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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130528

Dossier : IMM-2760-12

Référence : 2013 CF 558

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2013

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

 

URIEL JASSO SALINAS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre de la décision, datée du 10 février 2012, rendue par un agent (l’agent) chargé de l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR), qui a rejeté la demande d’ERAR du demandeur. La décision de l’agent reposait sur la conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé au risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Mexique.

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision de l’agent et le renvoi de sa demande à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur est un citoyen du Mexique. Il a été pris pour cible en raison d’un conflit entre sa famille et la famille Cepeda. En janvier 2007, il a été enlevé, battu plusieurs fois, agressé sexuellement et soumis à un simulacre d’exécution, ce qui lui causé des blessures physiques permanentes et de graves problèmes de santé mentale et émotionnelle. Son frère s’est enfui du Mexique pour les États‑Unis. Le demandeur a sollicité l’aide de la police, mais les policiers semblaient être des alliés de la famille Cepeda. Le demandeur et son épouse se sont enfuis à Ario de Rosales, mais la famille Cepeda les a retrouvés. Ensuite, ils se sont enfuis à Tijuana, où ils ont été agressés par des malfaiteurs. Ensuite, ils se sont enfuis à la ville de Mexico, où ils ont séjourné pendant cinq jours avant de quitter le pays.

 

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada le 6 mai 2007. Il a présenté une demande d’asile le 14 mai 2007, mais le désistement de sa demande a été ultimement prononcé, parce qu’il n’a pas assisté aux audiences en raison d’un épisode sévère de paranoïa dépressive nécessitant son hospitalisation. Il craint de retourner au Mexique en raison de la violence de la famille Cepeda, une menace aggravée par ses problèmes de santé physique et mentale, lesquels ont entraîné son incapacité d’avoir accès aux services sociaux.

 

[5]               Le 17 mai 2011, il a présenté une demande d’ERAR.

 

La décision de l’agent chargé de l’ERAR

 

[6]               L’agent a informé le demandeur du rejet de sa demande au moyen d’une lettre datée du 10 février 2012.

 

[7]               Les motifs commencent par un résumé des risques cernés par le demandeur et l’historique de son statut de l’immigration. L’agent a relevé la preuve documentaire fournie par le demandeur, notamment les rapports médicaux et l’exposé circonstancié du demandeur contenu dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) de sa demande d’asile.

 

[8]               L’agent s’est ensuite penché sur l’appréciation des risques avancés par le demandeur. L’agent a décrit comment le demandeur craignait des représailles de la famille Cepeda, en raison du défaut de paiement de l’argent pour sa protection. L’agent a conclu que le demandeur n’avait établi ni que ce conflit continuait d’exister ni que la persécution alléguée avait un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention selon l’article 96 de la Loi, étant donné que les victimes de crime ne constituent pas un groupe social.

 

[9]               Par conséquent, l’agent a examiné la demande du demandeur eu égard à l’article 97 de la Loi; il a noté que les risques causés par l’incapacité du Mexique à fournir au demandeur des soins médicaux ou des soins de santé adéquats ne peuvent pas être pris en considération selon les termes du sous‑alinéa 97(1)b)(iv). L’agent a décrit comment le demandeur craignait d’être battu, violé et tué par la famille Cepeda et son allégation selon laquelle il n’avait pas de possibilité de refuge intérieur (PRI) au Mexique, parce que ses persécuteurs étaient en mesure de le trouver quel que soit l’endroit où il était dans ce pays. L’agent a conclu que les problèmes du demandeur étaient de nature locale et qu’il n’avait pas établi que ses persécuteurs continueraient de s’intéresser à lui, étant donné que les infractions criminelles en question avaient été commises en janvier 2007.

 

[10]           Ensuite, l’agent a examiné la fuite du demandeur à Ario de Rosales. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il avait choisi de s’enfuir vers une région où il savait que la famille Cepeda vivait, ni pourquoi la rencontre avec la famille Cepeda était due au fait que cette famille le poursuivait, et non au fait d’une rencontre fortuite. Le demandeur n’a pas fourni de renseignements sur la confrontation, notamment sur la question de savoir si des plaintes avaient été déposées à la police.

 

[11]           L’agent a examiné l’autre fuite du demandeur à Tijuana. Il a relevé que le demandeur n’a pas prétendu que l’agression commise par les malfaiteurs dans cette ville était liée aux autres agressions commises par la famille Cepeda et que le demandeur n’avait pas signalé d’autres problèmes pendant qu’il vivait à Tijuana. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi cet acte criminel l’avait amené à prendre la décision de s’enfuir à la ville de Mexico.

 

[12]           L’agent a décrit les éléments de preuve fournis par le demandeur relativement à son épouse qui, à l’origine, est venue avec lui au Canada, mais qui est depuis retournée au Mexique. Le demandeur a soutenu qu’à son retour au Mexique, son épouse a été menacée par quelqu’un qui lui a demandé où le demandeur se trouvait. L’agent a conclu que les renseignements relatifs à ce fait, tels que la date, le lieu et l’identité du malfaiteur, faisaient défaut. L’agent a aussi conclu que les éléments de preuve présentés par le demandeur relativement aux membres de sa famille victimes de crimes étaient le résultat d’une criminalité généralisée et n’avaient pas de lien avec la famille Cepeda. Le demandeur n’avait ni fourni de preuve du statut de son frère aux États‑Unis ni établi si son frère avait demandé l’asile. L’agent a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les motifs des mauvais traitements du demandeur dans le passé n’existaient plus. L’agent a aussi jugé que la preuve était insuffisante pour conclure qu’il y avait des policiers parmi les malfaiteurs qui avaient agressé le demandeur en 2007.

 

[13]           L’agent a admis l’existence des problèmes de santé dont souffrait le demandeur, mais il a conclu que ceux‑ci n’affecteraient pas la possibilité pour le demandeur d’avoir accès aux services sociaux au Mexique. L’agent a noté que le demandeur avait précédemment reçu des traitements médicaux au Mexique après l’agression de 2007, et qu’il bénéficiait du soutien de sa famille dans ce pays. Par conséquent, l’agent a rejeté l’argument du demandeur selon lequel il ne disposait pas d’une PRI.

 

[14]           Enfin, l’agent a relevé les documents sur la situation du pays portant sur la criminalité et la corruption au Mexique, mais il a conclu que ces documents ne fournissaient aucune preuve de la situation personnelle du demandeur ni des risques auxquels le demandeur serait exposé s’il y retournait.

 

Questions en litige

 

[15]           Le demandeur a soulevé la question en litige suivante :

            1.         La décision est‑elle raisonnable?

 

[16]           Je reformulerais les questions en litige de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a rejeté la demande?

 

Observations écrites du demandeur

 

[17]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable.

 

[18]           Selon le demandeur, la première erreur commise par l’agent est qu’il a mal qualifié le caractère pertinent des problèmes de santé du demandeur. Selon le demandeur, ses problèmes de santé physique et mentale avaient contribué à son incapacité à avoir accès à quelque protection de l’État que ce soit qui lui était offerte. L’agent a apprécié les problèmes de santé comme source de risque en cas de retour au Mexique, au lieu de les apprécier comme un état nuisant à la capacité du demandeur de pallier le risque par la protection de l’État ou une PRI.

 

[19]           La deuxième erreur est la mauvaise interprétation que l’agent a faite des éléments de preuve relatifs à l’intérêt de la famille Cepeda envers le demandeur. L’agent s’est concentré sur l’incident de 2007, et il n’a pas tenu compte de la preuve fournie par le demandeur relativement au très important conflit familial, notamment le meurtre de son oncle parce qu’il avait refusé de vendre des médicaments sous ordonnance aux membres de la famille Cepeda. La conclusion de l’agent selon laquelle la famille Cepeda ne menaçait plus le demandeur était fondée sur une appréciation sélective des éléments de preuve.

 

[20]           Troisièmement, l’agent aurait dû prendre en compte la question de savoir s’il y avait des raisons impérieuses soulevées par la persécution antérieure du demandeur pour que ce dernier ne retourne pas au Mexique. Une telle enquête s’applique à la demande présentée au titre des articles 96 ou 97, et elle ne repose pas sur un lien. L’agent a l’obligation de tenir compte de l’exception fondée sur des raisons impérieuses, même si elle n’a pas été soulevée par le demandeur. Les problèmes de santé mentale du demandeur auraient dû être pris en compte comme étant des raisons impérieuses.

 

[21]           Quatrièmement, l’agent a conclu de façon erronée que le demandeur était exposé à un risque généralisé, vu la preuve selon laquelle il avait été pris pour cible personnellement, et ce de façon répétée. Le fait qu’un risque est soulevé en raison d’activités criminelles n’est pas à lui seul un motif d’exclusion de la possibilité de protection en application de l’article 97.

 

[22]           Cinquièmement, l’agent a conclu de façon erronée que le demandeur disposait d’une PRI parce que la preuve considérable relative aux soins de santé qui a été déposée établissait que l’état mental du demandeur l’aurait empêché d’obtenir une PRI au Mexique ou d’avoir accès au soutien nécessaire. L’agent a aussi omis de tenir compte de l’observation du demandeur selon laquelle les services médicaux et sociaux au Mexique lui auraient été offerts seulement s’il travaillait, ce qui n’était pas possible, étant donné sa santé mentale et médicale. L’agent n’a décrit ni l’existence d’une PRI locale ni l’existence de mécanismes de protection de l’État offerts dans une telle PRI.

 

[23]           Sixièmement, le demandeur n’a pas demandé l’asile parce qu’il n’aurait pas obtenu les soins de santé adéquats au Mexique. Le demandeur n’a jamais déclaré que les risques étaient causés par le manque de soins de santé. Au contraire, son état de santé le rend incapable d’avoir accès aux soins dont il a besoin, et il n’est pas en mesure d’avoir accès à la protection de l’État.

 

[24]           Enfin, l’agent a omis d’examiner la question de la protection de l’État, et il n’a tiré aucune conclusion à cet égard.

 

Observations écrites du défendeur

 

[25]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas de lien avec l’un des motifs de la Convention parce qu’il est une victime de crime. Les problèmes prétendus du demandeur avec ses persécuteurs ont commencé seulement après qu’il eut refusé de payer de l’argent pour sa protection. Le dossier de demande ne révèle aucune preuve corroborante des allégations du demandeur sur l’existence d’un conflit familial de longue date.

 

[26]           Le défendeur soutient qu’une persécution passée est un facteur pertinent, mais non déterminant d’une crainte axée sur l’avenir. Le demandeur n’a pas fourni de preuve adéquate établissant qu’il serait toujours exposé à un risque s’il retournait au Mexique. L’agent a conclu que les faits étaient de nature locale, et que les incidents relatifs à l’extorsion révélaient l’existence d’un risque de criminalité généralisée.

 

[27]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas expliqué de façon satisfaisante la raison pour laquelle il avait choisi de s’enfuir vers une région où il savait que la famille Cepeda vivait et qu’il n’avait pas établi que l’incident d’Ario de Rosales ne résultait pas d’une rencontre fortuite. Il n’y avait pas de preuve que la police avait été contactée. L’agent a conclu que les agressions criminelles à Tijuana n’étaient pas liées à la famille Cepeda. Le demandeur n’a fourni aucune preuve objective établissant que les membres de sa famille avaient été pris pour cibles par la famille Cepeda, de sorte qu’il était raisonnable de conclure qu’ils étaient victimes d’un risque généralisé.

 

[28]           Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État. Le fardeau qui pesait sur le demandeur était très lourd, étant donné que le Mexique a un statut de société démocratique. En l’espèce, la seule fois où le demandeur dit avoir sollicité l’aide de la police, cette dernière n’a pas été en mesure de mener une enquête complète, parce que le demandeur n’a pu identifier que l’un de ses assaillants. Le demandeur a déclaré qu’un médecin légiste l’avait examiné et avait pris des notes, mais il n’a fourni aucun rapport médico-légal ni rapport de police. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi que la police était intervenue relativement à l’agression de 2007. Il n’y avait pas d’indication que le demandeur avait entrepris d’autres démarches pour solliciter la protection de l’État, y compris à Ario de Rosales, à Tijuana ou à la ville de Mexico. L’omission de solliciter la protection de l’État dans une démocratie comme le Mexique sera généralement fatale à la demande d’asile. Dans beaucoup de décisions récentes relatives à la question de la protection de l’État au Mexique, il a été décidé qu’il n’était pas suffisant qu’un demandeur se fonde uniquement sur la preuve documentaire, s’il a omis de se prévaloir de la protection de l’État.

 

[29]           L’agent a manifestement saisi que l’état de santé du demandeur était un facteur secondaire et qu’il ne faisait pas partie du risque allégué. L’agent a raisonnablement conclu que le demandeur était capable d’avoir accès aux services médicaux et sociaux au Mexique. L’agent a correctement exclu la prise en compte des soins médicaux, comme l’exige l’article 97.

 

Observations du demandeur en réplique

 

[30]           Le demandeur allègue que le défendeur tente de défendre la décision de l’agent avec des motifs autres que ceux contenus dans la décision rendue. Le défendeur avance que le dossier ne révèle pas de preuve objective du conflit familial, mais l’agent n’a pas conclu que ce récit n’était pas vrai et il n’a pas demandé une telle preuve. Un témoignage assermenté doit être cru à moins qu’il n’y ait une bonne raison de ne pas le croire.

 

[31]           Le demandeur allègue que le mémoire du défendeur contient beaucoup d’autres arguments avancés par ce dernier et basés sur le dossier qui ne ressortent pas de la décision de l’agent. L’agent n’a mené aucune analyse relative à la protection de l’État.

 

[32]           Le demandeur allègue que la conclusion centrale de l’agent était que le mauvais traitement du demandeur était un fait qui avait eu lieu une seule fois, ce qui a contribué à la conclusion tirée relativement au risque généralisé. Bien qu’un conflit sanguin entre des familles ne puisse pas donner lieu à l’existence d’un lien, ce n’était certainement pas un fait isolé.

 

Analyse et décision

 

[33]           Première question

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[34]           Il est constant en droit que la norme de contrôle applicable à une décision faisant suite à une demande d’ERAR est en général la décision raisonnable (voir Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 799, [2010] ACF no 980, au paragraphe 11; Aleziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 38, [2009] ACF no 52, au paragraphe 11). De la même façon, les questions relatives à la protection de l’État ainsi qu’à la pondération, à l’interprétation et à l’appréciation de la preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Ipina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 733, [2011] ACF no 924, au paragraphe 5; Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[35]           Lorsqu’elle effectue le contrôle de la décision de l’agent selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne devrait pas intervenir, à moins que l’agent n’ait tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiée et intelligible et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables eu égard à la preuve dont il disposait (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a décidé dans l’arrêt Khosa, précité, la cour de révision ne peut substituer l’issue qui serait à son avis préférable ni soupeser à nouveau la preuve (au paragraphe 59).

 

[36]           Deuxième question

      L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a rejeté la demande?

            L’agent est présumé avoir examiné toutes les preuves dont il était saisi (voir Oprysk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 326, [2008] ACF no 411), au paragraphe 33). Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée est importante et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’agent a tiré une conclusion de faits erronée sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait (voir Pinto Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 181, [2012] ACF no 189, au paragraphe 35).

 

[37]           En l’espèce, le risque principal allégué par le demandeur était un conflit familial de longue date. L’agent n’a pas tiré de conclusion selon laquelle le conflit n’existait pas ou que la preuve du demandeur manquait de crédibilité. Au contraire, l’agent a relevé que le demandeur n’avait ni établi que le conflit continuait toujours, ni qu’il en avait été victime avant l’incident qui avait précipité sa fuite du Mexique.

 

[38]           Malgré qu’il ait implicitement accepté l’existence du conflit, du moins dans le passé, l’agent a fait une analyse des risques qui s’est uniquement concentrée sur l’incident individuel relatif à l’omission [du demandeur] de payer l’argent de la protection. L’agent relève que [traduction] « les problèmes du demandeur au Mexique étaient de nature locale [...] [l]es infractions criminelles commises en janvier 2007 sont maintenant choses du passé », et il fait preuve de scepticisme en ce qui a trait au fait que les malfaiteurs qui ont kidnappé le demandeur s’intéresseraient toujours à lui au motif qu’il n’a pas payé l’argent de la protection. L’analyse de l’agent relative à la question de savoir si les persécuteurs du demandeur le suivraient ailleurs au Mexique ne fait aucune mention du conflit familial; ainsi, elle repose sans doute uniquement sur l’incident relatif à l’argent de la protection.

 

[39]           Lorsqu’il a pris en compte la preuve du demandeur relative aux membres de sa famille, l’agent a conclu qu’ils étaient des victimes de crimes au Mexique en général, vu que le demandeur n’a pas fourni de précisions, par exemple si les persécuteurs étaient des membres de la famille Cepeda. Cela ne prend pas en compte l’exposé circonstancié du demandeur dans son FRP, dans lequel il déclare clairement que le meurtre de son père et les coups reçus par son frère ont été perpétrés par cette famille.

 

[40]           Le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau la preuve. Toutefois, le rôle de l’agent est de prendre en compte, de façon appropriée, les éléments de preuve fournis par le demandeur. En l’espèce, la preuve du demandeur établissait que le risque auquel il était exposé trouvait son origine dans un violent conflit familial. L’agent n’a pas pris en compte cette preuve lorsqu’il a apprécié la possibilité que le demandeur puisse être exposé à des risques s’il retournait au Mexique.

 

[41]           Cela met la décision de l’agent en conflit avec les valeurs de transparence et de justification de l’arrêt Dunsmuir, précité. Pour ce motif, je suis d’avis d’accueillir la demande et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur la demande.

 

[42]           Aucune des parties n’a souhaité proposer de question sérieuse de portée générale pour que je la certifie.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 


ANNEXE

 

Dispositions légales pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-2760-12

 

INTITULÉ :                                            URIEL JASSO SALINAS

                                                      c

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 18 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge O’Keefe

 

DATE DES MOTIFS :                           Le 28 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Cohen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lucan Gregory

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Neil Cohen

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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