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Date : 20130524

Dossier : IMM-7895-12

Référence : 2013 CF 541

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2013

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

 

MUHAMMAD DAQA

DUAA DAQA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

[1]               En 2006, M. Muhammad Daqa et son épouse, Mme Duaa Daqa, ont quitté Israël et ont demandé l’asile au Canada. En 2008, un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accueilli leurs demandes au motif qu’ils craignaient d’être persécutés pour des raisons politiques et qu’il existait une politique discriminatoire dans leur pays selon laquelle ils ne pouvaient pas cohabiter. Ils sont devenus résidents permanents du Canada en 2010.

 

[2]               En 2011, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a cherché à faire annuler les demandes d’asile des demandeurs au motif qu’elles contenaient des déclarations inexactes. Le ministre a soutenu que M. Daqa n’avait pas déclaré avoir passé plusieurs années aux États-Unis et qu’il avait été expulsé des États-Unis et renvoyé en Israël. En particulier, le ministre a affirmé que, pendant qu’il était aux États-Unis, M. Daqa a utilisé le nom « Dacca », qu’il a fréquenté l’école de 1997 à 2004, qu’il a été accusé de possession de faux chèques et qu’il a été déclaré coupable de s’être marié à des fins frauduleuses. Dans sa demande d’asile, M. Daqa a déclaré qu’il habitait et travaillait en Israël entre 1996 et 2006 et qu’il ne possédait aucun casier judiciaire dans un autre pays.

 

[3]               Monsieur Daqa a été arrêté et extradé aux États-Unis. Il était détenu au moment de l’audience visant à faire annuler le statut de réfugié des demandeurs, laquelle était prévue en janvier 2012. Cependant, cette audience a été reportée parce que M. Daqa n’avait pas reçu un avis suffisant pour lui permettre de participer. L’audience a été fixée au 18 mai 2012, mais encore une fois, M. Daqa n’était pas en mesure de participer. Malgré tout, la Commission a entendu les allégations du ministre et a accueilli sa demande.

 

[4]               La Commission a conclu que l’avocat des demandeurs n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour assurer la participation de M Daqa à l’audience. Elle a également conclu que les demandeurs avaient obtenu leur statut de réfugiés de manière frauduleuse. Bien que les déclarations inexactes aient été faites par M. Daqa, la Commission estime qu’il est peu probable que Mme Daqa n’était pas au courant. De plus, comme la demande de Mme Daqa était entièrement fondée sur celle de M. Daqa, et qu’il n’y avait aucune autre preuve qui mériterait que son statut de réfugiée soit indépendamment reconnu, la Commission a annulé le statut de M. Daqa ainsi que celui de Mme Daqa.  

 

[5]               Les demandeurs prétendent que la Commission a traité M. Daqa de manière inéquitable en tenant l’audience sans lui. Ils ajoutent que la Commission a déraisonnablement annulé le statut de réfugié de Mme Daqa en se fondant uniquement sur les déclarations inexactes de M. Daqa. Ils me demandent d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner à un autre tribunal de procéder à un nouvel examen de la demande du ministre.

 

[6]               Je ne suis pas convaincu que M. Daqa a été traité de manière inéquitable. Il a eu une possibilité raisonnable de participer à l’audience. Cependant, je ne suis pas non plus convaincu que la Commission a raisonnablement annulé le statut de réfugié de Mme Daqa. Par conséquent, je vais accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner à un autre tribunal de la Commission de réexaminer la demande du ministre visant à faire annuler le statut de Mme Daqa.  

 

[7]               Les points en litige sont les suivants :
            1.         La Commission a-t-elle traité M. Daqa de manière inéquitable?

            2.         La Commission a-t-elle conclu de manière déraisonnable que la demande d’asile de Mme Daqa devrait être annulée?

 

II.        La décision de la Commission

[8]               La Commission a conclu que M. Daqa avait eu une possibilité raisonnable de participer à l’audience. Son absence était due au fait que les demandeurs n’ont pas déployé des efforts raisonnables pour s’assurer que M. Daqa puisse participer.

 

[9]               Comme je l’ai déjà mentionné, la Commission avait déjà accordé un ajournement pour faciliter la participation de M. Daqa. Elle avait alors précisément confié à l’avocat de M. Daqa la tâche de prendre les mesures nécessaires. La Commission a souligné que l’avocat n’avait fourni aucun renseignement sur le protocole relatif aux communications de l’établissement correctionnel où M. Daqa était détenu en Géorgie ni aucune preuve sur les communications avec l’établissement. L’avocat a affirmé avoir essayé de communiquer avec quelqu’un de l’établissement, mais qu’on lui a raccroché la ligne au nez.

 

[10]           La Commission n’était pas convaincue que cet élément de preuve montrait que les demandeurs avaient déployé des efforts raisonnables pour que M. Daqa puisse participer à l’audience.

 

[11]           En ce qui concerne Mme Daqa, la Commission a conclu qu’elle était partie aux déclarations inexactes de M. Daqa et que ces déclarations [traduction] « vicient tout le processus de détermination du statut de réfugié ». Elles empêchaient le tribunal d’explorer diverses pistes d’enquête, y compris la preuve relative à l’identité des demandeurs, à leur crédibilité, au bien-fondé de leurs demandes et à la possibilité qu’ils aient été exclus de la définition de réfugié en vertu de la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés. De plus, la Commission a jugé qu’il était peu probable que Mme Daqa n’ait pas été au courant des déclarations inexactes faites par son mari, et il n’y avait aucune autre preuve non viciée à l’appui de sa demande d’asile.

 

[12]           Par conséquent, la Commission a annulé le statut de réfugié des deux demandeurs.

 

III.       Première question en litige - La Commission a-t-elle traité M. Daqa de manière inéquitable?

[13]           Je ne peux pas dire que la Commission a commis une erreur en concluant que M. Daqa avait eu une possibilité raisonnable de participer à l’audience.

 

[14]           L’avocat qui représentait les demandeurs lors de l’audience d’annulation n’a pas prouvé qu’il comprenait les mesures qui auraient pu être prises ou qui était responsable de les prendre. Cependant, à l’audience de janvier 2012, la Commission a clairement imposé à l’avocat des demandeurs le fardeau de prendre les mesures nécessaires en vue de la prochaine audience. À différents moments, il semble que l’avocat ait communiqué avec la Commission pour lui indiquer l’endroit où Mme Daqa était incarcérée, mais la Commission lui a dit à nouveau qu’il lui incombait de fournir les renseignements nécessaires pour communiquer avec M. Daqa. L’avocat a donné quelques renseignements : une adresse, un numéro de téléphone et un numéro de télécopieur et une adresse électronique de l’établissement correctionnel aux États-Unis où M. Daqa était détenu – mais il n’a pas fourni le code du RNIS (réseau numérique à intégration de services) pour la vidéoconférence. Il n’a pas non plus donné à M. Daqa le numéro de téléphone de la Commission pour qu’il puisse téléphoner de l’établissement ni tenté de prendre d’autres mesures ni demandé à la Commission d’examiner la possibilité de déposer un affidavit de M. Daqa après l’audience.

 

[15]           J’estime que la Commission a raisonnablement conclu que M. Daqa avait eu une possibilité raisonnable de participer à l’audience et qu’elle n’a pas traité M. Daqa de manière inéquitable en tenant l’audience en son absence. De plus, je ne dispose d’aucune preuve au sujet du témoignage qu’aurait fait Mme Daqa ou d’un préjudice qui aurait découlé de la décision de la Commission de tenir l’audience en l’absence de M. Daqa. Par conséquent, compte tenu de toutes les circonstances, je ne peux pas conclure que M. Daqa a été traité de manière inéquitable.

 

IV.       La Commission a-t-elle conclu de manière déraisonnable que la demande d’asile de Mme Daqa devrait être annulée?

[16]           À mon avis, la Commission a omis de prêter une attention particulière aux circonstances distinctes de Mme Daqa. Sa demande était effectivement fondée sur l’exposé de M. Daqa, mais peu d’éléments, voire aucun, tirés de cet exposé (lequel constituait le fondement véritable des demandes d’asile du couple) ont été touchés par les déclarations inexactes de M. Daqa. Les demandeurs se sont rencontrés et mariés après que M. Daqa eut été expulsé des États-Unis, et au moins quelques-unes des allégations initiales de persécution qui touchaient Mme Daqa, lesquelles étaient postérieures aux activités de M. Daqa aux États-Unis, sont demeurées inchangées. Par exemple, les déclarations inexactes de M. Daqa n’avaient aucune incidence sur les éléments de preuve suivants dont disposait la Commission :

            •           Les pièces d’identité de Mme Daqa et le certificat de mariage du couple étaient valides;

            •           Monsieur et Mme Daqa ne pourraient pas habiter ensemble parce que sa famille était originaire de la Cisjordanie;

            •           La famille de Mme Daqa a été obligée de partir d’Israël et de déménager en Cisjordanie;

            •           Si Mme Daqa retournait en Israël, elle serait dépouillée de son statut de résidente, retournerait en Cisjordanie et serait séparée de son mari.

 

[17]           À mon avis, la Commission était tenue d’examiner la preuve et se demander si elle appuyait la demande d’asile de Mme Daqa.

 

[18]           Aussi, la Commission a jugé qu’il était peu probable que Mme Daqa n’ait pas été au courant des déclarations inexactes de son mari, mais elle ne cite aucun élément de preuve et ne donne aucune raison pour justifier une telle conclusion. Tous les événements que M. Daqa a omis de déclarer précédaient leur mariage. Les parents de M. Daqa ont affirmé qu’ils n’étaient pas au courant non plus. La raison pour laquelle la Commission a conclu que Mme Daqa était probablement au courant des déclarations inexactes de son mari et qu’elle en était complice n’est pas claire.

 

[19]           Je suis donc d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle la demande d’asile de Mme Daqa devrait être annulée était déraisonnable et je vais accueillir la présente demande de contrôle judiciaire pour ce motif uniquement.

 

V.        Conclusion et dispositif

[20]           La Commission a donné à M. Daqa une possibilité raisonnable de participer à l’audience et, par conséquent, l’a traité de façon équitable. Cependant, la Commission n’a pas correctement examiné la preuve à l’appui de la demande d’asile de Mme Daqa et n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle a jugé invraisemblable sa prétention selon laquelle elle n’était pas au courant des déclarations inexactes de son mari. Par conséquent, je vais accueillir la demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne Mme Daqa et d’ordonner à un tribunal différemment constitué de la Commission de réexaminer la demande du ministre visant à faire annuler son statut de réfugiée. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier et aucune ne sera énoncée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie en ce qui concerne Mme Daqa;

2.                  L’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission afin qu’il réexamine la demande du ministre visant à faire annuler son statut de réfugiée;

3.                  Aucune question de portée générale n’est soulevée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7895-12

 

INTITULÉ :                                      MUHAMMAD DAQA, ET AL

                                                            c

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                           LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 24 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Tessa Kroeker

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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