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Date : 20130523

Dossier : T-1318-12

Référence : 2013 CF 545

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 23 mai 2013

En présence de madame la juge Simpson

 

ENTRE :

 

CHRIS BRAZEAU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Chris Brazeau (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) datée du 5 juin 2012 et prise en application du paragraphe 44(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (La Loi), par laquelle elle a décidé de ne pas renvoyer la plainte du demandeur au Tribunal canadien des droits de la personne (la décision). La plainte du demandeur était fondée sur deux motifs : (i) l’omission de prendre les mesures d’adaptation nécessaires compte tenu de son invalidité (trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA)), ou de traiter cette invalidité, et (ii) l’omission de prendre les mesures d’adaptation nécessaires compte tenu de sa religion. La réclamation fondée sur les motifs religieux a fait l’objet d’un règlement.

 

[2]               Le demandeur est un détenu sous responsabilité fédérale dont l’incarcération avait commencé en 2003 à l’Établissement Stoney Mountain, au Manitoba. Le 20 juillet 2005, il avait été transféré à l’Établissement Kent, en Colombie‑Britannique (Kent), d’où il avait été transféré au Centre régional de traitement (CRT), qui est situé à Abbotsford. Il y était suivi par la Dre Martha Healey, qui est psychiatre et qui est aussi la directrice du CRT. Le 17 octobre 2006, elle lui avait prescrit du Ritalin pour traiter son THADA. Ritalin est un des nombreux noms commerciaux de médicaments composés de méthylphénidate. Ce médicament, tout comme le Vyvanse, qui est composé de lisdexamfétamine, et le Biphentin, un autre médicament composé de méthylphénidate, traitent le THADA en stimulant du système nerveux central. J’utiliserai pour les désigner l’expression « stimulants ».

 

[3]               Le Ritalin avait eu des effets positifs sur le demandeur. Cependant, le 11 avril 2008, la Dre Healey a annulé sa prescription, parce qu’on lui avait dit que le Service correctionnel du Canada croyait que le demandeur fournissait du Ritalin aux autres détenus. Le demandeur avait aussitôt été renvoyé à l’Établissement Kent et il n’avait pas reçu de traitement pour son THADA pendant 5 mois. Au cours de cette période, il a passé 4 mois en isolement.

 

[4]               Le Dr Allan Moore est l’omnipraticien qui était chargé de la supervision des soins du demandeur après son retour à l’Établissement Kent. Il a prescrit du Strattera au demandeur au cours du mois de septembre 2008 pour traiter son THADA. Bien que le Strattera soit reconnu comme un médicament traitant le THADA, celui-ci n’est pas un stimulant et il n’avait pas dissipé les symptômes de THADA du demandeur. Le demandeur avait pris ce médicament pendant environ 6 semaines, mais il avait arrêté de l’utiliser en raison des effets secondaires.

 

[5]               Douze mois se sont écoulés (au cours desquels le demandeur avait une fois de plus passé beaucoup de temps en isolement) avant qu’on ne lui offre d’autres médicaments pour traiter son THADA. Cette offre lui était venue du Dr Siani, psychiatre, qui ne recommandait pas l’usage de stimulants et qui lui avait suggéré le Strattera, un médicament que le demandeur avait auparavant rejeté en raison de ses effets secondaires. Le Dr Siani suggérait aussi la clonidine et la venlafaxine. Cependant, ces médicaments ne traitent pas le THADA. Par conséquent, à mon avis, il était raisonnable pour le demandeur de refuser de les prendre.

 

[6]               Après deux autres mois pendant lesquels il n’avait pas reçu de traitements pour son THADA, le demandeur a été vu par la Dre Preece le 22 mars 2010. Elle est aussi psychiatre et elle a recommandé l’usage de stimulants. Cette recommandation pour qu’un stimulant soit prescrit au demandeur était appuyée par l’infirmier Dave Kereliuk après une rencontre avec le demandeur le 26 mai 2011. Il a proposé un traitement au moyen de Biphentin.

 

[7]               Entre temps, le Dr Moore a prescrit deux non‑stimulants, l’Effexor pour son THADA en septembre 2010, un médicament que le demandeur a pris seulement pendant une courte période en raison des effets secondaires, et le Zoloft, un médicament qui n’est pas employé pour traiter le THADA. Ce médicament a été prescrit en janvier 2011 et il aidait le demandeur à contrôler son anxiété.

 

[8]               Ce n’est que 15 mois après que la Dre Preece avait formulé sa recommandation que le Dr Moore a prescrit le stimulant Vyvanse au demandeur.

 

I. La plainte

[9]               La plainte du demandeur (la plainte) a été rédigée le 13 mai 2009, et le défendeur l’a reçue le 25 mai 2009. Cependant, étant donné que le demandeur était engagé dans des procédures de règlement de griefs, la plainte n’avait pas été considérée comme en cours avant le 16 février 2011. La plainte a par la suite fait l’objet d’une enquête; le rapport d’enquête est daté du 28 février 2012 (le rapport).

 

[10]           Il est allégué dans la plainte que le demandeur a besoin d’un stimulant pour traiter son THADA et que du Ritalin lui avait été prescrit, mais qu’on lui avait ensuite refusé ce médicament, et ce, sans justification. On y affirme que les longues périodes que le demandeur avait passé en isolement à l’Établissement Kent étaient en partie attribuables à l’omission du défendeur de lui fournir un traitement efficace.

 

[11]           Il est aussi allégué dans la plainte que le Dr Moore avait affirmé, le 13 mai 2009, qu’il refusait de traiter des gens ayant un THADA et que le demandeur avait conclu que le Dr Moore faisait de la discrimination à son égard en raison de son invalidité.

 

[12]           Contrairement à ce que le défendeur a affirmé à maintes reprises, mon examen de la plainte révèle que le demandeur n’avait pas demandé du Ritalin. Il affirme dans sa plainte qu’on lui avait prescrit un [traduction] « médicament à base de méthylphénidate ». Il y mentionne ensuite : [traduction] « le Ritalin est un nom populaire. Ce type de médicament ne se limite pas à ce nom commercial ou à cette forme de médicament ». Je suis d’avis que le demandeur n’a pas insisté pour qu’on lui donne du Ritalin. Il demandait plutôt qu’on lui fournisse n’importe quel médicament ayant pour effet de stimuler son système nerveux central, puisqu’un tel type de médicament s’était avéré efficace au CRT.

 

II. Le rapport

[13]           J’ai conclu que le rapport n’est pas adéquat et que la recommandation qu’il contient à l’attention de la Commission, selon laquelle la plainte ne devrait pas être renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne, est viciée, et ce, pour les motifs exposés ci‑dessous. Cette conclusion signifie que la décision doit être annulée, parce qu’elle ne répond pas aux exigences en matière d’équité procédurale.

1.         Le Dr Moore n’a pas été interrogé. Cela signifie que l’enquêteur ne connaissait pas les réponses aux questions suivantes :

-      Le Dr Moore savait‑il que la Dre Healey avait réussi à traiter le demandeur avec un stimulant au CRT?

-      Le Dr Moore avait‑il envisagé de traiter le demandeur avec un stimulant en utilisant un mode d’administration sécuritaire qui empêcherait que le médicament soit détourné vers les autres détenus?

-      Le Dr Moore a‑t‑il refusé de traiter le demandeur avec des stimulants et, le cas échéant, pourquoi?

-      Le Dr Moore était‑il disposé à traiter un THADA et, dans la négative, pourquoi?

-      Pourquoi le Dr Moore a‑t‑il attendu 5 mois avant d’offrir du Strattera?

-      Pourquoi le Dr Moore a‑t‑il attendu 12 mois avant de consulter le Dr Siani après avoir constaté que le demandeur ne pouvait tolérer le Strattera?

-      Quels efforts le Dr Moore a‑t‑il déployés en vue de déterminer et de surmonter les « risques » liés au fait de donner au demandeur les stimulants identifiés par le Dr Siani?

-      Pourquoi le Dr Moore a‑t‑il attendu 15 mois après que la Dre Preece avait recommandé un stimulant en mars 2010 pour en prescrire un – le Vyvanse – en juin 2011?

2.         L’enquêteur semble avoir cru à tort que le demandeur ne prendrait que du Ritalin pour traiter son THADA. Cependant, cette croyance est contredite par la plainte, par l’affirmation du défendeur selon laquelle le demandeur s’était montré coopératif dans la recherche d’un traitement efficace et par le fait que le demandeur avait effectivement pris du Strattera et de l’Effexor, alors que ni l’un ni l’autre n’est un stimulant.

3.         L’enquêteur ne s’est pas penché sur la question de savoir si le fait de ne pas donner de stimulants au demandeur était raisonnable, compte tenu des politiques et des pratiques qui auraient permis au personnel médical de l’Établissement Kent de les lui administrer, et ce, sans risque que les stimulants soient détournés vers les autres détenus.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

Concernant l’incapacité

La décision relative à l’incapacité (THADA) du demandeur est annulée, et une nouvelle enquête concernant la réclamation fondée sur l’incapacité du demandeur dans la plainte datée du 13 mai 2009 est par les présentes ordonnée, conformément aux présents motifs. Le Dr Moore (qui, selon ce qu’on me mentionne, travaille toujours à l’Établissement Kent) fera l’objet d’un interrogatoire, au cours duquel on lui posera les questions énumérées ci‑dessus, en plus de toute autre question relevée par l’enquêteur.

 

Le défendeur est responsable des dépens du demandeur, conformément à la Colonne III du tarif B des Règles des Courts fédérales. Si les parties ne peuvent s’entendre au sujet d’une somme forfaitaire, j’entendrai leurs observations au sujet de la fixation du montant des dépens.

 

Concernant la religion

            La décision relative à la revendication du demandeur quant à cette rubrique est annulée sur consentement, et une nouvelle enquête sera lancée à l’égard de la plainte du demandeur datée du 13 mai 2009 à ce sujet. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1318-12

 

INTITULÉ :                                      CHRIS BRAZEAU

                                                            c

                                                            PGC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 mai 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      La juge Simpson

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           Le 23 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jennifer Metcalfe

 

POUR LE DEMANDEUR

Sarah-Dawn Norris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Prisoners’ Legal Services

Abbotsford (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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