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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20130522

Dossier : IMM-4470-12

Référence : 2013 CF 533

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

MOHAMMADSADEGH  MOHAGHEGHZADEH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur et son épouse cherchent à venir au Canada au titre du programme des travailleurs qualifiés (fédéral). L’agent des visas a accordé 66 points au demandeur, soit un point de moins que les 67 points requis, selon les articles 76 à 83 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

[2]               Le demandeur a reçu le nombre maximum de points pour ses études. Son épouse, qui détient un diplôme de six années en dentisterie et qui est titulaire d’un permis d’exercice en Iran, a obtenu quatre points sur une possibilité de cinq au titre de la capacité d’adaptation. Se fondant sur le Guide opérationnel OP 6A (l’OP 6A) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), lequel énonce qu’un diplôme de médecine correspond généralement à un diplôme universitaire de premier cycle plutôt qu’à un diplôme d’études supérieures, l’agent des visas a décidé que quatre points étaient appropriés.

 

[3]               Le demandeur conteste cette décision au motif que le bureau des visas de Damas accordait le nombre maximum de cinq points pour les diplômes en médecine et en dentisterie. En raison de la disponibilité des ressources, la demande du demandeur avait cependant été transférée de Damas à Varsovie. Le demandeur soutient que cela a entraîné un manquement à l’équité procédurale, étant donné qu’il avait une attente légitime d’après laquelle le traitement de sa demande continuerait d’être soumis à la pratique en vigueur à Damas.

 

[4]               À l’appui de cet argument, le demandeur a fourni un courriel, daté du 3 mai 2012, d’un analyste de CIC qui expliquait que le bureau des visas de Damas accordait le nombre maximum de points pour les diplômes en médecine et en dentisterie jusqu’à l’été 2010, mais que cette pratique avait subséquemment été normalisée, en conformité avec l’OP 6A. Le demandeur étaye cet argument par le libellé du Guide opérationnel 1 (l’OP 1), lequel traite de la procédure à suivre lorsqu’une demande de visa est transférée d’un bureau à un autre. L’article 5.19 de l’OP 1 est libellé ainsi :

Aux fins d’évaluation, un bureau des visas qui reçoit un dossier transféré doit retenir la date originale de réception de la demande comme « date déterminante ». Aux fins de traitement, toutes les étapes de traitement d’une demande transférée, incluant la détermination des dates d’entrevue, devraient être les mêmes que celles de toute autre demande reçue par le bureau des visas la journée correspondant à la « date déterminante » de la demande transférée. Cela veut dire qu’une demande qui est reçue par Paris en juillet 2002 et transférée à New Delhi en mars 2003 serait mise en file d’attente à New Delhi avec les demandes faites en juillet 2002.

 

 

[5]               Le défendeur a aussi fourni une preuve additionnelle par affidavit. Une agente d’immigration, Julia Gurr Lacasse, qui avait été mutée du bureau de Damas à celui de Varsovie en janvier 2012 expliquait que depuis l’automne 2009, le bureau des visas de Damas accordait les points aux diplômes médicaux iraniens en conformité avec l’OP 6A.

 

Admissibilité de la preuve

 

[6]               La première question à examiner est l’admissibilité de la preuve par affidavit. Dans un contrôle judiciaire, des éléments de preuve additionnels peuvent uniquement être admis pour l’examen des questions d’équité procédurale et de compétence. Le fond de la décision est contrôlé selon les documents dont le décideur disposait : Tabañag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1293, au paragraphe 14.

 

[7]               L’affidavit de Julia Gurr Lacasse est admissible, vu qu’il répond uniquement à la question de l’équité procédurale, et qu’il ne vise pas à compléter la décision.

 

[8]               Le demandeur a aussi fourni un affidavit auquel étaient jointes plusieurs pièces, y compris une lettre de l’Université Chiraz de sciences médicales. Cet élément de preuve visait le fond de la décision et n’avait pas été présenté à l’agent des visas. Par conséquent, il n’est pas possible de s’y fonder à cette étape pour étayer la demande. Le courriel d’un analyste de CIC est admissible étant donné que, comme l’affidavit de Julia Gurr Lacasse, il a trait à la question de l’équité procédurale.

 

Attente légitime

 

[9]               Pour établir une attente légitime, le demandeur doit démontrer que CIC a fait des affirmations « claires, nettes et explicites » concernant le processus à suivre : Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, au paragraphe 68. L’attente légitime peut uniquement viser la procédure, et non une issue précise : Centre hospitalier Mont‑Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, au paragraphe 35.

 

[10]           CIC n’a pas fait les affirmations nettes requises à l’appui d’un argument fondé sur l’attente légitime. L’article 10.2 de l’OP 6A dispose que les diplômes en médecine et en dentisterie correspondent généralement à un diplôme universitaire de premier cycle, en l’absence de preuve contraire :

Un diplôme de médecine correspond généralement à un diplôme universitaire de premier cycle, au même titre qu’un baccalauréat en droit ou un baccalauréat en pharmacie, même s’il s’agit d’un diplôme « professionnel », et devrait donner 20 points. S’il s’agit d’un diplôme de deuxième cycle et s’il est délivré par une faculté des Études supérieures, par exemple, 25 points pourraient être accordés. Si le baccalauréat est un préalable, mais que le diplôme en soi est considéré comme un diplôme de premier cycle, 22 points seront accordés. Il est important de s’informer de la façon dont l’administration locale responsable des établissements d’enseignement considère les diplômes, c’est-à-dire de premier cycle, de deuxième cycle ou d’études supérieures.

 

 

[11]           L’argument du demandeur selon lequel il avait une attente légitime que le diplôme en dentisterie de son épouse soit évalué comme un diplôme de deuxième cycle a deux composantes. La première composante est basée sur la directive du défendeur de l’OP 1, à l’article 5.19, relative à la date déterminante. La seconde composante est basée sur la pratique du bureau de Damas.

 

[12]           L’article 5.19 de l’OP 1 ne constitue pas un exemple de la façon dont un dossier sera traité. Il garantit simplement que les demandeurs de visas ne perdent pas leur place dans la file en cas de transfert de leur dossier. Il ne s’agit pas d’une garantie selon laquelle une demande sera [traduction] « enfermée » dans un certain ensemble de pratiques ou de critères prédominants à cette période à l’ambassade ou au consulat ayant reçu la demande. L’argument du demandeur revient à prétendre à l’existence d’un droit substantiel à une certaine issue, nommément, le fait que le diplôme serait considéré comme un diplôme de deuxième cycle, ce qui entraînerait une attribution de cinq points plutôt que de quatre points.

 

[13]           Pour ce qui est du second volet de l’argument du demandeur, la pratique du bureau de Damas de traiter les diplômes en médecine comme des diplômes de deuxième cycle n’étaye pas un argument fondé sur l’attente légitime. Selon moi, cet argument est directement visé par ce qu’a déclaré la juge Eleanor Dawson, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans la décision Yoon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 359, au paragraphe 20 :

L’argument de Mme Yoon ne peut être retenu. L’attente légitime ne peut exister lorsqu’elle est contraire aux dispositions expresses du Règlement. En outre, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 26, la Cour suprême du Canada a confirmé que « la doctrine de l’attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure ». La demande de Mme Yoon tend à obtenir un droit matériel, et non un droit procédural. Il ne peut être obtenu selon la doctrine de l’attente légitime.

 

Caractère raisonnable de la décision

 

[14]           Le second argument du demandeur a trait au fond de la décision.

 

[15]           Certaines questions se posent quant à la norme de contrôle applicable à cette question. Dans l’arrêt Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 339, la Cour d’appel fédérale a décidé que « la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent des visas est celle de la décision correcte ». Dans cet appel, la question en litige portait sur l’interprétation faite par l’agente des visas des paragraphes 78(2) et (3) du Règlement. Depuis lors, la Cour suprême du Canada a décidé que, lorsqu’un tribunal interprète sa propre loi constitutive ou une autre étroitement liée à son mandat, le tribunal est présumé avoir droit à la déférence : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 30 à 34.

 

[16]           Comme la juge Mary Gleason l’a relevé dans la décision Qin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 147, l’arrêt Khan peut être compris comme imposant la norme de la décision correcte à tous les aspects de la décision d’un agent des visas, y compris les conclusions sur des questions mixtes de faits et de droit. Toutefois, je souscris à la conclusion de la juge Gleason selon laquelle, lorsqu’on le comprend adéquatement, l’arrêt Khan énonce que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle applicable aux questions d’interprétation légale uniquement. La décision raisonnable est la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de faits et de droit, comme la question en litige dans la présente demande.

 

[17]           Il est bien connu que la décision raisonnable tient à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Le fait que certains agents des visas peuvent avoir, pendant un certain temps, considéré les diplômes en dentisterie de l’Iran comme des diplômes d’études supérieures ne limite ni l’étendue des issues raisonnablement acceptables ni le pouvoir discrétionnaire des agents dans des décisions subséquentes. Chaque agent des visas a le pouvoir d’effectuer une appréciation indépendante d’une demande. Il n’y a pas d’exigence d’uniformité. Dans chaque cas, la décision est examinée eu égard au cadre juridique et aux principes du droit administratif.

 

[18]           En l’espèce, l’agent des visas ne disposait pas de preuve étayant une conclusion que le diplôme en dentisterie était un diplôme universitaire de deuxième cycle, ou qu’il avait été délivré par une faculté d’études supérieures. Par conséquent, la décision de l’agent des visas résiste à un examen approfondi eu égard tant à la norme de la décision raisonnable, qu’à la norme de la décision correcte.

 

[19]           Bien qu’elle soit inadmissible, la lettre de l’Université Chiraz de sciences médicales n’étaye pas, de toute façon, le point de vue du demandeur. La lettre contient une déclaration selon laquelle [traduction] « le diplôme de docteur en dentisterie est reconnu comme un diplôme en sciences médicales pour l’admission à un programme de doctorat ». Cela ne règle pas la question de savoir s’il s’agit d’un diplôme d’études supérieures ou s’il a été délivré par une faculté d’études supérieures. Comme la juge Judith Snider l’a observé dans la décision Sirous Nekooei c Canada (Citizenship and Immigration), le 4 mai 2011 (IMM‑5704‑10), la définition de « diplôme » énoncée à l’article 73 du Règlement requiert que le diplôme soit reconnu par les autorités chargées de superviser et de réglementer de tels établissements dans le pays de délivrance de ce diplôme. L’auteur de cette lettre, en tant que chef des admissions, n’est probablement pas une autorité accréditée visée par le Règlement.

 

[20]           D’autres juges de la Cour ont conclu que des décisions étaient raisonnables lorsqu’il n’y avait pas de preuve que le diplôme professionnel était un diplôme de deuxième cycle ou un diplôme d’études supérieures. Dans la décision Mahouri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 244, le juge Michael Manson a confirmé le refus d’une agente des visas de délivrer un visa alors que la demanderesse détenait un doctorat en médecine de l’Université Chiraz de sciences médicales après huit années d’études et qu’elle détenait un diplôme dans une « spécialisation » après trois autres années d’études à la même université. L’époux de la demanderesse avait sept années d’études, et détenait un « doctorat en médecine » ainsi qu’un « diplôme dans une spécialisation » qu’il avait obtenu après quatre autres années d’études. Dans cette décision, l’agente avait conclu que les diplômes étaient tous les deux au niveau du baccalauréat. De façon semblable, dans la décision Rabiee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 824, le juge Michel Beaudry a conclu qu’un diplôme en médecine peut raisonnablement être considéré comme un diplôme de premier cycle, en l’absence d’éléments de preuve clairs établissant qu’il rempli les conditions d’un diplôme d’études supérieures.

 

Exigence d’une lettre relative à l’équité

 

[21]           L’agent des visas n’avait pas l’obligation de fournir une lettre relative à l’équité au demandeur parce qu’il incombe à ce dernier d’établir qu’il satisfait aux critères applicables pour l’entrée au pays. La question de savoir si un demandeur donné a l’expérience, la formation ou les études pertinentes et les diplômes requis, comme l’exige le Règlement, est fondée directement sur les exigences légales et réglementaires. Il appartient donc au demandeur de soumettre les éléments de preuve voulus pour établir qu’il satisfait à toutes les exigences préalables : Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1279, au paragraphe 22.

 

[22]           Par conséquent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 



JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-4470-12

 

INTITULÉ :                                            MOHAMMADSADEGH MOHAGHEGHZADEH

                                                                  c

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 10 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                 Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS :                           Le 22 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Donald M. Greenbaum, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Donald M. Greenbaum, c.r.

Avocat et notaire public
Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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