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Dossier : 20130517

Dossier : IMM-7356-12

Référence : 2013 CF 518

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2013

En présence de madame la juge Gleason

 

ENTRE :

 

 

HAO WEN SU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine et se dit un adepte du Falun Gong. Il prétend que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a effectué une descente contre son groupe de Falun Gong en 2010, que lui‑même et d’autres ont été alertés de cette descente par une sentinelle et que lui et les autres ont pu s’enfuir par la porte arrière du bâtiment. Il allègue qu’il s’est alors terré chez un parent; après avoir demandé l’aide d’un passeur, il est venu au Canada et a présenté une demande d’asile peu après son arrivée. Pour étayer sa demande, il a fourni des éléments de preuve de son adhésion présumée au mouvement du Falun Gong au Canada, dont des photographies de lui en train de faire des mouvements caractéristiques ainsi que des lettres d’autres adeptes du Falun Gong.

 

[2]               Dans sa décision du 28 juin 2012, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la SPR ou la Commission) a rejeté la demande d’asile, estimant que le demandeur manquait de crédibilité et que les événements qu’il alléguait s’être produits en Chine n’avaient pas eu lieu. La Commission a fondé sa conclusion relative à la crédibilité sur six faiblesses relevées dans le témoignage du demandeur, outre son comportement et son incapacité de donner des détails sur les événements qu’il alléguait s’être produits en Chine. La Commission a conclu que le demandeur ne pratiquait pas le Falun Gong en Chine et que son adhésion alléguée au mouvement au Canada n’était qu’un prétexte destiné à appuyer l’allégation selon laquelle il le pratiquait en Chine, qu’il n’était pas un véritable pratiquant au Canada et qu’il n’était donc pas un véritable adepte du Falun Gong. La Commission a donc conclu que le demandeur ne risquait probablement rien en retournant en Chine s’il ne pratiquait pas le Falun Gong et qu’il ne serait probablement pas perçu par les autorités chinoises comme un adepte. La SPR a par conséquent conclu que le demandeur n’était ni un réfugié ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

 

[3]               Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur cherche à faire annuler la décision de la SPR et allègue à cette fin que la SPR a tiré une conclusion déraisonnable relativement à sa crédibilité et qu’elle a fait erreur en n’évaluant pas convenablement sa demande sur place (soit une demande de protection fondée sur ses activités au Canada). À cet égard, le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en se fondant sur l’absence d’un motif légitime de pratiquer le Falun Gong au Canada.

 

[4]               Pour les motifs énoncés ci-après, j’ai décidé que la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle et qu’elle a pris une décision raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.

 

La conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité est-elle raisonnable?

[5]               Comme je l’ai mentionné, la Commission a donné six raisons différentes de ne pas donner foi aux allégations présentées par le demandeur au sujet de ce qui s’était produit en Chine.

1.                  La description du demandeur des événements qu’il a allégués s’être produits en Chine manquait d’authenticité et, dans les mots de la Commission, « avait les caractéristiques d’une histoire apprise par cœur plutôt que de souvenirs d’un événement vécu » (décision, au paragraphe 9). La Commission a tiré cette conclusion en se fondant sur l’attitude du demandeur et sur le fait qu’il ne se rappelait que très peu de détails des événements qu’il alléguait et que la SPR estimait qu’il aurait dû en avoir meilleur souvenir, vu la nature des événements allégués;

2.                  La Commission a remis en question l’authenticité de certains des documents produits par le demandeur étant donné qu’il est possible d’obtenir des documents frauduleux dans l’ensemble de la Chine, que c’étaient les parents du demandeur qui les lui avaient envoyés (même si leur correspondance risquait d’être interceptée et en dépit des menaces de représailles que le BSP avait faites aux parents s’ils aidaient le demandeur à pratiquer Falun Gong);

3.                  La Commission a considéré qu’il n’était pas plausible que le passeur ait pu garder sur lui la carte d’identité de résident du demandeur lorsqu’il l’a accompagné dans son voyage au Canada sous un faux passeport étant donné le risqué d’être pris;

4.                  Le demandeur a prétendu que le BSP avait fouillé le domicile de son oncle, mais il a omis de mentionner cet important détail dans l’exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’il était tenu de remplir en vertu du paragraphe 5(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, même s’il pouvait compter sur l’aide d’un conseil en immigration d’expérience lorsqu’il a rempli le FRP;

5.                  L’invraisemblance de l’allégation du demandeur selon laquelle des représentants du BSP se sont rendus chez ses parents six fois au cours des deux années qui ont suivi le départ du demandeur, sans toutefois leur donner une assignation ou d’autres documents;

6.                  L’invraisemblance de la version qu’a faite le demandeur des événements étant donné que les membres de sa famille n’ont subi aucunes représailles.

 

[6]               Le demandeur conteste chacune de ces conclusions, alléguant que, surtout si on les considère ensemble, les erreurs commises par la SPR dans l’évaluation de la crédibilité se soldent par une décision déraisonnable.

 

[7]               Avant d’examiner chacune des erreurs que la SPR aurait commises selon les allégations du demandeur, il convient de revoir les principes généraux applicables aux décisions de la Commission en matière de crédibilité.  Ces décisions sont susceptibles de contrôle selon la norme du caractère raisonnable et commandent une grande déférence (voir, par exemple,  Aguebor c (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), [1993] ACF no732, au paragraphe 4, 160 NR 315 [Aguebor]; Frederick c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 649, au paragraphe 14). Comme je l’ai déclaré dans Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42 [Rahal]:

[I]l faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve. En outre, le principe de l’administration efficace de la justice, sur lequel repose la notion de déférence, fait en sorte que l’examen de ce genre de questions doit demeurer l’exception plutôt que la règle.

 

[8]               Quant aux motifs sur lesquels la Commission peut raisonnablement se fonder pour rendre une décision défavorable relativement à la crédibilité, il est bien établi en droit que les incohérences entre les diverses versions des faits d’un demandeur constituent un fondement solide aux décisions défavorables ayant trait à la crédibilité (voir, par exemple, He c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1107, 49 ACWS (3d) 562 (CA); Rajaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1271, 135 NR 300 (CA); Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 595, au paragraphe 11 [Jin]; Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 911, au paragraphe 59). Par ailleurs, l’incapacité de se rappeler certains détails – en particulier dans des circonstances où le demandeur aurait dû s’en souvenir – donne à un tribunal un motif raisonnable de rejeter le témoignage (voir, par exemple, Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 417, aux paragraphes 31 à 33; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 998, au paragraphe 18; Pjetri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 376, au paragraphe 43). La SPR est aussi en droit de se fonder sur l’invraisemblance d’une version du demandeur pour rendre une décision défavorable quant à sa crédibilité, à condition que les invraisemblances soient réelles et non illusoires (voir, par exemple, Aguebor (précité); Alizadeh c Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] FCJ n11, 38 ACWS (3d) 361 (CA); Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415 (CA)). Enfin, le comportement du témoin, ou sa manière de témoigner, peut suffire à étayer une conclusion défavorable quant à la crédibilité, mais il est préférable qu’elle repose sur des faits additionnels (voir, par exemple, Rahal, aux paragraphes 42 et 45).

 

[9]               Par conséquent, les éléments sur lesquels s’est fondée la Commission pour rendre une décision défavorable relativement à la crédibilité s’inscrivent largement dans la catégorie des éléments sur lesquels elle pouvait se fonder pour rejeter le témoignage du témoin.

 

[10]           La Commission a accordé le plus de poids à son premier motif et, en particulier, au manque de détails et au fait que le demandeur semblait avoir appris l’histoire par cœur. Le demandeur ne donne aucune raison valable de contester la décision, à part de prétendre qu’elle était incorrecte, ce qui ne suffit pas pour la rejeter. De plus, la transcription des témoignages révèle effectivement que la version du demandeur était extraordinairement vague, et la Commission était bien placée pour constater la fausseté du témoignage par l’attitude du demandeur. Par conséquent, le premier motif qu’a donné la SPR à l’appui de sa décision relative à la crédibilité est, à mon avis, inattaquable.  

 

[11]           De même, la Commission n’a pas fait erreur en s’appuyant sur les contradictions qu’elle a relevées entre le FRP et le témoignage oral du demandeur. Le demandeur affirme qu’il n’y a pas de contradiction entre les deux étant donné qu’il avait inscrit dans le FRP que des agents du BSP avaient fouillé les domiciles de ses parents proches pour le retrouver. À mon avis, cette affirmation diffère de celle qu’il a faite durant son témoignage et selon laquelle le BSP avait fouillé le domicile de son oncle à deux reprises. Par conséquent, il y avait matière à conclure à une contradiction entre le témoignage et le FRP du demandeur, et la Commission n’a pas agi d’une façon déraisonnable en se fondant sur cette différence. 

 

[12]           La conclusion relative à l’invraisemblance de l’allégation selon laquelle le passeur a gardé avec lui la carte d’identité du demandeur et que la famille du demandeur n’a pas subi de représailles est tout aussi raisonnable. Cette conclusion relativement à l’invraisemblance de l’allégation selon laquelle le passeur aurait porté sur lui la carte d’identité du demandeur est tout à fait justifiée, car le bon sens empêcherait quiconque de porter sur lui deux pièces d’identité de personnes différentes. De même, la preuve objective présentée à la Commission appuie la conclusion que les autorités chinoises persécutent souvent les familles des adeptes présumés du Falun Gong. Ainsi, je considère que la SPR a rendu une décision raisonnable en affirmant que le fait que sa famille n’a pas été persécutée enlève toute vraisemblance à la version des faits du demandeur. Des décisions semblables ont été confirmées dans Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 993, au paragraphe 36 [Hou], et Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 28, au paragraphe 4.

 

[13]           En ce qui concerne la manière dont la Commission a traité des documents reçus de Chine par le demandeur, contrairement à ce que ce dernier prétend, la SPR ne les a pas rejetés simplement parce qu’il est facile d’obtenir des documents frauduleux dans l’ensemble de la Chine, et cette affaire se distingue donc de Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 157 sur laquelle s’appuie le demandeur. Cela dit, la décision de la juge Mactavish dans Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 694 [Cao], ne semble pas s’appliquer en l’espèce. Dans la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Cao, la juge Mactavish a fait remarquer ceci :

La Commission ne disposait cependant d’aucune preuve indiquant que M. Cao avait été informé par son consultant en immigration que les autorités chinoises surveillent le système postal et suivent la trace des fugitifs au moyen d’un réseau informatique. Elle ne disposait pas non plus d’une preuve démontrant que M. Cao, un fermier d’une région rurale de la Chine, ou sa famille étaient au courant de cette pratique. La conclusion de la Commission n’était fondée sur rien de plus que des hypothèses et, par conséquent, elle était déraisonnable.

 

Ces observations s’appliquent tout autant en l’espèce; toutefois, cet élément du raisonnement de la Commission est sans doute déraisonnable.

 

[14]           Enfin, en ce qui a trait à la façon dont la Commission a traité de la question de l’assignation, comme le fait remarquer le demandeur à juste titre, la conclusion que la demande d’asile d’un demandeur de la Chine est compromise parce que le BSP ne l’a pas assigné à comparaître a été rejetée pour son caractère déraisonnable dans certaines décisions récentes de la Cour (voir, par exemple Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 65, et Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 545). Toutefois, comme l’a signalé le juge Zinn dans Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1067, aux paragraphes 20 à 22, une conclusion déraisonnable concernant une assignation à comparaître n’a pas nécessairement un effet déterminant sur l’ensemble de la demande de contrôle judiciaire :

La demanderesse cite des récentes décisions dans lesquelles la Cour fédérale a jugé qu’« une conclusion de la Commission selon laquelle, d’après la prépondérance des probabilités, il serait raisonnable de présumer qu’une assignation aurait été laissée constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire : Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 65, et Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 545. Selon le défendeur, il appert des décisions rendues après Liang que la question n’est pas tranchée de façon aussi nette que ce que la demanderesse laisse entendre et que chaque affaire dépend des faits qui lui sont propres et de la façon dont la Commission a évalué ces faits : Li c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2011 CF 941, et He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1199.

À mon avis, chaque affaire doit être évaluée en fonction de la preuve dont la Commission était saisie et de la façon dont elle a apprécié cette preuve. À cet égard, je souscris aux commentaires que le juge Mosley a formulés dans Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 671, au paragraphe 10 :

[traduction]

Si la Commission a tiré de l’absence d’assignation une inférence défavorable, c’est en partie parce que le demandeur affirmait que le BSP s’était, à neuf reprises, rendu chez lui. Compte tenu de la preuve démontrant un manque d’uniformité dans la manière de procéder du BSP, cela était peut-être déraisonnable (voir Weng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 422, aux paragraphes 16 à 18). L’inférence tirée sur ce point n’était cependant pas déterminante et ne permet pas à elle seule de dire que la décision dans son ensemble est déraisonnable.

 

 

J’estime que, même si la conclusion de la Commission au sujet de l’absence d’assignation est écartée, il reste encore suffisamment d’éléments pour étayer sa conclusion selon laquelle la version de la demanderesse ne pouvait être crue, compte tenu du critère de la décision raisonnable qui a été énoncé dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, ainsi que la retenue dont la Cour doit faire montre à l’égard de la décision de la Commission.

 

[15]           J’estime que ces observations s’appliquent tout autant en l’espèce. Même si un ou même deux des motifs énoncés par la Commission pour justifier sa décision relativement à la crédibilité sont sans conséquence, ses motifs sont solides dans l’ensemble. Il n’y a donc aucune raison d’intervenir dans l’appréciation qu’a faite la SPR du manque de crédibilité du demandeur, en particulier à la lumière de la retenue qu’elle doit commander.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la demande d’asile sur place du demandeur?

[16]           S’agissant du second point en litige, le demandeur fait valoir que la SPR a fait erreur en n’évaluant pas convenablement sa demande d’asile sur place et en se fondant sur l’absence d’un motif légitime de s’adonner au Falun Gong au Canada. Aucune prétention n’est valable.

 

[17]           Contrairement à ce que prétend le demandeur, la Commission a effectivement évalué sa demande d’asile sur place ainsi que les éléments de preuve qu’il a produits pour appuyer son allégation selon laquelle il pratiquait bel et bien le Falun Gong au Canada. Elle a simplement considéré que ces éléments de preuve ne suffisaient pas à établir l’authenticité de la pratique alléguée. Cette conclusion n’a rien de déraisonnable, en particulier à la lumière de l’autre conclusion que le demandeur a inventé de toutes pièces les événements qui se seraient produits en Chine. Bref, il n’y a rien de déraisonnable à conclure que quelques lettres et photographies ne suffisent pas à prouver que le demandeur est un véritable adepte d’une religion, surtout lorsque, comme en l’espèce, il a menti en affirmant qu’il était un adepte pour présenter une demande d’asile frauduleuse. À cet égard, je souscris à l’observation que le juge Pinard a faite dans la décision Jin, au paragraphe 20 :

[…] il serait absurde d'accueillir une demande d'asile sur place chaque fois qu'un pasteur fournit une lettre attestant l'adhésion d'un demandeur à son église. 

 

[18]           Dans le même sens, il n’était pas déraisonnable que la Commission se soit penchée sur l’intérêt du demander à pratiquer le Falun Gong et l’ait considéré comme une raison de rejeter sa demande d’asile sur place. Bien que le fait de se mettre à pratiquer une religion simplement pour étayer une demande d’asile ne peut, en soi, servir de fondement au rejet de la demande d’asile sur place, la Commission est en droit de tenir compte de ce motif pour évaluer l’authenticité des convictions religieuses que le demandeur allègue avoir. A bien des égards, la préente affaire appelle en tout point la décision que j’ai rendue dans l’affaire Hou, où j’ai examiné et rejeté un argument identique à celui que fait valoir le demandeur en l’espèce. Comme les motifs que j’ai invoqués dans cette affaire s’appliquent tout autant ici, j’en reproduis ci-après un extrait :

Je ne suis pas d’accord avec cette assertion du demandeur; contrairement à ce que celui-ci affirme, la jurisprudence canadienne reconnaît bel et bien que la motivation de l’engagement dans une pratique religieuse au Canada peut être examinée par la SPR dans une affaire pertinente. Cependant, la conclusion portant qu’un demandeur a été motivé à pratiquer une religion au Canada pour soutenir une demande d’asile frauduleuse ne peut servir, à elle seule, de fondement pour rejeter la demande. La conclusion que le demandeur a été motivé par la volonté d’étayer sa demande d’asile est plutôt un facteur que la SPR peut prendre en considération dans son évaluation de la sincérité des croyances religieuses d’un demandeur.

 

La sincérité de ces croyances est un enjeu dans des affaires où, comme en l’espèce, la poursuite d’une pratique religieuse dans le pays d’origine pourrait exposer le demandeur à un risque. Si ses croyances ne sont pas authentiques, alors il n’y a pas de risque, car le demandeur ne pratiquerait pas sa religion nouvellement acquise dans son pays d’origine si son adhésion à cette religion était motivée uniquement par la volonté d’étayer une demande d’asile. En revanche, il peut fort bien y avoir des situations où le demandeur, initialement incité à se convertir à une religion par ce type de motivation, acquiert cependant la fois en cours de roue et devient un véritable adopte de la religion.

 

[…]

 

Dans une série d’affaires récentes mettant en cause des demandeurs d’origine chinoise, notre Cour a appliqué la décision Ejtehadian [c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 158] et conclu que la Commission ne peut rejeter une revendication sur place uniquement à cause d’un manque de crédibilité ou d’un motif illégitime, mais qu’elle doit plutôt évaluer la sincérité de la pratique religieuse du demandeur afin de déterminer si la personne s’exposera à un risque en retournant dans son pays d’origine […] Dans Jin et Wang [c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 FC 614] […], la Commission a mentionné le caractère douteux de la motivation de la conversion, mais elle a ensuite évalué la sincérité de la conversion du demandeur et l’a trouvée lacunaire. La Commission a fondé ses conclusions sur le manque de crédibilité des demandeurs d’asile, sur le fait qu’ils avaient forgé des histoires au sujet de leur statut de chrétiens en Chine et sur leur manque de connaissance des détails de la religion qu’ils prétendaient pratiquer. Comme il a été conclu que les demandeurs n’étaient pas de véritables adeptes, la SPR a conclu qu’ils ne pratiqueraient pas leur religion alléguée s’ils retournaient en Chine et, par conséquent, qu’ils ne s’exposaient à aucun risque. Et la Cour a confirmé les conclusions de la Commission dans ces affaires. Bref, dans des circonstances très semblables aux présentes, les décisions de la SPR ont été confirmées.

 

(Hou, aux paragraphes 61 à 65.)

 

 

 

[19]      Je conclus par conséquent que la SPR n’a pas fait erreur en se fondant sur les raisons alléguées par le demandeur de pratiquer le Falun Gong au Canada ni ne s’est trompée dans son évaluation de la demande d’asile sur place.

 

[20]      La présente demande sera par conséquent rejetée. Aucune question n’a été proposée à la certification en vertu de l’article 74 de la LIPR et l’affaire n’en soulève aucune.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7356-12

 

INTITULÉ :                                      Hao Wen Su c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 24 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 17 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jennifer Luu

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Negar Hashemi

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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