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Date : 20130514

Dossier : T‑1561‑12

Référence : 2013 CF 498

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

 

ENTRE :

 

JODY LEE VILLENEUVE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Commission d’appel des pensions (la Commission) a, en vertu du paragraphe 83(1) du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8, (le RPC). La Commission a refusé d’accorder à la demanderesse une prorogation du délai qui lui était imparti pour interjeter appel de la décision rendue le 17 août 2011 par un Tribunal de révision (le Tribunal).

 

Contexte

[2]               Le 7 juillet 2001, la demanderesse, Jody Lee Villeneuve, a épousé Stéphane Villeneuve. Le 25 février 2007, ou vers cette date, ils ont cessé de faire vie commune.

 

[3]               M. Villeneuve a emménagé dans la résidence de Leigh‑Anne Morris, où il a commencé à habiter comme locataire au sous‑sol. En mai 2007, M. Villeneuve et Mme Morris ont commencé à développer des rapports personnels. Le 12 juillet 2008, M. Villeneuve est décédé. Avant son décès, il avait cotisé au RPC.

 

[4]               Le 22 juillet 2008, la demanderesse a présenté une demande de pension de survivante au titre du RPC dans laquelle elle avait indiqué qu’elle et M. Villeneuve avaient été légalement mariés, mais qu’ils ne vivaient plus ensemble au moment du décès de ce dernier.

 

[5]               Le 25 juillet 2008, Mme Morris a elle aussi réclamé la même pension de survivante. Mme Morris a expliqué dans sa Déclaration officielle d’union de fait qu’elle et M. Villeneuve avaient commencé à faire vie commune le 28 février 2007 et qu’ils avaient vécu maritalement sans interruption jusqu’au décès de M. Villeneuve.

 

[6]               Le 2 octobre 2008, le ministère du Développement des ressources humaines du Canada (DRHC) a fait savoir à la demanderesse que sa demande de pension de survivante ne pouvait être acceptée étant donné qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions d’admissibilité du RPC. Plus précisément, elle ne répondait pas à la définition de conjointe survivante, étant donné que le cotisant avait une autre conjointe de fait au moment de son décès, en l’occurrence Mme Morris.

 

[7]               Le 18 décembre 2008, la demanderesse a réclamé un réexamen de cette décision et, le 30 mars 2009, elle a transmis des renseignements supplémentaires pour étayer sa demande. Le 11 décembre 2009, la demanderesse a été informée par DRHC qu’après réexamen, la décision avait été confirmée.

 

[8]               Le 17 décembre 2009, la demanderesse a, en vertu de l’article 82 du RPC, déposé un avis d’appel de la décision de DRHC, dont le commissaire du Tribunal a accusé réception le 18 janvier 2010. Par lettre datée du 31 mai 2010, le Tribunal a informé Mme Morris de la réception de l’avis d’appel et l’a autorisée à intervenir à l’instance à titre de « partie jointe ».

 

[9]               La question soumise au Tribunal était celle de savoir si Mme Villeneuve répondait à la définition de conjointe survivante prévue à l’alinéa 42(1)a) du RPC et si elle avait par conséquent droit à une pension de survivante en vertu de l’alinéa 44(1)d) du RPC.

 

[10]           Dans sa décision du 17 août 2011, le Tribunal a confirmé la décision de DRHC et a rejeté l’appel de la demanderesse. Il a conclu que Mme Morris et M. Villeneuve avaient vécu maritalement pendant une période d’au  moins un an jusqu’au moment du décès. Par conséquent, Mme Morris était la conjointe de fait de M. Villeneuve et elle était la conjointe survivante qui était admissible à la prestation de survivante prévue par le RPC. Le Tribunal a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[34]      Après avoir examiné l’ensemble des documents déposés tant par l’appelante que par les parties jointes et après avoir entendu les témoignages et les arguments des parties, le Tribunal conclut que le cotisant décédé Stéphane Villeneuve et Leigh‑Ann Morris cohabitaient au moment du décès de M. Villeneuve et que cette cohabitation durait depuis plus d’un an.

 

[11]           Par avis d’appel daté du 8 décembre 2011, la demanderesse a sollicité la permission d’interjeter appel de la décision du Tribunal en vertu du paragraphe 83(1) du RPC. Elle a reconnu que sa demande était assujettie au délai d’appel de 90 jours. Par lettre du 19 décembre 2011, la Commission a informé la demanderesse qu’elle devait se conformer à l’article 5 des Règles de procédure de la Commission d’appel des pensions (prestations) (les Règles de la Commission) ainsi qu’aux quatre critères énoncés dans le jugement Canada (Ministre du Développement des Ressources Humaines) c Gattellaro, 2005 CF 883 [Gattellaro], pour pouvoir obtenir la prorogation du délai qui lui était imparti pour faire appel.

 

[12]           En réponse, le nouvel avocat de la demanderesse a soumis une lettre datée du 25 janvier 2012 dans laquelle il déclarait que la demanderesse avait toujours l’intention de poursuivre l’appel, que sa cause était défendable, qu’elle pouvait raisonnablement expliquer le retard de 18 jours qu’accusait le dépôt de son avis d’appel et que la prorogation du délai demandé ne causerait aucun préjudice.

 

[13]           Le 2 avril 2012, la Commission a rendu une décision par laquelle elle a refusé la demande de prorogation du délai imparti à la demanderesse pour déposer son avis d’appel (la décision). Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

La décision à l’examen

[14]           La décision mentionne le paragraphe 83(1) du RPC, la lettre du 19 décembre 2011 de la Commission adressée à la demanderesse et la réponse du 25 janvier 2012 de l’avocat de la demanderesse dans laquelle sont mentionnés les critères du jugement Gattellaro. La Commission a déclaré que les critères du jugement Gattellaro étaient cumulatifs et que les quatre éléments dont il fallait tenir compte étaient les suivants :

1.         il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;

2.         la cause est défendable;

3.         le retard a été raisonnablement expliqué;

4.         la prorogation du délai ne causera pas de préjudice à l’autre partie.

 

 

[15]           La Commission s’est dite convaincue que la demanderesse satisfaisait au premier, au troisième et au quatrième critères. Elle s’est dite toutefois surtout préoccupée par le fait que la demanderesse ne satisfaisait pas au second critère, celui de la cause défendable.

 

[16]           La Commission a cité le jugement Callihoo c Canada (Procureur général), [2000] ACF no 612 [Callihoo] à l’appui du critère auquel il faut satisfaire pour démontrer que la cause est défendable et que la demande a des chances sérieuses d’être accueillie :

[22]      En l’absence d’une nouvelle preuve importante qui n’aurait pas été examinée par le tribunal de révision, une demande d’autorisation a des chances sérieuses d’être accueillie lorsque le décideur conclut qu’il en ressort une question ou une erreur de droit, appréciée en vertu de la norme de la décision correcte, ou une erreur de fait importante commise de façon déraisonnable ou arbitraire à la lumière de la preuve […]

 

[17]           La Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait une cause défendable :

[traduction]

[15]      Je ne trouve rien dans le dossier complet qui m’a été soumis qui me permettait de penser que la demanderesse a une cause défendable selon les principes de droit énoncés dans le jugement Callihoo.

 

[16]      Le tribunal de révision a clairement exposé ses constatations et expliqué son appréciation de la crédibilité et énoncé ses conclusions et les motifs pour lesquels il en arrivait à ces conclusions. J’estime que la demande ne soulève pas de question d’erreur de droit, selon la norme de la décision correcte, que le tribunal n’aurait pas examinée et j’estime que le tribunal n’a pas commis d’erreur grave, déraisonnable ou arbitraire, compte tenu des constatations qu’il a tirées au sujet des éléments de preuve contenus dans sa décision (la seule erreur est une erreur de frappe au paragraphe 21 de la décision où il a écrit 2 juillet au lieu de 12 juillet).

 

[…]

 

[20]      Pour ces motifs, la demande d’ordonnance de prorogation de délai d’appel est refusée.

 

Questions en litige

[18]             Je formulerais comme suit les questions en litige :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande de prorogation du délai imparti à la demanderesse pour demander l’autorisation d’interjeter appel de la décision du Tribunal?

 

Norme de contrôle

[19]           Il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme à appliquer (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57 [Dunsmuir]).

 

[20]           Suivant la jurisprudence, la norme de contrôle applicable dans le cas d’une décision de la Commission concernant une demande de prorogation de délai est la norme de la décision raisonnable (Leblanc c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2010 CF 641, au paragraphe 15 [Leblanc]; Canada (Procureur général) v Graca, 2011 CF 615, au paragraphe 10 [Graca]; Handa v Canada (Procureur général), 2008 CAF 223, aux paragraphes 10 à 12 [Handa]).

 

[21]           Le tribunal chargé de contrôler une décision selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) v Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]).

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande de prorogation du délai imparti à la demanderesse pour demander l’autorisation d’interjeter appel de la décision du Tribunal?

 

Prétentions et moyens de la demanderesse

[22]           La demanderesse affirme que la Commission a estimé de façon déraisonnable qu’elle n’avait pas démontré qu’elle avait une cause défendable. La demanderesse affirme que sa cause défendable est qu’elle est la conjointe survivante ayant droit à la pension de survivante, étant donné que Mme Morris n’était pas la conjointe de fait de M. Villeneuve au sens du RPC. Il existe des éléments de preuve convaincants et déterminants suivant lesquels, au moment du décès de M. Villeneuve, Mme Morris et M. Villeneuve vivaient séparément et qu’en fait, Mme Morris vivait maritalement avec un autre homme, M. Sager.

 

[23]           La demanderesse affirme que, bien que la Commission ait mentionné sa lettre du 25 janvier 2012, elle n’a pas abordé les observations spécifiques dans lesquelles la demanderesse démontrait qu’elle avait une cause défendable. La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas le Tribunal, mais que la demanderesse avait l’intention de soumettre à la Commission si elle autorisait son appel. La demanderesse allègue que la Commission a omis de mentionner les observations suivantes :

a.         M. Sager a témoigné qu’il vivait maritalement avec Mme Morris au domicile de cette dernière au moment du décès de M. Villeneuve.

 

b.         La demanderesse a l’intention de présenter de nouveaux éléments de preuve en contraignant M. Sager à témoigner en personne en lui envoyant une assignation à comparaître pour permettre au juge des faits d’apprécier la crédibilité de M. Sager.

 

c.         Le défunt avait signé un bail et vivait seul dans son propre appartement au moment de son décès.

 

d.         La demanderesse a l’intention de présenter de nouveaux éléments de preuve en contraignant les anciens propriétaires du défunt, Allan et Wendy Zinck, à témoigner en personne en leur envoyant une assignation à comparaître pour aider le juge des faits à lieux apprécier leur crédibilité.

 

e.         Allan et Wendy Zinck affirmeront dans leur témoignage que Mme Morris ne vivait pas avec le défunt au moment du décès de ce dernier.

 

f.          Le Tribunal a rejeté le témoignage de M. Sager pour des raisons de crédibilité alors qu’il ne l’a jamais rencontré et n’a jamais entendu son témoignage.

 

g.         Le Tribunal a tiré ses conclusions en se fondant sur des éléments de preuve documentaires par ouï‑dire et n’a pas eu l’occasion d’entendre M. Sager en personne.

 

h.         La demanderesse a l’intention d’obtenir des dossiers médicaux indiquant que le défunt vivait seul au moment de son décès. Ces nouveaux éléments de preuve ne pouvaient être mis à la disposition du Tribunal pour examen.

 

[24]           La demanderesse affirme que la conclusion de la Commission suivant laquelle il n’y avait rien dans le dossier complet pour démontrer que la demanderesse avait une cause défendable indique que la Commission ne s’est pas demandé si la demande avait une chance raisonnable d’être accueillie. La Commission a également commis une erreur en écartant le témoignage de M. Sager en laissant entendre qu’il cherchait à faire des insinuations dans un but inconnu. De plus, pour se prononcer sur l’opportunité de proroger le délai imparti pour faire appel, la Commission ne devait pas se demander si elle devait faire droit à l’appel, mais seulement si la preuve et les arguments juridiques permettaient de penser que l’appel avait des chances raisonnables d’être accueilli (Belo‑Alves c Canada (Ministre du Développement social), 2009 CF 413, au paragraphe 11 [Belo‑Alves]).

 

[25]           La demanderesse affirme que les faits de la présente espèce ressemblent à ceux de l’affaire Leblanc c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2010 CF 641 [Leblanc], dans laquelle la Cour a conclu qu’il ne faisait pas de doute que la nouvelle preuve médicale présentée étayait suffisamment la thèse de l’existence d’une cause défendable.

 

Prétentions et moyens du défendeur

[26]           Le défendeur affirme que la Commission a estimé de façon raisonnable que la demanderesse n’avait pas démontré qu’il n’y avait rien dans le dossier complet qui lui permettrait de conclure que la demanderesse avait une cause défendable. La Commission a également jugé de façon raisonnable que rien n’indiquait que la demande de prorogation de délai permettait de penser que le Tribunal avait commis une erreur de droit ou une erreur de fait grave.

 

[27]           Le défendeur affirme que, bien que la Commission ait affirmé à tort que le critère en matière de prorogation de délai est cumulatif, cette erreur ne compromet pas l’issue finale, étant donné que la Commission a conclu de façon raisonnable que la demande de prorogation de délai ne révélait pas l’existence d’une cause défendable (Canada (Procureur général) c Blondahl, 2009 CF 118, au paragraphe 16 [Blondahl]).

 

[28]           Suivant le défendeur, la demanderesse n’a pas soulevé l’existence d’une cause défendable dans sa demande de prorogation de délai. Elle n’a pas soumis à l’appui de sa demande d’éléments de preuve nouveaux ou supplémentaires dont le Tribunal n’aurait pas déjà tenu compte. La Commission ne peut se prononcer sur l’existence d’une cause défendable à partir d’éléments de preuve que quelqu’un lui promet de lui présenter à une étape ultérieure.

 

[29]           Le défendeur affirme que le Tribunal a examiné et analysé le témoignage de M. Sager et celui de M. Hawkins, l’enquêteur privé engagé par la demanderesse, et qu’il a tenu compte du fait qu’au moment de son décès, M. Villeneuve vivait en appartement et non chez Mme Morris. Après avoir examiné la preuve et les témoignages, le Tribunal pouvait se prononcer sur leur fiabilité et apprécier la preuve en conséquence. La Cour ne peut apprécier de nouveau la preuve et juger de nouveau le dossier qui était soumis à la Commission.

 

[30]           Le défendeur affirme que la décision du Tribunal n’est entachée d’aucune erreur qui fournirait à la demanderesse une cause défendable. Le Tribunal a eu l’avantage d’entendre les témoignages et de prendre connaissance des observations écrites de chacune des parties. Il a procédé à une analyse approfondie de la preuve dont il disposait, a répondu aux principaux arguments de la demanderesse à la lumière de la preuve, et il lui était loisible de préférer certains éléments de preuve à d’autres (Dossa c Canada (Commission d’appel des pensions), 2005 CAF 387, au paragraphe 4 [Dossa]). En outre, la Commission n’avait pas le droit de se prononcer sur le fond de l’affaire après avoir estimé qu’il n’existait pas de cause défendable (Callihoo, précité, au paragraphe 21).

 

Analyse

[31]           Les paragraphes 2(1), 42(1), 44(1), 44(1)(1.1), 82(1) et 83(1) du RPC et les articles 4 et 5 des Règles de la Commission sont les dispositions applicables en l’espèce.

 

[32]           Une pension de survivant est payable au survivant du contribuable défunt en vertu de l’alinéa 44(1)d). Le paragraphe 42(1) définit comme suit le « survivant »:

42. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

 

[…]

 

« survivant » S’entend :

 

 

a) à défaut de la personne visée à l’alinéa b), de l’époux du cotisant au décès de celui‑ci;

 

 

 

b) du conjoint de fait du cotisant au décès de celui‑ci.

42. (1) In this Part,

 

[…]

 

 

 

“survivor”, in relation to a deceased contributor, means

 

(a) if there is no person described in paragraph (b), a person who was married to the contributor at the time of the contributor’s death, or

 

(b) a person who was the common‑law partner of the contributor at the time of the contributor’s death;

 

[33]           Voici la définition du « conjoint de fait » que l’on trouve au paragraphe 2(1) :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« conjoint de fait » La personne qui, au moment considéré, vit avec un cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an. Il est entendu que, dans le cas du décès du cotisant, « moment considéré » s’entend du moment du décès.

2. (1) In this Act,

 

 

 

“common‑law partner”, in relation to a contributor, means a person who is cohabiting with the contributor in a conjugal relationship at the relevant time, having so cohabited with the contributor for a continuous period of at least one year. For greater certainty, in the case of a contributor’s death, the “relevant time” means the time of the contributor’s death.

 

[34]           Aux termes de l’article 82(1), la personne qui se croit lésée par une décision du ministre peut interjeter appel de cette décision devant le Tribunal. Le paragraphe 83(1) permet à cette personne de présenter, soit dans les 90 jours suivant le jour où la décision du Tribunal lui est transmise, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice‑président, une demande afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du Tribunal auprès de la Commission.

 

[35]           La personne qui ne demande pas l’autorisation d’interjeter appel d’une décision du Tribunal dans le délai prescrit de 90 jours doit, tout d’abord, se voir accorder une prorogation discrétionnaire du délai prévu pour demander l’autorisation. Les articles 4 et 5 des Règles de la Commission indiquent quels sont les renseignements qui doivent figurer dans une demande d’autorisation et exigent que la personne indique les motifs sur lesquels sa demande de prorogation est fondée (Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Dawdy, 2006 CF 429, aux paragraphes 23 et 24 [Dawdy]).

 

[36]           La décision de la Commission de proroger le délai et d’autoriser l’appel est hautement discrétionnaire (Gattellaro, précité, au paragraphe 4). À défaut de dispositions limitant expressément l’étendue du pouvoir discrétionnaire de prorogation qui lui est délégué, la Commission dispose d’un vaste pouvoir d’appréciation lorsqu’il s’agit d’accorder une prorogation de délai (Handa, précité, au paragraphe 11).

 

[37]           La Commission doit appliquer les quatre critères prévus dans le jugement Gattellaro, précité. En ce qui concerne le troisième critère, celui de la cause défendable, dans le contexte d’une demande de prorogation de délai, pour satisfaire aux critères de la cause défendable, il faut démontrer que la demande a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique (Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Hogervorst, 2007 CAF 41, au paragraphe 37 [Hogervorst]; LeBlanc, précité, au paragraphe 24).

 

[38]           Une des façons d’établir que la cause est défendable consiste à présenter une nouvelle preuve qui n’avait pas été soumise au Tribunal (Leblanc, précité, au paragraphe 25). Une autre façon d’établir que la cause est défendable consiste à démontrer l’existence d’une erreur de droit ou d’une erreur de fait (Callihoo, précité, au paragraphe 22).

 

Nouveaux éléments de preuve

[39]           Pour déterminer si une décision est raisonnable, les tribunaux ne doivent pas substituer leurs propres motifs à ceux des décisions qu’ils examinent, mais peuvent, s’ils le jugent nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 15 [Newfoundland Nurses]). Dans la présente affaire, bien que la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal, la Cour doit également examiner la décision du Tribunal pour déterminer si la Commission a eu raison de conclure que la demande de prorogation du délai imparti pour demander l’autorisation d’interjeter appel ne révèle pas l’existence d’une cause défendable selon le dossier dont elle disposait (Callihoo, précité, aux paragraphes 15 et 16).

 

[40]           Devant le Tribunal, la preuve de la demanderesse consistait en la déclaration solennelle du 25 février 2009 de M. Shane Sager (la déclaration de M. Sager) dans laquelle ce dernier affirmait qu’il avait vécu dans la maison de la demanderesse entre le 8 mai 2008 et la fin de septembre 2008. La demanderesse avait également soumis une lettre du 7 février 2009 dans laquelle M. William Hawkins affirmait qu’après avoir interrogé M. Sager, son enquête lui avait permis de constater que M. Sager et Mme Morris avaient commencé à vivre comme conjoints de fait vers le 13 mai 2008, la date même à laquelle M. Villeneuve s’était pris un appartement. La preuve de la demanderesse était enfin constituée d’une lettre en date du 26 mars 2009 dans laquelle les propriétaires de M. Villeneuve, Wendy et Al Zinc, expliquaient les raisons pour lesquelles ils croyaient comprendre que M. Villeneuve avait pris cet appartement.

 

[41]           La demanderesse affirme que les éléments de preuve susmentionnés confirmaient qu’elle était la survivante ayant légalement droit à la pension de survivante en vertu du RPC, étant donné que Mme Morris n’avait pas cohabité avec M. Villeneuve jusqu’au moment du décès de ce dernier et qu’elle n’en était pas la conjointe de fait.

 

[42]           Dans sa demande de prorogation du délai imparti pour interjeter appel de la décision du Tribunal, la demanderesse a joint la déclaration de M. Sager ainsi que les lettres de M. Hawkins et de M. et Mme Zinck. Elle n’a soumis aucun autre élément de preuve à l’appui de sa demande.

 

[43]           Je conclus que le Tribunal a examiné la déclaration de M. Sager, la lettre de M.  Hawkins et la lettre de M. et Mme Zinck qui lui ont été soumis et qu’il en a tenu compte. Il était au courant du fait que M. Villeneuve vivait en appartement et non au domicile de Mme Morris au moment du décès et il a tenu compte de ce fait. Par conséquent, j’estime que la demanderesse n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve importants qui lui auraient fourni une cause défendable à l’appui de sa demande de prorogation du délai qui lui était imparti pour interjeter appel de la décision du Tribunal.

 

[44]           La demanderesse invoque le jugement Belo‑Alves, précité, à l’appui de son argument que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des nouveaux éléments de preuve qui pouvaient être mis à sa disposition et qui n’avaient pas été portés à la connaissance du Tribunal. S’agissant de savoir s’il convenait d’accorder une prorogation du délai d’appel, le juge Campbell a déclaré que la Commission ne devait pas se demander si elle devait faire droit à l’appel, mais seulement si la preuve et les arguments juridiques permettaient de penser que l’appel avait des « chances raisonnables » d’être accueilli :

[11]      Quant à la question relative à la cause défendable, l’argument soulevé devant la Commission par le conseil de Mme Belo‑Alves comporte deux volets : un argument fondé sur la preuve selon lequel il y a des éléments de preuve nouveaux dans les documents médicaux produits par Mme Belo‑Alves […] et un argument juridique voulant qu’un mauvais critère ait été appliqué aux faits nouveaux […] Quant au point fondé sur la preuve, que pouvait‑elle dire de plus, et qu’était‑il nécessaire de dire de plus pour satisfaire à ce critère? À mon avis, il n’est pas possible d’évaluer la qualité d’une telle preuve à l’égard d’une demande de prorogation de délai; j’estime qu’il suffit de démontrer qu’il existe un argument avec des éléments de preuve à l’appui pour satisfaire à ce facteur particulier, ce que Mme Belo‑Alves a fait. En ce qui concerne l’argument juridique, selon moi, il a des chances raisonnables d’être accepté. Par conséquent, je conclus que la conclusion quant à la preuve selon laquelle il n’y a « rien » au dossier pour répondre à ce facteur est injustifiée.

 

[45]           Je ne crois pas que cette décision aide la demanderesse. Dans le jugement Belo‑Alves, la demanderesse avait effectivement soumis de nouveaux éléments de preuve à l’appui de sa demande de prorogation de délai. Indépendamment du bien‑fondé de la demande, ces nouveaux éléments de preuve suffisaient pour démontrer que la demanderesse avait une cause défendable. C’était également la situation dans l’affaire LeBlanc, précitée, et dans l’affaire Lavin c Canada (Procureur général), 2011 CF 1387 [Lavin].

 

[46]           En l’espèce, toutefois, la demanderesse se fonde sur des éléments de preuve qu’elle n’a pas encore présentés et devine la teneur de ces éléments de preuve et de ce qu’ils établiront. À mon avis, il n’était pas possible pour la Commission de déterminer l’existence d’une cause défendable sur la base de nouveaux éléments de preuve éventuels qui n’avaient pas encore été portés à sa connaissance. La Commission n’a par conséquent pas commis d’erreur justifiant l’infirmation de sa décision en ne se prononçant pas sur cette question.

 

Erreur de fait ou de droit

[47]           Comme nous l’avons déjà signalé, le Tribunal a examiné et mentionné expressément la déclaration de M. Sager et la lettre de M. Hawkins. Le Tribunal s’est également expressément prononcé sur le poids à accorder à ces éléments de preuve et conclut : [traduction] « Les tentatives faites dans la déclaration et dans le rapport de l’enquêteur Commission en vue de chercher à faire des insinuations remet en question la véracité de toutes les observations connexes que l’on trouve dans la déclaration et dans le rapport de l’enquêteur. » Le Tribunal a conclu que la date donnée pour la fin de la cohabitation de Mme Morris et de M. Villeneuve ainsi que la date donnée pour le début de l’union entre Mme Morris et M. Sager [traduction] « sont trop rapprochées pour être vraisemblables et font bien l’affaire de Mme Villeneuve ». Le Tribunal a également mentionné le fait non contesté suivant lequel M. Villeneuve avait conclu un bail pour louer l’appartement de M. et Mme Zinck et qu’il y vivait au moment de son décès, et le Tribunal a pris acte de l’explication fournie par Mme Morris à ce sujet. Il a également mentionné expressément les autres éléments de preuve dont il avait tenu compte pour en arriver à ses conclusions.

 

[48]           Je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la Commission, qui était fortement discrétionnaire, suivant laquelle la décision du Tribunal n’était entachée d’aucune erreur de fait ou de droit. Le Tribunal a eu l’avantage d’entendre le témoignage des parties et d’examiner la preuve documentaire. Il avait le droit de se prononcer sur la fiabilité et la valeur des éléments de preuve qui lui avaient été soumis. Le Tribunal avait le droit de donner préséance à certaines preuves sur d’autres, dès lors que les preuves en question n’avaient pas une force si probante que le défaut d’y référer impliquerait qu’il ne s’acquittait pas de sa principale obligation d’engager une analyse valable de la preuve (Dossa, précité, au paragraphe 4), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[49]           La Commission a correctement examiné la question de savoir si la demande de prorogation du délai imparti pour interjeter appel de la décision du Tribunal soulevait une cause défendable. Elle a conclu de façon raisonnable que le Tribunal avait clairement énoncé ses conclusions, son appréciation de la crédibilité et les motifs de ces conclusions et que la décision du Tribunal ne soulevait pas de question de droit ou d’erreur de fait importante. Dans la mesure où le dossier faisait état d’un fondement probatoire raisonnable sur lequel la Commission pouvait apprécier l’existence d’une cause défendable, comme c’est le cas en l’espèce, il n’appartient pas à la Cour de procéder à nouvelle appréciation de la preuve dans le cadre du contrôle judiciaire (Gattellaro, précité, au paragraphe 10; Janzen c Canada (Procureur général), 2008 CAF 150; Dossa, précité, au paragraphe 4).

 

[50]           La demanderesse fait par ailleurs valoir que la Commission n’a pas expliqué en quoi les arguments de la demanderesse ne soulevaient pas l’existence d’une cause défendable. Les motifs proposés à l’appui de la décision doivent être examinés en corrélation avec le résultat pour déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable; l’« insuffisance » des motifs ne constitue plus un moyen distinct permettant de contester une décision (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 14).

 

[51]           En l’espèce, la Commission a déclaré qu’elle n’avait rien trouvé dans le dossier complet qui lui avait été soumis qui lui aurait permis de penser que la demanderesse avait une cause défendable selon les principes de droit énoncés dans le jugement Callihoo, précité. L’auteur de la décision est présumé avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve dont il disposait (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 [Florea]), et la Cour n’envisagera la possibilité d’écarter cette présomption que lorsque la valeur probante des éléments de preuve auxquels l’auteur n’aura pas expressément fait référence est telle que ces éléments de preuve auraient dû être abordés (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35, aux paragraphes 14 à 17 [Cepeda]).

 

[52]           Les observations contenues dans la lettre du 25 janvier 2012 de l’avocat de la demanderesse reposaient sur des éléments de preuve dont disposait le Tribunal ainsi que sur les éléments de preuve à venir dont nous avons déjà parlé. Ces observations reprennent essentiellement les arguments que la demanderesse avait déjà présentés au Tribunal. Bien qu’elle ne les ait pas abordés en détail, la Commission a mentionné ces arguments dans sa décision et elle a effectivement déclaré que rien dans le dossier qui lui avait été soumis ne lui permettait de déterminer que la demanderesse avait une cause défendable. La Commission n’est pas tenue de mentionner tous les documents, et personne ne s’y attend (Dossa, précité, au paragraphe 4). Les motifs de la Commission étaient suffisants et sa décision était raisonnable en ce sens qu’elle était transparente, justifiable et intelligible et qu’elle appartenait aux issues acceptables.

 

[53]           Quant à l’affirmation de la Commission suivant laquelle le critère relatif à la prorogation de délai est cumulatif suivant le jugement Clayton, précité, il ressort de la jurisprudence récente que l’on peut satisfaire à ce critère même si l’un de ses volets n’est pas rempli (Blondahl, précité, au paragraphe 18; Canada (Procureur général) c Pentney, 2008 CF 96, au paragraphe 40 [Pentney]). J’estime toutefois que l’erreur qu’a commise la Commission en qualifiant le critère de critère cumulatif ne compromet pas sa décision finale, étant donné que la Commission a clairement déclaré qu’elle s’attachait principalement au second critère, celui de la « cause défendable ».

 

[54]           À mon avis, la Commission n’a pas commis d’erreur justifiant l’infirmation de sa décision en concluant que la demanderesse n’avait pas de cause défendable et en rejetant par conséquent la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir la prorogation du délai qui lui était imparti pour interjeter appel de la décision du Tribunal. Je suis par conséquent d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1561‑12

 

INTITULÉ :                                                  JODY LEE VILLENEUVE c

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Keenan Sprague

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Bahaa I. Sunallah

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Baldwin Law Professional Corporation

Belleville (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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