre la preuve du demandeur selon laquelle pour venir au Canada il a utilisé de faux documents et sa preuve concernant la loi sri lankaise en matière d’immigration.

 

[15]           L’agent n’a pas pris en compte le profil du demandeur en tant que présumé partisan des TLET, et l’effet que cela aurait sur la façon dont il serait traité à l’aéroport de Colombo, à son retour au pays. L’agent n’a pas pris en compte les documents contenus dans le Cartable national de documentation de la SPR, lesquels traitaient des conséquences pour les demandeurs d’asile déboutés qui avaient quitté le pays sans l’autorisation nécessaire du gouvernement. Le défaut de prendre en compte cette preuve constitue une erreur susceptible de contrôle ou, subsidiairement, de la partialité. La conclusion de l’agent selon laquelle la preuve relative à la situation du pays ne fait aucune référence au fait que les personnes qui retournent sont harcelées, torturées ou tuées est manifestement erronée.

 

[16]           Le demandeur soutient que les motifs de l’agent qui tiennent en sept paragraphes étaient presque exclusivement centrés sur la crédibilité. Le demandeur allègue que, vu les doutes de l’agent quant à la crédibilité, une audience aurait été appropriée. Le demandeur avance en outre que la politique de Citoyenneté et Immigration Canada de ne pas examiner les demandes de parrainage présentées après le dépôt d’une demande d’ERAR est injuste, et que la présente procédure devrait être suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de parrainage.

 

Observations écrites du défendeur

 

[17]           Le défendeur soutient que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable en l’espèce, et que la décision de l’agent satisfait à cette norme. L’agent a noté les risques décrits par le demandeur et il a pris en compte la nouvelle preuve. L’agent n’est pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve documentaires, et il existe une présomption selon laquelle l’agent a pris en compte l’ensemble d’une telle preuve. Le défendeur soutient en outre qu’aucune audience n’était requise, et que le demandeur n’a établi aucune crainte raisonnable de partialité.

 

Analyse et décision

[18]           Première question

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut l’adopter (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[19]           Il est constant en droit que la norme de contrôle applicable à une décision faisant suite à une demande d’ERAR est la décision raisonnable (voir Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 799, [2010] ACF no 980, au paragraphe 11; et Aleziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 38, [2009] ACF no 52, au paragraphe 11). De façon similaire, l’importance attribuée à la preuve, l’interprétation et l’appréciation de cette preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Ipina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 733, [2011] ACF no 924, au paragraphe 5; et Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[20]           Lorsqu’elle effectue le contrôle de la décision de l’agent en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si l’agent est arrivé à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiée et intelligible, et qui n’appartient pas aux issues acceptables eu égard à la preuve dont il disposait (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a décidé au paragraphe 59 de l’arrêt Khosa, précité, la cour de révision ne peut substituer à l’issue qui a été retenue celle qui serait à son avis préférable; il ne rentre pas non plus dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve.

 

[21]           Deuxième question

      L’agent a-t-il commis une erreur lorsqu’il a rejeté la demande?

            Une conclusion défavorable quant à la crédibilité ne met pas fin à l’analyse relative à la question de savoir si un demandeur est un réfugié au sens de la Convention aux termes de la Loi, qu’une telle analyse soit menée par la SPR ou par un agent d’ERAR. Le risque du demandeur doit être analysé eu égard à tous les faits qui ont été acceptés, même si la majeure partie du récit du demandeur est rejetée.

 

[22]           En l’espèce, la SPR a accepté que le demandeur était un citoyen du Sri Lanka et elle n’a pas remis en cause son origine ethnique tamoule. L’agent a aussi accepté que si le demandeur retournait, il serait de façon évidente un demandeur d’asile débouté. Il est donc clair que l’agent a rejeté à tort la preuve fournie par le demandeur concernant les risques auxquels sont exposés les hommes tamouls et les demandeurs d’asile déboutés, au motif que cette preuve ne contrait pas la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité.

 

[23]           De façon similaire, l’agent a erronément rejeté cette preuve au motif qu’elle renvoyait au même risque que celui qui avait été allégué devant la SPR; la raison d’être même de cette nouvelle preuve est d’exiger une nouvelle décision, même si cette preuve porte sur la même question dont la Commission était saisie.

 

[24]           L’agent a consacré un seul paragraphe de l’analyse à la question de la nouvelle preuve concernant le profil de risque du demandeur, mais il a seulement traité du statut de ce dernier en tant que demandeur d’asile débouté. L’agent n’a pas examiné le risque auquel le demandeur prétend être exposé en tant que partisan présumé des TLET en raison de son origine ethnique. Le rapport du Département d’État qui était postérieur à l’audience de la SPR et que l’agent a consulté indiquait qu’il y avait des rapports selon lesquels des partisans présumés des TLET avaient été détenus, torturés et tués.

 

[25]           L’agent est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve dont il était saisi (voir Oprysk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 326, [2008] ACF no 411, au paragraphe 33). Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée est importante, plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que le tribunal a tiré une conclusion de fait sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait (voir Pinto Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 181, [2012] ACF no 189, au paragraphe 35).

 

[26]           L’omission d’examiner la preuve pertinente quant au risque allégué touche au cœur du processus d’ERAR. Cette omission atteint le niveau décrit dans les décisions ci-dessus. Vu cette omission, la décision de l’agent est déraisonnable.

 

[27]           Compte tenu de ma conclusion, je n’ai pas besoin d’examiner les questions de partialité ou l’argument relatif à l’audience.

 

[28]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci.

 

[29]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont souhaité me proposer de question grave de portée générale à certifier.

 

[30]           L’affidavit souscrit par le demandeur le 4 mars 2013, dans la mesure où il contient des renseignements dont l’agent d’ERAR ne disposait pas, n’a pas été pris en compte.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-7862-12

 

INTITULÉ :                                            PRADEEP RATHNAVEL

                                                                  c

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                  ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 7 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge O’Keefe

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 29 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dov Maierovitz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Suran Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dov Maierovitz

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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