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Date : 20130527

Dossier : IMM-7368-12

Référence : 2013 FC 552

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2013

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

CSABA BUDAI,

ILONA TURJANYI,

CSABA BUDAI fils / (CSABA BUDAI),

ALEXANDRA BUDAI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

     défendeur

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Csaba Budai, son épouse, Ilona Turjanyi, et leurs enfants, Csaba Budai fils et Alexandra Budai, sont des citoyens hongrois d’origine rom qui craignent d’être persécutés aux mains des Hongrois de souche et des néo‑nazis. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la famille au motif qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État hongrois.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la décision de la Commission était déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Vécu des demandeurs en Hongrie

[3]               La Commission a indiqué que la crédibilité et la protection de l’État étaient les questions déterminantes en l’espèce. Toutefois, bien que la Commission ait semblé douter de certains aspects de l’histoire des demandeurs, elle a fondé sa décision au bout du compte sur sa conclusion à l’égard de la protection de l’État.

 

[4]               Cependant, la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État doit être évaluée à la lumière des circonstances personnelles du demandeur et des faits entourant la demande d’asile (voir par exemple Bali c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2013 FC 414, [2013] A.C.F. n456, au paragraphe 11. Comme l’a déclaré le juge dans la décision Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2008] A.C.F. n625, au paragraphe 20, « [l]es décisionnaires doivent par conséquent apprécier avec soin la preuve dont ils sont saisis » lorsqu’ils analysent la question de la protection de l’état. « Cette appréciation doit notamment prendre en compte la situation générale ayant cours dans le pays d’origine du demandeur, toutes les mesures que celui-ci a effectivement prises et sa relation avec les autorités. »

 

[5]               En conséquence, il convient d’examiner les conclusions de fait qu’a tirées la Commission à l’égard du vécu des demandeurs avant d’évaluer le caractère raisonnable de sa conclusion en ce qui concerne la protection de l’État.

[6]               La Commission a effectivement exprimé des préoccupations quant à l’insuffisance des éléments probants présentés par les demandeurs, sans préciser quelles conclusions devaient en être tirées.

 

[7]               La seule conclusion explicite défavorable qu’a tirée la Commission à l’égard de la crédibilité était fondée sur un rapport médical concernant la fille du demandeur, Alexandra, rapport indiquant qu’elle avait de la fièvre et qu’il y avait présence de sang dans ses selles. Les demandeurs affirment que leur fille avait été agressée par le père d’un camarade de classe de leur fille. La Commission a rejeté le témoignage des demandeurs à cet égard en déclarant que la preuve avait été « contredite » par le fait qu’Alexandra se portait mieux deux semaines après. Toutefois, le fait qu’Alexandra se porte mieux deux semaines plus tard n’empêche pas qu’elle avait été malade ou qu’elle avait été agressée.

 

[8]               La conclusion de la Commission relativement à l’incendie qui s’est produit dans l’immeuble à logements des demandeurs est plus douteuse. Les demandeurs ont déclaré qu’un incendie avait été allumé dans leur immeuble parce qu’il abritait des familles roms et que la police avait refusé d’enquêter parce que les victimes n’étaient « que des roms ». La Commission n’a vraisemblablement accordé aucune importance à cette dimension de l’histoire des demandeurs estimant que M. Budai n’avait pas lui-même été « personnellement » pris pour cible par les incendiaires. Cela était de toute évidence déraisonnable.

 

[9]               Non seulement M. Budai n’était pas tenu de prouver qu’il était personnellement ciblé par les criminels, mais la Commission semble aussi avoir complètement occulté le fait que l’incendie était manifestement motivé par le racisme et le fait que la police avait vraisemblablement refusé d’enquêter, là aussi pour des motifs racistes.

 

[10]           La Commission ne semble pas avoir donné de l’importance à l’allégation voulant que M. Budai avait été renvoyé parce que certains de ses collègues ne voulaient pas travailler avec un Rom et qu’ils s’étaient plaints à leur employeur. Après avoir entendu cette allégation, la Commission a déclaré ceci : « Toutefois, son employeur savait à leur sujet lorsqu’il a été mis à la porte. » Bien qu’il n’incombe pas à la Cour de réexaminer les éléments de preuve présentés à la Commission dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la conclusion de la Commission est tout simplement incompréhensible en l’espèce.

 

[11]           Enfin et surtout, la Commission ne semble pas avoir saisi l’importance du rôle d’agents de persécution tenu par les policiers dans cette affaire.

 

[12]           Les demandeurs ont décrit les mauvais traitements auxquels ils avaient été soumis pendant de nombreuses années ainsi que l’inaction de la police à cet égard. Ils ont aussi décrit les mauvais traitements que les policiers eux‑mêmes leur avaient fait subir à plusieurs occasions. Aucun de ces éléments de preuve n’a été rejeté par la Commission en termes clairs et explicites. De fait, celle-ci a simplement ignoré la plupart des allégations.

 

[13]           Les demandeurs ont décrit la tentative de viol commis par des agents de police sur la personne de Mme Turjanyi et la volée de coups qu’a reçue de leur part M. Budai lorsqu’il a essayé d’intervenir pour mettre fin à l’agression, durant laquelle il s’est fait casser la gueule. Les demandeurs ont aussi précisé que les policiers ont menacé M. Budai pour s’assurer qu’il ne déposerait pas de plainte aux autorités.

 

[14]           M. Budai a également déclaré que la police a refusé de se rendre à l’hôpital où il avait été hospitalisé après avoir été attaqué à coups de couteau en juin 2006 lorsqu’elle a appris qu’il était Rom. Quant à Mme Turjanyi, après avoir été agressée dans le parc, elle a été l’objet de la moquerie des policiers qui l’ont accusée d’être une prostituée et qui ont refusé de prendre sa déposition en dépit de ses blessures flagrantes.

 

[15]           Dans ses motifs, la Commission ne donne qu’un très bref résumé des allégations des demandeurs et ne fait mention de pratiquement aucune des allégations relatives à l’inconduite de la police (ou plutôt à son inaction). Comme nous le verrons ci‑après, cela remet en question l’analyse qu’a faite la Commission de la question de la protection de l’État.

 

Protection de l’État

[16]           Je conviens avec les demandeurs que la Commission a fait erreur en ne tenant pas dûment compte des interactions entre les demandeurs et les autorités pour déterminer si les demandeurs pouvaient se prévaloir d’une protection de l’État adéquate en Hongrie. De fait, il semble que la Commission se soit livrée à une analyse confinée aux normes en s’attardant à des aspects comme la réforme de l’enseignement et les programmes de subventions à l’intention des familles défavorisées, des aspects qui n’ont que peu ou point de rapport avec l’affaire dont elle était saisie.

 

[17]           À aucun moment de son analyse la Commission ne traite vraiment de la question de savoir s’il était raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs réclament la protection de l’État hongrois à la lumière de l’information sur la situation dans le pays et de leurs propres rapports avec la police, ou s’il était raisonnable de s’attendre à ce que la protection de l’État leur soit accordée.

 

[18]           Il ne semble pas plus évident à la lecture des motifs de la Commission ou du dossier documentaire que les plaintes que les demandeurs auraient pu présenter à des organisations comme le Commissaire parlementaire pour les droits des minorités nationales et ethniques de la République de Hongrie ou la Commission indépendante des plaintes contre la police auraient assuré aux demandeurs une protection adéquate de l’État.

 

[19]           La Commission a admis que les critiques à l’endroit de la Hongrie sont « sans doute fondées » en ce qui concerne son application des lois censées protéger ses citoyens roms. Toutefois, elle a signalé que la Hongrie étant membre de l’Union européenne, elle rend des comptes régulièrement aux structures de gouvernance de cette union et « elle prend les mesures nécessaires pour appliquer les normes exigées par l’Union européenne ». Cependant, la Commission ne précise nullement dans ses motifs si elle a examiné la question de savoir si ces mesures engendrent véritablement une protection adéquate de l’État pour les citoyens roms de la Hongrie (voir Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, [2011] A.C.F. no 1663, au paragraphe 16). Cette erreur rend la décision de la Commission déraisonnable.

 

Conclusion

[20]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

 

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

 

 

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIERS

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7368-12

 

INTITULÉ :                                      CSABA BUDAI ET COLL. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 21 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE MACTAVISH

 

DATE :                                              Le 27 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ndija Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOICATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ME JEFFREY L. GOLDMAN

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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