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Date : 20130529

Dossier : IMM‑10524‑12

Référence : 2013 CF 574

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 29 mai 2013

En présence de monsieur le juge Richard Mosley

ENTRE :

 

F. A. M.

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés portant que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen pakistanais qui est arrivé au Canada le 22 décembre 2010. Le 26 janvier 2011, il a déposé une demande d’asile fondée sur la crainte d’être persécuté par des personnes connues et inconnues à cause de la façon dont le traitent les membres de sa famille, d’anciens condisciples de l’université et des collègues de travail.

 

[3]               Le 16 avril 2012, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a reçu une demande de la part du conseil du demandeur pour que des mesures d’adaptation d’ordre procédural soient prises à l’égard du demandeur compte tenu de son état de personne vulnérable. Le conseil avait informé auparavant la SPR qu’il était évident que son client souffrait d’une maladie mentale et que celui-ci risquait de ne pas pouvoir lui donner des instructions. Des arrangements ont été pris pour que celui-ci fasse l’objet d’un examen psychologique. Cet examen, daté du 19 mars 2012, a été déposé auprès de la SPR. Le psychologue a conclu que le demandeur présentait des symptômes observés relativement à un diagnostic de schizophrénie (type paranoïaque) associée à des idées délirantes, bizarres et à de la confusion. Il mentionnait qu’il ne serait pas approprié de demander au demandeur de témoigner parce qu’il lui serait impossible de fournir des réponses utiles, compte tenu de la gravité de ses symptômes. Par conséquent, le conseil demandait dans la demande visant la prise de mesures d’adaptation que le demandeur soit dispensé de témoigner devant la SPR.

 

[4]               Le 20 avril 2012, le sous‑commissaire adjoint de la SPR a examiné les renseignements fournis et conclu que le demandeur était une personne vulnérable étant donné que sa capacité de présenter ses arguments était gravement compromise. Voici un extrait de la lettre de décision :

[traduction]

Il ne semble pas qu’il soit nécessaire de prendre des mesures d’adaptation avant l’audience, autre qu’une mise au rôle prioritaire, ce que nous allons faire. À l’audience, le commissaire pourra renoncer à interroger le demandeur d’asile, sauf à l’égard de son identité et de la véracité des renseignements contenus dans son FRP. Si son conseil estime que le demandeur d’asile n’est même pas en mesure de répondre à ces questions, il doit solliciter la tenue d’une conférence préalable à l’audience. Il ressort clairement du rapport de l’expert qu’aucun représentant désigné n’est nécessaire; rien n’exige toutefois que le demandeur d’asile réponde aux questions s’il préfère s’en remettre uniquement au dossier, à savoir le FRP et les documents déposés.

 

[5]               Au début de l’audience de la SPR tenue à Calgary le 10 juillet 2012, la commissaire a déclaré qu’elle avait pris connaissance du rapport du psychologue et qu’elle souhaitait poser au demandeur quelques questions concernant plusieurs aspects de sa demande d’asile. L’audience s’est poursuivie sans qu’il y ait eu de débat, comme le révèle la transcription, sur la question de savoir si le demandeur était apte à témoigner. Il a été cohérent au départ, mais à mesure que l’interrogatoire s’est poursuivi, il a commencé à parler très rapidement, de sorte que la commissaire a eu de la difficulté à suivre son témoignage et que ses réponses sont devenues de plus en plus bizarres et délirantes.

 

[6]               Il suffit de donner un exemple pour montrer le caractère délirant du témoignage :

[traduction]

Transcription de l’audience, page 57 –

 

La commissaire : Pourquoi dites‑vous qu’il y a eu de la magie noire?

Le demandeur d’asile : Comment expliquer autrement la lumière qui se trouve dans ma tête, qui brûle et qui me tue à l’intérieur de ma tête? Et j’ai eu des douleurs pendant 15 à 30 minutes environ. Je hurlais et je criais dans l’avion. Demandez au personnel de l’avion, interrogez le, j’ai envoyé un courriel à British Airways au sujet de l’incident. Je – Microsoft a bloqué mon courrier électronique par parce que…

La commissaire : Très bien. Qu’entendez-vous par magie noire?

Le demandeur d’asile : La magie noire…

La commissaire : Comment y a-t-il eu magie noire?

Le demandeur d’asile : Oui. C’est quelque chose, le pouvoir des génies (phonétique) (incompréhensible) à une audience précédente. Le pouvoir des génies est lorsque les gens qui ont le contrôle des génies les utilisent à cette fin. La magie noire et le pouvoir des génies existent depuis des temps immémoriaux. Cela figure dans – les écritures, aussi.

Commissaire : Très bien. Nous n’irons pas plus loin. […]

 

 

[7]               Répondant aux questions de son conseil, le demandeur a reconnu ne pas avoir pris ses médicaments, problème que la psychologue avait mentionné dans son rapport. Rien dans la transcription n’indique si cet élément a été pris en considération avant le début de l’audience.

 

[8]               Les motifs de la décision datée du 12 septembre 2012 mentionnent dès le départ que les Directives du président sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR ont été prises en considération pour rendre la décision. La décision ne contient toutefois aucune autre référence aux directives ni aux idées bizarres mentionnées par le demandeur à l’audience. La commissaire poursuit son analyse des questions de crédibilité et de crainte subjective, de la possibilité pour le demandeur de se réclamer de nouveau de la protection du pays, de son défaut de l’avoir demandé aux États‑Unis, du fait qu’il avait tardé à présenter sa demande d’asile au Canada, et des explications fournies par le demandeur sans jamais mentionner que les explications que ce dernier a fournies à l’audience étaient souvent manifestement délirantes.

 

[9]               L’application des Directives du président soulève une question d’équité procédurale à laquelle s’applique la norme de la décision correcte : Sharma c Canada (MCI), 2008 CF 908 [Sharma], aux paragraphes 13 à 16; Gilles c Canada (MCI), 2011 CF 7 [Gilles], au paragraphe 11. L’application des directives à l’examen des autres aspects soulevés par la demande d’asile, dont la crédibilité, est assujettie à la norme de la raisonnabilité : Hernandez c Canada (MCI), 2009 CF 106, au paragraphe 13.

 

[10]           Dans une autre affaire jugée très récemment, Hillary c Canada (MCI), 2010 CF 638, conf. par 2011 CAF 51, autorisation d’appel devant la CSC refusée [2011] ACSC no 165 (QL) [Hillary], le demandeur d’asile avait demandé de rouvrir son dossier deux ans après la première audience, en déclarant qu’il souffrait de schizophrénie et n’avait pas été en mesure de participer utilement à l’instance. La Section d’appel de l’immigration (SAI) a refusé la demande et il a demandé le contrôle judiciaire de ce refus. Le juge Russell a fait remarquer ce qui suit :

40    Il était loisible à la SAI de conclure que la schizophrénie du demandeur n’était pas en soi un motif approprié pour lui désigner un représentant. En effet, rien n’indique que le demandeur ne comprenait pas la procédure. De plus, les personnes souffrant de schizophrénie ne sont pas toutes incapables de comprendre la procédure et d’y participer. Chaque cas est un cas d’espèce.

[. . .]

53     Je suis d’avis que le paragraphe 167(2), interprété dans son contexte, indique qu’une section ne doit désigner un représentant pour quelqu’un qui n’est pas mineur que si, selon elle, la personne en question n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure. À mon sens, ce qui est ensuite requis pour respecter l’équité procédurale dépendra des faits de chaque cas. En l’espèce, le tribunal savait que le demandeur était schizophrène, mais rien n’indiquait que sa schizophrénie l’empêchait de comprendre la nature de la procédure. En fait, le demandeur a souvent comparu devant les tribunaux et rien n’indique que sa schizophrénie l’a empêché de comprendre ce qui se passait. Il doit bien y exister des situations où une section est tenue d’aviser le demandeur et de mener une enquête formelle pour savoir s’il comprend la procédure, mais je ne crois pas qu’un tel processus était nécessaire en l’espèce.

 

 

[11]           Le juge Russell a également fait un commentaire sur la situation des demandeurs d’asile vulnérables autre que les enfants pour dire que « [l]a jurisprudence dans ce domaine n’est pas entièrement établie » (par. 66), même s’il a renvoyé à deux décisions pertinentes : Sharma, précitée dans les présents motifs, qui concernait un couple en deuil, psychologiquement vulnérable qui avait signalé à la police qu’ils avaient été détenus et maltraités, ainsi que Abdousafi c Canada (MCI), 2001 CFPI 1372, où il s’agissait d’un demandeur d’asile qui alléguait qu’une incapacité mentale l’avait empêché de comprendre l’instance.

 

[12]           Je renvoie en outre à la décision Gilles, précitée, prononcée l’année suivant Hillary, dans laquelle le demandeur était analphabète et affirmait qu’il souffrait de troubles mentaux au moment de l’audience. Dans Gilles, la Cour a conclu ce qui suit : « Il ressort en outre des motifs du tribunal que celui‑ci était sensible aux limites du demandeur lors de l’audience et qu’il a cherché à prendre en compte ses difficultés […] Le tribunal ne semblant avoir rien remarqué d’anormal au sujet de l’état mental du demandeur, il incombait alors au conseil de ce dernier d’invoquer les Directives, ce qu’il n’a pas fait. À mon avis, il n’y a aucune erreur en l’espèce et le tribunal a agi correctement. » (Au paragraphe 17.) Cette demande a été rejetée.

 

[13]           Dans Hillary, le juge Russell a certifié une question portant sur la nature de l’obligation qui incombe à la Commission lorsqu’elle est en présence d’un demandeur d’asile qui souffre d’une maladie mentale. La Cour d’appel fédérale a examiné la question en 2011. Elle a fait les observations suivantes en ce qui concerne ce cas précis :

15     Dans ses motifs de rejet de la requête en réouverture, la SAI a souligné ce qui suit : M. Hillary était représenté par un conseil, lequel n’a fait part d’aucune préoccupation au sujet de la capacité de M. Hillary à lui donner des instructions; aucune demande n’a été faite pour obtenir un représentant désigné; M. Hillary connaissait bien la procédure devant la SAI, étant donné qu’il avait obtenu gain de cause dans son appel de la première mesure d’expulsion; il a témoigné et a produit des éléments de preuve en vue d’établir l’existence de motifs d’ordre humanitaire justifiant un sursis d’exécution de la seconde mesure d’expulsion; rien dans le comportement ou l’attitude de M. Hillary à l’audience ne laissait entendre qu’il avait besoin d’un représentant désigné; il s’était écoulé deux ans entre le rejet de l’appel par la SAI et la requête en réouverture.

 

[14]           La Cour d’appel fédérale a également fait les remarques suivantes dans son analyse :

38     On ne saurait non plus affirmer que, à lumière de la preuve documentaire dont elle disposait et du comportement de M. Hillary à l’audience, notamment ses réponses aux questions que lui a posées le conseil, il aurait dû être évident aux yeux de la SAI que celui‑ci ne comprenait pas la nature de la procédure et qu’il était donc nécessaire qu’un représentant lui soit commis d’office.

 

39     On ne peut que tirer la conclusion suivante : il est possible que la schizophrénie de M. Hillary ait affecté sa capacité à comprendre la nature de la procédure à un point tel que le seul fait d’être représenté par un conseil n’ait pas suffi à lui permettre de protéger ses intérêts et de participer de manière significative au processus. Cependant, ce n’est pas assez pour établir que la décision par laquelle la SAI a rejeté l’appel de M. Hillary était viciée en raison d’un manquement à un principe de justice naturelle.

 

40      La SAI peut toujours exercer son pouvoir discrétionnaire de soulever elle‑même la question et de vérifier la capacité de l’appelant. Toutefois, si la SAI n’effectue pas une telle vérification, la Cour ne devrait intervenir que si elle est convaincue, à la lumière de l’examen de l’ensemble du contexte, que l’inaction de la Commission était déraisonnable et que l’équité exigeait que la SAI soit proactive.

[. . .]

49     Je n’ajouterais qu’une seule chose. Je souscris à l’opinion du juge selon laquelle, si l’équité procédurale avait obligé la SAI à vérifier d’office si M. Hillary comprenait la nature de la procédure, l’omission de faire cette vérification aurait constitué un manquement à un principe de justice naturelle, sauf dans le cas où la désignation d’un représentant aurait pu ne rien changer, non n’aurait rien changé, à l’issue de l’appel. Voir également Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148, au par. 5; Duale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 150, aux par. 20‑21.

 

 

[15]           Dans sa réponse à la question certifiée, la Cour d’appel fédérale a conclu comme suit : « La question de savoir si les principes de justice naturelle obligent la SAI à effectuer des vérifications afin de lui permettre de se forger une opinion sur la question de savoir si l’appelant qui est atteint d’une maladie mentale comprend la nature de la procédure repose sur l’examen de l’ensemble des circonstances de l’affaire. Comme aucune obligation de ce genre n’a pris naissance en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner la question hypothétique des mesures procédurales qui auraient été nécessaires pour satisfaire à l’obligation. » (Au paragraphe 50.)

 

[16]           En l’espèce, à la différence des affaires Hillary et Gilles, il ressort clairement de la transcription que le demandeur d’asile n’a pas été rationnel pendant l’audience. À mon avis, le demandeur a été privé de son droit à l’équité procédurale au moment où il est devenu évident qu’il était incapable de livrer un témoignage cohérent au sujet des questions soulevées par sa demande d’asile et de protection. La commissaire aurait dû interrompre l’audience à ce moment‑là et envisager d’autres mesures pour trancher la demande. J’estime également que la commissaire n’a pas démontré dans son analyse qu’elle avait pris en considération l’état mental du demandeur pour se prononcer sur le bien‑fondé de la demande et en particulier, sur ses explications.

 

[17]           Par conséquent, la présente affaire doit être renvoyée pour nouvel examen à tribunal de la SPR constitué différemment. Ce faisant, le tribunal doit examiner encore une fois quelles sont les meilleures mesures à prendre pour tenir compte de la vulnérabilité du demandeur, notamment à l’égard du fait que les documents figurant au dossier dont il est l’auteur et les déclarations qu’il a faites alors qu’il ne suivait pas le traitement prescrit ne sont pas fiables. Le témoignage fourni à l’audience du 10 juillet 2012 ne sera pas pris en compte par le tribunal pour rendre sa décision.

 

[18]           Compte tenu de la vulnérabilité du demandeur, j’ordonne également que soit modifié l’intitulé de la cause en remplaçant le nom du demandeur par des initiales.

 

[19]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR :

1.         ACCUEILLE la demande et RENVOIE le dossier pour nouvel examen par un tribunal de la Section de la protection des réfugiés différemment constitué, conformément aux motifs de jugement fournis;

2.         MODIFIE l’intitulé de la cause en remplaçant par les initiales F.A.M. le nom du demandeur;

3.         NE CERTIFIE aucune question.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑10524‑12

 

INTITULÉ :                                                  F.A.M.

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 mai 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ram Sankaran

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Camille N. Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RAM SANKARAN

Stewart Sharma Harsanyi

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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