Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 



 


Date : 20130528

Dossier : IMM-8499-12

Référence : 2013 CF 537

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

GENERVINE MELIUS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision datée du 16 août 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile déposée par la demanderesse.

 

 

 

I.          Faits

[2]               La demanderesse vient de Sainte-Lucie. Elle craint Celsus Pierre Anthony [Anthony], son ex‑conjoint de fait, en raison de son appartenance à un groupe social, à savoir les femmes victimes de violence familiale et sexuelle.

 

[3]               La demanderesse a fait la connaissance d’Anthony en 2009 et a emménagé avec lui peu de temps après. Anthony est devenu violent un mois plus tard. Il a bousculé la demanderesse et a refusé de lui donner de l’argent pour qu’elle achète de la nourriture. Anthony est devenu très jaloux parce que la demanderesse attirait l’attention d’autres hommes. Il a menacé de la tuer si elle le quittait et l’a agressée sexuellement. Il a acheté un couteau, a inscrit son nom à elle dessus et a menacé de s’en servir contre elle si elle lui créait des problèmes. Il lui a aussi donné un cercueil miniature qui contenait sa photo à elle.

 

[4]               La demanderesse a signalé les menaces à la police, qui n’a rien fait pour l’aider. La demanderesse a appris que certains membres de la famille d’Anthony étaient dans la police et que certains des hommes avec qui il l’avait fait coucher étaient également des policiers.

 

[5]               Avec l’aide d’un ami, elle a fui Sainte­Lucie et est venue au Canada en janvier 2012. Elle a présenté une demande d’asile en février 2012

 

II.        Décision faisant l’objet du contrôle

[6]               La SPR a tenu compte des Directives no 4 – Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives]. Elle a rejeté la demande d’asile de la demanderesse parce que celle-ci pouvait obtenir la protection de l’État.

 

[7]               La SPR a d’abord déterminé que Sainte‑Lucie était présumée être en mesure de protéger ses citoyens. Elle a tenu compte du fait que la demanderesse s’était plainte à la police et que la police avait recueilli sa déposition, mais n’avait pas mené d’enquête. La SPR a constaté que la demanderesse avait téléphoné à la police plus tard ce jour-là afin de s’informer des suites de sa plainte, mais n’avait pas fait d’autres tentatives pour communiquer avec la police.

 

[8]               La SPR a aussi constaté que la demanderesse avait demandé de l’aide et des conseils au frère d’Anthony, Denlee, un membre du détachement maritime du Corps de police royal de Sainte‑Lucie. Denlee lui a déconseillé d’aller voir la police et lui a dit qu’il parlerait à son frère. La demanderesse ne s’est pas tournée vers la police après avoir parlé à Denlee, a noté la SPR, parce qu’elle croyait qu’elle n’obtiendrait pas la protection demandée étant donné que Denlee et certains des amis d’Anthony faisaient partie des forces policières.

 

[9]               D’après la SPR, la preuve ne permettait pas de présumer que l’ensemble du Corps de police royal était complice; s’il pouvait y avoir certains éléments délinquants en cause, la protection de l’État aurait été assurée si la demanderesse avait pris des mesures raisonnables pour y accéder. La SPR a ajouté que la demanderesse n’avait pas demandé l’aide d’un policier de grade supérieur ou d’autres personnes, comme un travailleur social, un prêtre, un avocat ou un groupe de femmes.

 

[10]           La SPR a examiné la preuve documentaire sur la violence familiale à Sainte-Lucie. Elle a reconnu que la violence faite aux femmes constituait toujours un problème, mais qu’une mesure législative avait été expressément adoptée pour régler ce problème, et que des organisations non gouvernementales aidaient les victimes de violence familiale.

 

[11]           La SPR a donc conclu que la demanderesse n’avait pas pris suffisamment de mesures pour mettre à l’épreuve la protection offerte à Sainte-Lucie.

 

III.       Observations de la demanderesse

[12]           Il est important, affirme la demanderesse, de souligner que la SPR n’a pas tiré de conclusions défavorables quant à sa crédibilité.

 

[13]           La demanderesse soutient que son expérience est honteuse, car elle a été forcée d’avoir des relations sexuelles avec des policiers, et que la SPR ne semble pas avoir tenu pleinement compte des Directives.

 

[14]           La SPR s’est contredite elle‑même en mentionnant que la demanderesse avait l’obligation de demander l’aide de la police tout en reconnaissant explicitement que la demanderesse l’avait fait deux fois. La SPR a donc commis une erreur en déterminant que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, n’ayant pas tenu compte du fait que la demanderesse avait respecté son obligation en se tournant deux fois vers la police.

 

[15]           La SPR a fait abstraction du fait que la demanderesse avait donné aux autorités l’occasion d’examiner sa plainte, et a traité l’affaire comme si la demanderesse n’avait pas cherché à obtenir protection.

 

[16]           La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable dans les circonstances de déterminer qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, étant donné qu’elle avait été forcée d’avoir des relations sexuelles avec différents policiers et qu’un policier lui avait déconseillé d’aller voir la police. La SPR ne peut mentionner simplement que la présomption de protection de l’État n’est pas réfutée parce que la demanderesse doute de l’efficacité de cette protection ou hésite à mettre à l’épreuve la protection offerte. En effet, selon la décision de la SPR, la demanderesse aurait dû demander de l’aide à ceux-là mêmes qui étaient complices de la persécution et des préjudices qu’elle avait subis, ce qui est déraisonnable. La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en n’évaluant pas si la protection était adéquate en pratique.

 

[17]           Enfin, la demanderesse affirme que, dans sa décision, la SPR fait abstraction du fait que la police ne réussit pas à combattre efficacement la violence familiale, car de nombreuses personnes ne reçoivent pas l’aide qui conviendrait, et que quelques grands obstacles entravent l’accès à la protection à Sainte-Lucie. La SPR n’a pas suffisamment justifié sa décision de préférer certains rapports à d’autres, d’autant plus que les agents de persécution comprenaient des policiers.

 

IV.       Observations du défendeur

[18]           Le défendeur soutient que la SPR a déterminé de manière raisonnable que la demanderesse pouvait obtenir une protection de l’État adéquate à Sainte-Lucie et que la SPR s’est fondée sur l’ensemble de la preuve. La SPR a examiné et soupesé la preuve contradictoire et est parvenue à la conclusion que la protection de l’État n’était pas inadéquate.

 

[19]           Le défendeur affirme que la demanderesse n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants. La demanderesse ne doit pas simplement montrer que la police de Sainte-Lucie ne réussit pas toujours à protéger les victimes de violence familiale. De plus, un demandeur ne doit pas simplement cesser d’essayer d’obtenir protection en raison de ce qu’il perçoit comme une mauvaise expérience avec la police locale.

 

[20]           La demanderesse n’a pas pris de mesures raisonnables pour obtenir la protection de l’État à Sainte-Lucie, un État démocratique. De plus, la SPR a tenu compte de la situation de la demanderesse, et il est bien établi que la protection de l’État peut être offerte par des organismes exploités ou financés par le gouvernement. La demanderesse peut se tourner vers ces organismes pour obtenir la protection de l’État, et non seulement vers la police, même les agents de persécution allégués sont membres de la police. Enfin, la SPR a examiné le témoignage de la demanderesse, mais a toutefois déterminé qu’il ne suffisait pas à établir que les forces policières étaient complices.

 

[21]           Le défendeur soutient en dernier lieu que la SPR a dûment tenu compte des Directives.

 

V.        Question en litige

[22]           La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la protection de l’État?

 

VI.       Norme de contrôle

[23]           La conclusion tirée par la SPR en ce qui concerne la protection de l’État est une question de fait, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190).

 

VII.     Analyse

[24]           La SPR n’a pas tiré de conclusion négative sur la crédibilité de la demanderesse. Elle a considéré qu’il s’agissait d’une demandeure d’asile crédible, mais a fondé sa décision sur la disponibilité de la protection de l’État.

 

[25]           La demanderesse a démontré à la SPR qu’elle vivait une relation de violence avec son ex‑partenaire à Sainte-Lucie, c’est‑à‑dire qu’il la forçait à avoir des rapports sexuels avec des policiers. La demanderesse s’est toutefois décidée à porter plainte à la police à propos d’un couteau qu’il avait acheté et s’est présentée au poste, où le policier lui a dit que sa plainte serait traitée au courant de la journée. Après avoir attendu quelques heures, comme aucun policier n’était venu chez elle, la demanderesse a téléphoné au poste et s’est fait dire de ne pas s’inquiéter. De plus, elle a parlé au frère de son ex‑petit ami, un policier, qui lui a recommandé de ne pas porter plainte à la police.

 

[26]           Compte tenu des faits mentionnés ci‑dessus, la SPR a déterminé que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, estimant que la demanderesse aurait dû prendre d’autres mesures pour obtenir cette protection, par exemple essayer de parler à policier de grade supérieur ou se tourner vers d’autres organismes de l’État.

 

[27]           Comme la Cour l’a reconnu, le fait que l’État soit l’agent de persécution ne dispense pas le demandeur de son obligation de demander protection. Toutefois, des éléments de preuve clairs et convaincants peuvent établir qu’une telle protection n’est pas offerte dans certaines circonstances (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 54, 282 DLR (4th) 413). C’est le cas de la demanderesse.

 

[28]           La demanderesse a signalé les menaces de son ex‑partenaire à la police et a communiqué une fois avec la police pour s’enquérir des suites de sa plainte, mais aucun policier n’a pris la plainte au sérieux, et la demanderesse n’a pas cherché à obtenir l’aide d’autorités supérieures. La jurisprudence a établi qu’une tentative ainsi faite pour obtenir protection peut être justifiée et réfuter d’ailleurs la présomption de protection adéquate de l’État dans certaines circonstances. En effet, dans la décision Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1491, 143 ACWS (3d) 1094, la Cour a souligné ce qui suit, au paragraphe 32 :

 

Enfin, je crois qu’il était tout à fait légitime que la demanderesse ne porte pas plainte à la police dans les circonstances en cause puisque les policiers eux-mêmes étaient les agresseurs et les responsables des actes de violence. Comme l’a dit ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, dans la décision Chaves c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. 232 (QL), 2005 CF 193, au paragraphe 15 : « [l]e fait même que les représentants de l’État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l’État, ce qui diminue d’autant le fardeau de la preuve ».

 

[29]           L’agent a reproché à la demanderesse de ne pas s’être tournée vers un policier de grade supérieur, mais ne s’est pas demandé s’il aurait été raisonnable pour la demanderesse d’agir ainsi étant donné que la police était l’agent de persécution. La demanderesse, en raison de ses expériences, pouvait fort bien douter qu’une telle démarche se traduise par une quelconque protection. De plus, la demanderesse a clairement expliqué qu’aucune intervention n’avait été faite à la suite de sa plainte. La SPR a tenu compte des étapes normales à franchir quand la protection de l’État ne se concrétise pas à la première tentative que fait le demandeur pour s’en réclamer, notamment s’adresser à des policiers de grade supérieur ou se tourner vers d’autres autorités. Toutefois, la SPR a fait abstraction des circonstances particulières du cas de la demanderesse, y compris l’état psychologique de la demanderesse et son degré de confiance envers les autorités, compte tenu du fait qu’elle avait été agressée sexuellement par des policiers.

 

[30]           La situation de la demanderesse est la suivante. L’ex‑partenaire de la demanderesse l’a forcée à avoir des rapports sexuels avec des policiers, et il a un frère policier qui a recommandé à la demanderesse de ne pas porter plainte. Dans de telles circonstances, il était déraisonnable pour la SPR d’estimer que la demanderesse aurait dû prendre d’autres mesures pour obtenir protection sans d’abord effectuer une analyse adéquate à la lumière de la situation de la demanderesse. En effet, il était déraisonnable d’avancer que la demanderesse aurait dû se tourner vers des autorités policières supérieures sans tenir compte de sa vie particulièrement instable. L’obligation de demander l’aide de policiers de grade supérieur impose à la demanderesse le lourd fardeau de démontrer que la protection de l’État n’était pas assurée. Une telle détermination ne tient pas compte du fait que la demanderesse s’était déjà tournée deux fois vers la police, qu’elle avait téléphoné à la police en vain et qu’elle s’était fiée au frère de son ex‑partenaire, un policier, qui lui avait conseillé de ne pas porter plainte. La demanderesse avait également été forcée d’avoir des rapports sexuels avec les amis de son ex‑partenaire, qui étaient eux aussi policiers. La SPR aurait dû tenir compte de toutes ces circonstances lors de l’audience, et le commissaire aurait dû en discuter plus en détail dans sa décision.

 

[31]           En ce qui concerne l’examen de la preuve documentaire fait par la SPR, la SPR a fait une analyse complète. Si elle a reconnu que la police à Sainte-Lucie pouvait être lente à réagir dans certains dossiers, que le système judiciaire du pays était surchargé et que la violence faite aux femmes demeurait un grave problème, la SPR a toutefois signalé que le gouvernement avait pris certaines mesures législatives pour régler ce problème. La SPR a tiré une conclusion raisonnable à propos de la preuve objective, mais il reste que sa décision pose problème, car il n’était pas raisonnable pour la SPR de déterminer que la demanderesse, dont la police était l’agent de persécution, aurait dû prendre des mesures additionnelles pour obtenir la protection de la police ou d’autres organismes. Dans des circonstances différentes, il aurait pu s’agir d’une façon adéquate de démontrer que la protection de l’État était offerte. Toutefois, en l’espèce, la SPR a nettement estimé que la demanderesse avait l’obligation (voir le paragraphe 18 de la décision) de s’adresser à des autorités supérieures du Corps de police royal de Sainte-Lucie, sans tenir compte de l’état d’esprit de la demanderesse et de sa situation factuelle. Comme nous l’avons vu ci‑dessus, c’était déraisonnable.

 

[32]           Les Directives, quant à elles, ont été adéquatement examinées et appliquées par la SPR au début de sa décision. Rien n’indique que la SPR n’a pas donné de poids aux Directives.

 

[33]           Les parties ont été invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune n’a été proposée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la SPR le 16 août 2012 est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différent pour nouvel examen. Aucune question ne sera certifiée.

 

                                                                                                                   « Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8499-12

 

INTITULÉ :                                      GENERVINE MELIUS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 mai 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Bola Adetunji

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

M. Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Bola Adetunji

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.