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Date : 20130528

Dossier : IMM‑3336‑12

Référence : 2013 CF 561

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

JOANNA JOSEPH,

MERISSA RUTH RUBEN

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision en date du 9 mars 2012 par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) (l’agent) a rejeté la demande d’ERAR des demanderesses. La décision de l’agent était fondée sur la conclusion que les demanderesses ne seraient pas exposées au risque d’être soumises à la persécution ou à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités si elles étaient renvoyées à Sainte‑Lucie.

 

[2]               Les demanderesses sollicitent l’annulation de la décision de l’agent et le renvoi de la demande à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse principale, Joanna Joseph, et sa fille, Merissa Ruth Ruben, sont citoyennes de Sainte‑Lucie. Le conjoint de fait de la demanderesse principale a commencé à la maltraiter en septembre 1998. Il l’a agressée sexuellement après la naissance de sa fille en mai 2000. Les mauvais traitements se sont poursuivis et, en février 2002, l’agresseur de la demanderesse principale l’a frappée avec un morceau de bois et lui a cassé un doigt. Le 23 mars 2002, la demanderesse principale s’est disputée avec son conjoint et celui‑ci a tenté de la tuer avec un couteau, après quoi elle a fui au Canada. Depuis l’arrivée au Canada de la demanderesse principale, son agresseur a été accusé d’agression sexuelle sur une jeune femme, mais il est sorti de prison et il a menacé de tuer la demanderesse principale et sa fille.

 

[4]               Les demanderesses ont présenté une demande d’asile qui a été rejetée le 11 janvier 2011, et elles ont fait une demande d’ERAR le 28 octobre 2011.

 

Décision de l’agent faisant suite à l’ERAR

 

[5]               Dans une lettre datée du 9 mars 2012, l’agent a informé les demanderesses du rejet de leur demande. La lettre était accompagnée de motifs écrits.

 

[6]               L’agent a résumé les antécédents des demanderesses en matière d’immigration, et il a tout d’abord précisé qu’une demande d’ERAR n’est pas un appel de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR). L’agent a constaté que les demanderesses n’avaient fourni aucun article de journal ni rapport sur la situation dans le pays, mais qu’elles avaient présenté des lettres de membres de la famille et d’autres personnes. L’agent les a acceptées en preuve, car elles étaient postérieures à la décision de la SPR.

 

[7]               L’agent a exposé le contexte de la demande présentée par la demanderesse principale et décrit les abus qu’elle disait avoir subis à Sainte‑Lucie, notant entre autres qu’elle avait déclaré s’être rendue à la police, qui lui avait dit pouvoir seulement donner un avertissement à son conjoint.

 

[8]               L’agent a cité des passages de plusieurs documents portant sur la situation dans le pays, dont un rapport sur Sainte‑Lucie rédigé par le Département d’État des États‑Unis en 2010 et un rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Ils décrivaient les mesures de protection prises par l’État à l’égard des victimes de violence familiale à Sainte‑Lucie.

 

[9]               L’agent a examiné une lettre rédigée par la demanderesse principale dans laquelle elle faisait état de son incapacité à s’occuper de sa fille à Sainte‑Lucie. Il était aussi écrit dans la lettre qu’elle avait un soutien familial au Canada. L’agent a examiné d’autres lettres confirmant les difficultés auxquelles la demanderesse principale se heurterait à son retour à Sainte‑Lucie et une autre lettre confirmant qu’elle avait un emploi au Canada.

 

[10]           L’agent a conclu qu’il s’agissait de facteurs de difficulté dont il ne pouvait tenir compte en rendant sa décision d’ERAR, car celle‑ci ne se rapporte qu’aux risques.

 

[11]           L’agent a constaté que les lettres décrivaient les mauvais traitements subis par la demanderesse principale. L’agent a reconnu que la demanderesse principale a été abusée par son ancien conjoint de fait.

 

[12]           L’agent a noté que la demanderesse principale avait fourni peu de renseignements sur la façon dont elle avait appris que son agresseur avait été libéré de prison et avait menacé de la tuer. L’agent a examiné une autre lettre qui mentionnait que la police de Sainte‑Lucie ne prendrait aucune mesure tant que la demanderesse principale n’aurait pas été victime d’une autre agression. L’agent a constaté que la demanderesse principale avait fourni peu d’autres éléments de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle la police avait seulement voulu donner un avertissement à son agresseur.

 

[13]           L’agent a décrit les mesures de protection offertes aux victimes de violence conjugale à Sainte‑Lucie en vertu d’une loi en matière de violence familiale et il a exposé les principes de la protection de l’État. L’agent a reconnu que la violence familiale est un problème à Sainte‑Lucie et que les mesures prises par l’État pour protéger les personnes qui en sont victimes sont critiquées. L’agent a tenu compte de la loi en matière de violence familiale et du rapport du Département d’État des États‑Unis qui révélait que la police avait arrêté et inculpé les auteurs d’actes de violence familiale dans bon nombre de cas. Le gouvernement ne finance pas de centre de soutien pour femmes.

 

[14]           L’agent a conclu que si la demanderesse principale continuait d’être menacée ou agressée par son ancien conjoint après son retour à Sainte‑Lucie, elle pourrait obtenir de l’aide auprès des autorités. L’agent a reconnu que les autorités font l’objet de critiques au sujet de la protection qu’elles offrent, mais il a conclu que l’État offre bel et bien un soutien, qu’il s’efforce de venir en aide aux victimes de violence familiale, et que Sainte‑Lucie est une démocratie parlementaire qui fait d’importants efforts pour protéger les femmes qui ont souffert de violence. Le fait que l’agresseur de la demanderesse principale ait purgé une peine de prison pour agression sexuelle témoigne des efforts en ce sens.

 

[15]           L’agent a rejeté la demande au motif que les demanderesses n’avaient pas fourni assez d’éléments de preuve clairs et convaincants établissant que la protection de l’État était inexistante à Sainte‑Lucie.

 

Questions en litige

 

[16]           Selon les demanderesses, les questions en litige sont les suivantes :

            1.         L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en n’accordant pas d’audience?

            2.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en évaluant la crédibilité de la demanderesse principale?

            3.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en procédant à une mauvaise évaluation de la protection offerte par l’État?

 

[17]           Je reformulerais les questions qui précèdent comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a‑t‑il manqué aux principes d’équité procédurale?

            3.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande?

 

Observations écrites des demanderesses

 

[18]           Les demanderesses soulèvent trois arguments.

 

[19]           Premièrement, le fait que l’agent n’a pas tenu d’audience constitue un manquement à l’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Les trois facteurs exposés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement] étaient réunis, ce qui établit une présomption réfutable favorable à la tenue d’une audience. L’agent doutait manifestement de la crédibilité de la demanderesse principale, car il n’a pas accepté le fait que la police avait refusé de l’aider, même s’il appliquait le raisonnement de la suffisance de la preuve.

 

[20]           Deuxièmement, l’agent a commis une erreur en n’acceptant pas l’allégation de la demanderesse principale selon laquelle la police avait refusé de la protéger dans le passé. Le témoignage d’un demandeur est présumé véridique à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. En l’absence d’éléments de preuve contradictoires, l’agent d’ERAR commet une erreur s’il exige d’obtenir des éléments de preuve corroborants et tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’absence de tels éléments de preuve. Conformément aux directives concernant la persécution fondée sur le sexe, l’obligation de produire des éléments de preuve corroborrants est particulièrement souple pour les cas de demandes présentées au motif de la violence fondée sur le sexe.

 

[21]           Troisièmement, l’agent n’a pas adopté une approche contextuelle pour évaluer la protection de l’État. Le demandeur ou la demanderesse d’ERAR peut réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État en produisant des éléments de preuve établissant qu’il ou elle a effectivement tenté de se prévaloir de la protection de l’État. La Cour a statué que la crédibilité doit être examinée avant la protection de l’État de sorte que ce dernier examen n’ait pas lieu dans un vide factuel. La demanderesse principale a déclaré que la police avait refusé de l’aider après qu’elle a été victime de violence, ce qui aurait dû suffire à réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État. L’agent a analysé la preuve sur la situation dans le pays dans un vide factuel.

 

Observations écrites du défendeur

 

[22]           Au sujet de la requête en sursis en l’espèce, le défendeur fait remarquer que le juge Leonard Mandamin a conclu que les demanderesses n’avaient pas soulevé une question importante.

 

[23]           Le défendeur affirme que l’agent n’a tiré aucune conclusion au sujet de la crédibilité. Le caractère suffisant de la preuve était plutôt en cause. Le commentaire sur le fait que les demanderesses avaient présenté peu d’autres éléments de preuve n’équivaut pas à une conclusion sur la crédibilité. La jurisprudence de la Cour a clairement établi qu’il n’est pas nécessaire de tirer une conclusion sur la crédibilité pour conclure que les éléments de preuve non corroborants ne l’emportent pas sur l’obligation juridique d’établir un fait selon la prépondérance des probabilités. En l’absence d’éléments de preuve ayant une valeur probante suffisante, l’agent pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse principale n’avait pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait pris les mesures nécessaires pour obtenir la protection de l’État.

 

[24]           L’agent d’ERAR n’est pas assujetti aux directives concernant la persécution fondée sur le sexe. L’agent s’est montré réceptif et sensible au fait que la présente demande est fondée sur le sexe et il a tenu compte de la problématique de la violence familiale à Sainte‑Lucie. L’agent a tout de même satisfait aux exigences des directives concernant la persécution fondée sur le sexe, celles‑ci eurent‑elles été applicables.

 

[25]           L’agent n’a pas contrevenu aux principes de justice naturelle en n’accordant pas d’audience. Les audiences relatives aux ERAR ne sont tenues qu’à titre exceptionnel, lorsque toutes les circonstances prévues à l’article 167 du Règlement sont réunies. La question qui se pose en l’espèce est celle de l’importance de chacun des éléments de preuve par rapport à la crédibilité. Aucune conclusion sur la crédibilité n’a été tirée, ni voilée ni explicite. Il incombait à la demanderesse principale d’établir le bien‑fondé de sa demande, et elle était tenue de fournir toutes les observations et tous les éléments de preuve pertinents.

 

[26]           Les conclusions de l’agent au sujet de la protection de l’État étaient raisonnables. La preuve montrait que la demanderesse principale n’avait déposé qu’une seule plainte auprès de la police. La Cour d’appel fédérale a statué qu’un demandeur ne peut pas se contenter de chercher à obtenir de la protection en s’adressant seulement à un poste de police. Même en supposant que l’agent ait tiré une conclusion sur la crédibilité d’après les mesures prises par la demanderesse pour obtenir la protection de l’État, ce fait n’était pas déterminant. Le demandeur ou la demanderesse ne peut se fonder uniquement sur les éléments de preuve portant sur la situation dans le pays si il ou elle a fait défaut de se prévaloir de la protection de l’État. Il n’y avait aucun vide factuel en l’espèce, et ce n’est pas une erreur que d’effectuer une analyse de la protection de l’État sans avoir d’abord tiré des conclusions sur la crédibilité. L’agent était au fait de la situation personnelle de la demanderesse principale et il a accepté son récit de la violence familiale dont elle a été victime.

 

Analyse et décision

 

[27]           Première question en litige

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a établi quelle norme de contrôle s’applique à une question particulière dont la Cour est saisie, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[28]           Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux décisions d’ERAR est celle de la décision raisonnable (voir Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 799, [2010] ACF no 980, au paragraphe 11; Aleziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 38, [2009] ACF no 52, au paragraphe 11). De la même façon, les questions touchant la protection de l’État ainsi que la pondération, l’interprétation et l’appréciation de la preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Ipina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 733, [2011] ACF no 924, au paragraphe 5; et Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[29]           Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision d’un agent en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si l’agent a tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables, vu la preuve qui lui avait été présentée (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). Comme l’a statué la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, précité, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue, pas plus qu’il n’entre dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (au paragraphe 59).

 

[30]           Il est aussi bien établi en droit que la norme de contrôle appropriée en ce qui concerne l’équité procédurale est celle de la décision correcte (voir Wang, précité, au paragraphe 13, et Khosa, précité, au paragraphe 43). Aucune déférence n’est due aux décideurs sur ces questions (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[31]           Deuxième question en litige

            L’agent a‑t‑il manqué aux principes d’équité procédurale?

            Je conviens avec le ministre que l’agent n’a pas tiré de conclusion relative à la crédibilité dans sa décision. Comme le juge Russel Zinn l’a expliqué dans Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, [2008] ACF no 1308, au paragraphe 27, il y a lieu de distinguer la suffisance de la preuve de la crédibilité :

La preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité,  parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante. S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle‑même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée […]

 

 

[32]           Je ne crois pas que le fait que l’agent a mentionné qu’il y avait [traduction] « peu d’autres éléments de preuve et renseignements » constitue une conclusion déguisée sur la crédibilité. Il n’y avait donc pas lieu de présumer que l’agent devait tenir une audience, et il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

 

[33]           Troisième question en litige

      L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande?

            Les demanderesses soutiennent que l’agent n’a pas apprécié adéquatement les éléments de preuve qu’elles ont présentés concernant l’absence de protection de l’État.

 

[34]           La Cour a statué à plusieurs reprises que le critère relatif à la protection de l’État porte sur le caractère adéquat de cette protection et non simplement sur les efforts déployés pour assurer la protection. Monsieur le juge Roger Hughes, par exemple, s’est exprimé sans ambiguïté à ce propos au paragraphe 8 de Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1176, [2010] ACF no 1589 :

Une autre erreur de droit a trait à la nature de la protection de l’État qui doit être prise en compte. En l’espèce, le commissaire a conclu que le Mexique « fait de sérieux efforts » pour résoudre le problème. Ce n’est pas là le critère. Ce qui doit être pris en compte est l’efficacité réelle de la protection.

 

 

[35]           Dans sa décision, l’agent a tiré les conclusions suivantes :

            1.         Sainte‑Lucie [traduction] « offre de l’aide et déploie des efforts importants pour protéger les victimes de violence familiale ».

            2.         Sainte‑Lucie [traduction] « est une démocratie parlementaire et elle déploie des efforts importants pour protéger ses citoyens ».

            3.         Le fait que l’agresseur de la demanderesse a purgé une peine de prison montre que Sainte‑Lucie [traduction] « déploie des efforts importants pour protéger les femmes qui ont subi de la violence ».

 

[36]           L’agent ne fait nullement référence au caractère adéquat de la protection de l’État dans la décision. On peut donc difficilement déduire que l’agent a appliqué le bon critère pour juger de cette question essentielle.

 

[37]           Même si l’agent a cité nombre de faits se rapportant à la situation dans le pays, dans la section [traduction] « Conclusions », il a mis l’accent sur une loi de Sainte‑Lucie visant à protéger les femmes contre la violence familiale. À elle seule, l’existence d’une telle loi témoigne de la prise de mesures de protection, mais ne démontre pas que les femmes sont réellement protégées. Pour établir le caractère adéquat de la protection, il faudrait obtenir des éléments de preuve qui montrent que la loi a réellement accru la protection des femmes, au point où celle‑ci a atteint un niveau suffisant.

 

[38]           En l’espèce, l’agent a constaté que la police avait arrêté et inculpé les auteurs d’actes de violence familiale dans de [traduction] « nombreux » cas, et qu’il arrivait aussi fréquemment que les auteurs ne soient pas poursuivis parce que les victimes étaient réticentes à porter des accusations. Encore une fois, ces éléments de preuve témoignent bien davantage des efforts déployés par l’État que de l’efficacité de ceux‑ci.

 

[39]           Certes, je conviens avec le défendeur que les demanderesses doivent réfuter la présomption de la protection de l’État, et que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision de fait. Cela dit, la conclusion de l’agent concernant la protection de l’État reposait sur une application erronée de la jurisprudence bien établie de la Cour, et comme les conclusions relatives à la preuve tirent largement leur origine de cette application erronée, la décision est déraisonnable.

 

[40]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

[41]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3336‑12

 

INTITULÉ :                                                  JOANNA JOSEPH,

                                                                        MERISSA RUTH RUBEN

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        Ministre de la Citoyenneté

                                                                        et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 28 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Etienne

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Christopher Crighton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gertler, Etienne LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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